18 décembre 2017 1 18 /12 /décembre /2017 06:43

De Cecilia Atàn et Valeria Pivato (Argentine)

 

Avec Paulina Garcia Claudio Rissi

 

présenté au festival de Cannes (Un certain Regard)

 

Argument

Teresa, 54 ans, a toujours travaillé au service de la même famille jusqu’au jour où elle est contrainte d’accepter une place loin de Buenos Aires. Elle entame alors un voyage à travers l’immensité du désert argentin, et ce qui semblait être le bout du chemin va s’avérer le début d’une nouvelle vie.

 

La Fiancée du désert

Les premiers plans étaient "prometteurs" : une théorie de voyageurs vue en légère plongée ,apparemment déboussolés, et dont les paroles nous parviennent feutrées comme chuchotées ; on s’interroge sur la cause de l’accident du bus….oiseau; pare-brise.. Il faudra passer la nuit au sanctuaire de la Difunta Correa, un lieu de pèlerinage situé dans le désert de San Juan, au centre-ouest de l’Argentine.

C’est alors que la caméra va capter en le détachant du groupe, le visage de Teresa ; elle sera la fiancée du désert… Un sac oublié par inadvertance dans l’habitacle du camion d’El Gringo (où elle essayait une robe) et cet "acte manqué" est le point de départ à ce qu’il est convenu d’appeler un road trip

 

Certes l’actrice chilienne Paulina Garcia -qui est de tous les plans- interprète, talentueuse, tous les registres, les nuances des sentiments et de l’émotion (pudeur, désarroi, sourire,  illumination).

Certes l’alternance entre flash back et moment présent permet au spectateur d’approcher au plus près le personnage  et aux réalisatrices de dénoncer sans trop appuyer ce que furent les relations patron/domestique et la relation avec Rodriguez - le fils "paternaliste" de ses ex patrons (Teresa par son abnégation ne ressemble-t-elle pas à la Félicité de Flaubert?)

De même l’alternance entre extérieurs - panoramiques sur la vaste étendue de San Juan- et scènes d’intérieurs -maison des ex-patrons, bars restaurants aux couleurs chaudes,- évoque sans symbolisme cet "entre deux" où se trouve désormais Teresa

Certes le voyage aux côtés de Gringo (à la recherche du sac….) se double d’un voyage intérieur dont les différentes "étapes" coïncident avec les temps de pauses et de rencontres. Et le changement de coiffure participe lui aussi de cette "initiation" (cheveux enfin déliés = laisser aller, lâcher prise) 

 

 

Tout cela traité par petites touches. Serait-ce une épure ?

Mais quelque chose ne tourne pas rond…

et le minimalisme peut se faire pataud et- paradoxalement- "pompier" 

Non-dits trop signifiants ? Cheminement laborieux ? Absence de singularité ? 

En tout cas, on est loin du "réalisme magique" revendiqué

 

 

Colette Lallement-Duchoze

 

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18 décembre 2017 1 18 /12 /décembre /2017 05:06

De Sofia Djama 

Avec Sami Bouajila, Nadia Kaci, Faouzi Bensaïdi 

Argument:

Alger, quelques années après la guerre civile. Amal et Samir ont décidé de fêter leur vingtième anniversaire de mariage au restaurant. Pendant leur trajet, tous deux évoquent leur Algérie : Amal, à travers la perte des illusions, Samir par la nécessité de s'en accommoder. Au même moment, Fahim, leur fils, et ses amis, Feriel et Reda, errent dans une Alger qui se referme peu à peu sur elle-même.

Les Bienheureux
Plongée dans une Algérie qu’on connaît si mal : celle d’une famille relativement aisée (père gynéco, mère prof de fac) qui nous offre un tableau fictionnel témoin d’un pays à la dérive. L’action se passe en 2008, juste après la décennie terroriste islamiste qui a laissé des cicatrices profondes. D’un côté des quinquas désabusés, désillusionnés, de l’autre leurs enfants étudiants sans illusion aucune,  hormis pour l’un d’entre eux dont la déviance névrotique dans l’Islam montre que l’aliénation religieuse, comme refuge, n’a pas disparu.
 
Le montage rend très bien ces vies parallèles qui se croisent et se rencontrent mal. Les dialogues, mélangeant français et arabe,  soulignent à la fois les tentatives de sortir culturellement de la colonisation et le mimétisme bourgeois un peu ridicule de cette classe sociale entre deux chaises. D’où un jeu d’actrices, surtout, qui peut sembler faux mais sert bien le propos.
La solution à l’étouffement reste la fuite vers la France, mais au prix d’un nouveau déchirement familial.
 
Film intéressant, bien interprété, une bonne qualité de la photo où les lumières célèbres d’Alger se sont ternies en ocres de la nuit.
 
A voir pour comprendre ce qui se passe à l’intérieur de ce pays meurtri , si proche et si loin.
 
Serge Diaz
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16 décembre 2017 6 16 /12 /décembre /2017 17:48

Docu-fiction d'Emmanuel Gras 

avec Kabwita Kasongo et Lydie Kasongo 

Grand prix de la Semaine de la Critique, Cannes 2017

Makala

Kabwita vit dans la province de Katanga (au sud de la République Démocratique du Congo). Ses ressources, pour subvenir aux besoins de sa famille (son épouse et ses trois enfants) ? Fabriquer SON propre charbon de bois (makala) et le vendre

Et l’on va le suivre depuis le choix de l’arbre, sa coupe à la hache, la transformation en charbon, l’empaquetage,  jusque dans sa longue marche de 50km -les paquets empilés sur un vélo déglingué- vers le marché de Kolwezi.

 

C‘est de ce périple, c’est de ce labeur, c’est de cette volonté irrépressible de survivre en bravant tous les dangers, que le réalisateur rend compte dans ce long métrage/documentaire - qui n’exclut pas l’arrière plan politique - la condition des plus démunis contraste avec l’irresponsabilité des gouvernants : le plan où Kabwita -qui croule sous le fardeau sous la chaleur-  tourne le dos à une immense affiche vantant les bienfaits du président Kabila, le prouverait aisément

 

La somptuosité des images, la perfection des cadrages, le respect d’une lumière "naturelle", les effets de clair -obscur, l’alternance entre gros plans sur le visage de Kabwita et plans larges (quand il affronte seul une nature hostile)- ou plus resserrés (quand il est confronté à la "cité" trépidante et mercantile des hommes) et cette musique lancinante -frottements d’archet de violoncelle-, tout concourt à entraîner le spectateur dans cette odyssée et à le subjuguer

 

Alors que cesse la cognée, que l'arbre s'est allongé voici que les ramures dessinent une chorégraphie céleste et que tout semble se minéraliser ....

Alors que les "tractations" ont pris fin, voici Kabwiti au sein d'une communauté où l'on exalte les vertus de l'homme intègre; tous les participants, comme en état de transe, implorent le Seigneur (séquence finale) 

Ainsi la caméra d'Emmanuel Gras aura fait de Kabwita, charbonnier congolais, un être "mythique"..

 

 

Un film à la ténébreuse clarté

Un film saisissant

A voir absolument

 

Colette Lallement-Duchoze

 

 

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9 décembre 2017 6 09 /12 /décembre /2017 06:36

De Mohammed Rasoulof Iran 

avec Reza Akhlaghirad, Soudabeh Beizaee, Nasim Adabi, Massagh Zareh, Zeinab Shabani, Zhila Shah

Argument

Reza, installé en pleine nature avec sa femme et son fils, mène une vie retirée et se consacre à l’élevage de poissons d’eau douce.  Une compagnie privée qui a des visées sur son terrain est prête à tout pour le contraindre à vendre. Mais peut-on lutter contre la corruption sans se salir les mains ?

 

Un homme intègre

L’homme intègre c’est Reza ; il est de tous les plans. Regard noir sombre. Il est aussi le seul à refuser de pactiser avec un système régi par la corruption. Dans son pays, tout s’achète se monnaye, quel que soit le secteur d’activités (école santé police justice). Porter plainte quand on est dans son bon droit ? Ça coûterait bien plus cher que le versement des indemnités réclamées…. Ce serait se mettre à dos les potentats locaux. Ce serait une "hérésie" !  

 

Le mécanisme -compromissions pressions intimidations menaces- est illustré de façon magistrale et progressive : succession rapide des échanges "monnayés" (avec gros plans sur des mains qui palpent des liasses  ou les tractations répétées dans l’enclos de voitures,  par exemple) ; gradation dans les représailles/catastrophes – depuis la contamination de l’eau jusqu’à l’incendie – en des scènes inoubliables (valse funèbre des corbeaux prédateurs qui cisaillent avec stridence les lambeaux d’un ciel lui aussi contaminé ; valse des motards qui pétaradent dans la nuit devenue complice de leur forfait). Mais le film ne verse pas pour autant dans le "didactisme", tout n'est pas dit  ni "montré" de façon explicite! 

Résister dans un tel contexte c’est TOUT perdre. Si le beau-frère  semble « justifier » la pratique de la corruption « il faut bien qu’ils vivent. Ils ne sont que fonctionnaires » (il a « payé » pour accélérer la sortie de prison de Reza -injustement accusé d’ailleurs…) la femme de Reza (directrice du lycée local) d’abord compréhensive va progressivement accuser son mari, convaincue que l'entêtement est frappé d'inanité. Un couple qui se déchire  : c’est aussi ça le "prix à payer" si l’on entre en résistance ! Face à face, ou visage isolé cadré à l’extrémité d’un plan, paroles comminatoires ou silence, le réalisateur rend palpable cette lente détérioration ….

 

On a l’impression que se mêlent en un saisissant imbroglio tous les intérêts politiques religieux économiques d’un pays; le réalisateur en a lui-même fait les frais (assigné à résidence menacé de prison pour avoir prétendument attenté au pouvoir…)

Y a-t-il encore une place pour l’espoir ? Le film est assez pessimiste…Le plan élaboré par Reza  frappe par son machiavélisme...

 

La scène d’ouverture était surprenante : un très gros plan sur une surface arrondie que pénètre une seringue… le plan s’élargit c’est une pastèque dans laquelle Reza  injecte de l’alcool .

Et la scène récurrente où l’on voit Reza déguster seul son alcool dans cette nappe d’eau chaude naturelle n’illustre-t-elle pas une façon de se "ressourcer" loin de tous les interdits?  Nudité primale retrouvée, exacerbation des sens ou le  bonheur sans entrave ? 

 

Un film "coup de poing", primé au festival de Cannes "Un certain Regard", à voir absolument !

 

Colette Lallement-Duchoze

 

 

 

Je confirme ce qu'en dit Colette. C'est un beau film avec des accents de thriller. Il décrit magistralement un Iran que ne voient pas les touristes (j'en reviens) de ce magnifique pays. Saluons Mohammed Rasoulof réalisateur-héros car son courage dans la dénonciation du système n'a d'égal que son talent cinématographique. La fin est remarquable pour la poursuite de la réflexion sur ces états de non-droits (de l'homme). A saluer également l'interprétation toute en retenue et puissance des protagonistes et la beauté divine de l'actrice Soudabeh Beizaee, l'épouse du principal personnage, qui brille aussi par sa lucidité. Hommage à La Femme dans ce pays où le port du voile est obligatoire et paradoxalement le sexe féminin est majoritaire à l'université. Oui, à voir absolument ! Ce film a une grande portée politico-philosophique. 

Serge Diaz 9/12/17

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5 décembre 2017 2 05 /12 /décembre /2017 06:34

de George Ovashvilli (Géorgie)

 

avec Lika Babluani (Tatia) , Hossein Mahjoub (Zviad Gamsakhurdia) , Zurab Antelava (Shalva) ...

argument

Le président déchu qui incarnait autrefois l'espoir d'une nation nouvelle, tente de reconquérir le pouvoir. Escorté par une poignée de fidèles, il traverse clandestinement les paysages majestueux de la Géorgie, tour à tour accueillants et inquiétants...

Khibula

Le nom du président géorgien, Zviad Gamsakhourdia, -démocratiquement élu, renversé par un putsch, contraint à l’exil- n’est mentionné qu’au générique de fin. Il est salué par ses proches et les hôtes qui lui sont encore favorables par la formule de déférence "monsieur le président".  Le réalisateur -qui ne cache pas ses sympathies pour cet homme- s’intéresse moins aux questionnements d’ordre politique -ils sont suggérés- qu’à la solitude fondamentale d’un être déchu mais obstinément accroché au pouvoir; il en vient même à pénétrer sa conscience -donnant à voir par exemple ses cauchemars en de courtes scènes hallucinées sans raccord, ce qui donne l’illusion du vrai….

 

Errance forcée, marche inexorable vers la mort, le film est scandé par la récurrence de l’injonction "il faut partir". Nous traversons avec les marcheurs clandestins (garde rapprochée qui ira s’amenuisant) des paysages à couper le souffle : montagnes forêts plans d’eau. Voici le groupe formant une théorie presque gracile qui se détache sur une pente enneigée, le voici filmé de plus près et la compacité dit dans le silence la force authentique de la fraternité. Traverser des forêts (où perle la lumière diffractée), arpenter des montagnes (avec cette alternance entre plans en plongée et contre plongée selon que l’on veut mettre en évidence la faiblesse ou la puissance de l’homme, la majesté bienveillante ou hostile de la nature).

 

Un film dépouillé à la beauté sidérante. Peu de dialogues ; la musique est celle du vent, du crissement de la neige -amplifiée par la bande-son- ou celle des chants lors de certaines pauses, dans des gîtes ou chez l'habitant. Le tempo naît de cette alternance. Alternance entre scènes d’extérieur (avec toutes les nuances de lumière) et scènes d’intérieur (où les cadrages les jeux de clair obscur, la répartition dans l’espace des personnages peuvent évoquer des scènes de genre ou du moins ont la puissance évocatrice de certaines peintures) Entre l’horizontalité (scènes d’intérieur ; le président tel un "gisant") et la verticalité du mouvement ascensionnel ; entre groupe et individu : le président isolé dans sa quête vouée à l'échec ; sensations émotions se lisent à fleur de peau sur son visage -quand il est filmé de très près. Un président magistralement interprété par l’acteur iranien Hossein Mahjub

Christ des temps modernes (avec son par-dessus sa cravate son attaché-case,  métonymie d’un pouvoir qui se délite) il fuit avec ses "apôtres", ses "fidèles", et nous suivons son calvaire, son chemin de croix, balisé par  des "stations"  jusqu’à sa mort à Khibula (suggérée …elle restera hors champ)

 

On oubliera vite quelques symboliques appuyées (oiseau encagé ; blessure prémonitoire ; gros plan sur les chaussures boueuses) ou le dispositif répétitif (marche, pause, départ forcé) pour retenir le mélange de réalisme et de contemplation, la maîtrise formelle (plans cadres variations de lumière, infinité des ambiances) maîtrise à laquelle George Ovashvilli  avait habitué son public (cf la terre éphémère)

 

Un film envoûtant (dernière séance ce jour à 15h30 Omnia) 

 

Colette Lallement-Duchoze

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4 décembre 2017 1 04 /12 /décembre /2017 12:57

De Robert Guédiguian 

avec Ariane Ascaride, Jean-Pierre Darroussin, Gérard Meylan, Jacques Boudet, Anaïs Demoustier, Robinson Stévenin 

argument:

Dans une calanque près de Marseille, au creux de l'hiver, Angèle, Joseph et Armand se rassemblent autour de leur père vieillissant. C'est le moment pour eux de mesurer ce qu'ils ont conservé de l'idéal qu'il leur a transmis, du monde de fraternité qu'il avait bâti dans ce monde magique, autour d'un restaurant ouvrier dont Armand le fils aîné continue de s'occuper

La Villa
Un film très très émouvant malgré deux erreurs majeures de casting.
On a du mal à croire à cet amour béat du jeune pêcheur de 30 ans incarné par Robinson Stevenin pour Ariane Ascaride en âge d’être sa mère. Idem pour Anaïs Demoustier avec Jean-Pierre Darroussin....
Hommage sans doute du réalisateur pour sa compagne de toujours qu’il voit avec les yeux de l’amour, éternelle séductrice.
Hommage aussi pour son vieux et fidèle copain Darroussin qui a les meilleures répliques de ce film aux très bons dialogues. 
 
Mis à part l’erreur de casting, nous sommes enveloppés par une ambiance d’amour et de fraternité, de générosité, d’immense nostalgie surtout pour une époque d’une vraie et belle culture populaire en train de mourir sous nos yeux.
 
Ce film testament parle certainement davantage aux sexagénaires qui ont partagé le même idéal politique qu’aux jeunes générations aujourd'hui pénétrées par l’idéologie libérale.
 
Mais chez Guédéguian il y a toujours un fond d’espoir et de renouveau possible.
La scène finale est magistrale où les trois frères et sœurs appellent sous le viaduc pour chemin de fer, leur prénom renvoyé en écho ; à leurs voix s’ajoutent celles des trois enfants-migrants naufragés qu’ils ont recueillis et qui sortent de leur mutisme pour appeler  leur petit frère mort. Ces enfants comme pendants des trois adultes, qu’adviendront- ils à leur tour ?...
 
Bref, un film plein d’atmosphère sur une culture, un état d’esprit, un bilan.
Une profonde réflexion sur la vie, un beau cadeau pour les spectateurs de la génération 68 qui ont voulu changer le monde.
Un film familial qui nous remue avec tendresse.
 
Serge Diaz
 

 

 

Mais où est l'erreur de casting? Anaïs Demoustier n'incarne-t-elle pas avec talent l'ex étudiante tombée sous le charme de son "professeur"?? et Robinson Stévenin ce jeune marin pêcheur qui "idolâtre" celle qui lui a fait découvrir enfant la magie du théâtre ne joue-t-il pas "illuminé" son rôle?

A moins que tu veuilles parler de "vraisemblance" (en tout cas le casting est impeccable)


C'est l'heure des bilans certes mais sans prise de bec ni nostalgie amère; une des questions majeures de ce film (comme d'autres d'ailleurs de Guédiguian ) "comment préserver malgré tous les malgré(s) la solidarité et rester fidèle à un idéal de justice?

Colette 12/12/17

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4 décembre 2017 1 04 /12 /décembre /2017 04:55

Documentaire réalisé par Robert Bober (France Autriche)

Le documentariste ravive la mémoire de son arrière-grand-père parti de Pologne pour s'installer dans une Vienne moderne et cosmopolite , celle de Stefan Zweig, Joseph Roth, Arthur Schnitzler à la veille de la montée en puissance du national-socialisme qui mettra fin à cette capitale culturelle

Vienne avant la nuit

Ce documentaire s'ouvre sur la première séquence de  "la ronde" de Max Ophüls, (film adapté  de la pièce d'Arthur Schnitzler); long travelling qui fait passer d'une scène de théâtre à un studio, le personnage change d'habit,  il revêt un costume 1900;  Anton Walbrook -au timbre de voix si particulier- incarne le récitant  acteur?, auteur? passant.?..

Ce pré-générique qui sert de prologue va encoder tout  le film. Robert Bober, 86 ans, sera le récitant de "Vienne avant la nuit" . Vienne où s'est installé son arrière-grand-père après avoir été refoulé à Ellis Island alors qu'il gagnait l'Amérique pour fuir la Pologne. Vienne au début du XX° siècle. Vienne capitale des arts et des lettres. Vienne presque cent ans après où se rend le documentariste sur les traces de....cet aïeul ferblantier à Léopoldstadt -quartier où un enfant sur deux était juif...

Seule une photo peut témoigner de son existence, de son passage; alors elle sera viatique au même titre que tous les ouvrages emportés. Afin de faire jaillir en pleine lumière un temps retrouvé..mais aussi exhausser à l'universel, une quête personnelle

Alors que le vieillard à la longue barbe blanche s'inscrit déjà dans la ville "à la mémoire obscurcie" et qu'il l'imprègne -même s'il n'a pas connu ni côtoyé Stefan Zweig, Joseph Roth, Arthur Schnitzler- , tout un jeu de superpositions et/ou de surimpressions va relier différentes strates; et voici que résonne tragique et ambiguë cette phrase de Max Ophüls "j'adore le passé; c'est tellement plus reposant que le présent et tellement plus sûr que l'avenir" ....

 

Questionnement sur l'histoire des lieux et des personnes qui les ont habités, ce documentaire mêle images d'archives, extraits de films, d'entretiens, d'essais, photos de famille, tous commentés par le réalisateur à la voix posée, monocorde et vite lancinante. Train, chambre d'hôtel, café, cimetière, il est aussi là, hic et nunc, omniprésent sachant qu'exhumer le passé -qui est aussi une culture, la sienne, une culture yiddish - c'est le faire exister dans  le présent qui le portait déjà. Tout comme la présence d'une biche dans le cimetière (cf l'affiche) va donner vie aux stèles/mémoires délabrées...

 

Mais cette  méditation   par sa facture assez classique, son imprégnation religieuse, et par certains de ses commentaires, peut laisser certains spectateurs ...à quai...(et j'en fus...)

 

 

Colette Lallement-Duchoze

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1 décembre 2017 5 01 /12 /décembre /2017 06:27

d'Anne Fontaine

Avec Finnegan OldfieldGrégory GadeboisVincent Macaigne, Jules Porier, Catherine Mouchet, Charles Berling, Isabelle Huppert

Marvin ou la belle éducation

Même si le nom d'Edouard Louis n'est pas mentionné au générique, le film d'Anne Fontaine est bien une libre adaptation du roman "En finir avec Eddy Bellegueule": un adolescent stigmatisé par les siens, car ses airs, son comportement ne correspondent pas aux stéréotypes de son sexe; un adolescent qui subit l'opprobre, les injures. Eddy Bellegueule libéré par l'écriture; Marvin par le théâtre. La scène récurrente du crachat, l'ambiance familiale délétère, (la promiscuité, l'omniprésence de la tv, la fainéantise du père, la résignation de la mère) le rôle de l'école, etc. tout cela est le matériau originel. La dernière partie du film renvoie explicitement au battage médiatique qui a suivi la parution du roman (la presse locale picarde était allée interroger la famille d'Edouard Louis dans son village, famille ulcérée par l'odieux portrait que le fils avait osé brosser)

 

Mais  le jeune romancier inscrivait sa rupture dans une perspective sociologique et philosophique. Alors que la réalisatrice noie son film dans des clichés "faciles"

La famille Bijou? Des bidochons en service commandé 

Les représentants du milieu théâtral? des bourgeois homos (efféminés)

Les tentatives de fuite? Un plan qui opposera en frontal le jeune Marvin à une locomotive

La métamorphose de Marvin Bijou en Martin Clément? Certes la réalisatrice prend soin de répertorier les rencontres majeures déterminantes dans l'initiation : la principale du collège (l'interprétation de Catherine Mouchet frappe par sa délicate sobriété), le metteur en scène Albert Pinto (un Vincent Macaigne tout en retenue) et cet amant singulier (Charles Berling) qui lui fait connaître Isabelle Huppert (dans son propre rôle)

Mais au niveau narratif c'est le va-et-vient constant entre le moment présent et le passé, entre Paris  et la province (Vosges). Martin écrit, il se remémore son passé, celui-ci resurgit; Jules Porier (Marvin ado) se substitue à  Finnegan Oldfield (Martin) -cf l'affiche; et des raccords thématiques ou des surimpressions relient les séquences entre elles; mais très vite on se lasse de ce schéma narratif  qui fleure le procédé

Le récit autobiographique consigné dans un carnet,  Martin l'adapte pour le théâtre; il y interprétera son propre rôle aux côtés d'Isabelle Huppert dans le rôle de la mère; la pièce fait un tabac...

 

Marvin s'est ainsi libéré d'un carcan; il est devenu comédien et auteur d'un spectacle sur sa propre vie ... Marvin ou la belle éducation (ce terme étant pris dans ses différentes acceptions)

 

Un casting "parfait" (saluons entre autres la prestation de Grégory Gadebois dans le rôle de Dany, un père bourru, brut de décoffrage mais si "bienveillant") pour un film plus ou moins raté. Et les plans prolongés sur un torse nu, sur un visage angélique vu de trois quarts, le procédé de l'enchâssement -théâtre dans le théâtre- ne vont pas au-delà d'une banale illustration (hélas souvent caricaturale....)

 

Dommage

 

Colette Lallement-Duchoze

 

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21 novembre 2017 2 21 /11 /novembre /2017 06:36

d'Andrey Konchalovsky Russie Allemagne 2016

avec Julia Vysotskaya, Christian Clauss, Philippe Duquesne, Victor Sukhorukov, Peter Kurt…

 

Lion d'Argent Mostra de Venise 2016

Argument:

Olga aristocrate russe émigrée en France  rejoint la Résistance quand la guerre éclate. Jules bon père de famille français, fonctionnaire de police, choisit de collaborer avec le régime nazi. Helmut, fils de la noblesse allemande, devient officier SS dans un camp de concentration....

Paradis

On croyait la thématique éculée! Le film de Konchalovsky la traite  d'une façon inédite : le choix du noir et blanc, d’un format carré; parfois, le cadre s’élargit quand à la confession succède son illustration, quand un souvenir évoqué se concrétise dans sa représentation.

Qui sont ces trois personnages qui face à la caméra s’expriment par-delà la mort ? Comme s’ils subissaient un interrogatoire qui décidera de leur entrée ou non au paradis. Quelles étaient leurs motivations ? Les paroles les faits les circonstances de leur trépas ? Et quel lien -autre que de se croiser- entre un fonctionnaire français qui, pour protéger sa famille, a choisi la collaboration, un officier allemand inféodé à la doctrine nazie et une aristocrate russe entrée en résistance qui a décidé de sauver des enfants juifs ? La réponse ce sont les propos de Karl Jaspers 1946 si l’on en croit le réalisateur russe "Ce qui est arrivé est un avertissement. Il doit être remémoré continuellement. Si les camps ont existé alors ils peuvent de nouveau exister, n’importe quand. Seule la mémoire peut empêcher cela de recommencer. Le danger à présent est le déni, l’oubli, et le refus de croire que c’est effectivement arrivé" 

On retrouve dans Paradis un aspect de la philosophie existentialiste (celle de Sartre, de K Jaspers) un individu est  la somme de ses actes ; si les trois confessions font état d’une faillibilité "humaine" -c’est-à-dire compréhensible-  seuls les actes décideront, au final, du jugement

 

Dispositif figé?. Il doit l’être précisément : le format carré enferme on le sait le personnage dans le cadre. La confrontation avec l’œil d’un Maître qui reste hors champ -même s’il se confond avec l’œil de la caméra, incite le "locuteur" à ne pas biaiser dans sa "justification" (Olga à plusieurs reprises est contrainte de cacher son visage en l’enserrant dans ses bras, Jules affecte un sourire complice quand il avoue quelques turpitudes, Helmut défend tel un tribun sa foi dans le "paradis" imaginé par Hitler celui des “Übermensch” aryens- et son visage s’illumine). Que dire de ces simulations -fausses sorties de bobines- sinon qu’elles s'inscrivent dans cette volonté de "renouer" avec le style "images d’archives" ?

L'alternance entre plans fixes (les moments de confessions) et scènes restituées (manoir, camps, vie familiale, etc.) loin d'être répétitive, participe elle aussi au dévoilement; il y a d'une part la parole et d'autre part son prolongement par l'image  qui  corrobore, infirme ou "montre"concrètement ce que la confession aurait  occulté ou ce que, trop abstraite, elle ne peut "dire" expliciter; simultanément elle élargit le champ de vision sur d'autres protagonistes (personnages dits "secondaires" qui vont être projetés sur le devant de la scène)

Quelques scènes dans la promiscuité malsaine des camps – sous la férule d’une kapo- frappent par leur réalisme alors que l’épisode italien – la rencontre Helmut et Olga- baigne dans un blanc qui sature l’espace où, languides, évoluent les corps.

On saura gré au cinéaste de ne pas avoir insisté sur les atrocités : une montagne de paires de lunettes -Olga travaille dans le centre de triage d'un camp - suggère par métonymie l’ampleur du génocide

 

 

Attention danger! prévient Konchalovsky : le cas d’Helmut est à cet égard exemplaire : nous suivrons le parcours d’un jeune intellectuel brillant, spécialiste de Tchekhov amoureux de Brahms qui s’est transformé en monstre…. Séduit par la rhétorique de la haine....  

 

Colette Lallement-Duchoze

 

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15 novembre 2017 3 15 /11 /novembre /2017 16:05

De Gaël Morel

 

avec Sandrine Bonnaire, Mouna Fettou, Kamal El Amri 

Argument: 

Edith, 45 ans, ouvrière dans une usine textile, voit sa vie bouleversée par un plan social. Loin de son fils et sans attache, plutôt que de se résigner au  chômage, elle est la seule à choisir de rejoindre son usine délocalisée au Maroc…

Prendre le large

Très beau film avec Sandrine Bonnaire ! (mais qu’est-ce qui a pris à cette excellente actrice qu’on aime tant de se faire faire une opération de chirurgie esthétique de la bouche !?).

 

Le Sujet inédit est traité avec une grande sobriété et retenue ce qui rend ce désir de “grand large” tout à fait crédible, et du coup complètement renversant !

Le spectateur quitte ses habits et souvenirs de touriste au Maroc pour entrer dans un monde à l’envers : celui d’une immigrée française contrainte de suivre son usine délocalisée  dans un pays pauvre d’émigration pour pouvoir survivre.

C’est très fort ! surprenant ! L’exploitation d’une population semi-esclave y est montrée sans forcer le trait; mais le scénario nous entraîne aussi dans un curieux rapport mère/fils homosexuel douloureux, la laborieuse construction d’une amitié à petits pas avec son hôte, et les rapports hiérarchiques ou pas entre femmes à l’usine, très réalistes.

 

Le personnage de veuve de la quarantaine, ouvrière de père en fille, sombre et tellement seule, qu’incarne à merveille Sandrine Bonnaire, nous happe dans cet exil douloureux qui nous renvoie à ces pauvres hères venus d’Afrique qui arrivent chez nous avec les mêmes motivations, les mêmes déceptions et parfois, mais rarement, les mêmes sorties hasardeuses de l’enfer.

 

Un film qui marque profondément, à ne pas manquer.

 

Serge Diaz

 

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Mode d'emploi

Ce blog est destiné à collecter nos ressentis de spectateurs, à partager nos impressions sur les films (surtout ceux classés Art et Essai).

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