de Benjamin Millepied (Australie, France 2022)
avec Melissa Barrera, Paul Mescal, Rossy de Palma
Carmen, une jeune mexicaine qui tente de traverser la frontière, tombe sur une patrouille américaine. Aidan, jeune ex-marine lui sauve la vie en tuant l’un des siens. A jamais liés par cette nuit tragique et désormais poursuivis par les forces de l’ordre, ils font route ensemble vers la Cité des Anges. Ils trouveront refuge au cœur de la Sombra Poderosa, un club tenu par la tante de Carmen qui leur offrira un moment suspendu grâce à la musique et la danse
Le film de Benjamin Millepied tout en s’inspirant de la nouvelle de Prosper Mérimée et de l’opéra de Bizet se propose d’en réinventer l’histoire, le personnage et les ambiances. Loin de l’Espagne mythique ou du moins imaginaire du XIX° nous voici à la frontière qui sépare le Mexique des USA début XXI° siècle et nous allons participer à un voyage halluciné, éminemment sensoriel, qui mêlera le folklore hispanique (les flamencos) le western américain (le cabaret La sombra Poderosa, tenu par la tante de Carmen rappelle le saloon, les voitures bolides poursuite ont remplacé les chevaux) mais aussi la tragédie antique (lutte des amants contre le fatum) avec des moments chorégraphiés dans la volupté sensuelle ou la sauvagerie (la boxe et les enchères éructées des profondeurs de gorges « humaines »)
Le film s’ouvre sur un prologue à couper le souffle. Une Mexicaine (la mère de Carmen) exécute un solo endiablé qui nargue les « malfrats » : pieds qui martèlent le sol, cadence qui va s’accélérant, buste qui défie l’adversaire, bras tendus ou arc boutés, regard réprobateur et ironique. Elle sera froidement abattue…. Une mère ! dont la silhouette revisitée reviendra à intervalles réguliers, une mère dernier port d’attache !. Et ce sera le début d’une cavale pour sa fille Carmen. Qui va entraîner dans sa fuite Aidan (un ex marine traumatisé par la guerre d’Afghanistan, installé comme patrouilleur frontalier ; en tuant un des siens, il sauve la jeune femme mais il est recherché comme hors la loi). Deux êtres en cavale -le tempo du film obéit à l’alternance entre fuite échevelée et pause ; deux êtres qui traversent espace et temps en incarnant des problèmes ancrés dans un présent factuel mais à la portée universelle (deuil, exil, racisme, guerre)
Film d’atmosphère, film aux fragrances et lumières nocturnes, film où dominera le rouge (sang et passion) film qui mêle onirisme (avec cette référence au testament d’Orphée quand, Rossy de Palma a les yeux peints sur les paupières) et réalité crue, et qu’une bande son signée Nicholas Britell (chants monacaux orgues puissants) accompagne comme pour souligner l’inéluctable dans la liturgie même.
Certains verront dans l’exagération esthétisante un certain tape-à-l’œil (qui d’ailleurs ferait bon ménage avec la publicité) : effets de ralenti ou d’accéléré, très gros plans, couleurs, certains découpages/répartitions de l’espace. Or il serait intéressant de s’interroger sur et d’analyser la dimension spatiale, dans ce film, non seulement celle du désert que traverse le couple en cavale, mais celle qui fait corps avec le métier de chorégraphe
Danseur (New York City Ballet) et chorégraphe (directeur l’Opéra de Paris Relève: histoire d'une création - Le blog de cinexpressions) Benjamin Millepied, en se plaçant de l’autre côté de la caméra, sait aussi que seul le cinéma peut faire surgir comme par enchantement une « danse » -ici variation de flamenco- que le spectateur n’attendait pas à tel moment encore moins à tel endroit-, être ainsi en conformité avec le personnage libre et enchanteur de « sa » Carmen (brillamment interprétée d’ailleurs par l’actrice mexicaine Melissa Barrera)
Un film à voir ! assurément !
Colette Lallement-Duchoze