d'Andrey Konchalovsky Russie Allemagne 2016
avec Julia Vysotskaya, Christian Clauss, Philippe Duquesne, Victor Sukhorukov, Peter Kurt…
Lion d'Argent Mostra de Venise 2016
Argument:
Olga aristocrate russe émigrée en France rejoint la Résistance quand la guerre éclate. Jules bon père de famille français, fonctionnaire de police, choisit de collaborer avec le régime nazi. Helmut, fils de la noblesse allemande, devient officier SS dans un camp de concentration....
On croyait la thématique éculée! Le film de Konchalovsky la traite d'une façon inédite : le choix du noir et blanc, d’un format carré; parfois, le cadre s’élargit quand à la confession succède son illustration, quand un souvenir évoqué se concrétise dans sa représentation.
Qui sont ces trois personnages qui face à la caméra s’expriment par-delà la mort ? Comme s’ils subissaient un interrogatoire qui décidera de leur entrée ou non au paradis. Quelles étaient leurs motivations ? Les paroles les faits les circonstances de leur trépas ? Et quel lien -autre que de se croiser- entre un fonctionnaire français qui, pour protéger sa famille, a choisi la collaboration, un officier allemand inféodé à la doctrine nazie et une aristocrate russe entrée en résistance qui a décidé de sauver des enfants juifs ? La réponse ce sont les propos de Karl Jaspers 1946 si l’on en croit le réalisateur russe "Ce qui est arrivé est un avertissement. Il doit être remémoré continuellement. Si les camps ont existé alors ils peuvent de nouveau exister, n’importe quand. Seule la mémoire peut empêcher cela de recommencer. Le danger à présent est le déni, l’oubli, et le refus de croire que c’est effectivement arrivé"
On retrouve dans Paradis un aspect de la philosophie existentialiste (celle de Sartre, de K Jaspers) un individu est la somme de ses actes ; si les trois confessions font état d’une faillibilité "humaine" -c’est-à-dire compréhensible- seuls les actes décideront, au final, du jugement
Dispositif figé?. Il doit l’être précisément : le format carré enferme on le sait le personnage dans le cadre. La confrontation avec l’œil d’un Maître qui reste hors champ -même s’il se confond avec l’œil de la caméra, incite le "locuteur" à ne pas biaiser dans sa "justification" (Olga à plusieurs reprises est contrainte de cacher son visage en l’enserrant dans ses bras, Jules affecte un sourire complice quand il avoue quelques turpitudes, Helmut défend tel un tribun sa foi dans le "paradis" imaginé par Hitler celui des “Übermensch” aryens- et son visage s’illumine). Que dire de ces simulations -fausses sorties de bobines- sinon qu’elles s'inscrivent dans cette volonté de "renouer" avec le style "images d’archives" ?
L'alternance entre plans fixes (les moments de confessions) et scènes restituées (manoir, camps, vie familiale, etc.) loin d'être répétitive, participe elle aussi au dévoilement; il y a d'une part la parole et d'autre part son prolongement par l'image qui corrobore, infirme ou "montre"concrètement ce que la confession aurait occulté ou ce que, trop abstraite, elle ne peut "dire" expliciter; simultanément elle élargit le champ de vision sur d'autres protagonistes (personnages dits "secondaires" qui vont être projetés sur le devant de la scène)
Quelques scènes dans la promiscuité malsaine des camps – sous la férule d’une kapo- frappent par leur réalisme alors que l’épisode italien – la rencontre Helmut et Olga- baigne dans un blanc qui sature l’espace où, languides, évoluent les corps.
On saura gré au cinéaste de ne pas avoir insisté sur les atrocités : une montagne de paires de lunettes -Olga travaille dans le centre de triage d'un camp - suggère par métonymie l’ampleur du génocide
Attention danger! prévient Konchalovsky : le cas d’Helmut est à cet égard exemplaire : nous suivrons le parcours d’un jeune intellectuel brillant, spécialiste de Tchekhov amoureux de Brahms qui s’est transformé en monstre…. Séduit par la rhétorique de la haine....
Colette Lallement-Duchoze