d'Alice Diop (2021)
avec Guslagie Malanda, Kayije Kagame, Valérie Dréville, Aurélia Petit
Mostra de Venise 2022 Lion d'argent et grand prix du jury
Prix Jean Vigo
Sélectionné pour représenter la France aux Oscars 2023 dans la catégorie meilleur film international
A la Cour d'assises de Saint Omer une jeune romancière assiste au procès de Laurence Coly accusée d'avoir tué sa fille de 15 mois en l'abandonnant à la marée montante sur une plage...
Une femme chemine seule sur la plage portant son bébé dans les bras ; extérieur nuit ; on entend un souffle, un halètement, bientôt recouverts par le rugissement des vagues (l’infanticide restera hors champ). C'est la scène d'ouverture. En écho dans le dernier plan , une autre "respiration" celle de la mère de Rama, celle de la délivrance.
Ainsi encadré par le "souffle" - dans toutes les acceptions de ce terme- le film d’Alice Diop va se déployer essentiellement dans un huis clos - procès, Cour d'assises de Saint-Omer-, où le " souffle" sera celui de la circulation des regards, des cadrages millimétrés, des longs plans fixes, des gros plans sur le visage de l’accusée (qui se « fond » avec les boiseries) et en contre champ sur ceux de la juge de l’avocate et des témoins. Le spectateur est à la fois témoin et juré. Ainsi quand l’avocate dans sa plaidoirie finale s’adresse aux jurés, son visage filmé en frontal et qui envahit tout l’écran, scrute le spectateur le questionne (vous aurez rendu un arrêt mais non la justice)
Et pourtant Saint Omer n’est pas la « reconstitution » du procès auquel a réellement assisté Alice Diop, procès de Fabienne Kabou cette jeune mère qui en 2013 avait abandonné sa fille de 15 mois sur une plage de Berck-sur-Mer (même si tous les propos échangés, questions réponses, sont le « copier/coller » des verbatims).
Dès les premières scènes, en effet, c’est le point de vue de Rama qui s’impose et son regard guidera le nôtre. Rama professeure d’université, spécialiste de Marguerite Duras commente "la sublimation du réel par l'écriture " tout en montrant des extraits du court métrage de Jean-Gabriel Périot (femmes dont on rase la tête pour les punir de leur engagement auprès des nazis ; femmes traîtresses, femmes exposées à la vindicte populaire). Rama l’écrivaine qui va à la rencontre de la criminelle. Rama, française d'origine sénégalaise, qui maîtrise les références "culturelles" (à l’université elle est filmée en légère contre plongée dans un cadrage assez large -à la différence de Laurence l’infanticide dont on moquera la prétention à faire une thèse sur Wittgenstein…et qui est filmée dès sa première apparition au procès dans un cadrage plus étroit, comme pour accentuer l’écart dans la tentative de réappropriation de la culture)
Rama sera ébranlée par les propos de Laurence sur la transmission (ou plutôt la non transmission), sur le rapport à la maternité à la famille, sur la "possession" (sorcellerie exotique pour un Occidental ? ) sur les relents de colonialisme
Rama double d'Alice Diop?
Le film est ainsi traversé par un jeu de miroirs : Alice Diop et Rama, Rama et Laurence (ce qu’illustrent les flash-back sur la relation mère/fille), par un jeu de références aussi (sublime forcément sublime écrivait Marguerite Duras à propos de la mère de Grégory ; Médée pasolinienne où le "clair de lune" aura son écho inversé sur le visage de Laurence devenu paysage d'ombres et de nuages, comme peint au sfumato)
Que voit réellement Rama sur le visage – altier parfois- de l’infanticide (admirablement interprété par Guslagie Malanda) Une criminelle ? certes. Mais surtout la dignité d’une femme détruite.
En remettant à ce film le prix Vigo, le jury a salué sa manière singulière de penser notre époque à partir de l’impensable, en reliant l’intime et le collectif, la société et l’histoire, l’inexplicable et la nécessité politique de trouver un sens.
Un film à voir absolument
Colette Lallement-Duchoze