De Jalone Camborda (Espagne 2023)
avec Janet Novás, Siobhan Fernándes, Carla Rivas, Daniela Hernán Marchaán, María Lado, Julia Gómez, José Navarro, Nuria Lestegás, Diego Anido
Coquille d'or au Festival de San Sebastián.
1971, Espagne franquiste. Dans la campagne galicienne, María assiste les femmes qui accouchent et plus occasionnellement celles qui ne veulent pas avoir d'enfant. Après avoir tenté d'aider une jeune femme, elle est contrainte de fuir le pays en laissant tout derrière elle. Au cours de son périlleux voyage au Portugal, María rencontre la solidarité féminine et se rend compte qu'elle n'est pas seule et qu'elle pourrait enfin retrouver sa liberté.
O Corno L’ergot de seigle en galicien, champignon vénéneux pour la céréale. Il favorise aussi les contractions lors d’accouchement et d’avortements, Et par deux fois dans le film nous verrons les doigts délicats de Maria l’extraire, avant concoction « Une histoire de femmes » : la réalisatrice va mettre en scène tout un réseau féminin de solidarité (une voisine prévient Maria de quitter au plus vite l’île suite à un tragique avortement, Mebel l’héberge au poste frontière, la « prostituée » lui accordera une aide précieuse O corno est aussi un plaidoyer pour que les femmes puissent disposer d'elles-mêmes, de leur corps - et si les faits sont censés se dérouler en 1971 -soit sous l’ère franquiste- il interroge aussi notre présent où l’avortement est remis en cause…
Le film s’ouvre sur le corps d’une parturiente : convulsions, spasmes, sueur, cris, visage taraudé par la douleur. Gros plans et plans serrés sur ce corps allongé debout assis accroupi ; et dans les ultimes contractions voici deux corps soudés : celui de Maria (aux mains agiles, à la voix de plus en plus ferme) enlaçant le corps de celle qui va accoucher …
En écho à cette séquence liminaire répondra la scène finale (bande-son coupée … ne pas spoiler !) et en écho inversé la scène de l’avortement…mais l’apparente discordance ou défiguration s’inscrit avec force dans ce poème toujours recommencé qui célèbre le(s) pouvoir(s) de la femme. A l’instar de cette barque qui glisse sur les interdits de la contrebande, de ces regards complices qui bravent les lois, de ces lumières qui clignotent, comme autant d’appels au secours pour « libérer » la voie qui rendra la vie sauve
Maria (interprétée par la danseuse Janet Novàs) est cette femme généreuse, Maria à la cicatrice au ventre que remarque l’enfant, Maria et ses secrets enfouis, Maria qui confrontée aux propos comminatoires de la jeune femme « si tu ne veux pas m’avorter je le ferai moi-même » sera expulsée de son pays (après le drame) Maria exilée survivant au Portugal entourée d’autres femmes. Maria allégorie de toutes ces femmes qui bravent ce qui entrave leurs libertés !!!. Le film semble structuré en deux mouvements distincts ? aux scènes de la vie villageoise succéderait la fuite, la longue errance (avec ses embûches, ses pauses) jusqu’à la brisure définitive des chaînes. En fait l’enjeu de la première partie est de révéler le malaise social qui restreint les choix de vie de ces femmes, coupées en deux pour le spectacle d’hommes qui ne sont ni des génies ni des magiciens…
L’attention accordée aux détails aux atmosphères sera une constante dans le film , constante renforcée par la lenteur du rythme. Voici un gros plan sur l’ergot, sur les mains qui cueillent délicatement l’eau, sur les pieds meurtris par tant d’errances ; voici des ambiances feutrées, celles de la taverne aux couleurs ocres mordorées aux jeux de clair-obscur sur des visages avinés et en vaste panoramique c’est la majesté stupéfiante des paysages de Galice, la blancheur moite ou opalescente des champs de blé.
Tout cela participe de(et à) de la même célébration d’une histoire de femmes
A ne pas rater !!!
Colette Lallement-Duchoze