10 juin 2018 7 10 /06 /juin /2018 16:42

de Jafar Panahi  Iran 

avec lui-même, Benhaz Jafari, Marziyeh Rezaei 

Prix du scénario Cannes 2018

Une célèbre actrice iranienne reçoit la troublante vidéo d’une jeune fille implorant son aide pour échapper à sa famille conservatrice... Elle demande alors à son ami, le réalisateur Jafar Panahi, de l’aider à comprendre s’il s’agit d’une manipulation. Ensemble, ils prennent la route en direction du village de la jeune fille, dans les montagnes reculées du Nord-Ouest où les traditions ancestrales continuent de dicter la vie locale.

Trois visages

Voyage dans le temps (des modes de vie archaïques jouant le rôle de contrepoint à l’utilisation des réseaux sociaux), voyage dans l’histoire du cinéma iranien (incarnée par trois actrices) et voyage dans l’espace (de Téhéran jusqu’à la province turcophone du nord-ouest) le film de Jafar Panahi frappe par une étonnante fluidité alors qu’il (se) déploie (en) différentes trajectoires  à l’instar de ces routes qui sinuent et de ces crêts à gravir

 

Trois visages : celui de Marziyeh -il ouvre le film ; dans une vidéo cette jeune femme se  filme "en train" de se suicider ; seule façon de protester contre une famille rétrograde qui l’empêche de faire du cinéma ; celui de Behnaz Jafari à qui est adressée cette vidéo ; actrice reconnue en Iran,  elle joue son propre rôle et celui de la poétesse recluse Shahrzad, icône d’un certain érotisme chanté et dansé, interdite de tournage depuis la révolution de 1979 ; nous ne la verrons pas mais entendrons sa voix au final récitant un poème. Et pourtant par le  "subterfuge" qui rend présente une absente, Jafar Panahi "réunit" les trois femmes dans un audacieux et symbolique plan à distance : éclairées de l’intérieur elles dansent ...telles des ombres chinoises….

 

Trois visages, trois époques : l’une interdite (le passé ; incarné par la poétesse Shahrzad) , l’autre empreinte de doute, (le présent qu’incarne Behnaz Jafari) la troisième, manipulée (cet avenir entravé que représente Marziyeh). L’essentiel du film (road movie et pause dans le village) dénonce avec une distance amère -parfois ironique – l’enracinement de traditions et croyances séculaires archaïques où le "mâle"  règne en despote ! (les deux anecdotes -taureau aux testicules en or et lambeau de prépuce sacralisé telle une relique – le confirment aisément). A cette domination, le réalisateur oppose avec "amour' les visages de femmes … de.. et du cinéma. Dans le dernier plan, Behnaz  et Marziyeh marchent côte à côte ; inspirées et inspirantes elles semblent tracer le chemin à ….suivre ! alors qu'en sens inverse défile le convoi vers la saillie!! 

 

Trois visages  est aussi un hommage vibrant à Abbas Kiarostami (décédé en 2016) : Jafar Panahi comme dans Taxi Téhéran  joue son propre rôle au volant d’une voiture devenue par nécessité et métaphore un studio d’enregistrement; il a  accepté d’accompagner Behnaz Jafari  "vérifier"  si la vidéo n’est pas une manipulation ; et dans le road movie qui les mène jusqu’au nord ouest de l’Iran, il filme les paysages et les routes sinueuses à la manière de celui qu’il vénère, (cf au travers des oliviers, le goût de la cerise Ne fut-il pas son assistant et coscénariste? )

 

Un film étonnant (à ne pas rater!)

Colette Lallement-Duchoze

 

 

PS  sur le parcours de Jafar Panahi et la chronologie d'une censure

http://www.cinema.arte.tv/fr/article/jafar-panahi-cineaste-resistant

https://www.franceculture.fr/emissions/la-grande-table-1ere-partie/jafar-panahi-un-visage-de-liran

 

 

 

 

 

Jafar PANAHI a bien mérité le prix du scénario au festival de Cannes 2018. Histoire simple réalisée dans la clandestinité. On ne peut oublier un seul instant en regardant son film qu'il lui est interdit de filmer ou de sortir de son pays et qu'il peut aller en prison à tout moment. Et pourtant, avec calme, détermination et habileté créatrice,le réalisateur iranien nous adresse un nouveau témoignage de son courage en toute modestie. Les scènes peuvent sembler un peu longuettes pour certaines mais le voyage nous happe dans un autre monde, et ouvre une fenêtre sur l'espoir, une fois de plus, à travers ses personnages féminins

Serge 10/06/2018.

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7 juin 2018 4 07 /06 /juin /2018 05:01

de Christophe Honoré 

avec Pierre Deladonchamps Vincent Lacoste Denis Podalydes 

présenté en Compétition au festival de  Cannes 2018

1990  Arthur a vingt ans et il est étudiant à Rennes. Sa vie bascule le jour où il rencontre Jacques, un écrivain qui habite à Paris avec son jeune fils. Le temps d’un été, Arthur et Jacques vont se plaire et s’aimer. Mais cet amour, Jacques sait qu’il faut le vivre vite.

Plaire aimer et courir vite

Après 120 battements par minute voici une autre fiction sur la tragique épopée de l’homosexualité au début des années 1990. Mais là où Campillo adoptait un point de vue militant (les débuts d’Act-up en France) C Honoré adopte celui de l’intime

Dès le prologue-générique les raccords cut imposent un rythme en adéquation avec le titre -où la juxtaposition des trois verbes et l’adverbe vite non seulement ont valeur programmatique mais mettent en exergue une forme d’urgence. Oui il faut plaire aimer et courir vite quand on se sait séropositif et condamné ; quand l’éphémère doit être éternel; quand s’illuminent les fulgurances de l’amour et de la mort ; quand Eros est Thanatos 

Romancier, dramaturge Christophe Honoré imprime à ses films des choix littéraires et  particulièrement dans ce  dernier opus.  Non seulement Jacques (Pierre Deladonchamps) est écrivain, et Arthur (Vincent Lacoste) est ce jeune étudiant qui préfère lire qu’assister aux cours, mais tout le film est construit selon des exigences qui prévalent dans l’acte littéraire (scénario dialogues dramaturgie exigeants mélange de tonalités) et il est traversé de part en part de références littéraires (jusqu’à la typologie des homosexuels que déclame Jacques lors d’une communication téléphonique avec Arthur). Trop de références pourrait nuire à la fluidité du scénario et entacher le parti pris de légèreté dramatique (les sourires et discours de Jacques, l’insouciance d’Arthur) par une tendance à l’emphase ou encore au dogmatisme. Mais Pierre Deladonchamps évite le ton professoral et péremptoire

Pour évoquer une histoire d’amour  impossible dans la durée  -Jacques sait qu’il est un mort vivant (là encore moult références à Koltès, Guibert jusqu’à la caresse de la pierre tombale…)- le réalisateur nous immerge dans le quotidien de chacun des deux protagonistes : à Paris Jacques vit avec son fils de 8 ans dont il a la garde un jour sur deux, un de ses ex (Podalydès) l’ami fidèle, habite le même immeuble; en Bretagne Arthur se dit "amoureux" de sa petite amie mais en même temps  il est en quête d’amours et expériences homosexuelles.

Les corps dénudés d’amants (Jacques et ses ex ; Arthur et ses "conquêtes") sont filmés avec pudeur et un certain esthétisme.- la caméra de C Honoré est comme une caresse alors que triomphe la rage d’aimer

Le film est poignant sans verser dans le pathos ; cruelle, la maladie (la mort d’un amant, l’hospitalisation de Jacques) participe elle aussi de l’ultime urgence d’être Là, Vivant. Le montage fait la part belle aux ellipses, à la simultanéité réel/fantasme (cf la scène où Jacques et Arthur communiquent à distance et ...pourtant ils sont là à l’écran, allongés, lovés dans l’étreinte amoureuse ; cf aussi la scène où Jacques prend son bain : il voit, il sent le pied de son ami disparu  effleurer amoureusement  sa nuque)

A certains détails (affiches, titres de romans, extraits de film, musique) on devine l’hommage de Christophe Honoré à ses devanciers ; sertis dans l’écrin de son panthéon, ils re-vivent dans cette couleur bleue si chère à J Demy…..alors que résonne la voix d’Anne Sylvestre  j’aime les gens qui doutent….

Ceux qui veulent bien n'être

Qu'une simple fenêtre

 Pour les yeux des enfants 

 

A voir absolument

 

Colette Lallement-Duchoze

Plaire aimer et courir vite
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6 juin 2018 3 06 /06 /juin /2018 05:02
Courtivore la finale

Vendredi 8 juin à l'Omnia 20h 

tarif unique 5 euros

 6 films ont été choisis par les votes du public lors des 3 actes qui ont eu lieu les 15,23 et 30 mai au Cinéma Ariel. Ils sont à retrouver dans la finale où un nouveau vote déterminera le prix du public 2018. On connaîtra alors le successeur de "Soury" réalisé par Christophe Switzer et lauréat en 2017.

Le jury jeune/étudiant annoncera également son vainqueur.

Plusieurs réalisateurs et comédiens seront présents pour assister à la projection et aux remises de prix.

 

Courtivore la finale

Programme 

 

Les bigorneaux, de Alice Vial, France, Fiction - 22 min 

Calamity de Maxime Feyers & Severine de Streyker Belgique fiction 20 min 

The Barber Shop de Gustavo Almenara & Emilien Cancet France documentaire 18 min

Kapitalistis  de Pablo Muniz Gomez  France & Belgique fiction 14 min

Panthéon Discount de StephanCastang France fiction 14 min

5 ans après la guerre de Samuel Albaric Martin Wiklund & Ulysse Lefort France animation/ documentaire 16 min 

 
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5 juin 2018 2 05 /06 /juin /2018 08:59

de Julian Rosefeldt    Allemagne 

avec Cate Blanchett, Ralf Tempel, Andrew Upton 

Manifesto rassemble aussi bien les manifestes futuriste, dadaïste et situationniste que les pensées d’artistes, d’architectes, de danseurs et de cinéastes tels que Sol LeWitt, Yvonne Rainer ou Jim Jarmusch. A travers 13 personnages dont une enseignante d’école primaire, une présentatrice de journal télévisé, une ouvrière, un clochard… Cate Blanchett scande ces manifestes composites pour mettre à l’épreuve le sens de ces textes historiques dans notre monde contemporain.

Manifesto

Des lettres capitales énormes, blanches sur fond noir, défilent avec une  étonnante  rapidité : on peut lire les noms de Lars von Trier, Claes Oldenburg, Tristan Tzara, Marx, J Cage, Picabia ... C'est le prologue

Et voici qu’apparaît Cate Blanchett. À chaque manifeste, elle prêtera sa voix avec un accent particulier se travestissant en présentatrice de TV, maîtresse d’école, veuve, femme bourgeoise, clochard, chorégraphe, ouvrière, marionnettiste. Tout cela afin de confronter l’art à notre monde contemporain : la crise économique et le clochard, le catholicisme bien pensant et la femme bourgeoise par exemple. Déclamation dans des situations du quotidien (cimetière, plateau télé, repas,..) En  combinaison anti-radiations la scientifique pénètre dans une pièce où un monolithe n’est pas sans rappeler 2001 odyssée de l’espace de Stanley Kubrick…

Les décors travaillés voire léchés (à l’instar de certaines installations) renvoient à des univers plastiques (ainsi de cette table de salle à manger vue en plongée comme dans un film de Jarmusch)  à des vidéos ou photos

Les extraits de manifestes -dont le dadaïsme de Tzara, le surréalisme de Breton, le futurisme de Marinetti, le courant fluxus avec Vostell, le Dogme 95 des Danois Lars von Trier et Vinterberg etc - délibérément ne respectent pas l’ordre chronologique sans toutefois aller à l’encontre du précepte "faire table rase de ce qui a précédé", car tous insistent sur la dialectique construction/destruction et dans leur "mixage" ils semblent énoncer une vérité à la fois ’évidente et paradoxale :  toute révolution artistique "reproduit"  plus ou moins, tout en la condamnant, la révolution qui l’a précédée;  le nothing is original du prologue (en lettres capitales) avait alerté le spectateur !!!!

Rappelons que cette accumulation/installation  Julian Rosefeldt l’avait initialement réalisée in situ. C’était une exposition, avec la diffusion simultanée de différents films sur 13 écrans. En faisant un long métrage, c’est-à-dire en passant du simultané au montage parallèle, manifesto peut être perçu par certains comme un exercice conceptuel non pas dénué d’intérêt mais vite déconcertant malgré son humour -dû souvent au décalage entre les propos déclamés par une Cate Blanchett au top de sa forme et l’image -Ou un exercice rébarbatif pour d’autres; d’autant que les différents courants ne sont pas mis en perspective et qu’ils ne sont pas contextualisés... mais ce n’était nullement le propos…

 

Retenons  le double "message" de cette accumulation

importance de l’art -le plus iconoclaste fût-il- dans notre monde désormais soumis aux diktats de l’argent et des médias

inanité de tout manifeste « j’écris un manifeste car je n’ai rien à dire » (Tristan Tzara )

 

Un film que personnellement  je recommanderais à tous les cinéphiles, (le  visuel est  époustouflant)  et à tous les amoureux de l’ART !! (l'audace et sa force sinon persuasive du moins suggestive)

 

Colette Lallement-Duchoze

 

 

 

Manifesto
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2 juin 2018 6 02 /06 /juin /2018 17:19

D'Ilan Klipper 

Avec Laurent Poitrenaux, Camille Chamoux, Marilyne Canto

 

Bruno a publié un fougueux premier roman en 1996. La presse titrait : « Il y a un avant et un après Le ciel étoilé au-dessus de ma tête ». Vingt ans plus tard, Bruno a 50 ans. Il est célibataire, il n’a pas d’enfants, et vit en colocation avec une jeune Femen. Il se lève à 14h et passe la plupart de ses journées en caleçon à la recherche de l’inspiration. Pour lui tout va bien, mais ses proches s’inquiètent...

Le Ciel étoilé au-dessus de ma tête

Un fatras de livres, de cartons, d’affiches, des couleurs délavées ou plus criardes -comme dans un tableau nabi- un perroquet qui joue le rôle de gueuloir flaubertien, des bols crasseux, c’est l’antre de Bruno quinquagénaire en panne d’inspiration. En slip il va de ci delà dans cet appartement qu’il partage avec une colocataire de trente ans sa cadette. Il maugrée se ravise vocalise correspond via facebook en proposant de vulgaires parties de « cul ».

Une séquestration assumée -ou quand l’appartement habitacle des fantasmes devient la métaphore d’un esprit "malade". L’acteur Laurent Poitrenaux incarne à merveille ce personnage déjanté ... persuadé que l'enfermement si propice à la réflexion est la condition sine qua non au jaillissement créatif 

Mais quand les "autres" (parents ami et ex)  soucieux de sa santé mentale, investissent les lieux comme sur une scène de théâtre, c’est en fait pour une HDT : sagement -et provisoirement assis- obéissant aux directives de la psy, ils vont égrener la liste des griefs (dont "courir tout nu dans la cage d’escalier"). De ces personnages dits secondaires Ilan Klipper sait exploiter le talent de comédiens (gestuelle et savoureuses réparties)

 

Le réalisateur,  à la caméra très mobile, nous entraîne -agréablement contraints et forcés- dans ce huis clos et il nous déroute sciemment en passant sans transition du réel au fantasme, du vécu au flash back ; un gros plan sur les visages de  Sophie Marceau et Gérard Depardieu dans Police de Pialat  et voici incarné le fameux syndrome de Peter Pan. Bruno ne serait-il pas un puer aeternus bien plus qu’un "fou" à séquestrer en milieu psychiatrique ?

Et la phrase de Kant  "deux choses remplissent le cœur de crainte et d’admiration, le ciel étoilé au-dessus de moi, et la loi morale en moi"  cautionne en l’illustrant cette comédie dont la légèreté n’est qu’apparente

 

Un film à ne pas manquer

 

Colette Lallement-Duchoze

 

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31 mai 2018 4 31 /05 /mai /2018 05:58

De Stéphane Brizé

avec Vincent Lindon Mélanie Rover, Jacques Borderie

en compétition officielle au festival de Cannes 2018

Malgré de lourds sacrifices financiers de la part des salariés et un bénéfice record de leur entreprise, la direction de l’usine Perrin Industrie décide néanmoins la fermeture totale du site. Accord bafoué, promesses non respectées, les 1100 salariés, emmenés par leur porte‑parole Laurent Amédéo, refusent cette décision brutale et vont tout tenter pour sauver leur emploi.

En guerre

Le temps médiatique est trop rapide, le temps de la fiction permet de contextualiser d’exposer la genèse de démonter des mécanismes -propos du réalisateur lors d’une interview. Stéphane Brizé s’est inspiré d’un épisode amplement "montré" dans les médias (en 2015 un DRH d’Air France s’est vu arracher sa chemise par des grévistes en colère). Les chaînes en continu se sont appesanties sur cet épisode. Le cinéaste lui se pose la "vraie" question « comment a-t-on pu en arriver là ?  car un ouvrier ne se lève pas le matin en se disant « tiens je vais arracher la chemise d’un DRH » Ce que les médias "montrent" de façon fragmentaire et réductrice, la fiction qui se nourrit du même réel, sera à même, grâce à sa dramaturgie, d’en relier les morceaux épars.

Ainsi, aux bribes tronquées, aux commentaires hâtifs- ceux des téléreportages qui ouvrent et parsèment le récit- s'oppose en contrepoint une immersion dans le vécu des ouvriers; décidés coûte que coûte à sauver leur emploi, ils se battent en "guerriers" valeureux : âpres négociations, démarches juridiques, rencontres avec les conseillers des ministères, attente d’un rendez-vous avec la direction allemande, rencontre au sommet: TOUT est tenté pour éviter le pire, la fermeture de leur usine...Et le prologue coup de poing semble correspondre à la "préparation" des forces en présence dans une "guerre"  qui ne dit pas son nom (mais la VIOLENCE n'est-elle pas  au coeur du système ultra libéral?) 

Plans moyens pour tous (délégués syndicaux, représentants de l'Etat, patrons etc.) , mouvements rapides d'une caméra virevoltante dans l'affrontement forces de l'ordre et grévistes par exemple, musique "violente" avec crescendo jusqu'au silence abrupt de l'écran noir, séquences restituées sans bande-son alors que l'on devine la colère sur les bouches enflammées, tout cela fait de "en guerre" un film haletant à l'énergie "convulsive", aux allures de documentaire, certes.  Mais...

Celui qui combat peut perdre, mais celui qui ne combat pas a déjà perdu. Cette phrase de Bertolt Brecht citée en exergue  illustrerait avec pertinence les "conflits" de ces dernières années Goodyear Continental Whirlpool. Par son énoncé laconique elle enjoint les individus à se responsabiliser quels que soient l'enjeu et le résultat. En guerre est le récit d'un combat ....perdu....

Rétrospectivement la phrase résonne douloureusement. Stéphane Brizé, qui ne verse nullement dans le manichéisme insiste sur les fissures et particulièrement celles qui lézardent le "front syndical" -au grand dam du délégué cégétiste Laurent Amédéo (admirable Vincent Lindon) qui incarne le héros de cette épopée des temps modernes.

Ken Loach à qui l'on compare Stéphane Brizé -au prétexte que ce dernier  a réalisé deux films ancrés dans la réalité sociale du régime capitaliste-, aurait traité différemment cette lutte collective....Où l'on mesure toute la différence entre un film politique (Brizé) et un film militant (K Loach)! 

 

En guerre ou le destin tragique d'un délégué syndical (cf l'affiche)

 

Colette Lallement-Duchoze

 

 

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28 mai 2018 1 28 /05 /mai /2018 07:11

De Damien Manivel et Kohei Igarashi Japon, France 

 

avec Takara Kogawa, Keiki Kogawa, Takashi Kogawa, Chisato Kogawa (la famille Kogawa joue son propre rôle) 

Présenté à la 74ème  Mostra de Venise dans la section Orrizonti  

Les montagnes enneigées du Japon. Comme chaque nuit, un poissonnier part travailler au marché en ville. Takara, son fils de six ans, n'arrive pas à se rendormir. Dans la maison silencieuse, le petit garçon dessine un poisson sur une feuille qu'il glisse dans son cartable. Le matin, sa silhouette ensommeillée s'écarte du chemin de l'école et zigzague dans la neige, vers la ville, pour donner le dessin à son père.

Takara, la nuit où j'ai nagé

Le film s’ouvre sur un long plan fixe : des flocons de neige -vus à travers une fenêtre - voltigent dans la nuit …Puis voici le père assis à la cuisine il allume une cigarette -sur son briquet, le logo d’un espadon- ; plan intérieur nuit ; gros plan sur une casquette numérotée ; départ en voiture -plan extérieur nuit.

Avant même que Takara son enfant de 6 ans ne s’extirpe de son lit le spectateur dans le silence de la nuit aura décelé ces indices qui vont baliser le jour qui se lève mais un jour qui ne sera pas "comme les autres"….Takara apparaît tel un petit animal ou un diablotin il rampe  jusqu’à la cuisine ; insomniaque il dessine des poissons multicolores (pieuvre et tortue) C’est le cadeau qu’il veut offrir en mains propres à son père sur son lieu de travail; et aux abords de l’école, il  va "prendre la tangente"

 

Errance dans la neige. Nous sommes à Aomori, au nord de l’Archipel. Les deux réalisateurs vont  suivre Takara  en le filmant à hauteur d’enfant invitant de ce fait le spectateur à adopter son point de vue sur le monde environnant. Petit Poucet il émerge d’un monticule de neige. Le voici assoupi sur un banc à une station de chemin de fer, avant de prendre le train. Il s’égare, bifurque, revient sur ses pas. Il brave une tempête de neige. Si le petit poucet de Rimbaud égrenait des rimes, lui, va retrouver, (en faisant défiler les images enregistrées dans son appareil)  la route qui doit le conduire à la poissonnerie…. où travaille son père…. trop tard !

Le périple aura duré une journée entière entre ombre et lumière, entre amertume et jovialité

 

Un "conte" sans dialogues ; un soin particulier accordé aux bruitages (crissements sur la neige par exemple) des plans fixes aux cadrages savants ; une image à la texture travaillée, un mélange de grâce et de cocasserie ; tout cela fait que Takara la nuit où j’ai nagé est dans sa narration comme dans  sa réalisation,  un film rare!

À voir absolument !

 

Colette Lallement-Duchoze

 

PS  Damien Manivel nous avait déjà "envoûtés" avec  "Le  parc"

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26 mai 2018 6 26 /05 /mai /2018 05:52

Documentaire réalisé par Apostolos Karakasis (Grèce) 2015

Lorsqu'une usine ferme à Thessalonique, 70 employés courent le risque de ne plus jamais trouver de travail. Ils décident alors d'occuper l'usine et de la faire fonctionner eux-mêmes. Sur les ruines de l'économie la plus ravagée d'Europe, une utopie égalitaire est en train de naître. Un an après l'occupation, des conflits internes surgissent.

 

Prochain arrêt : Utopia

Les premiers plans surplombent  la ville de Thessalonique alors que s’affichent dans un encadré de terribles chiffres et pourcentages (le nombre d’usines fermées, le taux de chômage). Puis voici des plans rapprochés sur l’usine vide et  sur les ateliers de fabrication,  déserts.... La Grèce frappée de plein fouet….par la "crise"

Et pourtant malgré le nombre toujours plus impressionnant de chômeurs, les employés de l’usine de matériaux de construction Vio.Me décident d’occuper l’usine de la faire fonctionner eux-mêmes. Utopie ? Oui (certains interviewés ne connaissent pas le terme "autogestionnaire") une utopie en marche contre les "cow-boys de la finance", contre les lois préconisant et instituant le règne de la propriété privée des moyens de production, et contre leur ex patronne.

 

Ce documentaire est la chronique d’une "victoire". Apostolos Karakasis a suivi le parcours de ces "autogestionnaires"  depuis la fermeture de Vio.Me,  l’appropriation des moyens de production, le changement d’orientation -on fabriquera des détergents naturels respectueux de l’environnement - (le message est clair "un autre mode vie radicalement différent est possible") ; en encadré couleur bistre apparaît à intervalles réguliers le nombre de jours d’occupation)

Il met à nu les énormes difficultés auxquelles les travailleurs sont confrontés et le spectateur a l’impression que tout va foirer….Tant d’obstacles ; problèmes d’ordre administratif législatif économique et querelles internes ; menaces d’expulsion et menaces de dissolution ; autant de risques de délitement

Le documentariste filme les assemblées générales -le collectif – où s’affrontent les points de vue,  où se prennent les décisions Comment s’organiser sans hiérarchie ? Comment répartir les tâches ? Fixer les horaires les salaires ? Comment choisir ce que l’on produit, comment on le produit, comment on le vend au sein de la concurrence capitaliste ? Etc.. Et en contrepoint voici le  "témoignage"  et les "commentaires"  de l’ex patronne -visage face à la caméra

L’itinéraire est balisé par la visite d’homologues argentins (ceux de la fabrique de céramique Zanon FaSinPat " usine sans patron" qui depuis 2002 a « réussi » son pari) et la venue de Naomi Klein -la cour de l’usine s’est métamorphosée en une salle de conférence à ciel ouvert- rappelons qu’elle-même a popularisé dans "the take" 2005 les expériences menées en Argentine

Quelle est la validité d’une loi qui loin de promouvoir le droit au travail met tout en œuvre pour le saboter allègrement ….. ?

 

Exemple de ténacité dans une situation économico-juridique tendue Prochain arrêt Utopia est l’illustration d’une économie sociale et solidaire réussie 

on n’emploie plus le pronom « je » préconise -t-on lors d’une assemblée ;

dans un autre pays ils iraient en prison affirme cynique (?)  l’ex patronne…

 

Un documentaire à ne pas rater!!!

 

Colette Lallement-Duchoze

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17 mai 2018 4 17 /05 /mai /2018 04:35

De Egle Vertelyte (Lituanie) 

 

avec Eglé Mikulionyté, Vyto Ruginis, A. Bialobzeskis

1992. Quelque part en Lituanie. Peu de temps après la chute du communisme, Irena, gérante d'une ferme porcine modèle de l'époque soviétique fait tous ses efforts pour l'adapter au nouveau système capitaliste. L'arrivée très démonstrative de Bernardas, businessman américain à la chevelure orangée, est perçue par Irena, comme la réponse à toutes ses prières. Sauveteur aux poches remplies de dollars, animé par les meilleures intentions, il dévoile progressivement des intérêts beaucoup moins nobles.

Miracle

Une femme ensevelit un énorme porc  (ou une truie?) Gros plan sur ses mains rageuses qui le recouvrent de terre puis la femme épuisée (?) s’évanouit….C'est la première séquence. 

Le film en un long flash back va retracer le parcours d’Irena -du moins ce qui a causé la mort de l’animal et provoqué sa propre pâmoison.....deux indices d'une double métamorphose !!! deux illustrations  d'une double mort (toute symbolique fût-elle...)

Vu d’ici ce film peut résonner profondément ; comment on est passé de l’ère stalinienne à celle de la "mondialisation", comment on a dû changer à la fois d’idéologie et de système économique…comment des Occidentaux ont débarqué afin de racheter usines et bâtiments sur la seule foi de leurs  promesses

La réalisatrice accentue le contraste (parfois jusqu’à la caricature) entre la morosité, la désolation  et l'exubérance; d’un côté une toile de fond grisâtre, des couleurs délavées ou terreuses– à l’image d’un pays exsangue-  de l’autre une Cadillac rutilante et un personnage caracolant ; d’un côté les ruines de l’ère soviétique de l’autre la métaphore du rêve américain ???

Mais le scénario dégage vite une figure dominante celle d’Irena que la réalisatrice filme de près. Femme sûre d’elle-même qui a charge d’âme (un mari alcoolique) et qui dirige avec fermeté l’entreprise porcine, -elle qui semble plus en empathie avec ses animaux qu’avec les humains – Victime dans un premier temps de la haine de ses employés qu’elle ne peut plus payer ; mise au ban de la société villageoise, c’est elle qui accepte l’aide inespérée de l’étranger….Mais elle est aussi une victime idéale -quand elle rêve de partager avec Bernardas  -Vyto Ruginis-  la future exploitation et qu’elle est complice de l’abattage de tous les arbres à la recherche du magot.....L'actrice Eglé Mikulionyté incarne  admirablement ce mélange de rusticité et de sensualité, de fermeté et de fragilité,  typique du personnage! 

Épilogue : Irena qui ne fréquentait plus l’église, va traverser l’allée centrale sous l’oeil effaré des "fidèles" - porteuse d’un autre "miracle" !!

 

Cela étant, ce film par certains choix (scénaristiques) et malgré une forme d’humour (qui va jusqu’à l’absurde) malgré la musique (qui fait la part belle aux ballades joyeuses) n’est pas vraiment à la hauteur de ses ambitions

Dommage

 

Colette Lallement-Duchoze

 

 

D'accord avec toi Colette ! 

La chute du film est assez nulle au demeurant et déstabilise sans intérêt le ton général.

Grosse faiblesse qui retire l'adhésion du spectateur au personnage central.

Serge 17/05/2018

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8 mai 2018 2 08 /05 /mai /2018 06:38

De Babak Jalali (Mexique USA) 

Avec Rod Rondeaux, Florence Klein, Wilma Pelly, James Coleman

 

Présenté au festival de Berlin (Sélection Panorama) 

Land se déroule au Nouveau-Mexique, dans la réserve indienne de Prairie Wolf et ses alentours. C’est l’histoire de trois frères appartenant à la grande famille des DenetClaw. Raymond, l’aîné, est un alcoolique repenti. Il travaille dans une exploitation de gros bétail pour nourrir sa famille. Wesley, le second, côtoie quotidiennement la population blanche aux abords de la réserve, surtout Sally, propriétaire d’un bar où il boit tous les jours. Floyd, le plus jeune de la fratrie, se bat sur le front afghan. Alors qu’un officier de l’armée américaine annonce à la famille la mort de Floyd, Wesley est passé à tabac par une bande de jeunes et tombe dans le coma. Raymond décide de le venger.

Land

Un film saisissant et d’une rare puissance sur l’humilité et la dignité d’Indiens d’Amérique -native americans- vus par un regard étranger (le réalisateur est londonien d’origine iranienne)

Tout étant -faut-il le répéter ad nauseam- dans la façon de filmer : ici plans fixes, souvent, cadrés comme des compositions, ellipses et non-dits à l’instar de ces douleurs muettes ou du silence emblème de fierté, lenteur du rythme, travail sur les couleurs et la lumière, alternance vues quasi panoramiques sur une immensité désertique et plans plus rapprochés sur l’intime avec de légers mouvements de travelling,  jusqu’à ce plan final qui nous entraîne hors cadre....

 

Certes le réalisateur exploite deux thématiques devenues clichés l’alcoolisme et le désœuvrement des Indiens mais c’est pour mieux les désamorcer : aux paroles de la mère " il y a encore des Indiens abstinents" répondent en écho celles de son fils Ray sur son passé d’alcoolique et l’abstinence de son épouse; en contrepoint on montre du doigt la tenancière du Bob’s Liquor Store et ses fils qui précisément vivent de la vente d’alcool…cette forme d’emprise de la colonisation américaine. Le plan final qui nous entraîne hors de la réserve dans cette immensité désertique -tout comme Ray entraîne son frère vers un centre de désintoxication- suggère peut-être une forme de réhabilitation…

 

Comme le titre l’indique le thème essentiel est le " territoire" : gros plans sur les panneaux « entrée réserve  Prairie Wolf» et « vous venez de quitter la réserve » Un territoire balisé, des frontières démarcations, interdites aux "colonisateurs" (le cercueil où repose le corps du jeune frère tué d’une balle dans la tempe en Afghanistan aura pour convoi funèbre les habitants de la réserve alors que les représentants de l’US Army sont invités à rester à l’extérieur ; alors que le drapeau américain qui sert de linceul restera plié au sol, remplacé par celui de la tribu; on respecte ses propres rites en refusant  la civilisation occidentale; frontières qui symboliquement entachent le long discours  du Major Robertson ; la famille ne pourra pas percevoir la compensation de 100 000 dollars car le fils a été tué hors de son unité….les témoignages des autres soldats faisant foi ....

 

On sort comme pétrifié face à cette "lente agonie" , à l’instar de ces visages ridés qui se marient aux paysages arides

 

Dernière séance ce jour à 21h45 Omnia 

 

Colette Lallement-Duchoze

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