26 décembre 2018 3 26 /12 /décembre /2018 07:56

de Kirill Serebrennikov

 

avec Irina Starshenbaum, Tee Yoo, Roman Bilyk, Aleksandre Kouznetsov

 

présenté à Cannes (Compétition officielle)

 

prix Cannes Soundtrack de la meilleure musique

 

grand prix du jury (festival international du film d’Amiens)

 

prix du cinéma européen du meilleur chef décorateur pour Andreï Penkratov

 

Leningrad. Un été début des années 80. En amont de la Perestroïka les disques de Lou Reed et de David Bowie s’échangent en contrebande et une scène rock émerge. Mike et sa femme rencontrent le jeune Viktor Tsoï. Entourés d’une nouvelle génération de musiciens ils vont changer le cours du rock’n’roll en Union Soviétique

Leto

La tentation est grande de mettre en parallèle l’affiche marquée d’un cœur brandie par des groupies de Mike Naoumenko (un Bob Dylan soviétique) - dans la scène d’ouverture de Leto- et celle arborée à Cannes par l’équipe du film (le réalisateur assigné à résidence était absent du festival…). Dans les années 80 à Leningrad il faut ruser pour déjouer la police et une fois installé, il faut trépigner en sourdine voire en silence (l’oxymore en dit long!!) pour manifester sa joie ; le rock est sous contrôle policier et la scène du train sera assez cocasse : le communiste qui éructe d’injures est complètement ivre !! En 2018 la liberté de création et d’émancipation est muselée réprimée -officiellement on accuse Serebrennikov d’avoir détourné des fonds publics pour la mise en œuvre d’un projet théâtral... - Serebennikov 49 ans directeur du Gogol Center à Moscou, fut « révélé » au public français pour son spectacle Les âmes mortes présenté au festival d’Avignon en 2015

 

Leto n’est pas un biopic sur Viktor Tsoï, même s’il dit s’inspirer (cf le générique) de l’autobiographie de Natalia Naoumenko qui évoque sa relation avec lui

 

Leto signifie " l’été" : à la fois indication de temps et titre d’une chanson qu’on entendra in extenso 

 

Leto c'est un hymne à l’esprit libertaire- qui d’ailleurs précéda la Perestroïka. Souffle à la fois organique et orphique qui rappelle les années 60 aux USA et l’après 68 en France. En Russie on se passionne -dans les années 80- pour les Beatles, les Doors, T. Rex, David Bowie , Lou Reed (et ce sera une bonne partie de la musique du film)

 

Leto c'est une façon de filmer inventive et audacieuse:  un noir et blanc au service d’images en scope ; des éclats de lumière ou de couleurs ; et surtout l’insertion de saynètes -qui reprennent les chansons phare ; « visualisées » dans le contexte russe elles seront chantées à la fois par les rockers les voyageurs du bus ou du métro, ou sur des escaliers!. Et parfois s’immisce un narrateur qui s’adressant directement au public après avoir imaginé des versions plus endiablées (cf The passenger d’Iggy Pop ainsi revisité dans un train) brandit sa petite pancarte « ça n’a pas existé » (ce qui a été possible dans le monde anglo-saxon ne saurait l’être dans la Russie de Brejnev!) Ou encore ces plans en couleurs qui illustrent le carnet où Mike traduit en russe les chansons de Marc Bolan (T. Rex) David Bowie, Lou Reed (écran en split screen) On peut avoir l’impression de gribouillis d’enfant en regardant ces hachures et tags grattés à même la pellicule, mais n’est-ce pas précisément ce que recherche le cinéaste en donnant à « voir » une forme de clip jubilatoire. 

 

Leto c'est  un rythme souvent effréné en harmonie avec la fièvre créatrice; mais aussi un tempo qui fait alterner les « boeufs » les séances de studio les répétitions les fêtes et les virées en ville ou au bord de l’eau, la création de la salle de concert Leningrad Rock Club  et des séquences plus intimes -car Leto c'est aussi une histoire d’amour entre Viktor Tsoï (groupe Kino en gestation), son mentor Mike Naoumenko (groupe Zoopark) et Natalia la femme de Mike

 

Leto, un film incontournable !

 

Colette Lallement-Duchoze

 

 

 

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24 décembre 2018 1 24 /12 /décembre /2018 07:27

de Paul Dano (USA)

avec Carey Mulligan, Jake Gyllenhaal, Ed Oxenbould, Bill Camp

présenté au festival de Cannes (Semaine de la Critique)

A l'automne de 1960, Joe un adolescent de 14 ans, regarde, impuissant, ses parents s'éloigner l'un de l'autre. Leur séparation marquera la fin de son enfance...

Wildlife, une saison ardente

L'acteur Paul Dano (Little Miss Sunshine, The will be Blood, 12 years a Slave...) signe avec Wildlife son premier long métrage inspiré du roman de Richard Ford "une saison ardente". Le film peut se lire  comme le passage de l'adolescence à l'âge adulte (équivalent du roman dit d'apprentissage) . Et en effet Ed Oxenbould (qui interprète Joe) sera de tous les plans (seul, en groupe, ou en retrait selon la dynamique qui anime l'intrigue) C'est par son regard que l'on va assister à la déliquescence du couple que forment Jeannette (admirable Carey Mulligan) et Jerry (Jake Gyllenhaal) ses parents; parents  qu'il adule et sans lesquels il se sent comme perdu. D'autant qu'ils ont pris l'habitude de solliciter son avis sur presque tout et de faire appel à ses soins (menus travaux de réparation, conduite de la voiture...) Or le père après avoir perdu son emploi au club de golf décide de partir  combattre les incendies en forêt. La mère, déjà insatisfaite avant le départ de son mari, sait que le couple va éclater, elle rêve d'émancipation... Le fils ne juge pas; il est tout simplement désarçonné .. avant d'accepter l'inéluctable. Et c'est lui qui, grâce à ses talents de photographe débutant, transformera -dans le plan final- Wildelife en apologue ( "Bien qu'il parle d'affrontement, de chagrin, de désillusion, le film est porté par l'amour.[ .].Nous pouvons encore être une famille" cf note d'intention du réalisateur)

 

Le film est de facture très classique tout comme la thématique "marronnier",  avec des clichés, car faute de s'interroger sur la complexité des sentiments, il reste dans un en-deçà qui peut déplaire ou décevoir -même si les non-dits sont censés suppléer à ce manque apparent...

 

Dans sa façon de cadrer et dans le choix de couleurs expressives, Paul Dano emprunte souvent (trop) aux toiles d'Edward Hopper; (et on aura facilement reconnu les clins d'oeil à la station-service, aux façades de maison, à certains paysages, à ces personnages abattus de solitude que l'on devine à travers des vitres)  MAIS sans laisser au spectateur la sensation d'étrange étrangeté - celle qui émane des contours de contrastes, de l'accentuation des tons pleins, de perspectives coupées et qui  confère  au réel un effet d'imaginaire...

Ou alors s'agirait-il de rendre tangible, presque palpable, un vernis qui va craquer (sous les apparences)?

 

Je vous laisse juge

 

Colette Lallement-Duchoze

 

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23 décembre 2018 7 23 /12 /décembre /2018 08:23

de Hong Sangsoo (Corée) 

avec Kim Minhee (Areum) Jung Jinyoung, Ki joobong, Sea Younghwa Ahn jaehong, Gong Minjeung 

Au bout d'une allée, un café que personne ne s'attendrait à trouver. Les gens s’assoient et parlent de leur vie. Au fil du temps, les clients se côtoient et apprennent à se connaître. Une femme les observe et semble mettre par écrit leurs pensées. La nuit commence à tomber mis tous restent dans le café

Grass

On sait la prédilection du cinéaste pour  "les intermittences du coeur" ; on connaît sa façon de filmer:  un dispositif resserré, peu d'acteurs, caméra souvent fixe, décors banals, importance accordée aux  repas et à la prise d'alcool.. Dans Grass la succession des face-à-face dans un bar s’opère comme une suite de tableautins ; les protagonistes sont filmés chacun d’un côté de la table ou l’un de dos ou l’un après l’autre (les variations épousant le contenu de leurs discussions et le ton employé). Il est question d’amours perdues, de la mort d’un être cher, de suicide,  d’une panne d’inspiration, d'alcool aussi ; la musique (Schubert, Wagner entre autres) va jouer le rôle de contrepoint ou d’illustration pathétique; elle est diffusée par le patron du bar : celui-ci, toujours hors champ, ne joue-t-il pas le rôle de DJ ?

Aux enchevêtrements de temporalités (Le jour d’après) se substitue dans Grass tout un jeu de miroirs : une personne seule (Areum, interprétée par Kim Min-hee la muse du réalisateur) est en train d’écrire face à l’écran de son ordinateur, tout comme elle est face à la caméra, elle semble s’inspirer des conversations de ses voisins -ce que suggère la traduction en italique: est-ce sa voix intérieure?..Ou bien s’agit-il de personnages déjà créés dans sa fiction et qui prennent corps alors qu’advient la parole ? Et de ce fait, on pourrait lire en filigrane un questionnement sur la création artistique en général : le réel comme source d’inspiration ?? réel vécu et réel fantasmé? la part de l'imaginé dans le prétendu réel?  Problématique similaire quand, quittant le bar, elle accompagne son frère rejoindre sa petite amie ; pourquoi le ton monte-t-il à propos d’un éventuel mariage sinon parce que dans son esprit se combinent en se mêlant et les propos entendus auparavant et des souvenirs personnels et sa propre fiction ?? Effets spéculaires aussi avec ces  vitres, quand des personnages sortent du bar pour fumer une cigarette, le reflet du dedans sur le dehors (et/ou l’inverse) s’inscrit de manière illustrative dans les problématiques soulevées par toutes les conversations (badinage et interrogations plus existentielles).  Jeu d’échos aussi : attention spectateur pressé ! Le film n’est pas terminé avec l’épilogue où le bar est filmé vide de ses occupants- mais après le générique de fin quand sur l'écran apparaît  le même plan que celui du tout début -ces touffes d’herbe dans leur jardinière- un plan qui explicite(rait)  le sens du titre "grass" ...

 

Grass ou une authentique  "leçon"  de cinéma: filmé en noir et blanc (mais un blanc qui se grise en fonction du moment de la journée) en plans séquences avec un soin très minutieux apporté aux  cadrages et des variations dans les angles de vue, et où chaque plan se prêterait à une analyse filmique...

Un film à ne pas rater ! 

 

Colette Lallement-Duchoze

Grass
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22 décembre 2018 6 22 /12 /décembre /2018 07:30

de Louis-Julien Petit

Avec Corinne Masiero, Audrey Lamy, Déborah Lukumuena, Noémie Lvovsky,

et des comédiennes non professionnelles ayant elles aussi vécu des épisodes de vie douloureux.

 

 

Prix de la meilleure réalisation lors de la première édition du Festival International du Film Politique.

Sortie mercredi 9 janvier 2019

Vu en avant-première le vendredi 14 décembre 2018 à l’Omnia (en présence du réalisateur et de l'actrice Deborah Lukumuena)

Suite à une décision municipale, l’Envol, un centre d’accueil de jour pour femmes SDF (là où elles viennent prendre une douche et trouver un peu de réconfort) va devoir fermer ses portes. Il ne reste que trois mois à une petite poignée de travailleuses sociales pour réinsérer coûte que coûte les malheureuses exclues dont elles s’occupent. Il faut recourir à la débrouille. Pourquoi pas créer une ressourcerie ? Et puis il y a aussi les petits arrangements, les falsifications, les pistons et les mensonges qui permettent d’avancer… Désormais, tout est permis !

Les Invisibles

 Elles exercent leur métier dans l’ombre, mènent un combat acharné mais "invisible" ; à ces travailleuses sociales "résistantes des temps modernes" Louis-Julien Petit rend hommage. Elles sont passées par la rue ont connu la violence, la prison et sont accueillies dans un centre de jour pour SDF, ces "invisibles" -celles que l’on côtoie sans "oser"  les regarder- vont passer de l’ombre à la lumière.

Le sujet de ce film ? un combat collectif -celui qui unit ces deux catégories d’invisibles-. Et puisque nécessité fait loi on bafouera allègrement cette dernière. Voici  des travailleuses sociales et leurs bénévoles décidées, dans l’urgence, à réinsérer coûte qu coûte les femmes dont elles s’occupent : leur centre d’accueil de jour (légal) deviendra presque de facto un centre d’accueil 24h/24h (illégal)

 

Un sujet dramatique traité souvent de manière comique (à la façon de Roberto Benigni) tout en respectant un ton juste ; mélanger « rires » et « larmes »

C’est précisément ce qu’expliquait le réalisateur lors de l’avant-première à l’Omnia (14/12/18) en réponse aux questions sur la genèse, le casting (j’ai passé un an comme bénévole en centres d’accueil pour femmes à Grenoble et à Paris [...]Je me suis inspiré du livre et du documentaire de Claire Lajeunie sur les femmes SDF paru en 2014 [….] j’ai casté plus d’une centaine de femmes et j’en ai choisi 15 […] mais pour conserver leur anonymat je leur ai fait choisir le nom qu’elles souhaitaient : on a eu ainsi Edith Piaf, Brigitte Macron, Lady Di, Simone Veil […]

 

Le film tourné à Anzin et Tourcoing, peut s’appréhender comme une comédie sociale. Une comédie roborative certes : rythme souvent enlevé, refus constant du misérabilisme, humour, truculence du personnage de Chantal qu’interprète Adolpha van Meerhaegue,  (et comme dans le film elle a connu la prison et la rue)

Un film sur des "Femmes Courage" ; un film qui pointe du doigt (sans militantisme ni moralisme) les dysfonctionnements d’un système, 

Mais sa forme de feel good movie (serait-ce dans l'air du temps?)  et une absence de réelle proposition cinématographique (néo-réalisme social? pour le différencier d’un Stéphane Brizé ou des frères Dardenne ?) risque de décevoir certains....

 

Colette Lallement-Duchoze 

Le 21/01/2019

Après l’excellent précédent long métrage “Discount”, Louis Julien Petit nous régale d’un film tonique et drôle au sujet pourtant si casse gueule, si hyper délicat.

 Quelle jubilation autour de la misère ! : Le réalisateur réussit ce tour de force de faire rire sans se moquer, d’émouvoir sans tomber dans la compassion,  de dénoncer notre société sans manichéisme ni angélisme.

Il fallait aussi l’immense talent de Corinne Masiero - qui a elle même vécu une situation de débine extrême -, le talent surprenant d’Audrey Lamy, et la générosité si charmante de Noémy Lvosky, pour nous éviter les clichés habituels sur les SDF. L’apparition de la grosse black Deborah Lukumuena est la cerise sur le gâteau ! énorme au sens propre et figuré, criante de justesse et de bonhomie.

Sur le fil du rasoir, on est transporté à l’intérieur de ce monde si mal connu des spectateurs lambda. Le scénario a l’intelligence de donner du souffle à ces vies étouffées, de faire jaillir l’humour et l’espoir au cœur des ténèbres.

 Bravo à ce  Louis Julien Petit d’avoir eu le courage et l’adresse d’apporter un regard tendre, bienveillant, cocasse et si respectueux de ce monde de plus en plus nombreux.

Allez voir ce film qui fait l’effet d’une bonne douche !

 Serge Diaz

 

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21 décembre 2018 5 21 /12 /décembre /2018 05:22

Film de Hirokazu Kore-eda

avec Kirin Kiki (Hatsue Shibata) Lily Franky (Osamu Shabata) Sosuke Ikematsu, Sakura Ando (Nobuyo Shabata) Akira Emoto, Chizuru Ikewaki (kie Miyabe) Naoto Ogata kairi Jyo Mayu Matsuoka (Aki Shabata) , Miyu Sasaki

 

Palme d’or festival de Cannes

Meilleur réalisateur festival international du film d’Antalya 2018

Au retour d’une nouvelle expédition de vol à l’étalage, Osamu et son fils recueillent dans la rue une petite fille qui semble livrée à elle-même. D’abord réticente à l’idée d’abriter l’enfant pour la nuit, la femme d’Osamu accepte de s’occuper d’elle lorsqu‘elle comprend que ses parents la maltraitent. En dépit de leur pauvreté, survivant de petites rapines qui complètent leurs maigres salaires, les membres de cette famille semblent vivre heureux – jusqu’à ce qu’un incident révèle brutalement leurs plus terribles secrets…

"Ce film s’inscrit dans la réflexion que je mène sur la famille depuis tel père tel fils"

Une affaire de famille
La palme d’or attribuée à ce film au festival de Cannes 2018 était bien méritée !
 
Ce n’est pas courant que le cinéma japonais connu en Europe nous emmène chez les pauvres. Ce pays cache sa misère comme une honte et pourtant elle est de plus en plus présente, inévitablement. Ce ne sont pas les pauvres des frères Dardenne mais cela nous rappelle plutôt “l’argent de la vieille” d’Ettore Scola, l’humour cynique en moins.
 
Une prodigieuse distribution avec une direction d’ acteurs-enfants rare; un réalisme non larmoyant ! La joie de vivre des pauvres nous éloigne de l’apitoiement, on rit aussi, on vit au milieu de leur univers confiné. Les plans rapprochés ne sont pas voyeurs, la caméra caresse les visages et les corps en lumière intérieure. Le scénario tient en haleine, on ne voit pas passer les 2 h de projection, et les réflexions existentielles dans la bouche des protagonistes n’ont rien de déplacé, sont très naturelles, si fait que le film qui pourrait être le scénario transposé d’un fait divers a une portée dans le message sur la famille qui porte loin.
 
Emu, surpris, transporté dans un contexte local inhabituel, le spectateur est aussi happé par une mise en scène sans effets, et s’attache à de vrais personnages ni anges ni bêtes, mais terriblement atypiques et attirants.
La scène de larmes de la jeune femme en prison est une prouesse d’actrice dans le cinéma moderne.
 
Allez voir ce film intelligent qui n’est pas si triste qu’il en a l’air mais fin, sensible, profond, intéressant.
 
Serge Diaz

Oui un film à la fois tendre réaliste humain sur les liens familiaux ; un film qui dénonce les limites de l'aide sociale au Japon.

Cette famille d'accueil est en fait une famille "authentique" et elle représente une sorte de  microcosme, une forme d'arène où luttent deux forces (antagonistes??) celle d'une soif de justice et celle des lois sociales

Certains spectateurs s'étonnent de la gloutonnerie (voracité même) des personnages, ce qu'accentuent la bande son et les plans rapprochés; or cela n'illustre-t-il pas la maxime "manger à sa faim"? 

Colette

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16 décembre 2018 7 16 /12 /décembre /2018 10:05

De Steve McQueen

avec Viola Davis, Michelle Rodriguez, Elizabeth Debicki, Cynthia Erivo, Colin Farrel, Liam Neeson

A Chicago, où le 18e district est détenu depuis des lustres par la famille Mulligan, issue de la bourgeoisie blanche protestante, arrive un challenger noir. Les deux bords sont autant corrompus l’un que l’autre. Au milieu, un groupe de braqueurs entretient des rapports troubles avec eux. Leur dernier casse tourne mal et ils y perdent tous la vie. Sous pression, leurs veuves, qui ne savaient rien de leurs agissements, doivent rattraper le coup pour sauver leur peau...

 

Les Veuves

Après les incontournables Hunger et Shame et le plus spectaculaire 12 years of slave on était en droit d’attendre beaucoup d’un réalisateur très talentueux qui allait se plier aux codes d’un film de genre...le thriller

Espoir partiellement déçu

 

Certes le tout début (qu’on peut assimiler à un prologue) est saisissant : montage qui fait alterner l'intimité entre les  braqueurs et leurs femmes et  leur braquage raté. Certes l’écriture du thriller obéit à certaines règles : rythme parfois enlevé, suspense et rebondissements. Et l’on comprendra vite qu’il s’agit moins de l’histoire d’un casse exécuté par les « veuves » que la réappropriation par ces  femmes de leur propre existence jusque-là vampirisée par leurs époux ou bafouée et piétinée par la famille. Et il y a, comme toujours chez Steve McQueen en toile de fond, une analyse sociologique et  politique (on pourrait faire la liste de tous les thèmes abordés depuis les rapports homme/femme jusqu’à la corruption et le contraste entre violence systémique et violence littérale) On retrouve aussi ce goût prononcé pour les plans séquences ou les très gros plans à connotation symbolique (ici par exemple le baiser qu’échangent Harry et Veronica avant le braquage manqué est comme une « dévoration » que la dernière partie du film illustrera…)

 

Mais est-ce parce qu’il s’agit d’une adaptation en 2h d’une série britannique des années 80 (transposée dans le Chicago contemporain) que la multiplicité de personnages induit une forme d’éparpillement ? De même l’intrigue principale déjà pleine de ramifications, est comme délaissée ou du moins juxtaposée à l’intrigue politique (elle-même riche en sous-intrigues : dont le duel père/fils Mulligan) On a l’impression désagréable d’une compilation...Et que dire de ce flash back -mort du fils de Veronica et Harry- censé justifier le retournement de situation et le twist (dans l'intrigue principale) alors qu’il achève le pot pourri

 

On gardera toutefois en mémoire cette scène où Veronica (Viola Davis) pleure en regardant Chicago de son loft blanc alors qu'on entend la voix de Nina Simone

 

Colette Lallement-Duchoze

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12 décembre 2018 3 12 /12 /décembre /2018 09:17

Documentaire de Hendrick Dusollier

 

Récompenses:

Cinéma du réel: prix du meilleur documentaire & prix du jury jeunes

Festival de Brive: prix du jury & prix du public

Idfa: (festival international du film documentaire d'Amsterdam)  prix spécial du jury 

this human world: prix du meilleur documentaire 

Derniers jours à Shibati

Nous sommes à Chongqing la plus grande agglomération du monde (Ouest de la Chine) 83 000 kilomètres carrés, soit une trentaine de fois Paris et sa région…Et plus particulièrement dans un quartier voué à disparaître : Shibati.

 

La tentation eût été facile de procéder à une forme de dichotomie : les bribes d’un monde souterrain presque anachronique et en regard -témoignage de l’urbanisation galopante- la ville moderne. Il n’en est rien -même si revenant deux fois 6 mois après avoir filmé les habitants de Shibati et leur mode de vie – le documentariste illustre leur difficile adaptation à un processus  imposé voire inéluctable. C’est l’humain et uniquement l’humain qui intéresse Hendrick Dusollier ; la dénonciation se lisant en creux. L’humain à travers trois personnages : M. Li, le coiffeur, le gamin Zhou Hong et la femme aux cheveux blancs au sourire d’ange et à l’âme d’enfant, Xue Lian

 

Hendrick Dusollier nous entraîne dans l’univers dédaléen de Shibati fait de ruelles d’escaliers d’échoppes, de détritus, de petites maisons accrochées à la roche recouvertes d’une végétation quasi tropicale Sa méthode ? Se promener innocemment (mais avec tout son matériel vidéo) filmer avec discrétion ; rester extérieur tel un observateur (même si par moments on voit sa main son portable et que l’on entend sa voix qui questionne ou répond ...dans des dialogues de sourds.. forcément quand on ne connaît pas la langue ni de surcroît le dialecte ! D’abord suspect (va-t-en ! Tes images sont fausses ce n’est plus ça la Chine…) il se lie d’amitié avec un enfant, enfant-guide ébloui par la Cité de la lumière et de la Lune (qui n’est autre que l’immense centre commercial dont la façade lumineuse éclaire Shibati !!)   Empathie très forte aussi avec Xue Lian : cette femme âgée qui vit (vivote) du commerce de détritus et de déchets, sait qu’il y a une âme en chacun d’eux et ceux qu’elle conserve elle les exhausse au rang de reliques. C’est son mausolée !

 

Alors oui quand 6 mois après, le documentariste revient sur les lieux, il filme une béance à ciel ouvert où survit ça et là un témoignage isolé d’un temps révolu, celui de la Chine pré industrielle. Alors oui quand 6 mois encore après, Hendrick Dusollier retrouve ses « amis » il les filme dans leur nouveau « contexte » de vie fait d’uniformisation... inhumaine…Eux les « survivants » seront fatalement déboussolés une fois relogés dans les immenses tours à la périphérie !

 

C'était la dernière séance hier mardi à l'Omnia...Dommage que ce documentaire exceptionnel qui a su capter avec humanité les derniers moments d’un quartier, d’une époque n’ait pu garder l’affiche plus longtemps !!

 

Devant ce type de cinéma ce qui se passe devant soi et ce qui sera dans le film on ne l’a pas préparé ni mis en scène et on ne l’a pas recréé non plus en post production. Je trouve que c’est une expérience unique (Hendrick Dusollier)

 

Colette Lallement-Duchoze

 

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10 décembre 2018 1 10 /12 /décembre /2018 07:25

de Guillaume Nicloux

avec Gaspard Ulliel, Guillaume Gouix, Lang-Khé Tran, Gérard Depardieu

Festival de Cannes (Quinzaine des Réalisateurs)

Indochine 1945. Robert Tassen, jeune militaire français, est le seul survivant d'un massacre dans lequel son frère a péri sous ses yeux. Aveuglé par la vengeance, Robert s'engage dans une quête solitaire et secrète à la recherche des assassins. Mais sa rencontre avec Maï, une jeune Indochinoise, va bouleverser ses croyances..

Les Confins du monde

Tête tranchée sanguinolente, phallus couvert de sangsues, corps encagés recroquevillés dans la douleur et la peur, gros plan sur des blessures, collier de langues et d’oreilles, corps tuméfiés lacérés, corps fragmentés, corps dégoulinant de sueur pendant  l’acte sexuel, c’est bien dans et par sa matérialité que le corps est au centre du film de Nicloux, tout comme il est la métaphore de la dichotomie qui l’infuse:  amour et haine, vie et mort. Le sang et sa double connotation ; le sexe lui-même qui dicte une approche très viriliste de la guerre.

L’épisode du 9 mars 1945 - point de départ du film- à savoir la riposte des Japonais - qui occupaient momentanément le Tonkin- pour éliminer -entre autres-  la présence française, est le déclencheur  d’une guerre intime : Robert Tassen (Gaspard Ulliel) seul rescapé de la tuerie est décidé à trouver et punir les assassins de son frère ; en particulier Vo Binh.-qui deviendra la cause de tous les maux- La rencontre dans un bordel français en Indochine (le perroquet) d’une prostituée (Lang-Khé Tran)  dont il s'éprend, suscite  une prise de conscience : les frontières entre ennemi et ami seraient-elles poreuses ?

 

Le titre du film suggère une démarche d’explorateur. Mais c’est bien aux confins d’une âme mue par une folie vengeresse que nous conduit le réalisateur. À travers des chemins tortueux (ceux d'un recrutement paradoxal, ceux de la jungle, ceux de paysages intérieurs révélés par l’opium) qu’accentue un montage fait d’ellipses et de non-dits.

Plongée dans le poisseux le visqueux où l’ennemi est par essence "mauvais" ; car bien sûr !!! les pires atrocités commises par les Français ne sont que "représailles légitimes" (le barbare c’est l’autre, le monstre sanguinaire, en l’occurrence  les insurgés). Il en va de même du Mâle Blanc émancipateur ; de son tout puissant pénis (je ne sais pas si ta bite tiendra jusque-là) il peut imposer sa vision du Monde,  d’un monde 

Un film à la qualité esthétique incontestable (grain de la pellicule, sons lumières, alternance scènes de jungle et scènes d’intérieur dans la caserne ou le bordel, alternance pluie diluvienne et moiteur) un film au montage original (souvent succession de tableaux comme le défilé de souvenirs que la conscience met en ordre ou désarticule- ce que suggèrent les deux plans en écho au début et à la fin où le personnage principal est assis sur un banc face à la caméra alors que des personnages comme en apesanteur et nimbés de brume avancent derrière lui, ou... reculent) ; mais un film à l’idéologie très discutable voire dangereuse ! 

Colette Lallement-Duchoze

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5 décembre 2018 3 05 /12 /décembre /2018 08:44

de Kheiron

avec Kheiron, Catherine Deneuve, André Dussollier

Waël, un ancien enfant des rues, vit en banlieue parisienne de petites arnaques qu’il commet avec Monique, une femme à la retraite qui tient visiblement beaucoup à lui.Sa vie prend un tournant le jour où un ami de cette dernière, Victor, lui offre, sur insistance de Monique, un petit job bénévole dans son centre d’enfants exclus du système scolaire. Waël se retrouve peu à peu responsable d’un groupe de six adolescents expulsés pour absentéisme, insolence ou encore port d’arme.De cette rencontre explosive entre « mauvaises herbes » va naître un véritable miracle.

Mauvaises herbes

Il n’y a ni mauvaises herbes ni mauvais hommes. Il n’y a que de mauvais cultivateurs

Cette phrase de Victor Hugo citée en exergue servira de fil conducteur au second métrage de Kheiron

Certains critiques vont s’en emparer et la décliner pour mettre à nu les failles de cette comédie….

 

Dans "nous trois ou rien"  l’acteur réalisateur humoriste -qui interprétait le personnage du père- s’inspirait du parcours de ses parents, depuis leur départ d’Iran jusqu’à leur intégration en France. Dans Mauvaises herbes il s’inspire de ses années d’éducateur; mais le prologue (scènes de guerre, survie d’un gamin dans les décombres) double le point de vue : la guerre et ses séquelles. L’enfant rescapé c’est Waël. Et le film va jouer avec deux temporalités : le passé où Waël l’enfant orphelin vivote de larcins et le présent où Wael adulte est plus ou moins "contraint" d’exercer le métier d’éducateur face à 6 rebelles les "mauvaises herbes" exclues du système scolaire. Les images du passé -tournées au Maroc- dans des tons ocres donnent progressivement un corps à une enfance plus que cabossée ; et si Waêl survit c’est grâce à une sœur de Bonté...Le moment présent, le collège en particulier, a été filmé à Montreuil- lieu clos comme renfermé sur lui-même aux tons gris où les touches de vert rappellent la poussée des mauvaises herbes à travers la chape de béton

 

La thématique de cette comédie ? Importance de l’éducation et de la transmission. Non pas un pseudo- documentaire qui stigmatiserait la "banlieue" mais un hymne (sincère, un tantinet naïf parfois) à la solidarité au courage à la fraternité

Certes il y a de la surenchère, des maladresses, voire de l’outrance (Victor-le personnage- est effaré devant l’accoutrement ridicule de Monique -Catherine Deneuve- mais Dussolier -l’acteur- ne peut réprimer un (sou) rire…) Certes des personnages secondaires n’échappent pas à une typologie caricaturale (flic éducateur véreux) ou sont mal traités (la sœur avocate)

Mais le réalisateur a souvent trouvé le "ton"  juste (il se contente par exemple de "suggérer" la pédophilie et l'inceste;) il n'est jamais "moralisateur"; et certains dialogues et/ou situations sont tout simplement savoureux..

Alors oui on peut rire de bon coeur ; alors oui ces mauvaises herbes sont en réalité des êtres  attachants porteurs de  valeurs que  ce conte a révélées

 

Colette Lallement-Duchoze

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30 novembre 2018 5 30 /11 /novembre /2018 16:48

de Marcelo Martinessi (Paraguay)

avec Ana Brun , Margarita IrúnAna Ivanova  Regina Duarte, Alicia Guerra, Nida Gonzalez

 

Berlinale 2018 : prix Ours d’Argent meilleure interprétation féminine ; prix Alfred Bauer ; prix critique internationale

Asuncion, Paraguay. Chela, riche héritière, a mené la grande vie pendant 30 ans avec Chiquita. Mais au bord de la faillite, elle doit vendre tous ses biens et regarde Chiquita, accusée de fraude, partir en prison. Alors qu’elle n’a pas conduit depuis des années, Chela accepte de faire le taxi pour un groupe de riches femmes âgées de son quartier et fait la rencontre de la jeune et charmante Angy. A ses côtés, Chela prend confiance en elle et cherche à ouvrir un nouveau chapitre de sa vie.

Les héritières

Très souvent les premiers plans encodent le film : ici on assiste à une dépossession -de biens matériels- à travers le regard d’une femme en retrait ; clair-obscur, lumières feutrées, ambiance floue, les pas sur le sol résonnent comme le tic tac de l’horloge du temps. Un interstice -embrasure d’une porte- d’où l’on peut épier et entendre un état des lieux, un inventaire : vaisselle mobilier à vendre... Caméra subjective donc !

Chela (la femme en retrait) et sa compagne Chiquita (plus alerte et gaillarde) sont contraintes de se débarrasser de leurs biens pour "survivre" . A l’opulence (suggérée) succédera l’enfermement : prison pour Chiquita (fraude fiscale?) solitude forcée pour Chela qui telle une ermite se coupe du monde extérieur dans cette maison désormais vide.  Muette -souvent- elle assiste hébétée et passive à ce qui la concerne au premier chef : on "brade"  son passé comme on "brade"  tous ses biens…

Hormis la voiture ! Et c’est précisément grâce à elle (Chela sera chauffeur de taxi pour gagner sa vie) que le personnage jusque-là neurasthénique, se réveille et que son corps éprouve à nouveau le désir (suite à la la rencontre avec Angy). La caméra quitte le décor de la maison vide ou du club des bridgeuses ou de la prison pour femmes et s’aventure aux côtés de la conductrice sur un horizon élargi (le défilé incessant de camions sur l’autoroute rythme différents aperçus de paysages comme autant de morceaux éclatés du pays). Chela ouvre les yeux !!!!

 

On devine l’empathie du réalisateur pour ses personnages : en variant les angles de vue sur le visage de Chela, en insistant sur sa passivité ou plus tard en la faisant accéder à la lumière dans un éclat solaire, il semble avant tout pénétrer une conscience ; en montrant les vieilles bridgeuses avec leurs breloques et leur maquillage outrancier, il ne les ridiculise pas, mais quand s’amorce la valse des prédatrices, nulle tendresse pour ces bourges ignares...

 

Marcelo Martinessi procède par ellipses et non-dits dans son film d’atmosphère où il n’y a quasiment pas d’hommes. Et seuls des regards échangés, les paroles de chansons ou les commérages des vieilles vont aider le spectateur à  "deviner"  le contexte politico-économique du pays. Mais trop de distanciation peut confiner à une sorte d’effacement. Dommage !

Reste le portrait d’une femme fragile et troublée à la gravité tranquille qui à 60 ans s’engage dans une voie nouvelle. (admirablement interprétée par Ana Brun)

Si la voiture est sans conteste la métaphore de l’ouverture au monde, la page que vient de tourner Chela serait-elle celle de l’histoire de son pays ?

 

Colette Lallement-Duchoze

 

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