De Chantal Akerman (France Belgique 1986) version restaurée
avec Delphine Seyrig, Charles Denner, Lio, Fanny Cottençon , Jean-François Balmer Myriam Boyer John Berry Nicolas Tronc Simon Reggiani
Présenté au festival de Cannes 1986 Section Quinzaine des Réalisateurs
Argument: Dans l'univers pimpant et coloré d'une galerie marchande, entre un salon de coiffure, un café, un cinéma et une boutique de confection, employés et clients ne vivent et ne s'occupent que d'amour : ils le rêvent, le disent, le chantent, le dansent. Rencontres, retrouvailles, trahisons, passions, dépits. Déclinant toutes les formes de la séduction et du sentiment amoureux, les histoires se croisent et s'entremêlent, commentées par les chœurs malicieux des shampouineuses et d'une bande de garçons
Galerie marchande, galerie de portraits, défilé de frimousses -qui font corps avec brosses mousse sèche-cheveux, défilé de couleurs acidulées, galerie où artificialité facticité (cf les mannequins) flirtent allègrement avec l’amour, Ah l’amour décliné en ses multiples facettes (avec cette dynamique interne Mado aime Robert qui aime Lili qui aime… hors mariage ou non…) Quel entrain quelle vitalité quelle fougue quel rythme. Au ballet des shampouineuses répond le chœur masculin (et les deux sautillant et chantant commentent l’actualité … des fragments amoureux… des amours contrariés) deux « chœurs » enfermés provisoirement dans le décor de « maison de poupées » qui devient le théâtre de l’amour et de la « cruauté »( ?) ; impériale entre les deux voici Jeanne (admirable Delphine Seyrig) qui « revit » fugace un amour qu’elle croyait enfoui (mais à l’époque le verbe de l’aimé avait failli dans la confidence et l’avenir en a décidé autrement ; à la proposition « fuyons » elle ne peut aujourd’hui qu’opposer ,théâtrale, les règles de la bienséance « je suis mariée ; j’ai un fils »
Le ton est donné dès le générique : chassé-croisé de jambes et de chaussures martelant le carrelage coloré en un rythme de plus en plus accéléré -générique annonciateur du chassé-croisé des amours, annonciateur aussi du « genre » choisi par la cinéaste : la comédie musicale. Comédie légère ? badinage amoureux ?. Oui mais avec en toile de fond la crise économique, le rappel du passé douloureux de Jeanne (Celui des camps, celui de la grand-mère de Chantal Akerman) et les thématiques si chères à la cinéaste (enfermement, ennui)
Une lettre que l’on va lire puis chanter -sans le support du papier- et le corps qui décolle… en s’élançant vers …, c’est le rêve de Sylvie/Myriam Boyer, rêve avoué, colporté d’une oreille à l’autre. Circulation de « rumeurs », circulation de regards aussi : Mado (une Lio qui sera la seule à ne pas chanter….). épie l’être aimé qui n’a d’yeux que pour Lili… Les cabines d’essayage vont abriter les baisers volés dans l’instantanéité de l’étreinte Et quand brusquement la donne a changé doit-on se féliciter de ce retour -momentané- de fortune ???
De toute façon l’amour n’est-il pas mouvant ? interchangeable ? (comme une robe dira Mr Schwartz le mari de Jeanne, lui qui rappelle à son fils les règles de la vie … amoureuse…- dictées par le « capitalisme » ….
Ne pas rater cette comédie musicale, sur l’amour et le commerce dans le cadre d’une rétrospective Chantal Akerman Ecoutons la réalisatrice
Derrière les vitrines des boutiques on entr’aperçoit des visages maquillés, on accroche parfois un regard, de femme, le plus souvent. Des femmes qui n’ont pas toujours choisi de se retrouver derrière une vitrine où elles sont presque aussi exposées que ce qu’elles sont censées vendre, parfois aussi éclairées. Comme des actrices mais sans le plaisir de la scène, comme des femmes qui vendent leur corps, alors que le leur sert seulement à vendre. Et qui pourtant peuvent apparaître comme les dernières stars sous leurs rampes lumineuses, intouchables et pourtant si proches, séparées seulement du public par une porte de verre toujours ouverte.
Colette Lallement-Duchoze