14 janvier 2025 2 14 /01 /janvier /2025 08:56

 d’Alexandros Avranas. (film allemand, estonien, finlandais, français, grec et suédois 2024)

 

avec Chulpan Khamatova, Grigoriy Dobrygin, Naomi Lamp, Miroslava Pashutina, Eleni Roussinou

Suède, 2018. Un syndrome mystérieux affecte les enfants réfugiés. Dans l'espoir d'une vie meilleure, Sergei, Natalia et leurs deux filles ont été contraints de fuir leur pays natal. Malgré tous leurs efforts pour s'intégrer et incarner la famille modèle, leur demande d'asile est rejetée. Soudainement, Katja, leur plus jeune fille, s'effondre et tombe dans le coma. Ils vont alors se battre, jusqu'à l'impensable, pour que leur fille puisse se réveiller.

Inspiré de faits réels.

Quiet life

Ce film d’une glaçante sobriété aura à n’en pas douter ses détracteurs. Car pour s’être inspiré de « faits réels » le cinéaste n’en choisit pas moins une forme déshumanisante déstabilisante, -proche de la SF ou de la dystopie-, où les personnages sont comme désincarnés  (apparemment sans affect)  ils évoluent dans des décors vides aseptisés,  des espaces impersonnels aux couleurs froides et ternes (blanc gris beige )  quand ce n’est pas le vert qui recouvre tel un linceul les corps des enfants alignés à l’hôpital ou le point rouge tel un signal , tout cela accentue l’effet clinique revendiqué. 
 

Or, ce parti pris formel n’est-il pas en étroite adéquation avec l’impitoyable ? Réfugiés adultes déclassés, enfants victimes du « syndrome de résignation » -maladie expliquée dans un carton -générique de fin-, parcours kafkaïen, administration pointilleuse vétilleuse et inhumaine. Mais un impitoyable qui n’exclut pas le burlesque (cf les séances « obligatoires » de thérapie où l’on apprend à « sourire » sous l’égide d’une coach au rire forcé…) ou l’humour noir (cf l'épisode en voiture dans un parking -tel simulacre de  départ en "vacances"-, où les quatre membres de la famille arborent des  lunettes noires -alors que les paupières des filles sont … closes-


Voici face à l’écran une puis deux gamines en socquettes au garde à vous ; le tableau se complète avec l’arrivée de la mère puis du père ; bloc soudé dans un silence minéral regard vide face à la caméra ,c’est le plan d’ouverture il s’élargit avec la visite de deux représentants de l’Office de l’immigration ; pas qui claquent , couvercles que l’on soulève à la cuisine  pour s’assurer de la qualité de la nourriture, l'inspection est minutieuse … Bilan positif malgré des ricanements ou des allusions grimaçantes …Mais la demande d’asile sera refusée, pour insuffisance de preuves. Première conséquence : Katia (la seule d’ailleurs à pouvoir témoigner de l’agression subie par le père en Russie), tombe .....dans le coma, nécessité d’une prise en charge par le personnel hospitalier, sevrage affectif. Elle sera cette endormie traitée à coup de médocs. Puis ce sera le tour de la sœur aînée (elle a témoigné …à la place de Katya ; le jury n’est pas dupe…et l’on pense ici à Souleymane -qui apprenait par cœur une version des faits qui lui sont étrangers mais « témoignage » susceptible d’émouvoir )…. A partir du moment où les parents « récupèrent » leurs filles « endormies »  tels des bébés à qui l’on va tout (ré)apprendre, le film bascule vers plus d’humanité laquelle triomphera dans la séquence à la piscine ! 

 

Un film à ne pas rater

 

Colette Lallement-Duchoze
 

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13 janvier 2025 1 13 /01 /janvier /2025 07:03

De Pedro Almodovar (Espagne USA 2024)

 

 

avec Tilda Swinton, Julianne Moore, John Turturro

 

 

Lion d'Or Mostra de Venise 2024

Argument: Deux amies de longue date , une romancière à succès et une reportrice de guerre, ont dû se séparer pour leurs carrières. Des années plus tard leurs routes se recroisent dans des circonstances troublantes 

La chambre d'à côté

Apparemment neutre dépassionné iridiscent jaune vert ou rouge l'apprivoisement de la mort d'un memento mori minutieusement préparé, se dessine -acte ultime de vie ante mortem-, sur les lèvres pourpres et prend corps dans le jaune...La mort lui va si bien!

 

Saturé de couleurs chaudes en grands aplats, dans un environnement somptueux (aussi flamboyant et glacé que celui de magazines de décoration), saturé aussi de références littéraires (dont Les gens de Dublin et la 15ème nouvelle les Morts) et cinématographiques (dont Persona de Bergman)  ce premier film d'Almodovar en anglais (La voix humaine avec Tilda Swinton était un court métrage)  avec deux actrices hollywoodiennes (qu'on ne présente plus)  séduit par son esthétisme, un esthétisme  qui refuse le lugubre mais si lisse que.... 

 

Martha (ô les métamorphoses de Tilda Swinton !) ex reportrice de guerre pour the New York Times atteinte d'un cancer en phase terminale a décidé de mourir dans la dignité ; elle sollicite la présence d'Ingrid (étonnante et formidable Julian Moore) dans la "chambre d'à côté";  Ingrid écrivaine à succès -hantée par la mort comme le cinéaste-  acceptera de partager ce cheminement vers...   Elle écoute en silence les confessions/confidences de Martha ; un silence qui n’a rien de sépulcral ; leur complicité culmine dans ce plan qui rapproche dans un arrondi à la Brancusi les deux  visages ; la  musique d'Alberto Iglesias s'est tue ou du moins on ne l'entend plus dans la sidération de l'instant soudainement magnifié 


Célébrant l'amitié féminine dans ce plaidoyer pour " le droit à mourir dans la dignité " le film s'encombre hélas de flash-back maladroits (sur la fille de Martha, sur son père biologique)  tout comme il évoque ( sous forme de simples constats) la maladie  de notre planète   (climat et montée inexorable de l'extrême droite) John Turturro  n'est hélas pas du tout convaincant en porte parole de ces bilans  (d'ailleurs le  parallèle entre la fin de vie et la catastrophe climatique n’est-il pas un peu facile ?). 


Voici Martha et  Ingrid assises sur un canapé bleu vert, elles portent des vêtements bleu turquoise et rouge vermeil, deux tasses rouge et bleue sont posées sur une table basse orangée, au-dessus des deux visages filmés de profil voici accroché.es au mur un autoportrait en noir et blanc de Martha et une photo de femmes voilées tout de noir vêtues, les mains gantées de blanc, soudées en un seul corps  comme défiant la mort ?)  Oui ce plan était (par son cadrage et ses jeux d'opposition) bien plus suggestif ( sans  toutefois  l’étrange étrangeté des toiles de Hopper) 

 

La mort est devenue paysage dans cette villa luxueuse aux immenses baies vitrées où la forêt s'est tout naturellement invitée! 


Etre en vie .... Ne pas survivre ! 

 

Colette Lallement-Duchoze
 

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12 janvier 2025 7 12 /01 /janvier /2025 13:43

Documentaire réalisé par Yannick Kergoat (2024)

Une démocratie et une dictature. Une campagne présidentielle et de l’argent noir. Une guerre et des morts. « Personne n'y comprend rien », se rassure Nicolas Sarkozy au sujet de ses liens avec le colonel Kadhafi. Alors que s’ouvre le procès de l’affaire des financements libyens, voici le film qui va enfin vous permettre de tout comprendre à l’un des scandales les plus retentissants de la Ve République.

Personne n'y comprend rien

Le titre est emprunté …..malicieusement …à Sarkozy lui-même lors d’une interview donnée au Fig Mag  en 2023

 

 

Les lecteurs plus ou moins assidus de Mediapart n’apprendront pas grand-chose de ce film (subventionné grâce aux dons de particuliers, dont les noms apparaissent au générique de fin) .. Car ils auront lu la plupart des comptes-rendus et enquêtes du journaliste d’investigation Fabrice Arfi ou lu l’ouvrage coécrit avec Karl Laske dont  s’inspire Yannick Kergoat.   Nul étonnement face aux rebondissements, aux palinodies rocambolesques de Ziad Takieddine, aux gesticulations de l’ex président qui se dit offensé outragé  ( à travers lui c’est la France qu’on assassine… ) face aux accusations (souvent éhontées) de ses sbires …(des propos de Rachida Dati, actuelle ministre de la Culture, frisent le délit d’opinion…) Mais  en tant que "spectateurs" ils seront sensibles  au bienfondé des "images" sélectionnées, au dispositif choisi, à la  construction et à  l’impact d’un tel documentaire ! 

 


Un dispositif de base assez sobre : un appartement immense et vide. Au premier plan une ou deux chaises; on entend le crissement de pas sur le parquet, ceux de la personne qui viendra s’asseoir et "commenter" face à la caméra.  Appartement comme caisse de résonance?. Appartement, lieu tenu secret à l’instar des  "sources" qu’un journaliste ne doit jamais révéler ? Ou les deux ? En tout cas les murs joueront souvent le rôle d’écran sur lequel sont projetées, retranscrites, des bribes de conversation téléphonique, des images télévisées, des images d’archives; la personne assise filmée en frontal, semble  -même en surimpression-, faire partie de ce faisceau d’informations…

 


Afin de  "démêler"  l’écheveau et ses multiples ramifications l’écran se rétrécit s’élargit se divise se fractionne en split screens et autres mosaïques ; les interviews des  "commentateurs",  surtout celles  des journalistes Fabrice Arfi et Karl Laske qui jouent le rôle de "conteurs", sont confrontées (mises en miroir, mises en écho) avec ce qui est dénoncé (par une voix off celle de Florence Loiret-Caille ); au spectateur de se faire sa propre opinion ; la mini séquence avec François Molins (procureur de la République près le tribunal de grande instance de Paris de 2011 à 2018, puis procureur général près la Cour de cassation de 2018 à 2023) fonctionne de façon exemplaire … il est question du  "pouvoir des juges"  que pourfend de sa hargne Sarkozy et que fustige sa bande. Idem pour l’intervention de Danièle Klein, sœur de l’une des victimes de l’attentat du DC 10 de la compagnie UTA, orchestré en 1989 par des proches de Kadhafi, elle rappelle comment cette affaire a des liens directs avec nos vies du fait de la tentative d’abandonner les poursuites contre le commanditaire de cette tragédie qui provoqua 170 morts…
 

La sphère médiatique est gangrenée par  les nouveaux chiens de garde ? http://www.cinexpressions.fr/article-les-nouveaux-chiens-de-garde-97011746.html  ; certains ont la prétention, ou l’art de  "refaire l’histoire"  (avec l’aide ou non de  l'IA) ? 
 

Alors oui saluons le courage de qui s’attaque à cette gangrène et ose révéler ce qui "sera peut-être"  "un des plus grands scandales de la Vème République "

 

 

 

Colette Lallement-Duchoze
 

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11 janvier 2025 6 11 /01 /janvier /2025 13:35

De Yasujirô Ozu (Japon 1932) Version restaurée 

 

avec  Hideo Sugawara (Ryoichi, le fils aîné), Tokkan Kozo (le cadet), Tatsuo Saito (Yoshii, le père), Mitsuko Yoshikawa (la mère), Takeshi Sakamoto (le patron), Seiji Nishimura (le maître d'école). 

La famille Yoshi s’installe dans la banlieue de Tokyo où le père a trouvé un emploi. Ryoichi et Keiji ses deux fils se lient avec Taro, le fils du patron de leur père.

Gosses de Tokyo (muet)

Un camion de déménagement patine. Très gros plan sur une roue dans l’ornière boueuse. Deux gamins descendent, aident à pousser ; ils rentreront seuls car leur père va rendre visite à son patron Iwasaki …C’est la scène d’ouverture. En écho inversé au final le père, à la demande expresse de ses deux fils, s’en vient saluer son patron,  prend place à ses côtés dans la voiture alors que le fils Taro rejoint Keiji et Ryoichi Yoshi réconciliés et les trois "gosses" regardent la voiture s’éloigner ……Ce qui était  "suggéré" dans la scène liminaire aurait trouvé sa résolution ?? Et les enfants Yoshi, victimes de conflits de classe et de génération, peuvent-ils poursuivre leur cheminement ? Le cinéaste qui adopte leur point de vue et filme à leur hauteur, expose impulse et stimule ces questionnements  jusqu’à leur résolution (sous forme de "réconciliation")

 

Film muet de 1932, film populaire comme les shomin-geki, qui content la vie des petits gens, Gosses à Tokyo est composé de deux parties la séquence du "film dans le film"  jouant le rôle de transition. S’adapter à un nouveau milieu, affronter des « clans » déjà constitués, subir des invectives, être victime de malversations voire de brimades, tel est le lot des deux frères Yoshi ; ils désertent, le père les tance , et leur enjoint de « devenir des êtres importants » grâce à l’école Mais lors d’une soirée organisée par le patron (projection privée) ils prennent douloureusement conscience d’être les enfants d’un père "minable d’obséquiosité" aux « grimaces de marionnette, et décident de se « rebeller (on pense à Bonjour 1959)  « faire la grève de la faim ». (Puisque le « salaire » perçu par un employé sert à la « survie » de la famille)

Inversion des rôles. Le père bat sa coulpe. Il sait que la raison est de leur côté (l’école à quoi bon si l’avenir est déjà tracé ?)  ce qui n’interdira pas la fessée, marque d’autorité…

Dans le monde des "gosses" c’est la loi du plus « grand » Un monde avec ses rites (œuf de moineau à gober) ses codes (signe de pistolet qui met à terre la victime) ses gestes (chaussure posée sur la tête);  dans le monde des adultes c’est la dure loi des "castes sociales"… Déterminer les spécificités de chacun, faire éclater leurs  "ressemblances" (par un montage parallèle), afin de dépasser des forces  "enchaînantes" que matérialisent ces poteaux ces fils électriques ces barrières (passage à niveau, jardin) à la récurrence sur-lignée ? Peut-être
 

Peu de mouvements de caméra (le travelling latéral sur ces employés qui baillent au bureau ou celui sur les deux visages des frères qui rompant leur contrat portent à leurs lèvres une boulette de riz n’en seront que plus marquants…) ; la récurrence du passage de trains rappelle certes le contexte de la banlieue ; bien plus le passage à niveau franchi chaque jour marque la frontière entre le monde de l’intime (la famille) et celui plus vaste (et dévastateur) des conflits sociaux et autres; privilégier dans le cadre une présence collective (groupe des gamins, duo des frères, famille) sans exclure les plans rapprochés aptes à déceler une sensation,  s’intéresser aux détails moins pour les grossir que pour les auréoler d’une belle calligraphie… tout dans la forme est pure saveur (et prouve l’acuité du regard )… ajoutons l’interprétation des deux gamins (facétieux à souhait) l’humour omniprésent ;  dommage que la musique (qui accompagne la version restaurée) crispe parfois par ses aigus  
 

 

Un film à ne pas rater ! 

 

Colette Lallement-Duchoze
 

 

(attention une séance par jour; Omnia dimanche 11h, lundi 20h30, mardi 13h30)
 

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8 janvier 2025 3 08 /01 /janvier /2025 04:29

De Ray Yeung (Chine Hong Kong 2024)

 

avec Patra, Au (Angie)  Maggie Li Lin-Lin (Pat) Po Tai (Shing) Chung Hang Leung (Victor) 

 

 

Récompensé du Teddy Award du meilleur film de fiction à la dernière Berlinale 2024 

Argument; Angie et Pat vivent le parfait amour à Hong Kong depuis plus de 30 ans. Jamais l’une sans l’autre; leur duo est un pilier pour leurs parents et leurs amis. Au brusque décès de Pat, la place de Angie dans la famille se retrouve fortement remise en question...

Tout ira bien

Le film est encadré par deux plans, classiques certes, mais ô combien signifiants. La caméra suit de dos un couple cheminant à pas lents dans une allée c’est le plan d’ouverture ; le même couple assis immobile souriant  vu de face, c’est le plan final. Ante et post mortem. Le vécu souverain et le souvenir jamais aboli de ce vécu !

Entre ces deux plans tout le cheminement qui ira de l’entente  du partage (les proches acceptent le couple lesbien de sexagénaires ; agapes pour la fête de la mi automne savamment préparées ) à l’exclusion (à la mort soudaine de Pat on fait comprendre à Angie qu’elle doit « quitter » l’appartement -le légataire officiel est Shing frère de Pat …car .en l’absence de testament olographe ou autre signé on applique la « loi »)

Il est vrai que cette application stricte n’est pas l’apanage de Hongkong (on fait fi des sentiments face aux diktats de la loi de …succession…) 


Mais ici -et c’est la dynamique interne, le réalisateur oriente son film selon  deux perspectives : l’homophobie (qui avant la mort de Pat ne disait pas son nom et les promesses réitérées de Victor le neveu semblaient sincères) et la « revanche sociale » (ascension sociale de Pat et parallèlement galères financières et professionnelles vécues par le frère et le neveu) Récupérer l’appartement est une « aubaine » !!  

Et l’on « détruira » toute trace, témoin du passé heureux vécu par les deux femmes (cf le dessin réalisé par un  petit-neveu que la mère  arrache avec fracas …)

Lacération et fissures; arrachage définitif et  reconquête d'un espace "normal" .par "exclusion" de l'autre "anormal"  ...Ô  puissance des détails ! 

 

Or  ces deux forces (mouvements)  ne sont-elles pas étroitement liées ? Et en cela le film serait éminemment politique (quand on sait que la communauté LGBT est fortement méprisée à Hong Kong,  quand on sait que le capitalisme y est ravageur, un tel film ne plaide-t-il pas en faveur de …. ? simple question ! 
 

Pudeur et délicatesse grâce aux ellipses pour "dire"  la douleur de l’absence (pour exemple : la mort de Pat reste hors champ, une question d’Angie sans réponse, un fondu au noir … le plan suivant nous montre l'urne que rapporte la famille de Pat…) Et le procédé du fondu au noir qui se double d’une ellipse -temporelle le plus souvent- empêchera à chaque fois de verser dans le larmoyant … 
 

La formule tout ira bien  rassurante,  entachée par la cruauté ( ?)  des « ayants-droit» ? Tout ira bien, une antiphrase ? Certes mais par-delà le mutisme des apparences, Angie n’a-t-elle pas transcendé fissures convoitises et autres malversations ? Avec élégance le cinéaste filme le désarroi qui se lit sur son visage éploré ou attendri quand elle surprend son beau-frère hoquetant de larmes...


Et c’est avec des "amies" (dont la notaire) qu’elle peut s’élancer vers un futur vers un ailleurs là où reposera à jamais au profond bien vivante celle qui a partagé tant de décennies…

Qu’importe dès lors un appartement devenu "prison"  enfermement des cupidités et autres convoitises mesquines,  à moins que...

 

Colette Lallement-Duchoze
 

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7 janvier 2025 2 07 /01 /janvier /2025 04:27

De Margarida Cardoso (Portugal 2024)

 


avec Carloto Cotta (Dr. Afonso), Hoji Fortuna (Alphonse), Rúben Simões (Ismaël), Gonçalo Waddington (Raimundo), Sara Carinhas (Luisa), Romeu Runa (Augusto), João Pedro Bénard (Dr Figueira), Maria Do Céu Ribeiro (Adelia), Matamba Joaquim (Maianço), Cirila Bossuet (Guilhermina)

 

Sélection officielle au Festival international du film de Karlovy Vary, 2024

Prix Árvore da Vida du meilleur film portugais au Festival international du film indépendant, IndieLisboa, 2024
 

1907. Afonso, médecin, arrive sur l'île de Principe pour soigner les domestiques d'une plantation de cacao "infectés" par le Banzo, nostalgie des esclaves, qui meurent de faim et se suicident. Le groupe est confiné dans la forêt, où Afonso décide de les soigner en essayant de comprendre ce qui affecte leur âme. Réussira-t-il à les sauver ?

Banzo

Un homme au port altier fixe l’horizon ; son corps tout cartographié de tatouages et autres palimpsestes  soudainement s’écroule. C’est la scène inaugurale. Le bateau accoste. A  son bord le médecin Afonso, ami du trépassé, il est mandaté à la fois pour établir un rapport et (éventuellement)  guérir  (de)  cette « maladie » suspecte le banzo. Il vient du Congo belge …

Quel rôle soudainement soustrait à toute logique était dévolu au premier personnage ? On ne le saura pas…et ce ne sont pas les conversations autour de la table réservée aux VIP qui apporteront une quelconque réponse…Hormis peut-être cette phrase prononcée par la femme du gouverneur (ou propriétaire de la plantation de cacao) elle qui se réjouit de rentrer à Lisbonne Bientôt, cela fera une histoire. Et moi, je serai un personnage de cette histoire. C'est agréable, de devenir un personnage Oui les  personnages  c’est pour là-bas … dans des récits  ethno et  eurocentrés ; mais ici sur l’île Sao Tomé,  ce n’est que labeur sous la pluie diluvienne, sous le soleil cuisant, où l’on meurt de nostalgie!


Nous sommes en 1907. Et bien que l’esclavage soit officiellement aboli les conditions de travail, de vie (survie) imposées à ces Africains mozambicains sont tout simplement inhumaines. La réalisatrice dénonce ce colonialisme malsain (pour ne pas dire vénéneux) qui s’exerce sans vergogne dans un environnement qui enserre, oppresse; un univers qui peut tout autant griffer que caresser dans sa luxuriante diversité ; un univers fait de buées, de déluges, avec son immense forêt (un plan illustre l’engloutissement des travailleurs par et dans l’élément végétal,  effacement des  "invisibilisés" )

Nous ne voulons pas mourir : nous voulons rentrer chez nous telle sera la réponse au professeur (qu’on avait piégé en lui faisant croire que ces forçats étaient venus de leur plein gré) . 

Patiemment (trop lentement parfois et d’une lenteur qui se voudrait hypnotisante dans son esthétisme presque suranné alors que s’impose parallèlement une forme de naturalisme et/ou de réalisme...) la cinéaste analyse de l’intérieur  un système  "Cette dimension où les systèmes d’exploitation de la terre et des hommes détruisent et piègent clairement, physiquement et moralement, tous ceux qui y participent, volontairement ou involontairement." (ce sont ses propos)

Alphonse le photographe (un Noir) lui, peut revendiquer sa liberté  "je suis le seul homme libre"  (entendons vu le contexte il peut partir quand bon lui semble…)
 

On pourra peut-être déplorer une insistance complaisante (cf ce plan sur ces membres de corps morts mal enterrés, ces deux plans qui se succèdent avant de se confondre : un groupe s’affaire au premier plan alors qu’au second se profile la procession menant au tombeau, terre mère à la fois nourricière et mortifère ; une infirmerie surchargée de corps moribonds ; bureaucrates  blancs qui éructent des propos venimeux face au mutisme des opprimés) ou encore une fâcheuse tendance à la  "théâtralisation"  (cf  les déambulations calculées du professeur claudiquant….quand il arpente les différents espaces ; ou le récitatif du photographe)   N’empêche ...
 

La mort ? seule issue ?
Etres vivants ou morts, corps malmenés fouettés crucifiés, fantômes au hiératisme décomplexé, forces vives d’une nature sublime déchaînée ou muette, peut-on  "documenter la vérité sur cet endroit"  ? demande le médecin  au photographe. Le constat est amer  
A quoi bon ? le reste du monde n’y verra qu’un nègre de plus 

 

Mais le plan final .... serait-il porteur d'espoir ???

 

Colette Lallement-Duchoze
 

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4 janvier 2025 6 04 /01 /janvier /2025 05:03

D'Andrea Arnold ( G-B 2024)

 

avec Nykiya Adams (Bailey) Franz Rogowski (Bird) Barry Keoghan (Bug) Jason Buda (Hunter) 

 

Festival de Cannes 2024 Compétition Officielle

 

Présenté au festival "ths is England" à Rouen,  soirée d'ouverture le 16 novembre 2024  

Argument: Bailey 12 ans vit avec son frère Hunter et son père Bug, qui les élève seul dans un squat au nord du Kent. Bug n’a pas beaucoup de temps à leur consacrer et Bailey, qui approche de la puberté, cherche de l’attention et de l’aventure ailleurs. Elle croise la route de Bird 

Bird

Après le documentaire Cow (http://www.cinexpressions.fr/2022/12/cow.html la cinéaste britannique s’intéresse de nouveau avec Bird aux défavorisés, aux exclus de la société ; mais l’aspect social se double ici d’envolées oniriques et ce dès les premières séquences où tout semble encodé : portable double de la caméra, oiseau, insectes captés dans leur immobilité ou leur envol, jeune fille au visage mutin ou rayonnant, regard aimanté vers un ailleurs à déchiffrer, relation familiale déstabilisante -un père immature- avec lequel elle vit dans un squat ; le point de vue sera donc celui de Bailey et la thématique majeure sera celle d’une émancipation, d’un passage de l’adolescence vers l’âge « adulte » ; aidée en cela par un être énigmatique (et peut-être purement imaginaire… ) Bird 

 

Les trois acteurs sont formidables de justesse. Barry Keoghan en père immature voire irresponsable, au corps tatoué d’insectes, convaincu que la bave d’un crapaud drogué sera source de profit, à condition de lui chanter du Blur et du Coldplay. Nykiya Adams qui est quasiment de tous les plans crève l’écran de ses moues d’enfant de ses rêves d’ado de ses révoltes et rebellions .Franz Rogowski qui incarne ce « bird », être hybride en quête de ses origines, capable de métamorphose, samaritain défenseur des « orphelins » de cœur.  On retrouve dans la façon de filmer les extérieurs, la tonicité et les atmosphères de Cow ou des Hauts de Hurlevent - mugissement du vent frémissement de la lande claquement de branches ou cette impétuosité des flots-. Ajoutons cette bande-son (une playlist très « énergisante » qui séduira certains spectateurs) le rythme qui ne faiblit pas, les audaces de couleurs flashy (intérieurs et vêtements) le mélange de violence (sociale et/ou humaine) et de douceur (quand l’adolescente Bailey dispense une quiétude maternelle à ses tout jeunes frère et sœurs par exemple), tout cela devrait entraîner l’adhésion…

 

Et pourtant….

 

L’impression bizarre d’inabouti- superposition virevoltante et imaginaire (?) de deux façons de filmer (celle de Bailey comme prolongement de celle de la cinéaste ? ) - entache le simple plaisir de voir …une  "caméra dynamique"

Une difficulté par trop évidente à faire coexister réalisme et onirisme (la rencontre avec Bird, les différents r-v, et la métamorphose sous le regard ébahi de Bailey  -gros plan sur le visage puis plan américain sur le dos – frise le ridicule…)

Un espace (social et imaginaire) saturé ad infinitum (pour ne pas dire ad nauseam) de symboles clichés : le cheval, les contreplongées récurrentes sur Bird, si haut perché, les gros plans sur les cuisses de Bailey maculées du sang de ses menstrues, l’opposition (facile) entre une forme de liberté incarnée par les nombreux oiseaux ou insectes qui traversent le film de leurs fulgurances immobiles ou non – et la liberté des personnages si difficile à conquérir dans l’âpreté du quotidien, même si les slogans qui tapissent les murs du squat sont porteurs d’espoir… 

 

Colette Lallement-Duchoze
 

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3 janvier 2025 5 03 /01 /janvier /2025 06:47

Documentaire réalisé par Raoul Peck  (2024 France Etats Unis)

 

 

Festival de Cannes 2024 Oeil d'Or (prix du meilleur documentaire)

Ernest Cole, photographe sud-africain, a été le premier à exposer au monde entier les horreurs de l'Apartheid. Son livre House of Bondage, publié en 1967 alors qu'il n'avait que 27 ans, l'a conduit à s'exiler à New York et en Europe pour le reste de sa vie, sans jamais retrouver ses repères. Raoul Peck raconte ses errances, ses tourments d'artiste et sa colère au quotidien, face au silence ou la complicité du monde occidental devant les horreurs du régime de l'Apartheid

Ernest Cole photographe

Un travail colossal : à partir de milliers d’images, du livre House of Bondage,  de textes,  du témoignage du neveu  et d’archives filmées (puis la découverte dans une banque suédoise de 60 000 négatifs en 2017) Raoul Peck va « reconstituer » l’itinéraire de celui qui « fut le premier à exposer au monde entier les horreurs de l’Apartheid » contraint à l’exil en 1967. Aux USA même s’il fréquente d’autres exilés (Miriam Makeba) s’il travaille un temps pour le New York Times il sera en proie à la solitude fondamentale, au taedium vitae, suspect quand il photographie les formes les plus patentes du racisme américain à l’encontre des « Noirs » (cf les lois Jim Crow) et surtout quand il les met en parallèle avec l’apartheid… Meurtri à jamais! Une fin plus que tragique ; solitaire clochardisé mort à 50 ans d’un cancer du pancréas…


Le documentariste a opté pour une voix off (la sienne ?) à la première personne comme s’il s’agissait d’une autobiographie post mortem ; et de fait la raucité de cette voix, la récurrence du lamento (l’exil et la douleur du never more ), les questionnements -qui sont autant d’accusations de tous les pays complices de l’apartheid- dont la violence éclate dans ces photos (prises très souvent à hauteur d’homme comme pour éviter de se « faire prendre ») peuvent corroborer une telle illusion : l’œuvre d’un « survivant » …Une telle approche immersive rompt ainsi avec les interviews face caméra où chaque intervenant dira son « point de vue » contribuant à cette fâcheuse atomisation du propos  (une exception ici l’interview du neveu) Mais surtout ce « je » censé être celui du photographe et du citoyen penseur que fut Ernest Cole, n’est-il pas aussi par extension celui du réalisateur lui-même haïtien d'origine et celui du spectateur ?  Personne ne regarde le ciel à New York. »  cette remarque d’Ernest Cole se superpose aux images de Soweto (tout comme Raoul Peck est hanté par la mort de ses frères en Haïti…) l’exil vous ronge… et l’apartheid ne sévit-il pas  encore au XXI° siècle? sous d’autres formes certes mais qui n’en sont pas moins humiliantes déshumanisantes pour les victimes …


Raoul Peck va « réinventer » des cadrages en jouant sur les valeurs de plan ; il peut agrandir un détail avant de le replacer dans le format original ou le juxtaposer avec d’autres images (grâce  aux split screens et mosaïques) il passe du noir et blanc  (statique mais avec l'illusion du mouvement) à la couleur (pour des images et films d’archives).  Ce faisant il met à la fois en évidence et en perspective le travail d’Ernest Cole photographe-reporter obstiné, et sa « trajectoire » d’homme apatride à jamais blessé 


Ernest Cole photographe :ou le « devoir de mémoire »

 

Colette Lallement-Duchoze
 

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2 janvier 2025 4 02 /01 /janvier /2025 12:11

De Luigi Comencini (Italie 1969) version restaurée

 

avec Philippe Leroy, Paola Pitagora, Sara Franchetti, Giorgio Piazza 

Argument: Une dame âgée, qui avait souscrit à une assurance vie, meurt dans des conditions suspectes. Nanni Brà (Philippe Leroy), fonctionnaire de la compagnie d’assurances, est missionné pour tirer au clair les causes du décès. Il rentre en contact avec la famille et se rapproche de Cinzia (Paola Pitagora), l’une des filles de la défunte. Leur relation va prendre un tour inattendu.

Sans rien savoir d'elle

"un giallo atypique et méconnu, signé Comencini, qui superpose intrigue policière et histoire sentimentale dans un jeu de la vérité au final inattendu." C’est ainsi que La Cinémathèque ( qui consacre une rétrospective à Luigi Comencini du 9/01/25  au 3/03/25 )  présente ce film 

 

Et de fait mêlant plusieurs genres le film débute comme un « polar » (enquête, filature savoureuse, proie énigmatique… difficile à saisir) se prolonge comme une romance romantique avec inversion des rôles (le prédateur devenu proie, les promesses les clichés du discours amoureux revisités) et se termine en tragédie.  

Bien plus  l’entremêlement des  "genres" s’apparente  très vite à un brouillage, ce qui ne peut que séduire…Le réalisateur brosse parallèlement un portrait de femme magistralement interprété par Paola Pitagora. Si l’on ajoute l’élégance de la mise en scène, la musique de Morricone (dont cet Ostinato  leitmotiv lancinant telle une ritournelle)  l’audace de certains cadrages, l’auscultation de la société milanaise (en harmonie d’ailleurs avec l’atmosphère brouillardeuse de certaines séquences en extérieur) on est étonné d’apprendre que ce film ne soit pas sorti en France en 1969…(et comme le rappelle le générique au début c'est grâce aux Films du Camélia  à partir d’une copie neuve fraîchement restaurée par la Cinémathèque de Bologne que ce film fut exhumé...

 

Jeu constant de masques, changements de tonalités (aux simagrées aux calculs doucereux succèdent des propos aussi « violents » que le ton )  et que lit-on dans le regard de « l’accusée » et que signifie sa propension à battre sa coulpe ? sa versatilité ? son art de « renverser » la situation ? 
 

Jeu de rôles aussi sur le vaste échiquier qui représente le théâtre des sentiments 
 

 

A ne pas rater

 

Colette Lallement-Duchoze

 

Séances Omnia vendredi 17h15, samedi 11h, dimanche 17h15 mardi 15h45

 

 

 

Sans rien savoir d'elle
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30 décembre 2024 1 30 /12 /décembre /2024 14:08

De Nabil Ayouch (Maroc 2024) 

 

avec Nisrin Erradi, Joud Chamihy, Jalilan Tiemsi 

 

Présenté au festival de Cannes 2024 (Cannes Première)

 

Festival d'Angoulême 2024

 

Argument: Touda rêve de devenir une Cheikha, une artiste traditionnelle marocaine, qui chante sans pudeur ni censure des textes de résistance, d'amour et d'émancipation, transmis depuis des générations. Se produisant tous les soirs dans les bars de sa petite ville de province sous le regard des hommes, Touda nourrit l'espoir d'un avenir meilleur pour elle et son fils. Maltraitée et humiliée, elle décide de tout quitter pour les lumières de Casablanca.

Everybody loves Touda

Certes la prestation de Nisrin Erradi (qui interprète Touda) est exemplaire.  Certes le cinéaste (avec sa compagne Maryam Touzani) continue à explorer disséquer la société marocaine en s’intéressant aux femmes combattantes et à toutes les entraves qui les corsètent les musèlent comme autant de freins à leur liberté. Et l'on sera une fois de plus sensible au chatoiement très sensuel des ambiances nocturnes ainsi qu'aux diktats qu'imposent ces relents de patriarcat éhonté. Dans "everybody loves Touda"  un cas unique tant il  se veut exemplaire, celui d’une jeune femme  (Touda) qui a toujours rêvé d’être chanteuse  mais dans  la tradition des cheikhas Nous la suivons dans les différentes étapes de ce parcours qui souvent s’apparente à un calvaire (ce dont témoigne le prologue; cette scène liminaire d’une violence insoupçonnée, le viol…une scène qui d’ailleurs encode tout le film : réaliser un rêve (et particulièrement devenir cheikha, autrefois adulée honnie aujourd’hui), c’est mettre tout son être en danger … 

 

Le cinéaste cherche à mener de front deux thématiques  en entrecroisant deux fils narratifs : la volonté d’émancipation de son « héroïne » et un état des lieux du paysage musical marocain. Or en ce qui concerne le premier objectif (largement développé) nous assistons à quelque chose d’assez convenu répétitif qui met en exergue la témérité quasi inébranlable de Touda (le titre du film n’en sera que plus ironique…  ) Le « classicisme » de ce parcours fait d’espoirs et de désillusions est accentué par les métaphores ô combien faciles des « montées »et « descentes »  et des « ascenseurs » … Ajoutons le handicap de l’enfant (un fils sourd et muet) que Touda élève seule, et l’on n’est pas loin de verser dans le mélo…

Quant au second objectif écrasé par le premier , il reste à l'état de balbutiement..

quid de la force révolutionnaire de la aïta ?(le CRI)  chantée par ces femmes qui parlent haut et fort pour résister dénoncer ?  

 

Impression plus que mitigée…

 

Colette Lallement-Duchoze
 

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Ce blog est destiné à collecter nos ressentis de spectateurs, à partager nos impressions sur les films (surtout ceux classés Art et Essai).

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