D'Igor Minaïev (1995 France Russie) version restaurée
avec Isabelle Huppert, Boris Nevzorov, Macha Lipkina
Film d'auteur, inspiré de la nouvelle d'Evgueni Zamiatine, (découverte par Isabelle Huppert), produit par Toscan du Plantier
Petrograd années 1920 . Pour sauver son couple qui se meurt, Sophia propose à son mari Trofim d’adopter Ganka, orpheline de treize ans. L’intrusion de l’adolescente va être encore plus destructrice pour le couple.
Voici des plans sur la ville de Petrograd (Saint Pétersbourg) ils servent d’ouverture à un drame qui se jouera dans le huis clos d’une maison. Expressives (par les jeux de lumières les alignements les vues d’ensemble ou les plans plus rapprochés) ces successions d’ambiances auront leur écho dans la séquence de l’inondation (crue dévastatrice de la Neva, tragiques engloutissements) ; inondation et prémices à l’explosion d’une colère refoulée… ???.
L’essentiel donc se passera à l’intérieur d’une maison où Sophia partage le rez-de-chaussée avec son mari bourru, macho intraitable, qui ne lui pardonne pas de ne pas être enceinte…. Intérieur d’une maison et intérieur d’une conscience ?
L’appartement donne sur une courette où Sophia apparait pour la première fois en train de récurer méticuleusement une table à l’aide d’un hachoir .....
Intérieurs cadrés tels des tableaux avec des effets spéculaires -fenêtres miroirs- et des clairs obscurs -pénombre, ombre et lumière, celles de la conscience de Sophia (sagesse étymologiquement…) ses tourments ses hésitations (dont les regards toujours à l’affût sont l’expression ; la lumière blanche qui transformerait son visage en icône contraste souvent avec l’obscurité ambiante ) Une pénombre qui se prête au jeu des ombres ; ombres fantastiques jamais tutélaires, ombres démesurées à peine tremblées et dont la portée se mesure à l’aune du désir vécu sur le mode de la douleur : fantasmer le retour du mari sous les draps ; froissements et masturbations ; mari « volage » ; Ganka victime (enfermée dans ces WC extérieurs elle est la risée d’une bande de chenapans,) orpheline (le père menuisier vient de mourir) employée par Sophia, elle-même victime du « patriarcat ».. Quand, assise face aux flammes de la cheminée Ganka coupe le bois, le gros plan sur la hache est celui d’une caméra subjective…on devine les intentions…. de l’épouse bafouée Sophia
Le silence est le quatrième personnage de ce huis clos à 2 puis à 3, (cf les dîners vus à travers la fenêtre) un silence lourd de ces choses qu’on ne peut dire, faute de mots ( ?) faute de souffle ( ?) faute de …
Omniprésent (de la première séquence dans la cour jusqu’à la crue de la Neva) avec bien évidemment toutes ses connotations (purification et dévastation) le thème de l’eau se double de celui du sang avec les connotations identiques de vie et de mort ; les deux irriguent jusqu’à saturation le « théâtre » d’Eros et Thanatos
Tout cela sur un fond politique juste esquissé (il est question de mobilisation) MAIS dont la bande son -cris fusillades bruits de pistolet- est censée restituer le climat « révolutionnaire »( ?) ; ces cris du « dehors » restent inaudibles -Sophia est obnubilée par ce qui la ravage intérieurement; en revanche dans une église orthodoxe rutilante d’objets cultuels elle assiste à une empoignade qui oppose deux conceptions de la relation église (pope) et croyants, cupidité malsaine et « pieuse » sensiblerie et qui se soldera par le saccage et les vols…
On appréciera la musique d’Anatoli Dergatchev, la photo de Vladimir Pankov et la prestation toute en nuances d’Isabelle Huppert (Bovary éthérée et femme vénéneuse tout à la fois).
En revanche on peut déplorer l’outrance dans la théâtralisation, (acteurs-récitants, déplacements tâtonnants, dans l’espace, lui-même scène et avant-scène devenu) les effets d’insistance (la hache en gros plan, la vulgarité du mari machiste, la force tempétueuse du vent) et l'imperfection du doublage - imposé par/pour cette nouvelle version française ???
L’inondation : un théâtre d’ombres ?
Colette Lallement-Duchoze