31 mai 2025 6 31 /05 /mai /2025 06:59

De Thibault Emin (France Belgique 2024)

 

Avec Matthieu Sampeur, Édith Proust, Lika Minamoto, Toni d'Antonio, Camille Deveyrinas, Patricia Willerval, Vassili Schémann

 

 

Festival du film fantastique de Gérardmer 2025

 

Anx vient de rencontrer Cass quand l'épidémie éclate : partout, les gens fusionnent avec les choses. Cloîtré dans son appartement, le couple doit faire face à cette menace monstrueuse.

Else

La tentation est grande d’apprécier ce film à l’aune d’événements relativement récents Covid et confinement …Mais le film a été conçu il y a plus de 10 ans puis tourné bien avant la Covid.

Une étrange maladie gangrène la planère- en chosifiant  l’animé et l’humain, en les rendant inertes et inversement en rendant vivants le matériel et l'inanimé-,Else (autre). est une fable sur la métamorphose du vivant en général et sur celle d‘un couple en particulier. Moins trash que Cronenberg et ses difformités psychanalytiques, moins fantastique que Mandico mais en insistant comme lui sur la dimension poétique de la "mutation"

Le travail sur les formes, sur la matière (l’organique dans sa gluante viscosité) sur les échelles (comme autant de points de vue sur l’agrandissement ou l’amenuisement) sur les "sons" est assez surprenant (bien que parfois racoleur cf le maillage d’éléments physiques et de tissus, les images numériques ) Et d’ailleurs le passage de la couleur au noir et blanc n’illustre-t-il pas la métamorphose du film lui-même aux allures de film "expérimental" ? 

 Métamorphose et métamorphisme (sens propre : transformation de la roche et figuré déréliction du cerveau des deux personnages) Le spectateur dès le générique était invité à pénétrer dans les folies graphistes d’anamorphoses aux coloris singuliers

La tentation serait grande (aussi) d’imposer telle ou telle interprétation. Fions-nous aux propos du cinéaste "Je voulais aller à l’encontre de cette école du cinéma de science-fiction, occidentale surtout, où se dessine toujours une figure du monstre, l’autre, dont il faut se protéger, qu’il faut détruire…  L’idée que tout fusionne, est présentée comme une menace, car il y a perte d’individualité. Je voulais faire vivre cette peur dans le premier temps du film, puis la dépasser, grâce à cette histoire d’amour, et enfin embrasser cet avenir collectif. Le film serait ainsi une métaphore  "comment on multiplie les connexions pour comprendre l’autre, dépasser l’individualisme pour embrasser l’altérité

Pari réussi ? On peut en douter

La troublante synesthésie et la terrifiante Gorgone côtoient hélas des insuffisances scénaristiques, des gadgets faciles (à commencer par les prénoms) et moult handicaps (sans jeu de mots déplaisant eu égard au "métier" de Cass qui s’occupe d’enfants polyhandicapés) …

 

Colette Lallement-Duchoze

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29 mai 2025 4 29 /05 /mai /2025 07:52

De Kiyoshi Kurosawa (Japon 2024  0h45)

 

Avec  Mutsuo Yoshioka, Selichi Kohinata, T. Tabata 

 

 

 

Dans une école de cuisine un étudiant déclare entendre un bruit étrange dans sa tête, comme un carillon qui résonne. Il est persuadé que la moitié de son cerveau a été remplacée par une machine

 

 

Chime

Un moyen métrage d'une étonnante force suggestive! 

 

Dès le tout début des bruits de fond hors champ - circulation automobile, bourdonnement de ventilateurs et  sifflement d’un métro aérien - créent une ambiance sonore étrange …comme si «quelque chose était en train de se produire.  

L'espace  clos, la salle de cuisine,  où exerce Matsuoka,  semble contraster avec le milieu urbain,   à peine esquissé (rue étroite, passage régulier d’un train)  ou au contraire froid et aseptisé n'est-il pas l'écho du vide quasi sépulcral de la ville ?  et de ce fait il participe de et à l’angoisse d’une imminente apocalypse ( ?).

A la relation maître-élève, relation d’autorité, (le maître balaiera d'un geste dédaigneux les angoisses de l'étudiant souffrant d'une hyperacousie.. mortifère, ou plutôt dont  le cerveau serait pour moitié remplacé par une machine .)   répond en écho le face à face Matsuoka/employeur pour un contrat d’embauche (le professeur tente de décrocher un poste dans un restaurant dédié à la gastronomie française). Un autre lieu où évolue le personnage celui de l’intime, de la famille (mais où chacun des trois protagonistes est comme étranger à l’autre) est en fait un espace où la règle semble le dérèglement…- là où chacun s’enferme dans la répétition mécanique  de ses "obsessions" 

L’horreur banalisée (un meurtre commis sans  état d'âme...)  est traitée tel un haïku (plans fixes souvent, contexte dépouillé, mutisme de certains personnages, profondeur de champ ressentie comme une menace) Des images spécifiques révélatrices de comportements particuliers qu’une partition sonore va progressivement investir, mettent le spectateur en état d’alerte permanent.

Voici des ustensiles -couteau poêles à frire- que le cadre (sans recourir au gros plan) parvient à brandir telle une menace…climat anxiogène. Voici une séance de "découpage" de poulet (la bande-son la rend sinistre). Voici des sacs plastique emplis de canettes (image de la surconsommation ?) que l’épouse déverse régulièrement, et le bruit métallique grinçant va s’amplifiant en dehors de l’image qui le sous-tend.(il en va de même pour ce cliquetis que provoque l’objet métallique trituré par le fils)  Le comportement de Matsuoka, quant à lui d’abord bienveillant (?) avec ses élèves, étonnamment volubile avec son futur employeur, et silencieux dans l’intime, se fait de plus en plus distant incompréhensible comme s’il épousait à son insu les dissonances d’un monde "déréglé" (en ombre chinoise -fantasme ou réalité ? -  un homme brandit un couteau sur sa voisine de table ; lui-même commet l‘irréparable après avoir assisté au suicide de son élève, - comme si le tintement du carillon obsédant était "contagieux";   à un moment sa course de plus en plus rapide, comme pour échapper à l'ennemi invisible, course  qu’accompagne le carillon des grillons,  sera frappée d’inanité…)

 

Alors peu importe que le mystère du carillon (chime) ne soit pas élucidé 

Le réalisateur a su en extraire le malaise profond! grâce à cette inquiétante étrangeté sonore

 

 Colette Lallement-Duchoze

Film précédé du court métrage INN , film d'animation américain réalisé par Zion Chen  mettant en scène une histoire de  fantômes chinois, une  odyssée au pays de l'étrangeté

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27 mai 2025 2 27 /05 /mai /2025 13:29

De Will Seefried (G-B 2024)

 

Avec Fionn O'Shea (Owen) Robert Aramayo (Philip) Erin Kellyman (Dorothy) Louis Hoffmann (Charles) 

 

 Festival international du film de la Riviera italienne de Sestri Levante (6-11 mai) 

Dans l'Angleterre des années 1920, un romancier homosexuel et son infirmière psychiatrique se lient d'une amitié improbable au cours d'une série de « rendez-vous » prescrits par le médecin. Au fil de leurs conversations, il se confie sur l’histoire de la relation qu’il entretenait avec un ami de longue date. Cette liaison a basculé lorsque les deux hommes ont eu recours à une méthode à haut risque, destinée à se guérir des sentiments interdits qu'ils éprouvaient l'un pour l'autre

Les Fleurs du silence

Le film s’ouvre sur un rendez-vous entre une infirmière (Dorothy) et un « malade »(Owen) De quoi souffre ce patient ? d’homosexualité… Et parmi les thérapies, il existait dans l’Angleterre des années 1920 des simulations de rendez-vous « galants » - Mais on pratiquait aussi ablations et greffes, celles recommandées par le physiologiste autrichien Eugen Steinach -cité dans le générique de fin- Pour son premier long métrage Will Seefried s’inspire ainsi de ces faits réels. (et Philip, interprété par Robert Aramayo, médecin homosexuel et homophobe, bien après l’intervention clame sa reconnaissance (tu m’as sauvé la vie…en clair tu m’as débarrassé de mes amours coupables …grâce à la greffe d’un testicule « sain »)

Comment commence l’histoire ? s’enquête Dorothy Le parcours qui a conduit Owen de sa vie  à la campagne jusqu’à cet hôpital est évoqué par des flash-back -comme autant de sauts antéchronologiques- intercalés avec ce présent. Ce va et vient constant crée une dynamique interne qui se double d’un contraste saisissant entre les douceurs de l’idylle et le sordide de l’hôpital, entre une nature enchanteresse et la morbidité des lieux de « guérison », entre les couleurs pastel et le vert gris  Le montage privilégie certains raccords afin d’assurer la fluidité de la narration (fluidité scandée par la récurrence de certains objets -machine à écrire, piqûre, par les jeux des lumières artificielles ou non par les rencontres avec l’infirmière) mais aussi par ces mises en parallèle sous forme d’échos intérieurs (la danse, le plaquage au sol dans la cellule et celui dans le bar suite à une arrestation) on ne duplique pas mais on accentue la portée symbolique (hormis l’éden fleuri, quel que soit le lieu où il évolue, l’homosexuel subit opprobre et damnation) A cela s’ajoute la partition orchestrale signée Theodosia Roussos (cordes, piano, harpe et une présence vocale), qui épouse tantôt la féerie de l’amour charnel tantôt la plongée dans l’horreur

Dans un univers bucolique, une chaumière-cottage ! Les couleurs pastel (typiques de certaines photographies et de certains tableaux) s’emparent du corps des amants - carnation blanchâtre et ouatée. Les séquences amoureuses sont traitées avec cette délicatesse sensuelle qui exclut tout voyeurisme, la quiétude des échanges (entre Owen et Philipp entre Owen et Charles) valorise la chair en offrande. Elans oblatifs et cri primal de la jouissance. Auxquels s’opposent les gestes saccadés et cruels du personnel soignant (cf la séquence de maltraitance dans l’escalier ou les propos si dédaigneux du médecin chef)

Si le film décline trois manières de vivre son homosexualité - incarnées par Philipp Owen et Charles -, on peut certes déplorer quelques complaisances  (choix esthétisants dus au parti pris formel), la perversité de Philipp (ne pas spoiler…) et des invraisemblances .

A l’antépénultième du récit, Dorothy souhaite une fin  heureuse 

 Et voici qu’une constellation de fleurs envahit l’écran

l’enveloppe corporelle d’Owen disparaîtra sous ce linceul 

 

Un film plaidoyer que je vous recommande

 

Colette Lallement-Duchoze


 

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26 mai 2025 1 26 /05 /mai /2025 13:17

D'Altor Arregi et Jon Garaño (Espagne 2024)

 

avec Eduard Fernandez, Nathalie Poza, Chani Martin

 

Présenté à Venise Section Orizzonti

 

Prix Goya du meilleur acteur pour Eduard Fernandez

Militant anarchiste, Enric Marco fut aussi, entre 2003 et 2005, président de l’Amicale de Mauthausen regroupant les survivants espagnols des camps nazis. Il prétendait avoir été interné au camp de Flossenbürg et témoignait régulièrement de son expérience dans les écoles et autres lieux destinés à conserver et à transmettre la mémoire de la seconde guerre mondiale. Un historien rigoureux et un peu pugnace, Benito Bermejo, découvrit qu’il était, en fait, parti volontairement en Allemagne en 1941 pour y travailler et n’avait jamais été prisonnier dans un camp de concentration. Il fut même découvert qu’il avait tenté de prendre l’identité d’un véritable déporté, authentique résistant, Marco va se battre alors pour maintenir sa version alors que les preuves contre lui s'accumulent

 

Marco, l'énigme d'une vie

"Je n’ai jamais fait de mal à personne

Ça n'a jamais été une question d'argent

Tu es sûr que ça s’est passé comme ça ? (question de l’épouse)

 

Un homme qui s’invente une vie, un homme qui persiste dans le mensonge après la découverte de son imposture telle serait la face évidente de ce film ; mais l’essentiel serait peut-être ailleurs -quand bien même le plan initial - atmosphère embuée, décor planté pour une « reconstitution » peut se lire comme la métaphore de la « fabrication » du mensonge (?) A l’heure des fake news, des mensonges réitérés en haut lieu (même dans les prétendues démocraties…occidentales..) mensonges relayés abondamment par certains médias, à l’heure des falsifications (ah le recours au storytelling) ce film est le bienvenu! 

Voici une énigme à « décortiquer » et l’on comprend que ce qui est « montré » n’est jamais sûr et ce qui est dit l’est trop. La dynamique interne  de ce film qui est aussi sa « progression » est à chercher dans les effacements progressifs. (bien plus que dans l’enfermement tenace et habile dans le déni). Le choix de la fiction plus que du documentaire (avec toutefois quelques images d’archives) et le choix de l’acteur (redoutable et remarquable Eduard Fernández) donnent de l'épaisseur  au texte, dont les deux cinéastes s’inspirent L’Imposteur de Javier Cercas, 

Un défilement où chaque séquence opère tel un masque, où chaque plan serait moins une mise en abyme (un acteur qui interprète un personnage jouant un rôle) qu’une mise en doute (même si çà et là un zoom, un travelling ou des effets spéculaires accentuent la portée du procédé fictionnel). L’affrontement (face à face) entre l’imposteur et le découvreur du mensonge oppose -du moins en apparence - la froideur rigide de l’historien à l’habileté rhétorique du mythomane mais le jeu de l’acteur - Chani Martin non démonstratif- en décuple la perspective. Y contribue également l’attention portée aux détails, aux ombres et lumières indirectes (quand Marco s’éclipse du lit conjugal, -ombre portée alors que le visage de l’épouse est dans la lumière, quand il ne peut affronter les récriminations de sa fille, quand il fait un faux en signature -la pointe acérée de la plume comme outil de propagande, censé  effacer la preuve accablante   L’étau s’est resserré et pourtant l’imposteur règle encore ses comptes avec l’histoire sans battre sa coulpe…

L’approche ne sera pas morale (moralisante moralisatrice);  c’est une interrogation sur la façon dont on utilise l’histoire une mémoire -comment on parvient à la profaner

Un film que je vous recommande

 

 

Colette Lallement-Duchoze

 

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24 mai 2025 6 24 /05 /mai /2025 06:22

De Konstantin Bojanov (Suisse France Bulgarie 2024)

 

avec Anasuya Sengupta,  Omara Shetty, Auroshikha Dey Rohit Kokate Kiran Bhivagade Tanmay Dhanania Mita​ Vashisht​

 

Festival de Cannes 2024 Un Certain Regard

Prix d'interprétation féminine 

 

Présenté en avant-première le 25 avril 2025 à Rouen (festival LGBTQIA+)

Nadira s'échappe, au milieu de la nuit, d'un bordel de Delhi après avoir poignardé à mort un policier abusif. Elle trouve refuge temporairement dans une communauté de travailleuses du sexe Devadasi, où elle prend le nom indien de Renuka. Elle y tombe amoureuse de Devika, une jeune fille de 17 ans émotionnellement fragile. Leur lien se transforme en une romance interdite. Ensemble elles entreprennent un voyage périlleux pour échapper à la loi et se frayer un chemin vers la liberté

The Shameless

Un mélange assez explosif de sexe drogue homosexualité dans le monde de la prostitution indienne, Le premier tableau donne le ton : Nadira « caresse » la lame d’un couteau ensanglanté, sur un lit git le corps d’un homme …nu, corps inerte d’où s’échappent des filets de sang …Prologue.

Fuite Vers le nord de l'Inde. Et nous voici plongé dans l’univers des devadasis — jeunes filles consacrées à une divinité, puis livrées à la prostitution rituelle.  Nadira sera Renuka

Le film réalisé par le Bulgare Konstantin Bojanov (rappelez-vous Avé 2012) frappe par le contraste entre l’abondance de ses couleurs chaudes (dont le rouge) et le sordide (thématique glaçante et séquences nocturnes) mais ne verse pas pour autant dans le misérabilisme (quand bien même la caméra nous introduit dans des venelles ou des intérieurs glauques). Un fil conducteur , la fuite,  qui rappelle certains codes du thriller- (la fuite et ses multiples déclinaisons); le tempo est assuré par l’alternance entre la violence du contexte social (hommes tout puissants, rôle des maquerelles, corruption des élus,) les cris coups de gueules et l'apparente "douceur" d’une romance -relation entre Renuka, la femme insolente, une marginale, un électron libre – mais …au corps enchaîné broyé par le système- et la jeune Devika (qui a évité jusque-là un mariage arrangé)

Un film oppressant souvent ce que renforcent filtres plans fixes thématique récurrente du feu ambiances de huis clos crépusculaire ou nocturne et si le viol et l’avortement sont relégués hors champ, ils gagneront en force suggestive…

Peut-on échapper à ce monde? A son implacable déterminisme? Un espoir qui anime les deux femmes admirablement interprétées par Anasuya Sengupta, et Omara Shetty, La première voix rauque regard vif, la seconde regard effarouché, délicate torpeur et toutes deux s’opposent à la mère (Auroshikha Rey) une travailleuse du sexe qui reproduit ses propres traumas sur sa progéniture, alors que la matriarche (Mita Vasisht) tente (en vain ?) de libérer sa petite fille du poids si accablant des déterminismes (ses silences et ses mensonges -formes illustratives de son dilemme- en font un personnage attachant)

On peut déplorer une forme de " surcharge" (le retour de l’ex-ami tueur à gages vers la fin, l’insertion de "visons" par trop insistantes -dont ce drap maculé de sang) Certains spectateurs refusent d’emblée la relation lesbienne entre une femme mûre et une jeune fille de 17 ans  (relation « malsaine » toxique)

Cela étant The Shameless n'en reste pas moins un film ô combien singulier …que je vous recommande !

 

Colette Lallement-Duchoze

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19 mai 2025 1 19 /05 /mai /2025 12:07

De Lofti Achour  (Tunisie France 2024)

 

Avec Ali Helali, Wided Dadebi, Yassine Samouni , Younes Naouar,  Latifa Gafsi, Jemii Lamar

 

Première mondiale au Festival de Locarno 2024

Sélectionné dans plus de cinquante festivals, il a remporté à ce jour plus de quinze prix dont le Tanit d'Or de Carthage et le Yusr d'Or au Red-See film en Arabie saoudite.

Des hommes attaquent deux jeunes bergers et obligent Achraf, 13 ans, à apporter la tête de son cousin Nizar à la famille comme un message macabre. Tentant de ne pas devenir fou, Achraf s’aperçoit que le fantôme de son cousin est bien décidé à l’accompagner. Face à ses aînés désemparés, Achraf est déchiré entre son désir de s’accrocher à Nizar et son devoir de les guider pour récupérer le corps.

Les enfants rouges

Le cinéaste s’est inspiré de faits réels : en novembre 2015, un jeune berger est décapité  par un groupe de jihadistes qui obligent le cousin à rapporter la tête à la famille…  (18 mois plus tard un sort identique sera réservé à un des frères du disparu, ce que rappellera le générique de fin). Une tragédie qui a tétanisé la Tunisie ; une tragédie qui restera à jamais dans les mémoires des Tunisiens

Lofti Achour ne montre pas les assassins : l’horreur est suggérée dès le prologue, par ce contraste si saisissant entre la joie de vivre et l'épouvante ; un décor somptueux dans son aridité même (saluons la prouesse du chef op Wojciech Staroń) ; un soleil ocre qui dévale sur des collines et des monts , des lacets qu’arpentent les deux jeunes bergers; même si dans la lumière pointe la menace des mines antipersonnel ou/et la présence insidieuse de l’ennemi ; une pause, un bain, avant que soit broyée  cette complicité ; une frayeur tétanisante dans un silence qui hurle … le jeune Achraf (Ali Helali) découvre l’innommable ! 

Le film va adopter son point de vue, mettre en évidence l’impact psychologique dû au  trauma. Nulle afféterie dès lors dans le recours au fantastique ou à l’onirisme. Car le film est avant tout un film sur l’enfance  affirme le cinéaste Ce garçon est dans un moment de choc. Il y a une forme de confusion dans sa tête, il n’a pas encore assimilé la mort, il ne sait pas ce que c’est. C’est en fait un apprentissage de tout ça, mais qui se fait dans une forme de douceur aussi et non pas dans la dureté et on peut aisément lire, voir entendre ce film comme un hymne à la jeunesse tunisienne qu’incarnent   Nazar Achraf et Rama. Toutes les séquences de caméra subjective qui mêlent souvenirs "heureux" , visions du disparu,  concourront à brosser le portrait d’une jeunesse sacrifiée et meurtrie (à la question as-tu souffert le cousin vu en rêve, répondra moins que toi  ) mais qui résiste et s’affirme (cf au final le sourire d’Achraf, la course de Rama et ce galet porte bonheur) 

On pourra toujours reprocher au réalisateur une tendance à la théâtralisation (nous assistons  à une tragédie à l’antique avec ses théories, ses gestes ritualisés, ses chœurs et cet orage qui gronde telle une ordalie). une tendance à l’esthétisation (le frémissement d’un paysage, le tremblé de rideaux, ou de mains qui se cherchent…) ou encore la symbolique appuyée du rouge (qui parfois envahit l’écran)

Mais ces choix ne sauraient altérer le propos "être « rouge, c’est être vaillant, résilient, capable de faire face à l’adversité … Et c’est en cela précisément que réside la force poignante émotionnelle du film

 

Colette Lallement-Duchoze

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18 mai 2025 7 18 /05 /mai /2025 07:52

De  Christopher Andrews (Irlande G-B 2024) 

 

Avec Christopher Abbott (Michael) Barry Keoghan (Jack) Colm Meaney (le père de Michael) , Nora-Jane Noone (Caroline) 

Michael O'Shea vit avec son père vieillissant dans une ferme de la campagne irlandaise où il élève un troupeau de brebis et de béliers. Son pâturage, à flanc de colline, est situé non loin de la maison de Gary Keeley, de sa conjointe Caroline et de leur fils Jack. Un jour, Michael reçoit un appel de Jack pour l'informer qu'il a retrouvé deux de ses bêtes mortes sur sa propriété. Méfiant, O'Shea se met à soupçonner les Keeley de lui voler son bétail pour le revendre au marché.

Le clan des bêtes

Film étrange ! Autant dans la première partie les raccourcis, les ellipses, le mutisme, le primat accordé à la violence -dont le prologue serait la matrice - (ré)sonnent tel un uppercut autant le même mais vu sous un autre angle (le cinéaste adopte brutalement le point de vue de Jack, après avoir suivi Michael) sera beaucoup moins convaincant. (alors que le jeu des deux acteurs est magistral; on avait vu Barry Keoghan en père "immature" dans Bird )

Reprenons. Un prologue au rythme époustouflant, à la violence contenue qui ira s’amplifiant après la déclaration de la mère « je quitte ton père» « ralentis Michael » et l’embardée mortelle ; le chauffeur que la caméra n’aura pas montré (à l’arrière se trouvait sa petite amie … ) vient de tuer sa mère. Musique percussions. Ellipse

Michael x années plus tard… Toujours rongé par la culpabilité il s’est enfermé dans un silence de plomb ; il accomplit, servile, les desiderata de son père handicapé qui éructe son autoritarisme. La caméra le suit dans ses courses, dans ses hoquets, ses indécisions ou au contraire dans ses vengeances terribles. Victime et bourreau. Et les contrastes entre les vastes étendues de la campagne irlandaise et les intérieurs, les oppositions graduées du diurne et du nocturne, les effets de lumière, le bruitage (qui assimile la voix "humaine" aux lamentations d’animaux agonisants) les querelles (paroles comminatoires gestes belliqueux, vindicatifs) avec le voisin Gary (père de Jack et mari de Caroline) tout dans cette première partie est traité avec maestria

Adoptant dans un second temps le point de vue de Jack (les similitudes avec Michael sont patentes, attachement à la mère, virilité et virilisme, silence et douleur des non-dits, violence comme seul moyen d’expression, etc..) reprenant le récit à ses débuts, le réalisateur semble accumuler des clichés (jusqu’à celui de Saint Christophe portant le Christ …Mickaël portant son ennemi Jack blessé) ce qui, hélas, loin d’épaissir la narration la dessert, en la délestant de son poids de thriller dramatique et comble de l’ironie le troisième et dernier mouvement (sorte d’épilogue mais sans authentique résolution malgré la triple répétition en forme d’aveu « je suis désolé ») est lui-même entaché (sens figuré) par le symbole de cette main ensanglantée qui aura laissé son empreinte rouge sur le blanc du mur…

Reste comme inviolée une peinture âpre organique viscérale des figures patriarcales dans un coin de l’Irlande  rurale; et que le cinéaste aurait vécues dans sa chair « Les tensions familiales du film font écho à mon propre vécu […] L’histoire retrace mon parcours au cours duquel j’ai pu m’affranchir de mon père et de ma famille», ; reste cette illustration d’une parabole que le cinéaste enfant avait entendue à l’église «Et si le bon berger, après avoir abandonné les 99 brebis pour aller chercher celle qui s’est perdue, revenait et constatait que son troupeau avait été blessé ou massacré ?».

A voir ne serait-ce que pour cette écriture si rêche dans sa roguerie !!!

 

 

Colette Lallement-Duchoze

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16 mai 2025 5 16 /05 /mai /2025 05:19

De Karim Moussaoui (Algérie France 2024)

 

Avec Sammy Lechea, Zar Amir Ebrahimi, Idir Chender, Hamid Amirouche, Nassima Benichou 

 

Présenté en compétition au Festival d'Angoulême 2024

Réda vit chez ses parents dans un quartier bourgeois d'Alger. Il occupe un poste dans la plus grande entreprise d'hydrocarbures du pays dirigée par son père, un homme froid et autoritaire. Sous tous ces vernis apparents, Réda dissimule un mal-être profond. Un jour, le père meurt et un événement inattendu se produit : le reflet de Réda disparaît du miroir.

L'effacement

Comment concilier tradition et modernité ? (dans la société algérienne entre autres) telle était la thématique du très original En attendant les hirondelles .( https://www.cinexpressions.fr/2017/11/en-attendant-les-hirondelles.html  En mêlant plusieurs genres (réalisme cru et fantastique entre autres) en faisant éclater la chronologie (cf le prologue où le fils à l'écart, à l’ombre regarde sur écran une interview de son père en gros plan en pleine lumière et séquence finale en flash back) en refusant des indices traditionnellement attendus, et en évitant les pièges du manichéisme, le réalisateur poursuit ce questionnement dans L’Effacement  mais en insistant sur  "le désarroi de la jeunesse algérienne" à travers l'itinéraire de Reda

Ce personnage sera de tous les plans (le jeu de l’acteur Sammy Lechea est absolument convaincant) Nous allons assister à sa descente aux enfers, --alors qu’était "attendu" un "autre parcours initiatique". Les tableaux se succèdent -Reda et sa relation au père Reda et son frère Faycal, Reda au bureau Reda et sa préparation militaire Reda au reflet  effacé -; Reda et son apparente impassibilité, Reda le taciturne, Reda le mutique. Un rythme assez lent et une métamorphose qui en fait  un être violent , un tueur…La mort du père, les sévices corporels (préparation militaire), se donnent à voir, à lire tels des  traumas …et l’esquisse d’une romance avec une restauratrice (excellente Zar Amir Ebrahimi, vue dans Les nuits de Maashad) apparaissait tel un contrepoint…Mais

Comment la violence s’est emparée de ce jeune algérois, fils d’une famille bourgeoise (le père est PDG de la Sonapeg) promis à un bel avenir  ; tel est bien l’enjeu d’un film qui dénonce entre autres les carcans familiaux,  mais à travers ce portrait (qu’accompagne un prélude de Chopin) le cinéaste fait celui d’une génération qui hélas ne trouve pas sa place dans son pays (le frère Faycal ne fuit-il pas tout autant un père autoritaire auquel il a su résister, que son pays qu’il abandonne définitivement ?) Se soumettre ou partir tel est le dilemme auquel serait confrontée la jeunesse

Les contrastes entre la plénitude ressentie dans la vastitude d’un désert ocre et rougeoyant (avec Malika) et l’absence à "soi-même" - comme à son "propre désir" d’ailleurs – et dont l’effacement, sens propre et figuré, est la métaphore-, la séquence finale, (alors que Reda vient de commettre l’irréparable) flash back sur le « mariage arrangé » - -où le hagard côtoie le festif, , tout cela crée une tension trouble illustrant d’ailleurs le rôle néfaste d’un pays qui aura sacrifié sa jeunesse….

 Mon film ne dit pas autre chose que ce désarroi d’une jeunesse algérienne qui ne trouve pas sa place et l’urgence d’accorder enfin à l’individu le droit de se construire par lui-même

A voir 

 

Colette Lallement-Duchoze

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12 mai 2025 1 12 /05 /mai /2025 13:11

De Kostis Charamoutanis  (Grèce Macédoine 2024)

 

avec Simeon Tsakiris , Elsa Lekakou , Konstantinos Georgopoulos , Afroditi Kapokaki et Elena Topalidou

 

Film d’ouverture de la section ACID  Festival de Cannes 2024

En plein été, Babis, père célibataire, embarque ses jumeaux, Konstantinos et Elsa, sur l'île de Poros pour des vacances en mer. Entre baignades, rires et nouvelles rencontres, une révélation bouleverse leur insouciance : sans le savoir, ils croisent leur mère biologique, disparue depuis leur enfance. Un été où les illusions s'effritent, où le passé refait surface, et où grandir devient inévitable.

Kyuka -avant la fin de l'été

Un récit désynchronisé, qui fait la part belle à certaines audaces formelles (dont une séquence filmée à l’envers) et dont le montage avec ses ruptures de ton (entremêlement d’images vidéo, raccords inattendus) peut rappeler la « géographie » des îles de l’archipel ( ?)  

Le film débute comme un film de « vacances familial » : soleil mer entente entre le père et ses deux enfants (jumeaux) et rappellerait à s’y méprendre ce monde « merveilleux » fait de clichés, ceux  des cartes postales  (une mer d’huile, un bleu azuréen, des corps inondés de lumière et de soleil, une forme de farniente, de « lâcher prise » ) mais …

Les « rencontres »(une femme solitaire attendant un bus, une gamine, sa sœur aînée)  sont-elles le fruit du hasard ? l’art du cinéaste est de donner l’illusion (apparemment seuls le père et le spectateur sont «avertis » la réalité va éclater (pour les deux adolescents) en douloureuse épiphanie et provoquera une rupture (définitive) avec le monde de l’enfance

Certes le film n’échappe pas à certains excès métaphoriques (cf la séquence où le père et le nouveau compagnon de la « mère » miment un duel  entre le pêcheur et sa proie, celle-ci étant la « femme à ferrer » le ton monte puis les visages grimaçants semblent aussi violents d'érubescence  qu’au moment de l’orgasme…mais ....dans un silence assourdissant ; cf aussi les gros plans sur ces poissons qui font la gueule comme le père…Un père prétendu excellent pêcheur et qui est contraint de cuisiner des pâtes…Ou encore la répétition du geste de rejet  -la fille éjecte son père par-dessus bord (le comique de répétition s’est mué en « drame »); ajoutons la musique de Tchaïkovski … dont les strates sonores parfois égarent

Or dès l’exergue   le public était averti La mer est le premier jour de l’été, la lune en est le dernier. et le format de l’image (4,3) avait d’emblée enfermé les personnages comme dans une coque

Oui pour un temps relativement bref le solaire aura maquillé la mélancolie, mais la beauté s’est diluée dans les frictions et rivalités intestines, dans les « pseudo révélations » Apollon et Dionysos, comme au temps de la tragédie antique, la lumière s’estompe l’enfance sera à jamais derrière soi… le père divin menteur ….relégué dans la confrontation avec sa propre  conscience !

A voir

 

 

Colette Lallement-Duchoze

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12 mai 2025 1 12 /05 /mai /2025 05:30

Film documentaire réalisé par Hind Meddeh ( France Tunisie Qatar 2024)

 

 

Présenté en avant-première lors de la 81ᵉ Mostra de Venise en 2024

 sélectionné au FIPADOC 2025,

En avril 2019, après trois décennies de dictature sous le régime d'Omar el-Béchir, le Soudan connaît un bouleversement politique majeur. La réalisatrice Hind Meddeb se rend alors à Khartoum pour capturer l'effervescence et l'espoir qui animent les rues de la capitale. À travers les trajectoires de jeunes militants tels que Shajane Suliman, Maha Elfaki, Ahmed Muzamil et Khatab Ahmed, le film dépeint avec sensibilité les aspirations et les défis de cette génération en quête de changement....jusqu'à ce que la guerre détruise tout, mettant les Soudanais sur les routes de l'exil

Soudan, souviens-toi

En France on parle peu de la guerre au Soudan

A la mémoire oublieuse la réalisatrice va rappeler l’immense soulèvement de 2019, (qui a duré plus de 50 jours et a mis fin à une oppression de 30 ans) rappeler sa sanglante répression par les FSR (forces de soutien rapide) mais surtout saluer la vaillance d’une jeunesse militante et insurgée. Elle a choisi une forme qui rappelle  l'épistolaire, en s’adressant (voix off) à deux jeunes femmes soudanaises avec lesquelles elle a cheminé durant quatre ans, Shajane et Maha et dans l’interpénétration des voix, de ces réponses à l’imparfait se dessine en creux cet immense espoir (malgré tous les malgré). Surtout ne pas s’attendre à un documentaire sur la guerre avec images d’archives commentaires attendus interviews en bonne et due forme. Le générique de fin égrènera les terribles chiffres (nombre de morts d’exilés de déportés de victimes de la famine)

Nous allons assister à une triple révolution (qui d’ailleurs structure ce long métrage) :féministe (rôle si éminent des jeunes filles et jeunes femmes insurgées, la fin de la dictature signifiant la fin d’une oppression dont elles furent les  premières victimes) poétique (poèmes/harangues face aux instruments génocidaires) et politique (quand les rêves -d’émancipation- individuels deviennent des revendications collectives…) Un élan de beauté face au mal absolu (dit la réalisatrice interviewée sur Arte 28 minutes https://www.arte.tv/fr/videos/126747-001-A/soudan-souviens-toi/

Lents travellings sur les fresques murales qui rendent hommage aux martyrs : en écho après la répression sanglante travellings sur les corps morts ou agonisants au sol ; une fenêtre comme ouverture sur la tragédie et l’Espoir alors que nous entendons la voix de la réalisatrice qui commente ou s’adresse à …

Révolution de 2019 coup d’état de 2021 guerre actuelle ; la réalisatrice a fait siennes des images prises par les manifestants sur leurs téléphones. Souvent dehors dans les rues avec les manifestants eux-mêmes,  parfois en surplomb elle nous montre des chars de guerre alors que nous entendons au loin des tirs. Nous serons à l’écoute de Muzamil, Khatab, Maha, Shajane et tant d'autres  témoins galvanisés par l’espoir de voir enfin un gouvernement démocratique de paix, d'égalité

 Et si l’art restait un bastion imprenable ?(le mot est un être vivant rappelle la cinéaste qui cite V Hugo)

Rester debout ?est-ce encore possible ?  Alors que l’espoir  terrassé,  se heurte aux forces militaires et a conduit nombre de Soudanais à l’exil (dont la « pétroleuse » Maha)

Soudan, souviens-toi, un film « musical » à la force explosive et poétique, à ne pas rater

 

Colette Lallement-Duchoze

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Ce blog est destiné à collecter nos ressentis de spectateurs, à partager nos impressions sur les films (surtout ceux classés Art et Essai).

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