Film américain britannique et hongrois de Brady Corbet (2024)
Avec Adrien Brody, (László Toth) Felicity Jones, (Erzsébet Toth) Guy Pearce (Harrison Van Buren) Joe Alwyn (Harry van Buren), Araine Lebed (Zsófia en 1980), Stacy Martin (Maggie van Buren), Isaac Bankolé (Gordon)
Prix Mostra de Venise 2024 Lion d’Argent du meilleur réalisateur,
BAFTA 2025 (meilleur réalisateur, meilleur acteur, meilleure musique, meilleure photographie)
Oscars 2025 (meilleur acteur, meilleure musique, meilleure photographie)
Fuyant l'Europe des années 40 l'architecte juif hongrois László Toth arrive en Amérique pour y reconstruire sa vie, sa carrière et son couple que la Seconde Guerre mondiale a gravement mis à mal...
Composé de deux parties, (l’énigme de l’arrivée 1947-1952, la quintessence du beau 1953-1960), suivies d’un épilogue (Biennale d’architecture Venise 1980) et que séparait un entracte de 15’ (une photo fixe alors que défile le compte à rebours, telle une bombe à retardement ?) ce film tourné en Vistavision (procédé de défilement horizontal de la pellicule 35 mm) auréolé de nombreux prix a suscité un engouement tel que l’égratigner serait frappé de suspicion… Et pourtant !
Certes le plan séquence introductif va encoder partiellement (et magistralement ?) le film Voici une caméra comme collée au dos d’un personnage (on pense au Fils de Saul) qui tente de s’extraire du chaos ambiant, traversant des couloirs aux couleurs sombres, sans profondeur de champ, puis à l’avant du bateau, sur le ponton, il émerge vers la lumière alors que s’impose à son regard la statue de la Liberté …à l’envers… Tout cela accentué par la musique de Daniel Blumberg.
Le prologue ou les prémices d’un cauchemar ? Effondrement du « rêve américain » ? Oui le parcours de cet architecte hongrois (qu’incarne avec maestria Adrien Brody), formé au Bauhaus, rescapé des « camps de la mort » censé se « reconstruire », se doublera d’une « déconstruction » quasi méthodique des Etats Unis triomphants de l’après-guerre.
Mais autant la première partie qui s’attaque soit frontalement soit de façon biaisée aux traumas de la Shoah (dont l’impuissance sexuelle), aux difficiles conditions de vie et survie de l’immigrant sur le sol américain, aux espoirs d’une reconquête de soi, aux jeux de pouvoir du capitalisme triomphant (incarné tant par le père faussement débonnaire que par le fils trumpien avant l’heure) serait assez convaincante autant la seconde partie verse dans le didactisme « facile » (lequel va culminer dans un épilogue théâtral …discutable)
Autant l’alternance entre les séquences au rythme rapide (excavations, chantier aux silhouettes quasi dantesques, conduites à vive allure, défilements comme ininterrompus) et celles plus statiques (dialogues qui opposent ou confrontent des points de vue) crée une forme de tempo, autant le traitement de toutes les scènes consacrées au sexe ou à la toxicomanie pèchent par un excès de lisibilité au premier degré (pour exemple la scène de viol prétendue métaphore des rapports entre l’art et le capitalisme)
Un film censé s’attaquer à la « mère des arts » l’architecture, à sa forme avant-gardiste, et qui opte pour une forme de classicisme narratif, loin d’un dispositif -attendu ??- plus conceptuel… ? Quand bien même les génériques imitent une graphie stylisée penchée contrastant avec la verticalité du béton, quand bien même la recherche ingénieuse de la lumière préside aux constructions quasi cyclopéennes de Toth (et d’ailleurs la croix inversée qui orne la chapelle ne serait-elle pas l’écho de la Statue du prologue ?) Soit l'alliance entre gigantisme et minimalisme? Pourquoi pas?
Au moins The Brutalist aura-t-il illustré avec plus ou moins de panache (grâce au jeu des trois acteurs Guy Pearce, Adrien Brody, Felicity Jones) à la fois les propos de Le Corbusier l’urbanisme est brutal parce que la vie est brutale et l’affirmation cynique du protestant Harrison Van Buren nous vous tolérons …
Colette Lallement-Duchoze