12 novembre 2025 3 12 /11 /novembre /2025 07:22

De  Thierry Klifa ·(France Belgique 2024)

 

avec Isabelle Huppert, Laurent Lafitte, Marina Foïs, Raphaël Personnaz, André Marcon, Macha Lescot  

 

Festival Cannes 2025 Sélection officielle Hors compétition

Marianne Farrère, à la tête d'une immense fortune, verse des sommes considérables à Pierre-Alain Fantin, un artiste-photographe plus jeune qu'elle. Sa fille Frédérique Spielman voit là un abus de faiblesse et attaque en justice pour mettre fin à ces dons.

ou 

La femme la plus riche du monde : sa beauté, son intelligence, son pouvoir. Un écrivain photographe : son ambition, son insolence, sa folie. Le coup de foudre qui les emporte. Une héritière méfiante qui se bat pour être aimée. Un majordome aux aguets qui en sait plus qu'il ne dit. Des secrets de famille. Des donations astronomiques. Une guerre où tous les coups sont permis.

La femme la plus riche du monde

Ni pure fiction ni documentaire (cf les deux synopsis) le film, ni flamboyant ni franchement terne, s’inscrit dans un genre hybride dont il a du mal à se départir .

D’emblée le spectateur est prévenu : le cinéaste ne s’intéressera pas à l’aspect juridico politique de l’affaire Banier/ Bettencourt affaire dont il s’inspire très librement . Plus sensible aux aspects romanesques -le duo improbable entre une milliardaire et un opportuniste qui dégouline de vulgarité assumée, et la relation mère/fille -,  il inscrit son film dans une pseudo comédie de mœurs dominée par les excès de Laurent Lafitte et la prestation cardinale d’Isabelle Huppert

Or, tout ce qui est rapporté  -jusqu’à certains détails dont la cuisson des asperges- , la séance photo initiale, en passant par le passé antisémite du mari, ou les accointances notoires du père avec les ligues fascistes, l’amitié avec le président Mitterrand ou encore le malaise aux Baléares-,  tout cela renvoie explicitement à un réel vérifiable. Bien plus, le cinéaste incorpore tels des médaillons, les apartés des protagonistes qui, frontalement, dans une fonction testimoniale, disent sans ambages leur version de "l’affaire". Et quand bien même la relation entre la patronne de l’empire des cosmétiques et le photographe gay, est le fil directeur du film, force est de reconnaître que cette relation ne sera pas entachée par les affres du vieillissement, à peine seront évoquées fatigue et perte de mémoire. O cette intemporalité qui transcende la finitude !!.

La femme la plus riche du monde serait bel et bien une "réécriture" de ‘l’Affaire Banier/Bettencourt … Dès lors ne risque-t-on pas de tomber dans un piège ? (on comprendrait mieux grâce à ce film tout ce qu’on n’a pas bien compris avec la presse… alors que …) 

 

Il se présente comme une succession de "tableautins"  où les cadrages, le choix des couleurs,  la position des protagonistes (dans leur appropriation de l’espace) rappellent étrangement le théâtre (dans ses sens propre et figuré,) Un échiquier qui fait la part belle au "fou de la reine" ? Un théâtre de la cruauté dans des lieux édéniques? (intérieurs somptueux de la maison où les objets,  le mobilier,  les tableaux de "maîtres" s’inscrivent dans un quotidien ...assez kitsch et clinquant ; villa sur la Côte avec vues en plongée sur l’immensité d’une mer "toujours recommencée" ; en opposition -ou en parallèle- ambiances enfumées des bars nocturnes gays où Marianne Farrère/Isabelle Huppert et son gigolo Pierre-Alain Fantin/ Laurent Lafitte savourent les effets des "poppers". Théâtre où la signature réitérée de chèques aux montants de plus en plus astronomiques scande la marche vers …ce qui va devenir le  "feuilleton judiciaire"

Il est regrettable que certains interprètes  donnent la fâcheuse impression de  "réciter" (à moins que ce  ne soit une forme de distanciation)  alors que d’autres incarnent avec plus ou moins de panache des stéréotypes  et que Laurent Lafitte par ses excès, surenchère verbale et gestuelle, peine à communiquer la jubilation du manipulateur onctueux (quant à son amant ….)

Impression très mitigée…

 

Colette Lallement-Duchoze

 

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8 novembre 2025 6 08 /11 /novembre /2025 06:28

De Sébastien Demoustier (2024)

 

Avec Claes Bang, Sidse Babette Knudsen, Xavier Dolan Swann Arlaud Michel Fau  

 

D'après le roman La Grande Arche de Laurence Cossé  (2016)

 

Présenté au festival de Cannes 2025 Section Un Certain Regard

 

1982. François Mitterrand lance un concours d'architecture anonyme sans précédent pour la construction d'un édifice emblématique dans l'axe du Louvre et de l'Arc de Triomphe. À la surprise générale, c'est Johan Otto von Spreckelsen, un architecte danois de 53 ans, qui l'emporte. Il est alors propulsé à la tête du plus grand chantier de l'époque. Et s'il entend bâtir sa Grande Arche telle qu'il l'a imaginée, ses idées vont très vite se heurter à la complexité du réel et aux aléas de la politique.

L'Inconnu de la Grande Arche

A cube is a cube 

il n’y a pas de création sans volonté politique.

 

Une perspective (Louvre Arc de Triomphe Défense) ou  le continuum de l’axe royal  ? ce dont témoignerait le plan où le visage du mécène/Mitterrand (Michel Fau) est comme encastré dans la miniature du cube, …transpercé de vide -Une "ligne de fuite" qui inscrit  le film dans une "perspective" à la fois politique et historique? . Le choix du marbre de Carrare (clin d’œil à Michel Ange ?) la façon de filmer la cour qui gravite autour du président (au vibrionnant Subilon interprèté par Xavier Dolan s’oppose l’impassibilité du Maître) confortent cette remarque.

Parallèlement la dynamique du film obéit à une dialectique (plutôt une dichotomie) -construction/déconstruction :  en pénétrant dans les coulisses d’un projet quasi pharaonique Sébastien Demoustier montre quasi simultanément le Cube en cours d’érection et la déconstruction de son concepteur, déconstruction à la fois mentale et psychologique (ses projets ne sont pas respectés, lui-même se sent bafoué, croit en l’existence d’un complot, en réaction il exerce sa violence à l’encontre de sa femme interprétée par Sidse Babett Knudsen)

A la verticalité imposante (celle de l’acteur Claes Bang qui interprète « magistralement » Johan Otto von Spreckelsen) vont succéder la position accroupie (seul dans la cour de l’Elysée il aura attendu en vain, une nuit, le président) puis l’horizontalité du gisant, terrassé, sur un banc public. L’inconnu de la grande Arche miniaturisé pour l’éternité par cette plaque dorée se détachant sur le vert ?  Trois lettres gravées JOS que cherchent en vain l’architecte français Paul Andreu et Subilon…

Un chien gravit seul les marches, tache noire sur fond blanc, présence animale dans un monde déserté par l’humain, espaces minéral et céleste, marches kafkaïennes et abysse sidéral,  diagonales verticales et horizontales ;  tout dans ce plan semble  "résumer" tout à la fois  le travail colossal et sa fausse inanité (juste auparavant le même chien avait léché la main de l’architecte … à jamais effondré)

L'inconnu de la Grande Arche ou comment sculpter une double obstination (celle de l'instigateur et celle de l'artiste) !!!

A voir !

Colette Lallement-Duchoze

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6 novembre 2025 4 06 /11 /novembre /2025 07:14

De Sergei Loznitsa (Europe 2024)

 

Avec Alexandr Kuznetsov (Kornev) Alexander Filippenko (Stepniak) Anatoli Belly (Vychinski)

 

Festival Cannes 2025 présenté en Compétition officielle 

Prix François-Chalais Cannes 2025

Union Soviétique, 1937. Des milliers de lettres de détenus accusés à tort par le régime sont brûlées. Cependant, l'une d'entre elles arrive à destination, sur le bureau du procureur local fraîchement nommé, Alexander Kornev. Kornev se démène pour rencontrer le prisonnier, victime d'agents corrompus de la police secrète, la NKVD. Bolchévique chevronné et intègre, le jeune procureur croit à un dysfonctionnement. Sa quête de justice le conduira jusqu'au bureau du procureur-général à Moscou.

Deux procureurs

Inspiré de la nouvelle éponyme de Gueorgui Demidov (interdite de publication pendant 40 ans elle paraîtra en 2009 après sa mort) le film de Sergei Loznitsa met en scène sous forme d’un conte très théâtralisé (aux accents de documentaire) les ravages dévastateurs de l’engrenage d’oppression, qui bafoue le « droit », pratique impunément l’arbitraire Nous sommes en 1937 époque des grandes purges staliniennes. (Comme le rappelle d’emblée un encart) Ce film se passe durant la terreur stalinienne des années 1930, c’est en réalité un film d’aujourd’hui ; hélas ! ce pourrait être mutatis mutandis non seulement l’apanage des régimes totalitaires mais aussi la « pratique » de prétendues démocraties…

La composition circulaire (au plan d’ouverture sur la porte d’une prison répondra en écho le plan final) la mise en scène épurée, figée, le choix du format, la lenteur du rythme, les plans fixes, les décors blafards (hormis l'épisode du train de Moscou à Briansk), l’aspect dédaléen de la prison ou du palais de justice, avec des huis clos en enfilade, (tout comme le défilé des visages de ces êtres inféodés au système-, mutiques et méfiants) tout concourt à rendre palpable un enfermement sans issue, une atmosphère viciée, un univers carcéral, à l’oppression « codifiée » et à la peur diffuse, antichambre d’une mort….annoncée

Alexandr Kuznetsov (que nous avions vu dans Leto (cf /www.cinexpressions.fr/2018/12/leto.html)  va incarner avec brio la seule figure du "droit"  qui, hélas (malgré la circulation de  formules  telles que  procédure régulière ) n’est plus que cendre (à l’instar de ces lettres de prisonniers politiques dénonçant l’arbitraire et qu’un préposé -figure fantomatique venue d’outre-tombe- est chargé de "brûler" ; flammes, effacement de l’histoire… ). Il oppose une candeur imperturbable et sincère à la duplicité, au soupçon généralisé. Opposition qui culmine dans le face à face avec l’autre procureur (acmé du film) visage hermétique, impassible d’un côté du bureau (le procureur général de Moscou Andrei Vychinski) logorrhée et sourire de l’autre côté au moment où Kornev est persuadé que sa requête est acceptée…

Ironie de la tragédie : Kornev n’est pas un opposant ni un traître, s’il n’a pas connu la Révolution, il est fier d’en être l’héritier. Il incarne une génération d’idéalistes, (or ces personnages sont souvent devenus les premières victimes du régime soviétique. Le temps les a impitoyablement balayés constate amèrement le cinéaste)

Un film à voir certes ; malgré certaines complaisances - les gros plans sur le corps torturé du prisonnier Stepniak l’auteur de la doléance écrite avec son sang par exemple- ou la surenchère démonstrative dans une mise en scène d’inspiration kafkaïenne 

 

Colette Lallement-Duchoze

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4 novembre 2025 2 04 /11 /novembre /2025 04:17

14ème  festival du film fantastique

 

7 et 8 novembre 2025

 

Omnia ROUEN

Festival du film fantastique

Vendredi 7 novembre 

19h30

Diffusion des courts métrages en compétition première partie

21h30

SHOCKER de WesCraven 1989

 

 

Samedi 8 novembre 

19h30

diffusion des courts métrages en compétition deuxième partie

21h30

remise des Piranhas Alien d'Or Prix du jury et du public

22h

EVIL DEAD de Sam Raimi  1981

Festival du film fantastique
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3 novembre 2025 1 03 /11 /novembre /2025 15:43

DU 15 AU 22 NOVEMBRE 2025

LIEUX

 

 KINEPOLIS Centre Commercial Saint-Sever
Bus : Lignes F1 – 6 – 32 - 304 + Noctambus : arrêt Place Saint Sever
Métro : Arrêt Saint Sever
-

OMNIA 28 rue de la République
Bus : Lignes 6, 7 et T1, T2 ou T3, arrêt République
Métro : arrêt Théâtre des arts

 

"Le festival de courts-métrages britanniques This is England a été initié  par le comité de jumelage Rouen Norwich Club. À l'époque, un groupe de passionnés a souhaité créer un pont culturel entre les deux rives de la Manche par le biais du cinéma. D'une poignée de films. montrés à des groupes scolaires au départ, l'événement s'est peu à peu installé dans le paysage culturel et éducatif rouennais, pour proposer aujourd'hui à plus de 20 000 spectateurs (publics et scolaires) une semaine entière de compétition à la mi novembre.

This is England en chiffres, c'est 6 programmes de 90', soient 50 courts-métrages en moyenne, dans des salles de cinéma des 2 rives.

Grâce aux retours toujours plus enthousiastes des invités et spectateurs, le festival accueillera cette année, du 15 au 23 novembre, une soixantaine de professionnels du cinéma venant présenter leurs films (réalisateur.trices, producteur.trices, scénaristes, comédien.nes).

L'occasion rêvée d’échanger chaque soir avec des artistes autour de leurs films et de leur vision libre et audacieuse de la création cinématographique !"

14ème Festival du court-métrage britannique This is England

Voici le nouveau visuel 2025 créé par @jls.phntm, notre talentueux graphiste.

Pour TIE, on casse les codes! Pas de tasse de thé, pas de black cab ni de chapeau melon, tout en subtilité on retrouve le rouge et le bleu de l’Union Jack mais aussi le vert irlandais ou le violet du chardon écossais. Une séance de courts-métrages de This is England, c’est comme l’affiche de Maxime Prieux, des vitamines en tube, de l’énergie en barre, plein d’écrans qui s’ouvrent sur des problématiques variées, un regard sur le monde multiple et toujours en mouvement, et des couleurs qui explosent dans les salles obscures. Et tout cela pour 6/4 euros? On vous attend dès le 15 novembre pour faire le plein d’énergie au milieu de la grisaille hivernale.

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2 novembre 2025 7 02 /11 /novembre /2025 06:50

De Hong Sang-soo (Corée du Sud 2024)

 

avec :Kang So-yi, Ha Seong-guk,  Kwon Hae-hyo , Park Mi-so, , 

 

Festival Berlin 2025

Donghwa, un jeune poète de Séoul, conduit sa petite amie Junhee chez ses parents, aux alentours d’Icheon. Émerveillé par la beauté de leur maison nichée dans un jardin vallonné, il y rencontre son père qui l’invite à rester. Au cours d’une journée et d’une nuit, il fait la connaissance de toute la famille et la nature de chacun se révèle.

Ce que cette Nature te dit

Une œuvre foisonnante une maîtrise revendiquée du "processus" de création cinématographique (cf le générique de fin) -de la réalisation au montage en passant par la musique- un cinéaste plébiscité depuis des décennies... mais par une certaine presse -les entrées restant modestes dans l’hexagone……-Hong Sang-soo a imposé un style "identifiable" et une méthode singulière ; une prédilection pour les "intermittences du cœur", un dispositif resserré, favorable aux discussions, mais en évitant gros plans ou champ contrechamp – pour ne pas installer le spectateur dans le regard de l’un des protagonistes, caméra fixe, peu d’acteurs (5 ici). longs plans séquences dialogués, ’importance accordée aux repas (et à la prise d’alcool) (ainsi tout un chapitre dans ce dernier opus est consacré au repas concocté par la mère de Junhee;  et par trois fois nous verrons les personnages attablés (à l’intérieur de la maison en famille ou au restaurant le poète entouré de son « amie » et de sa future ( ?) belle-sœur). Dans ce film l’échange portera sur la création poétique mais aussi sur les déterminismes sociaux jusqu’à l’emportement violent du prétendu ( ?) "poète"

Une nouveauté l’importance de la voiture, une antiquité de 1996. Elle ouvre et clôt le film. Vu de dos à l’intérieur de l’habitacle puis de profil, le couple -Jun-hee et Dong-wha - semble accomplir un rituel (à la semaine prochaine) de débutants balbutiants. (or leur relation s’inscrit déjà dans la durée ) A la fin, seul au volant après une soirée bien imbibée le poète voit le capot lui désobéir … (ne pas spoiler).

Le récit apparemment linéaire découpé en 8 chapitres, avec une unité de temps, fait advenir cet apparent paradoxe:   abondance des paroles et incommunicabilité notoire Les  "choses" au tout début semblent se mettre en place d’elles-mêmes , sans préparation. Donghwa raccompagne sa dulcinée chez ses parents, il salue le père (Kwon Hae-hyo,) devant la maison, puis entre quelques minutes, avant d'aller  fumer une cigarette dans le jardin, et  accepte l’invitation à dîner …Politesses jusqu’à cette acmé où tout bascule.- s'affrontent deux conceptions de la Vie.. du "métier de poète"  (les deux clans appartenant à une classe moyenne aisée)

Dong-wa un poète minable, raté ? (c'est le jugement sans appel des parents en tête à tête).  Et pourtant ! n’est-ce pas un autoportrait?  détourné, certes .. Lui qui revendique indépendance et simplicité,   lui qui est à l’écoute de la Nature (cf le titre) lui qui préfère regarder le vivant dans le flou (cf il porte rarement ses lunettes avoue-t-il et l’on pense inévitablement à in water In water - Le blog de cinexpressions)

La musique, longtemps absente,  épousera-t-elle  la prosopopée de la nature (ce que cette Nature te dit) par le " truchement" de la poésie ? Au spectateur de décider…

Un film à ne pas manquer !

 

Colette Lallement-Duchoze

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1 novembre 2025 6 01 /11 /novembre /2025 07:16

De Laura  Correira (G-B Portugal 2024)

 

avec Joana Santos, Inês Vaz, Neil Leiper, Ola Forman

 

Festival premiers plans Angers 2025 prix Bouvet Ladubay d’interprétation féminine

 

Aurora, immigrée portugaise en Ecosse, est préparatrice de commandes dans un entrepôt où son temps est chronométré.  Au bord de l'abîme de la paupérisation et de l’aliénation, elle se saisit de toutes les occasions pour ne pas tomber

On falling

Le film s’ouvre sur une théorie d’employés vus de dos -masse compacte déshumanisée- puis la caméra filme individuellement certains d’entre eux en train de pointer avant de passer le tourniquet. Dès lors nous allons suivre le quotidien d’Aurora dans une docu fiction que l’on serait tenté de comparer aux films de Ken Loach,(d’ailleurs sa société Sixteen Films a produit On falling) et dont, alerté par le titre, on attendrait l’inéluctabilité d’une « chute » …

Aurora ! Cette employée d’origine portugaise qui travaille en Ecosse sur une plate-forme d’e commerce est de tous les plans. Picker, munie de son appareil de contrôle - ses pas entre autres sont comptés..- traînant son chariot, elle arpente les allées de cet immense hangar (produits à détecter en rayon puis à scanner avant d’être livrés à travers le monde) Travail répétitif cadence contrôlée solitude abyssale La cinéaste (née en 1994 au Portugal et qui vit en Ecosse) en capte la rébarbative répétitivité jusque dans ses minimes variations Répétition de gestes identiques, à l’extérieur aussi, (en voiture aux côtés de sa compatriote, dans la cuisine d’un appartement en colocation ou dans sa chambre minuscule) comme si le tempo imposé obéissait à un « rite » celui d’une réification (le fond sinon les bas-fonds)

Stressée par la cadence Aurora semble maquiller son désarroi par ce sourire qui illumine son visage ; ou a-t-elle provisoirement du moins  fait sienne une condition déshumanisante -l’esclavagisme des temps modernes ? L’interprétation toute en retenue de Joana Santos n’exclut pas un questionnement. Hors les travées dans l’appartement qu’elle partage entre autres avec un Polonais, on devine que ses revenus ne lui permettent pas de manger « normalement »  les « espaces » dédiés à la cuisine (étagère frigo) sont sinon désespérément vides du moins susceptibles de ne satisfaire que le strict minimum. Et quand elle doit réparer son téléphone portable le seul authentique compagnon de tous les instants, elle est vite démunie financièrement… Aussi accepte-t-elle une bière voire un repas, et même une sortie en boîte…

Ah cette solidarité, cette bienveillance : le colocataire polonais, la compatriote qui après un entretien d’embauche réussi, va retourner au Portugal et souhaite sincère le même sort à Aurora, le gardien du square -et le gros plan sur cette main qui s’agrippe  comme à une bouée de sauvetage dans le silence vespéral a la puissance d’un élixir de vie.., Elle était là gisant à même le sol, masse inerte, celle qui n’avait pas su lors de l’entretien d’embauche « répondre » aux attendus ou qui s’était inventé les plages inondées de soleil des Bahamas, …

La dernière séquence où l’on voit des employés jouer au ballon sur le lieu de travail (la plate-forme est exceptionnellement à l’arrêt…) se prête à une lecture plurielle : les mains et avant-bras comme détachés dans l’espace, filmés en apesanteur, les rires comme nouveau syllabaire, le ballon et son envolée, le ballon captif,  mais à l’instar de cette réunion où avec outrecuidance on vantait l’investissement de la plate-forme dans des actions de mécénat (oui oui…) et sollicitait la générosité des employés, cette fausse récréation n’a-t-elle pas le goût dévastateur d’une sirupeuse illusion ?

Un film à voir !

 

Colette Lallement-Duchoze

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30 octobre 2025 4 30 /10 /octobre /2025 05:22

De Simon Mesa Soto (Colombie 2025)

 

 

Avec Ubeimar Rios (Oscar) Rebecca Andrade (Yurlady) Guillermo Cardona (Efrain) Allison Correa(Daniela) Margarita Soto (Teresita) Humberto Restrepo (Alonso)

Musique Matti Bye Trio Ramberget

 

Festival Cannes 2025 Prix du Jury Un Certain Regard

L’obsession d’Óscar Restrepo, pour la poésie ne lui a pas apporté la gloire. Fantasque et vieillissant, il a succombé au cliché du poète maudit. La rencontre avec Yurlady une adolescente aux origines modestes en qui il voit un potentiel grandissant, apporte un peu de lumière à son quotidien. Cependant l’entraîner dans le monde des poètes n’est peut-être pas la meilleure voie à suivre

 

 

Un poète

 Je suis poète (Oscar)Tu es chômeur (rétorque la sœur)

Explorer l’art de l’intérieur : que signifie créer? les enjeux ? les limites ? Car n’en doutons pas,  même "indépendant" l’art (le cinéma en l’occurrence et en particulier) est une industrie avec son marché ses compromis. Or avec ce deuxième long métrage le cinéaste affirme avoir voulu revenir à quelque chose de plus pur : un art brut plus viscéral  moins mécanique et c’est à ce moment-là qu’est née la poésie . A Medellin sa ville natale il a rencontré moult poètes débrouillards, punks , authentiques ; assisté à ces lectures de poésie quasi intemporelles.  C’est le substrat de ce film qui avec humour (noir et pince-sans-rire) met en évidence des dilemmes (les siens ?) à travers la relation Oscar /Yurlady

Tourné en 16mm (donner une allure désuète presque  "vintage")  découpé en 5 chapitres (dont les titres en caractères blancs se détachent sur fond rouge à l’instar de l’affiche) ce film oscille en permanence entre comédie et drame, parodie et tragédie. Clins d’œil aux comédies à la Woody Allen ? La clarinette à la fois parodie et hommage au monde des poètes new-yorkais? alors que le personnage d’Oscar originaire de Medellin, déteste G M Marquez,  se fait passer pour Bukowski et idolâtre José Asunción Silva  Certes. Peut-on  "transformer"  l’autre (au statut social moins privilégié) en matière première pour son œuvre ?

Oscar semble avoir perdu toute illusion ; en déshérence il traîne avec mollesse ou rage un taedium vitae bien imbibé...  Et  Yurlady -dont il a découvert les talents d'écriture - avoue dans la missive destinée à la fille Daniela  écrire pour le simple plaisir loin du marché ou de la reconnaissance publique) Or elle représentait pour le sexagénaire  la figure d'une double substitution:  filiale (Daniela la fille dont il est séparé l'évite, le rabroue) et  existentielle  (amener  la collégienne douée  là où lui-même a échoué, le vivre comme par procuration) 

Filmés caméra à l’épaule, les personnages (la mère d’Oscar la famille de Yurlady en particulier) ont l’humanité touchante qui fait fi du misérabilisme ; en cela ils s’opposent aux collègues d’Oscar (poètes ou pantins ?) qui après la « soirée de gala littéraire » le laisseront seul face aux accusations de « pédophile »   

Mais surtout la prestation d’Ubeimar Rios -anti-héros, loser très digne comme le rappelle sa mère "Tu es un ivrogne, mais tu es noble" restera dans les annales ; dégingandé et comme désarticulé, le visage peu amène, le rire en rictus, parfois repoussant comme Michel Simon, il incarne avec brio cette catégorie d’êtres cabossés qui ne pouvant s’adapter au monde , lui insufflent la fraîcheur d’une brise salutaire

A voir

 

Colette Lallement-Duchoze

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29 octobre 2025 3 29 /10 /octobre /2025 09:35

Documentaire réalisé par Sepideh Farsi (2025)

 

Avec Fatma Hassona 

 

Présenté à Cannes dans la sélection de l’ACID (Association du Cinéma Indépendant pour sa Diffusion)

(Lors de son discours d’ouverture, Juliette Binoche a rendu hommage à Fatma Hassouna, héroïne du film)

Présenté dans de nombreux festivals ( Toronto  La Rochelle  Lussas Sarajevo)

Prix du meilleur documentaire Encounters South African International Documentary Festival 2025

Prix du golden Apricot festival international du film d'Erivan

Put your soul on your hand and walk est ma réponse en tant que cinéaste, aux massacres en cours des Palestiniens. Un miracle a eu lieu lorsque j’ai trouvé Fatem Hassona, présentée à moi par un ami palestinien. Depuis, elle m’a prêté ses yeux pour voir Gaza où elle résistait en documentant la guerre, et moi, je suis devenue un lien entre elle et le reste du monde, depuis sa « prison de Gaza » comme elle le disait. Nous avons maintenu cette ligne de vie pendant plus de 200 jours. Les bouts de pixels et sons que l’on a échangé, sont devenus le film que vous voyez.

L’assassinat de Fatem le 16 avril 2025 suite à une attaque israélienne sur sa maison en change à jamais le sens.

Put your soul on your hand and walk

Un visage un sourire un regard si lumineux malgré la terreur alentour (Gaza bombardée de jour et de nuit, Gaza affamée, Gaza promise à l’effacement avec la complicité de ces prétendues démocraties, si frileuses et si partisanes du « deux poids deux mesures », Gazaouis traités comme des chiens ou pire…)

Un visage qui dans l’exiguïté du cadre (écran d’un I-Phone) fait triompher la grandeur de qui résiste

Un visage où perle cette pleur quand Fatma évoque l’amie ou des proches qui viennent de succomber à des bombardements (corps déchiqueté, tête explosée ….découverte une rue plus loin)

Des photos sur un champ de ruines sur des gamins et leurs seaux – à la recherche de …sur des immeubles éventrés  alors que des fumées noirâtres lacèrent le ciel et que retentit (hors champ écran noir) le fracas des éboulements…A ces photos sur le « quotidien » des Gazaouis tels des instantanés, s’ajoutent des extraits de journaux télévisés (l’essentiel étant l’échange entre les deux femmes par écran interposé WhatsApp; la réalisatrice  appréhende la fragilité de la connexion mais surtout l'irréparable ...et nous fait partager l'angoisse de l'attente ...)

Fatma (Fatem) journaliste photographe 24 ans a été assassinée le 16 avril 2025 suite à une attaque ciblée de Tsahal (Israël interdit l’accès dans la bande de Gaza aux journalistes étrangers -hormis à quelques embedded-,  et simultanément Tsahal tue délibérément les journalistes locaux…)

Un témoignage si bouleversant que le spectateur est comme éjecté de son fauteuil confort

A ne pas manquer!

 

Colette Lallement-Duchoze

 

Séances Omnia  Salle  7, mercredi 18h jeudi 10h30 dimanche 18h mardi 18h 

Salle 4 samedi  20h20

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27 octobre 2025 1 27 /10 /octobre /2025 16:05

De Deni Oumar Pitsaev  (France Belgique 2024)

 

 

Cannes 2025 :Prix french touch section Semaine de la Critique et  Œil d’or (prix qui distingue le meilleur documentaire du Festival toutes sections confondues)

Déni est le nouveau propriétaire d’un petit lopin de terre dans une vallée isolée en Géorgie, à la frontière de la Tchétchénie dont il est exilé depuis l’enfance. Il débarque là-bas et projette d’y construire une maison qui tranche drôlement avec les coutumes locales. Un fantasme qui ravive ses souvenirs et ceux de son clan déraciné qui pourtant ne rêve que d'une chose, le marier !

Imago

Un documentaire autofiction ? Car c’est bien son propre voyage en Géorgie, les retrouvailles avec  ses proches, avec sa famille tchétchène exilée au Pankissi, et le désir de construire la maison de ses rêves sur son terrain qu’évoque le cinéaste dans ce premier long métrage. Il se filme en filmant son retour. On devine à travers l’abondance des dialogues le poids de l’exil (lui-même ayant vécu enfant et adolescent entre Grozny, Saint-Pétersbourg et Almaty, puis exilé en France, où il a étudié à Sciences po avant de suivre un cursus de cinéma puis d’arts audiovisuels en Belgique ; les siens exilés  depuis 1990 ) mais aussi les traumatismes de la guerre vécue en l’absence du père (rappel des massacres d’avril 1995 à Grosny). Le cinéaste constate avec lucidité l’abime qui sépare désormais deux modes de pensée, deux modes de vie (tous quel que soit leur âge quel que soit leur sexe ont hâte de le voir « marié », d’être père de famille etc…Daoud le cousin trentenaire lui vante les bienfaits de la famille ;  la mère a acheté ce lopin de terre au Pankissi pour qu’il construise une maison, temple de la Famille ; le père prêt à accorder son soutien tout en reconnaissant le caractère éphémère d’une maison sur pilotis…Construire une maison hors des normes traditionnelles locales est-ce bien raisonnable ? (je suis hors du lot…) Or la « construction » n’était qu’un prétexte, donné aux proches afin de peupler la « future » demeure de leurs propres schémas culturels…

La double acception du terme Imago (titre) renforce cette impression. Imago ou stade de métamorphose chez certains insectes ; or certains ne connaîtront pas le stade suivant (tu comprends ? et le père de répondre dubitatif pas vraiment….)  Une autre acception psychanalytique désigne depuis Jung I’image inconsciente des personnes de l'entourage du sujet, qui se fixe dans la petite enfance.. … La séquence avec la mère où le quadragénaire se rappelle ou tente de se rappeler l’emplacement précis de tel ou tel objet est plus qu’un exercice de mémoire ; il entend encore la voix qui chante ; mais le commentaire empreint de nostalgie mélancolique vite réprimé en dit long sur le poids des traditions… allongé dans l’herbe la tête reposant sur la cuisse maternelle il la prie tel un enfant « caresse-moi les cheveux » (l’ambiance champêtre la répartition des couleurs la lumière exhaussent cette séquence bucolique à une dimension quasi mythique). En écho inversé le face à face avec le père (acmé du film) -le fils reproche entre autres à son géniteur de l’avoir délaissé lors des massacres à Grosny en 1995-,  oppose en fait deux façons d’appréhender la filiation l’amour paternel (les pseudo arguments du père resteront frappés d’inanité) et voici que les visages vus de profil dans le maillage complexe des branchages - grossis élargis par un zoom- disent peut-être la colère …larvée mais surtout l’irrémédiable, soit  l’impossibilité d’un retour…

Savourer une mûre, écouter le lamento d’une femme, tenter de démêler la complexité idéologique et relationnelle et par l'enjeu cinématographique (Déni Oumar Pitsaev est à la fois le personnage l’interprète et le réalisateur d’Imago) être l’artisan de son destin (aller vers l’autre c’est aussi cheminer vers soi) tel est bien l’enjeu de ce documentaire très personnel certes mais à l’authentique portée universelle

Un documentaire à voir

 

Colette Lallement-Duchoze

 

Séances  salle 8 Omnia 

 mercredi (29) 11h, jeudi (30) 15h15, samedi  (1er nov) 11h,  lundi (3 nov) 15h30

 

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