Conte apocalyptique à la Lautréamont ? message de désespoir ? et si le Sébastien maniériste était Pasolini lui-même ?? On aura reconnu çà et là les angoisses du cinéaste (1922-1975) sa haine de la société, son marxisme, son sens ambigu de la « grâce » (cf la confession répétée trois fois « j’ai tué mon père j’ai mangé de la chair humaine j’ai frissonné de joie) ses clins d’œil à Brecht (distanciation)
Une voix -off- (un récitant censé lire un message comme gravé dans le marbre ( ?) dit le mal qui sévit dans la société (post nazi) avant que n’apparaisse le plan liminaire. C’est le prologue : et alors que défile le générique, voici des porcs filmés en groupe dans leur porcherie ; de gros plans sur leurs groins leur queues en tire-bouchon; on entend leurs grognements (le même plan en écho vers la fin)
Puis voici un jeune homme (Pierre Clémenti) qui court avec une grâce quasi incandescente sur les bords escarpés de l’Etna ; il ne se nourrit que de plantes d’insectes de serpents avant de découvrir les plaisirs du "cannibalisme" et de les partager avec des "compagnons" ; nous assisterons à leur condamnation (atrocité du châtiment) avec des références au Christ après celles en clin d’œil à ses comparses ou à la fuite de Marie sur son âne. Voici Julian (JP Léaud) qui ne peut épouser la jeune intellectuelle militante (Anne Wiazemsky) car il est épris de ….porcs, s’en " nourrit" et vit le reste du temps dans une forme de "catatonie " (la zoophilie comme conséquence du nazisme mal digéré ?)
Ainsi pour illustrer la violence animale d’une société qui dévore les siens quand ils ne se plient pas à ses diktats, le cinéaste a choisi de mener en parallèle deux récits, dans un montage alterné (avec des échos de plus en plus visibles lisibles : nudité des porcs et des humains, omnivorisme, déflagration des cratères au moment où le père "apprend" la zoophilie de son fils, désir ... Echos internes ou la complémentarité des deux récits -malgré les dissemblances formelles
L’un est quasiment muet, (le seul langage sera celui de l’errance, du cliquetis des lames, des cris des "victimes" puis des gesticulations de marionnettistes avec les membres des corps dévorés). L’autre est en revanche très prolixe : propos comminatoires échangés entre les deux magnats, dont un ex nazi, propos plus poétiques et philosophiques entre Julian et Ida la fiancée, la promise !!!)
Et le passage de l’un à l’autre se fera plus rapide quand la portée symbolique sera plus évidente
Deux histoires éloignées dans le temps -l'une se situerait à une époque reculée du Moyen Age ou de la Renaissance ( ?) si l’on se réfère aux "costumes", l'autre en Allemagne de l’Ouest (après la Seconde Guerre mondiale).
Deux histoires éloignées aussi dans l’espace (un paysage volcanique sombre charbonneux sauvage, un château aux couleurs pastel, avec son plan d’eau et aux intérieurs dorés et lambrissés-)
Deux histoires que relient d'une part la thématique de la "porcherie" (prédation par rébellion contre les figures de l’autoritarisme, et métaphore du capitalisme ) et d'autre part la présence dans l’une et l’autre du jeune homme Marachione (Nineto Davoli) observateur témoin et in fine narrateur (le sort réservé à Julian, restera ainsi hors champ)
L’histoire de Julian dit clairement que les vrais coupables ce sont les pères : le sien grand capitaine d’industrie a fait fortune grâce au nazisme ; désormais impotent, il porte toujours la moustache…. Mais ce sera le fils qui paiera à la fois par ses "fantasmes" et son mode de vie, lesquels l’engloutiront !
Est-ce un hasard, -pure coïncidence-, si Marco Ferreri interprète le rôle du conseiller (lui qui portera à l’écran « la grande bouffe »1973 illustration d'une autre forme du capitalisme dévorant ??)
L’adversaire de Klotz (Ugo Tognazzi) a changé de look et d’identité (tout comme une religion -ou une société- peut changer de normes, décréter non coupable ce qui était hérétique à une époque antérieure…) il veut faire oublier son rôle de tortionnaire nazi et de « prétendu » scientifique – lui qui collectionnait des “têtes de commissaires communistes juifs” pour les étudier…
Et le doigt sur ses lèvres closes , - le "chut" final - (s’il n’y a aucune trace de la présence de Julian, dévoré par…, ne serait-ce qu’un bouton, alors "ne dites rien" ) dit à la fois la permanence de la "porcherie" et le rôle de nos « storytellings »… ceux d’hier et encore plus ceux d’aujourd’hui….
A ne pas manquer (malgré des aspects parfois bancals ...:cadre raccords voire discours)
Colette Lallement-Duchoze