De Mahdi Fleifel (2024 Grèce Palestine)
Avec Mahmood Bakri (Chatila), Aram Sabbagh (Reda), Mohammad Alsurafa (Malik), Angeliki Papoulia (Tatiana), Mouataz Alshalton (Abu Love), Mohammad Ghassan (Yasser), Monzer Reyahnah (Marwan). Manal Awad (La tante de Malik)
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Chatila et Reda sont deux cousins palestiniens réfugiés à Athènes. Ensemble, ils multiplient les combines pour rassembler une importante somme qui leur permettra d'acquérir de faux passeports, sésame vers l'Allemagne où ils rêvent de pouvoir enfin construire leur vie. Mais cette quête les pousse à franchir leurs limites, laissant derrière eux une part d'eux-mêmes dans l'espoir d'un avenir meilleur.
Le film s’ouvre sur une citation dont la résonance dans le contexte actuel fait frémir Le destin des Palestiniens est en quelque sorte de ne pas finir sur leurs terres d’origine, mais plutôt dans un endroit inattendu et lointain » (Edward Saïd 1935- 2003).
Le film s’inscrira ainsi dans le tragique du sort palestinien, depuis la Nakba
Voici un « tandem » (clin d’œil à Macadam cowboy ?) d’origine palestinienne -le finaud Chatila la tête pensante au prénom si révélateur et son cousin Reda --premier skateboarder de Palestine- et ici un accro de la drogue. Un duo qui croupit dans un squat miteux à Athènes…attendant le moment propice pour émigrer en Allemagne. (ce que promet régulièrement Chatila à son épouse restée dans le camp de réfugiés au Liban) Mais il faut de l’argent ! Comment s’en procurer ?
La structure du film semble obéir aux plans successifs imaginés par Chatila pour l’obtention de faux passeports, avec un crescendo vers l’innommable (d’un point de vue strictement "moral" ) et procéder par sauts ( qui rappellent sans leur ressembler ceux de Reda si alerte sur son skate, dont il ne se sépare jamais ) avec un jeu d'embardées, de caches, de cache-cache, de courses, dans les ruelles aux murs tagués
Dans un premier temps nous assistons à leurs larcins (vol à l’arraché) à leurs combines (passes dans le jardin public) mais Reda a dilapidé la cagnotte. -astucieusement planquée Puis ce sera le (trop) long épisode qui implique le jeune gazaoui Malik et Tatiana (séduite par Chatila …) ou comment soutirer de l’argent à la tante en Italie ; et après un échec retentissant le dernier mouvement -ou la "traite" d’êtres humains (des réfugiés syriens) …
Chaque mouvement a une coloration et une dynamique particulières : réalisme social en I qui rappelle le documentaire, thriller sordide en III ; et dans chacun un bilan sans concession un aveu nous sommes des monstres, nous sommes devenus des animaux
La lumière et le bleu du ciel s’en sont allé.es. Nouvelle plongée dans les abysses du cauchemar…Et si le désespoir était le seul horizon ? Ce que confirmeraient les propos du poète Mahmoud Darwich (1941-2008)? cité par Abou Love le pourvoyeur de drogue -Tu n’as pas de frère mon frère, pas d’ami mon ami, pas de citadelles, (…) pas de front, pas d’arrière, (…) fais de chaque barricade un pays
Ne nous leurrons pas. Les deux cousins savent que leurs actes sont immoraux (cf les réticences réitérées de Reda et les confessions de Chatila) et le réalisateur ne cautionne pas leurs actes.
En revanche son film ne propose-t-il pas une lecture plus politique (comme le suggérait d'emblée la citation en exergue) où l'inconnu de la destination que mentionne le titre désigne précisément l'immoralité d'une situation historique à la brutalité indépassable ?
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Colette Lallement-Duchoze