23 février 2025 7 23 /02 /février /2025 09:23

de Robert Minervini (Italie USA 2024)

 

avec Jeremiah Knupp, René W. Solomon, Cuyler Ballenger, Noah Carlson, Judah Carlson, Tim Carlson

 

Un certain regard Cannes 2024 prix de la meilleure réalisation

Hiver 1862. Pendant la guerre de Sécession, l'armée des Etats-Unis envoie à l'Ouest une compagnie de volontaires pour effectuer une patrouille dans des régions inexplorées. Alors que leur mission change de cap, ils questionnent le sens de leur engagement.

Les damnés

La séquence d’ouverture va encoder tout le film. Voici des loups qui se « partagent » la dépouille d’un autre animal ; crocs acérés gueules ouvertes, querelles avant éviscération méthodique. 
Une approche sensorielle lucide brute au service de l’idéologie « l’homme (con)damné à être un loup pour l’homme ?

 

Oui nous sommes invité en suivant un  groupe d’éclaireurs …à « toucher au plus près » une douloureuse expérience   défendre -coûte que coûte- un espace, un territoire -encore sauvage – dans l’Ouest américain, en pleine guerre de Sécession contre …l’ennemi.. (présent dans son invisibilité même) 


Etirer le temps, et l’attente en sera d’autant plus angoissante (on pense immanquablement au désert des Tartares) décomposer par le menu les activités quotidiennes (alentissement des mouvements , des gestes,  dans le nettoyage des armes, les soins apportés aux chevaux, les corvées de bois , les ablutions, ou même dans les tours de garde où le cinéaste filme le soldat en faction comme momifié) ; des face à face,  des dialogues certes minimalistes mais dont les questionnements sont majeurs  : la foi, le bien-fondé de la guerre. Et même si le paysage dans sa  diversité (vastitude ou enfermement )  peut rappeler certains films américains, -encore qu"ici il soit appréhendé   moins dans sa  magnificence que dans ses  aspects hostiles-,  on est loin -pour ne pas dire aux antipodes- des « clichés » de la guerre, de son habillage idéologique (patriotisme) de sa mystique et de son traitement spectaculaire 
 

Le refus de l’héroïsation est patent dans cette façon de passer d’un soldat à un autre ; le traitement est identique pour chacun (qu’il soit filmé de près en duo ou en groupe) même si le « commandement » incombe au gradé…Le refus du spectaculaire (une seule scène dite d’action) éclate dans le choix de silhouetter les adversaires , de ne pas  privilégier l"horreur et sa charge émotionnelle,  après quelques coups de feu dont les flammèches vont s’incorporer à une atmosphère embuée,; le brouillage de repères participe d’ailleurs à cette " absurdité" de la guerre -que veut dénoncer le cinéaste italien
 

 

Ainsi le cheminement de ces yankees (ah les tuniques bleues !!!) est moins un mouvement ascensionnel vers la Victoire que la remise en question de croyances …jusque-là chevillées au corps et jugées indéfectibles (cf les propos du "croyant dunker" et ceux du plus jeune patrouilleur)…
 

Que signifie dès lors le mot  " paix"  crié dans l’exaltation  sur ce sommet enneigé alors que le précipice…. ???
 

Un film à ne pas manquer

 

 

Colette Lallement-Duchoze
 

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22 février 2025 6 22 /02 /février /2025 04:35

De Rúnar Rúnarsson (Islande 2024)

 

avec Elín Sif Halldórsdóttir (Una) Katla Njálsdóttir (Klara)  Mikael Kaaber (Gunni) Ágúst Örn B. Wigum (Basse) Gunnar Hrafn Kristjánsdóttir (Siggi) Baldur Einarsson (Diddi)

 

 

Festival Cannes 2024 Un Certain Regard

Le jour se lève sur une longue journée d’été en Islande. D’un coucher de soleil à l’autre, Una, une jeune étudiante en art, rencontre l’amour, l’amitié, le chagrin et la beauté...

When the light breaks

Un film sur l’intime : la confrontation avec la mort, la douleur de la perte ; un chagrin personnel (une promesse qui s’éteint avec la disparition de l’être aimé) mais qui doit être vécu en retrait (Una n’était pas la compagne officielle de Diddi) jusqu’à s’effacer devant la douleur collective (celle de ces étudiants, de ces jeunes gens, dont Klara, dévasté.es par une tragédie incompréhensible mais qui continueront à célébrer la vie, d’où l’alternance entre scènes d’absolue tristesse (des larmes perlent sur tous les visages) et de grande liesse (rires et boissons) et c’est bien par le langage corporel que le cinéaste appréhende le trauma dans sa complexité


La ténuité scénaristique apparente est largement "compensée" par une approche formelle singulière.

Le film obéit à une  construction circulaire : il s’ouvre sur un coucher de soleil et se clôt sur le même  "motif"  le lendemain,  avec ces variantes - un couple vu de dos (cf l'affiche) , l'autre  vu de face-  le soleil  au  "sang qui se fige" dans l’océan  et  des éclats de lumière scintillant sur  deux corps. Voici en outre deux couples lovés quasiment dans la même position, et deux séquences dans la campagne islandaise avec des trouées lumineuses dans  le ciel avant l’embrasement dans le tunnel (prologue) ou ces étincelles rougeoyantes dans le vert sombre (précédant  la dernière séquence), deux accompagnements musicaux cordes et voix artificielle (?) de femme  

(https://www.youtube.com/watch?v=nQG6qLpo9Nc  )
 

Le cinéaste affiche un goût prononcé pour les reflets (vitres, miroirs, dédoublements spéculaires) en accord d’ailleurs avec l’interprétation odi et amo du compositeur Jóhann Jóhannsson, avec la dualité (douleur fulgurante et liesse) et avec le portrait en creux de Diddi (amant de deux femmes, ado attardé déifié par ses camarades qu’il entraînait dans les "performances")


Et parmi les "performances" il convient de signaler  l'"apprentissage du vol"  que précisément Una va transmettre à Klara. Ne serait-ce pas l’acmé du film,  préfigurant d'ailleurs la séquence finale -où triomphe la sororité? (Una après avoir accepté l’effacement, remplace Diddi dans le rôle d’initiateur) et d’un point de vue formel c’est assurément la rencontre audacieuse entre une impressionnante contre-plongée (façade de l’église) et un léger mouvement horizontal (oui Klara s’est momentanément affranchie des lois de la pesanteur …)
 

Ajoutons la sublime interprétation de Elin Sif Halldórsdóttir -au look à la Jean Seberg - que la caméra de Rúnar Rúnarsson  magnifie par les gros plans
 

 

Mais le primat accordé aux façades de verres, aux effets spéculaires -accentué d’ailleurs par la fixité des plans et le silence- car l’essentiel est souvent dans le non-dit- ce jeu d’écho entre soi et l’autre, entre soi et l’image de soi vire au procédé, ou du moins est-il perçu comme tel - métaphore par trop insistante dans ce glissement de l'esthétique vers l' esthétisant!  

Dommage

 

Colette Lallement-Duchoze
 

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19 février 2025 3 19 /02 /février /2025 04:12

De Saïd Hamich Benlarbi  (France 2024 )

 

avec Ayoub Gretaa (Nour) Grégoire Colin (Serge) Anna Mouglalis (Noémie) 

 

Festival Cannes 2024 Semaine de la Critique

Prix du public festival Mannheim-Heidelberg

Nour, 27 ans, a émigré clandestinement à Marseille. Avec ses amis, il vit de petits trafics et mène une vie marginale et festive. Mais sa rencontre avec Serge, un flic charismatique et imprévisible, et sa femme Noémie, va bouleverser son existence. De 1990 à 2000, Nour aime, vieillit et se raccroche à ses rêves

La mer au loin

Les journées sont infinies, et les années filent

 

L’exil cristallise le moment où s'éteignent les fantasmes qu'on peut avoir sur le départ et le retour. Parce qu'on ne se sent jamais chez soi et que quand on revient dans son pays, on n'est plus chez soi non plus, et on a l’impression d’avoir été comme trahi. Tout ce qu’il reste à faire, c’est construire une nouvelle vie (Saïd Hamich Benlarbi)


Composé de 4 parties (Nour, Serge, Noémie, le retour) suivies d’un épilogue ce film sur l’exil (le double) dont la mer au loin est l’allégorie, a pour cadre Marseille et se déploie sur 10 ans -1990/2000. D’une partie à l’autre (une ellipse de deux ans entre chacune) la tonalité et le contexte diffèrent (délire festif en I gravité en II mélancolie en IV) alors que s’impose une façon de vivre « originale » incarnée par le couple Serge (un flic bisexuel) et Noémie (loin d’être laxiste elle vit intensément un amour qui est au-delà de tous les préjugés présupposés et clichés) Et ce couple pour la narration joue le rôle de « matrice » « Dans l’exil, les personnes que vous côtoyez deviennent une projection de ce que vous cherchez à atteindre. Ils incarnent votre terre d’accueil » et comme Nour vient de la marge « il doit pouvoir accepter d’autres marges. Je trouve beau que Nour accepte ce couple qui n’a rien de traditionnel (Saïd Hamich Benlarbi)

 

Simultanéité entre un parcours individuel (celui de Nour) et l’histoire collective (les relations entre la France et le Maghreb en cette fin du XX° sont suggérées à l’instar d’autres « marqueurs historiques» signalés tels des clins d’œil -assassinat du chanteur Cheb Hasni, victoire sportive de l’OM en 93-, alors que les problèmes sociétaux (mariages blancs, mariages de complaisance, sida, abus policiers) sont traités avec justesse -sans complaisance ni insistance …
La Cité phocéenne,  bordélique , devient personnage à part entière ; enfermée entre mer et montagnes, (il suffit de quelques plans révélateurs pour établir une connexion entre deux « formes » d’enfermement), cette ville cosmopolite, voit cohabiter des " diasporas" tout en souffrant d’un racisme rampant larvé qui peut faire surface (le bouc émissaire à tous les maux quand viennent des lendemains qui ne chantent pas ou plus ?? ce sera le Nord-Africain !!) un racisme qui deviendra  ordinaire, décorseté, débarrassé de son étiquette, quand il s’appuie sur une philosophie essentialiste banalisée (quelques propos s’insinuent, venimeux, dans les discours  officiels ou les conversations anodines  "oh les Arabes...le problème avec vous les Arabes est que…" 

 

Mer et ciel, bleu azur et lumière, un bateau fend les flots, c’est le plan d’ouverture ; clichés ? chromatisme de carte postale ? La caméra se pose sur le visage de Nour - un regard qui semble contempler un lointain (désormais inaccessible ?)

Mais très vite s’imposera la dialectique de l’ouvert et du fermé, du plein et du vide et dominera le contraste « ombre et lumière ». 
Et si la musique raï est quasi omniprésente -c’est qu’elle a  explosé à la fin des années 80 à Marseille ; elle illustrait la mélancolie … 

 

Un enchâssement de deux dynamiques -voyage initiatique de l’exilé qui s’inscrit dans la durée (la référence à Flaubert, phrase conclusive de L’Education sentimentale n’est pas anodine) et chronique plus sociale que politique- tout cela porté par le jeu des trois interprètes talentueux (mention spéciale à Anna Mouglalis), oui La mer au loin est un film à voir!!

 

Colette Lallement-Duchoze
 

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15 février 2025 6 15 /02 /février /2025 18:45

 

 

Du mercredi 26 février au dimanche 9 mars : la Semaine italienne portée par le Circolo Italiano en partenariat avec la Ville de Mont-Saint-Aignan revient au cinéma Ariel.

12 jours de projections, d’échanges et de festivités, notamment gustatives,

vous pourrez découvrir ou redécouvrir de grands classiques du cinéma italien.

Ouvert à tous. Tarifs : 7 € / 3,60 €.

 

Cinéma Ariel : 02 35 70 97 97. Programme : montsaintaignan.fr

Semaine du cinéma italien du 26 février au 9 mars 2025
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15 février 2025 6 15 /02 /février /2025 18:08

Film réalisé par Nicolas Burlaud (2024)

 

États généraux du film documentaire • Lussas (France) • Plein air 2024 • Festival Image de Ville • Aix-en-Provence (France) 

 

Avant-première au cinéma Omnia samedi 15 février en présence du réalisateur 

A 50 ans le cinéaste est frappé d'une épilepsie foudroyante conséquence d'un dysfonctionnement de son hippocampe, l'organe qui façonne les souvenirs. C'est l'occasion pour lui de revenir sur la mémoire collective et alternative que lui et ses acolytes fabriquent depuis 25 ans au sein d'une télévision de rue. Quand ces deux récits se croisent, il est question de choix et d'oublis 

Les fils qui se touchent

Un prologue filmé au format 4,3 montre « littéralement » une démolition (grues gravats lambeaux du passé) que commente une femme « mémoire » du quartier ; un discours émouvant dans la simplicité de son énoncé et par une approche souveraine de la « mémoire collective »   Première connexion où d’autres « fils qui se touchent » vont s’enchâsser.

Elargissement de l’écran au format « normal » ; une « anomalie » de l’hippocampe a été découverte lors d’une IRM du cerveau (cf le synopsis) ainsi que la présence d’une « bille » métallique (séquelles d’un tir lors d’une manif au Venezuela ?) et quand Nicolas Burlaud se plaît à « imiter» les différents  « sons » -ces « résonances » entendues lors de l’examen- n’est-ce pas la préfiguration de tout le champ sonore qui de sa diversité accompagnera le défilé des images ? 

Nicolas Burlaud a 50 ans Primitivi 25. Connexion comme genèse d’un projet, du projet " les fils qui se touchent "  (ce que dit explicitement le cinéaste en voix off) Mémoire individuelle et mémoire collective ; fabrication de la mémoire par l’hippocampe et fabrication d’archives mémorielles par Primitivi ; défilé de plus en plus rapide d’images du cerveau (connexions neuronales qui magnifient l’infiniment petit) et en écho images d’archives sur Marseille, ses quartiers ses habitants individualisés ou magnifiés en groupes solidaires lors de manifs


Un documentaire  foisonnant performant et novateur -diversité des images, subtilité du montage, récurrences ou effets spéculaires, rythme soutenu qui fait éclater les repères temporels -pour mieux les restituer en une approche cartographiée qui clôt le film où l’horizontalité du trait dessiné à la craie va épouser les « images » du crâne, mais inversées.

Un film où la verticalité dans la compacité des façades ou celle des manifestants (légère contre plongée) croise en l’épousant celle de ces arbres (platanes ?) aux branchages vrombissants

Un film où se superposent en strates les différents discours (neuroscientifique historique sociologique, slogans de manifestants, commentaires en off); certains qui les profèrent sont filmés in situ (dans des structures hospitalières) ou dans la rue (notre regard suit le bras de ce chercheur qui « montre » une empreinte : c’est la trace d’une plaque commémorative; dédiée à la septuagénaire mortellement blessée par un tir de la police lors d’une manif des gilets jaunes … elle a été arrachée ! mais grâce à ce film elle ne peut plus se dérober… ni à l’œil (nu) ni à la mémoire (collective). 

Le parallèle entre deux images la Sagrada Familia et une termitière est troublant dans l’évidence même de cette « connexion » : deux cathédrales deux « mémoires collectives » Comportement humain et animal ? Mais est-ce que la société a conscience d’être une société ? 

Le film de Nicolas Burlaud qui invite le spectateur à pénétrer les arcanes de son cerveau, puis de la mémoire collective (Marseille Paris) a tissé plusieurs fils narratifs ; entrecroisant ces fils qui se touchent  sa  "toile"  arachnéenne est  l’empreinte du Vivant

 

Un documentaire à ne pas rater!

 

Colette Lallement-Duchoze
 

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15 février 2025 6 15 /02 /février /2025 07:31

De Delphine et Muriel Coulin  (2024)

 

avec Vincent Lindon, Benjamin Voisin, Stefan Crepon

 

Adapté du roman de Laurent Petitmangin "Ce qu'il faut de nuit" (2020)

 

Mostra de Venise prix Volpi d'interprétation masculine pour Vincent Lindon 

Pierre élève seul ses deux fils. Louis, le cadet, réussit ses études et avance facilement dans la vie. Fus, l'aîné, part à la dérive. Fasciné par la violence et les rapports de force, il se rapproche de groupes d'extrême-droite, à l'opposé des valeurs de son père. Pierre assiste impuissant à l'emprise de ces fréquentations sur son fils. Peu à peu, l'amour cède place à l'incompréhension

Jouer avec le feu

Voici un noyau familial à trois têtes où les regards (très éloquents cf la récurrence des gros plans sur les visages) vont supplanter progressivement le discours, la parole (après ses réactions épidermiques et l’affrontement avec son fils le père se mure dans le silence tout comme au moment du procès le fils choisira de « se taire » ; la parole in fine sera hors champ et réservée à Louis mais …dans un autre film).

 

L’essentiel est moins l’histoire d’une emprise (comment pourquoi Fus est séduit par l’idéologie de l’extrême droite dans le contexte économique social et politique de l’Est) que le cheminement fait de tâtonnements de questionnements d’un père (politiquement situé plutôt à gauche) complètement déboussolé par les « dérives » de son fils ; un père qui au moment du procès s’en vient battre sa coulpe pour n’avoir pas su, pas pu empêcher la tragédie…

 

Nuances et changements de tonalité (on peut passer de l’euphorie, des rires au regard quasi haineux) réalisme des situations (les petits déjeuners pris à la va vite, le trajet en voiture, l’endormissement sur le canapé face à l’écran qui déverse à flux continu les infos du moment…) un tempo qui fait alterner séquences sur vitalisées et pauses prolongées, une façon de filmer très organique quasi viscérale

 

Oui tout cela pourrait séduire et qui sait, entraîner l’adhésion. 

 

Or dès les deux séquences d’ouverture -où deux corps sont filmés successivement en des contextes et des couleurs contrasté.es– on devine de par leur durée insistante, que prévaudra l’héroïsation des acteurs/personnages Et de fait ce corps démultiplié dans ses contorsions sportives savamment chorégraphiées (Fus est fan de foot) et cet autre tel un fantôme éclairant la nuit de sa lampe torche (Pierre est chef mécanicien de nuit à la SNCF) sont magnifiés en icones (on aura droit à de très gros plans prolongés sur la stature de Vincent Lindon ou sur le torse et le visage de Benjamin Voisin) ; même l’élément mécanique, l’imposante machine, est exhaussé en puissance irrésistible  …

Une « monstration » par trop expressive au service d’une « démonstration » ???

De plus malgré des ellipses (temporelles surtout) il y a des étirements inutiles, souvent proches de la complaisance et contre-productifs -à mon humble avis

 

Colette Lallement-Duchoze
 

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14 février 2025 5 14 /02 /février /2025 09:37

Documentaire de Jean Libon, Clémentine Bisiaux Régine Dubois Stéphanie De Smedt, Mathilde Blanc et Yves Hinant (2024 France Belgique)

 

Festival du Nouveau Cinéma • Montréal (Canada) 

Plus que jamais fidèle à l’esprit de la série culte qui a marqué les esprits et déclenché des vocations de cinéastes depuis près de trente ans, STRIP-TEASE INTEGRAL nous offre, cette fois sur grand écran, cinq peintures sensibles, touchantes, parfois absurdes, souvent drôles, tantôt sombres ou lumineuses – mais toujours aussi vraies que nature – des vanités de la société humaine dans leur plus merveilleuse banalité.

Strip-tease intégral

Vous voulez tout voir… vous allez être servis ! 

 


Pour fêter ses 40 ans, après deux longs métrages- dont  Ni juge ni soumise https://www.cinexpressions.fr/2018/02/ni-juge-ni-soumise.html ) voici le retour -pour la forme-- à une succession de courts métrages (20 minutes maximum ) caméra portée à hauteur d’homme, absence de commentaires en voix off; et pour le fond le déshabillage dans leur vécu, de personnages à la fois  ordinaires et singuliers 


Soit 5 courts métrages, -dont 4 réalisés par des femmes-, 5 segments de cinéma vérité  qui vont se succéder sans fil rouge apparent -hormis peut-être pour les 4 premiers,  des excès "anormaux" vécus sur le mode de la "normalité"  et comme prémices au cinquième l’intrusion par deux fois dans une morgue et le plan sur une table d’autopsie…:

Des influenceuses à Dubaï obsédées par leur paraître et la recherche de notoriété (l’odeur de l’essence de Stéphanie De Smedt) une famille catho dont la mère est obsédée par l’écologie, (zéro déchet de Clémentine Bisiaux) une quinquagénaire comédienne amatrice, adepte du stand-up (miroir mon beau miroir de Régine Dubois) un médecin hypocondriaque (Les antécédents familiaux de Mathilde Blanc)
Les quatre réalisatrices insistent sur des formes d’excentricités, idées fixes, fantasmes- des turbulences qui vont provoquer le rire (cette brosse à laver les WC brandie comme une baguette magique dans Zéro déchet) mais aussi l’effarement (la pose de facettes sur des dents saines …influenceuse belge à Dubaï ; la mère par excès d’écologie qui impose à la famille le recours au papier hygiénique …lavable…)  

Elles ménagent aussi des attentes par des scènes contrastées (l'opposition sociale de deux Dubaï, le clinquant rutilant et le misérabilisme dans l'odeur de l'essence ;  la séquence où l’épouse s’enduit le corps de crème avant que la caméra ne montre sans insistance la cicatrice suite à une mammectomie suggère une douleur silencieuse contrastant avec l’exubérance -ridicule- de l’époux hypocondriaque dans Les antécédents familiaux). Coline se produit chaque soir dans le cadre du festival off d’Avignon après avoir tracté sous la chaleur, la salle est minuscule non ventilée et les  "rares"  spectateurs ne sont pas tendres … Coline craque…entraînant son mari dans une forme de  descente aux enfers (l’illusion n’était-elle pas incluse dans le titre  Miroir mon beau miroir?) 
Le 5ème court métrage Bidoche doit-il être considéré à part ? l’acmé (cf l’affiche)  ? ou la clausule en forme de coda ?  Réalisé par Jean Libon le fondateur du magazine, il montre en temps réel (en un long plan fixe), une autopsie…Découpage éviscération désossement avec amplification des sons …gluants et commentaires glaçants dans leur concision et précision scientifiques, avant un "twist"  sur les loisirs du médecin légiste (qui se produit en cabaret transformiste) 


Au final ne peut-on apparenter ces différents parcours comme autant de quêtes de  trouver un sens à la vie et sa place dans le monde?  et en cela le film ne serait-il pas notre miroir (reflet de nos propres vanités ? dont la mise en scène de soi…  )

 


Strip-tease intégral …un film que je vous recommande

 

Colette Lallement-Duchoze

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13 février 2025 4 13 /02 /février /2025 13:54

11ème édition

 

Du vendredi 28 février au dimanche  2 mars 2025

 

Cinéma Omnia

Rue de la République Rouen

Festival Elles font leur cinéma (28 février 1 et 2 mars 2025)

"Pour cette édition 2025, nous sommes heureuses de mettre en valeur le travail de réalisatrices talentueuses venues des quatre coins du monde. Au programme : une sélection de longs-métrages, dont 4 documentaires et une séance de courts-métrages, qui exploreront des thèmes variés avec sensibilité et audace.
 

Le festival offrira également l’opportunité unique d’échanger directement avec certaines des réalisatrices lors de temps d’échange en fin de séance.

Venez découvrir des histoires inspirantes, rencontrer des femmes passionnées par leur métier et célébrer ensemble la diversité et la richesse du cinéma féminin"

 

https://www.elles-font-leur-cinema.info/wp-content/uploads/2025/02/Programme_web.pdf

 

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12 février 2025 3 12 /02 /février /2025 09:08

de Naoko Ogigami (Japon 2024)

 

avec Mariko Tsutsui (Yoriko Sudo ) Tamae Ando Misae Watanabe Noriko Eguchi (Hitomi Ogasawara) Hana Kino (Mizuki) Akira Emoto (Taro Kadokura ) Kami Hiraiwa  (Setsuko Ito)  Hayato Isomura (Takuya Sudo)

Luxe, calme et volupté. Tout va pour le mieux dans la vie parfaitement réglée de Yoriko et de tous ceux qui, comme elle, ont rejoint la secte de l'eau. Jusqu'au jour où son mari revient à la maison après de nombreuses années d'absence.

Le jardin zen

L'appel de l'eau réclame un don total, un don intime


Premier long métrage à être distribué en France-(alors que la cinéaste japonaise Naoko Ogimami en a réalisé bien d'autres...) , le jardin zen allie avec élégance, perfection formelle, humour pince-sans-rire parfois ravageur, performance d’acteur (Mariko Tsutsui vue entre autres dans Harmonium est magistrale dans le rôle de Yoriko). Ce film se prête en outre à une lecture plurielle (rôle de la femme dans la société japonaise, "zénitude", critique acerbe des sectes, etc. ) Mais dans le traitement c’est bien la  thématique de l’eau qui  infuse toutes les autres – la "goutte d'eau" sa récurrence en des circonstances diverses,  l’eau contaminée suite à la catastrophe de Fukushima, l’embrigadement par la gourou de la secte Eau de la vie verte, l’entretien méticuleux de ce jardin zen (plutôt sec) où l’eau doit être suggérée car elle est "en nous"  , piscine, pluie. Aux mouvements ondulatoires du gravier -symbolisant une "mer apaisée"- voici en écho inversé l’accumulation en cercles concentriques de différents maux perturbateurs qui renforcent les dérives hygiénistes et les comportements pudibonds de Yoriko (dès la scène d’ouverture la position  tête bêche des  époux intriguait le spectateur …) 


On pourrait certes déplorer certains excès (cf le plan récurrent d’une nappe d’eau où s’affrontent deux personnages, censée illustrer le conflit intérieur de Yoriko ; le très gros plan sur une goutte d’eau à la fonction symbolique, l’appartement de Mizuki d’abord étouffant et étouffé  par un fatras  d’objets et de détritus  et que Yoriko transformera en épure à l’instar de son jardin zen). Mais ces excès  semblent  s’inscrire dans la longue liste des séquelles de Fukushima ....
 

Le jardin zen frappe par son humour multiforme (froid, décalé, pince-sans-rire ou acerbe) qui tout sous-tend et par l’adéquation entre la forme et le fond -les plans cadrés au millimètre près avec un jeu sur les horizontales et les verticales, les couleurs pastel, les effets de lumière, soulignent les contrastes entre des apparences bien lisses (comme aseptisées) et des …tourments intérieurs, entre un calme de surface et une violence latente qui éclatera dans des propos sarcastiques. A vélo ou à la caisse du supermarché, en position d’offrant (chants prières mains jointes) ou à l’écoute des conseils vengeurs de Mizuki (quand elle ne profère pas elle-même des "vacheries"  avec élégance voire une éloquence cynique), Yoriko est de tous les plans sans jamais envahir l’écran et ses "mimiques" en coin ou ses faux silences sont plus éloquent.es que la parole. 

 

Le final (une apothéose) avec le rouge du parapluie, le ruissellement de la pluie, la danse, le rire, la musique restera gravé dans les mémoires…

Ce final ne corrobore-t-il pas les propos de la cinéaste Je trouve étouffant d'être une femme au Japon et j'ai fait ce film dans l'espoir de changer cela ? 

 

A ne pas manquer !

 

Colette Lallement-Duchoze
 

 

 

Complètement d'accord Colette, vraiment un film à voir... j'en eu cette chance : c'était le "film surprise" au cinéma "Le Sénéchal" de Lectoure le mois dernier.

Un film qui bouscule les relations homme -femme telles que nous les voyons traitées le plus souvent au cinéma, sans pour autant faire dans le manichéisme.

Un régal que la dernière scène : une japonaise dansant le flamenco voilà qui casse les codes (en tout cas ceux que nous avons en tête nous les occidentaux).
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10 février 2025 1 10 /02 /février /2025 08:01

Documentaire réalisé par Alessandra Celesia  (Irlande/G B 2024)

 

avec Joe McNally, Jolene Burns, Rita Overend, Sean Parker, Angie B. Campbell, Gerard Magee (iels jouent leur propre rôle)

Dans sa tour HLM de New Lodge, Joe met en scène des souvenirs de son enfance vécue durant les « Troubles » conflit armé qui déchira l’Irlande du Nord des années 60 à 1998, et fit particulièrement des ravages dans ce quartier catholique de Belfast. Jolene, Sean, Angie et d’autres voisins se joignent à lui pour revisiter leur mémoire collective, qui a façonné leur vie et leur quartier.

The flats

Un homme nettoie un espace dédié à la Vierge en vue d’une rencontre le soir avec une quinzaine de résidents âgés catholiques ; Joe accompagné de Freedom décline l’invitation.  C’est la séquence d’ouverture (un quartier un rituel un personnage)
Joe et l’enfant Sean ont « capturé » des grenouilles mais après une caresse, celles-ci vont rejoindre l’élément liquide alors que leur coassement sert de champ sonore au générique de fin. 
Entre ces deux scènes la réalisatrice aura pris le spectateur à témoin du trauma qui perdure plus de 50 ans après les événements (les troubles) de la guerre civile en Irlande du Nord, et qui hante la mémoire individuelle et collective 


Voici des immeubles à l’architecture brutaliste, les tours du quartier de New Lodge Cet espace urbain « délimite » les itinéraires des personnages, et la récurrence de plongées et contre-plongées souligne l'effarante compacité verticale saturant un espace sans toutefois l'obstruer -( Angie de son balcon suit en plongée la prière et les chants liturgiques ; dans la nuit qui crépite de feux d’artifice (ô le bien nommé) Joe et l’enfant Sean regardent du dernier étage de la tour,  les feux de joie allumés par ces unionistes protestants chaque 11 juillet … ; de sa voix de stentor, il interpelle de jeunes dealers qui œuvrent en contre bas )


Récurrence de ces plans, Récurrence des face à face Joe McNally,/Rita la psy, entrecoupés par les images mentales du « patient »,  par des images d’archives bleutées et par des sketches « reconstituant » les épisodes les plus traumatisants de son passé de gamin (l’épisode du cercueil qui dans un autre contexte relèverait du comique burlesque "prépare"  la "reconstitution"  de la veillée funèbre : Joe avait 9 ans quand il a vu son oncle bien aimé mort à 17 ans assassiné par l’armée anglaise, il en avait 14 quand Bobby Sands a succombé aux 66 jours de sa grève de la faim en prison (cf le film très éprouvant de Steve McQueen avec Fassbender  Hunger 2008);  sketches où les  voisins d’aujourd’hui interprètent les protagonistes d'hier  (Sean sera le fantôme de Joe enfant, Jolene la mère et Angie la grand-mère)  
C’est que le présent contaminé par le passé garde béantes des cicatrices, indélébiles les empreintes et pleure dans la parole libérée. 

 

Or la "démarche" proche de la maïeutique de la psychanalyse et de la catharsis, interpelle le spectateur entraîné dans un voyage mémoriel, il s’interroge ; Discours politique toujours tenu à distance ? Images d’archives qui alourdissent le propos ou qui sont frappées d’inanité ? allers et retours et  captation d'un emprisonnement  à la fois mental et social ??  mais les questions restent …. en suspens
 

On retiendra cependant la puissance de la  solidarité, qui unit ces éclopés de la vie,  ces êtres à jamais abîmés,  ainsi que le sourire qui illumine le visage de Sean  (serait-ce l'accomplissement -du moins les prémices- de la prophétie de Bobby Sands   Notre revanche sera le rire de nos enfants ?? 

 

 

Colette Lallement-Duchoze
 

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