19 janvier 2024 5 19 /01 /janvier /2024 08:06

De Jean-Baptiste Durand (2023)

 

Avec Anthony Bajon : Dog,  Raphaël Quenard : Mirales,  Galatéa Bellugi : Elsa,  Dominique Reymond : Christiane, la mère de Mirales,  Bernard Blancan : Bernard,   Nathan Le Graciet : Paco , Mélanie Martinez : Charlotte,  Mike Reilles : Dimitri,  Mathieu Amilien : Enzo , Evelina Pitti : Madame Dufour , Kader Bouallaga : Ali , Marysole Fertard : Sonia, la copine de Dimitri

 

 

Festival Premiers Plans d'Angers 2023 : Prix du public

Festival La Ciotat Berceau du cinéma 2023 : Lumière d'or et double prix d'interprétation masculine pour Raphaël Quenard et Anthony Bajon

Festival de Cabourg 2023 : Swann d'or du meilleur premier film et Swann d'or de la révélation masculine pour Raphaël Quenard

Prix Pierre Chevalier 2023 pour le réalisateur Jean-Baptiste Durand et la productrice Anaïs Bertrand

 

Dog, le taiseux, et Mirales, le flamboyant, sont deux amis de longue date âgés d'une vingtaine d'années. Ils passent la plupart de leur temps ensemble et font les quatre cents coups dans leur village du sud de la France. Ils ne se cachent rien, leur amitié semblant plus forte que tout. Jusqu'au jour où Elsa s'installe dans le bourg le temps de l'été. La jeune fille tombe très vite sous le charme de Dog. Le jeune homme passe de plus en plus de temps avec elle, ce qui a pour conséquence de faire vaciller son amitié avec Mirales. Ce dernier éprouve de la jalousie et ne supporte pas d'être le témoin de cette histoire d'amour...

Chien de la casse

Dans le groupe de désœuvrés qui s’adonnent à des (petits) trafics, se détache le duo. Dog et Mirales. Leur relation?  à la fois dyadique et hiérarchique dont Dog est le subordonné (et le jeu tout en retenue d’Anthony Bajon est exemplaire ) Raphaël Quenard qui interprète Mirales a cette audace qui lui sied, de proférer maximes et aphorismes, de citer Montaigne dans un langage soutenu avec la mélodie de la rue (on a beau savoir que le « chien de la casse » désigne en argot un « être vindicatif ou agressif dont les fins justifient les moyens employés on ne peut qu’être séduit par une étonnante singularité, un phrasé et une faconde quasi naturel.les.

De plus quand l’acteur est filmé arpentant les ruelles de ce petit village, son dos envahit l’écran;  de même pour les gros plans sur son visage. Donneur d’ordres (à Dog son pote, et à Malabar son chien) lui qui se plaît à humilier publiquement, lui qui ne tolère pas la désobéissance, sait manifester de la tendresse (cf la relation avec la mère dans une surprenante inversion des rôles et cette attention portée à cet homme attendant le gain messianique du jeu d’argent alors qu’à chaque mise il se trompe de signe astrologique….) Et si cette carapace de "dominateur" maquillait une détresse intérieure? 

 

Elsa est la seule à  lui tenir tête, à passer outre ses diatribes,  faire fi de son venin  ! A partir de là s’estomperaient  semonces et remontrances ?  quand le réalisateur semble faire la part belle à une relation amoureuse hétérosexuelle?  Mais la dynamique interne, rapport de force, n’en sera pas ébranlée  ….Et au plus fort du désarroi, de profundis de la tempête, Dog sollicite l’aide de son ….Ami !! Cet ami qui lui veut du bien....

 

Le village est à lui seul un personnage. Filmé en un beau frontal éclairé de lumières vespérales (plan d’ouverture) en contre plongée avec ses couleurs ocres ou encore en légère plongée sur les toits (et leurs tuiles bicolores typiques du sud) ; nous pénétrons dans ses "entrailles" avec son labyrinthe de ruelles, son banc public, son PMU, avant qu’il ne s’inscrive dans une vue d’ensemble plus large  sur le paysage environnant de la garrigue (somptuosité de la vastitude, de la palette de couleurs,  des panoramiques) Un plan sur un ciel ennuagé, annonciateur d’un drame intérieur ? … 

Quand la petite place sur le promontoire des rencontres devient un point de chute

 

Un premier long métrage tout en nuances et comme épuré,  à ne pas rater! 

 

A voir,  (ou revoir)  dans le cadre "Le Festival Cinéma Télérama"  (Omnia samedi 13h30, lundi 20h, mardi 18h)

 

Colette Lallement-Duchoze

 

 

 

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19 janvier 2024 5 19 /01 /janvier /2024 02:06

de Satajit Ray (Inde 1955)

 

avec Subir Bannerjee (Apu Roy), Kanu Bannerjee (Harihar "Hori" Roy), Karuna Bannerjee (Sarbajaya Roy), Uma Das Gupta (Durga), Chunibala Devi (Indir Thakrun), Runki Banerjee (La petite Durga), Tulsi Chakraborty (Prasanna, l'instituteur), Binoy Mukherjee (Baidyanath Majumdar).

 

musique Ravi Shankar

chef opérateur Subrata Mitra 

 

Festival de Cannes 1956: prix du "document humain"

 

 

La vie d'une famille indienne pauvre, dans un village du Bengale, au début du vingtième siècle. Le père occupe la fonction de brahmane (prêtre) alors que Durga et sa mère travaillent au champ. Naît un second enfant, Apu, un petit garçon. Durga, commet de petits larcins pour améliorer le quotidien. Apu grandit et le père décide de partir travailler à la ville en espérant gagner plus d'argent. C'est désormais la mère, seule, qui doit faire vivre la famille.

 

La trilogie d'Apu: La complainte du sentier

 

Un coin perdu comme oublié, une maison ancestrale délabrée, une cour intérieure lieu de toutes les activités et des palabres ; c’est là que vit une famille dont le père (brahmane) est souvent absent. Famille que le cinéaste (dont c’est le premier long métrage) filme au plus près (à la manière du néo réalisme italien et dans la mouvance de Renoir). Il fait se succéder des scènes comme autant de tableaux d‘un théâtre de la vie dont le tempo est scandé par les allers retours du père et dont le passage d’une scène à l’autre ou d’un acte à l’autre se fond dans l’écran noir. Et pour les 2/3 il adopte le point de vue de l’enfant Apu.  Enfant dont la sœur (émancipée de certaines contraintes) servira de « modèle » dans un  monde miséreux misérable mais traité sans « misérabilisme » ; voyez ces gestes dont le prosaïsme est magnifié, (brossage de cheveux )  gestes de survie (l’eau les préparations culinaires les repas)   sinon sacralisés du moins ritualisés dans une belle liturgie 

 

La présence de la vieille Indir aussi décharnée que l’intrigue est minimaliste, pliée en deux, et dont le visage, édenté,  parcheminé s’impose en gros plan à l’écran, illustre  le problème de l’entraide des humains dans la précarité, ainsi que la survivance des croyances animistes ancestrales. Plus d’une fois la mère la chasse du logis (car les larcins répétés de sa fille  Durga -dont celui de fruits destinés à l’aïeule provoquent des réactions indignées et ulcèrent une mère soucieuse de sauvegarder son amour-propre, son honneur). Cette « tata » sait capter l’attention des enfants en leur racontant des histoires de même qu’en sentant sa mort prochaine elle psalmodie une complainte en s’adressant directement au passeur "Le crépuscule de ma vie est venu. Je vous attends, ô passeur qui devez me conduire sur l'autre rive. Vous êtes bon et n'abandonnerez pas le pauvre parmi les pauvres..."

 

 

Le cinéaste fait alterner vastes étendues extérieures, plaine forêt (que le frère et la sœur, pieds nus, parcourent en courant ) paysages personnages à part entière et séquences à l’intérieur de la maison ancestrale.

Un quotidien dont l'immuable recommencement sera provisoirement brisé par les préparatifs de mariage d’une jeune voisine et par le festival de théâtre t. Bien plus,  alertés par un sifflement jusque-là inconnu,  les deux enfants assistent au passage d’un train…Un train et ses connotations  de fuite , d'évasion !!

 

Et la musique discrète ou expressive, mais si envoûtante de Ravi Shankar  (il  joue autant du sitar que de la flûte de bambou) ! 

 

Autant de raisons pour ne pas rater ce film, premier volet de la trilogie d'Apu

 

 

Colette Lallement-Duchoze

 

 

PS En 1956 Truffaut aurait dit « je ne veux pas voir un film avec des paysans qui mangent avec leurs mains"....

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16 janvier 2024 2 16 /01 /janvier /2024 07:05

de Zoljargal PUREVDASH - Mongolie 2023

 

 avec Battsooj Uurtsaikh, Nominjiguur Tsend, Tuguldur Batsaikhan, Batmandakh Batchuluun...

 

Sélection Officielle Cannes 2023

Ulzii, un adolescent d’un quartier défavorisé d’Oulan-Bator, est déterminé à gagner un concours de sciences pour obtenir une bourse d’étude. Sa mère, illettrée, trouve un emploi à la campagne les abandonnant lui, son frère et sa sœur, en dépit de la dureté de l’hiver. Déchiré entre la nécessité de s’occuper de sa fratrie et sa volonté d’étudier pour le concours, Ulzii n’a pas le choix : il doit accepter de se mettre en danger pour subvenir aux besoins de sa famille.

Si seulement je pouvais hiberner

En analysant le  parcours d’un adolescent taraudé entre la survie des siens et un brillant cursus scolaire la réalisatrice souligne à la fois la misère des laissés pour compte dans le quartier périphérique de la capitale mongole Oulan Bator et les problèmes de pollution (Oulan Bator est une des métropoles les plus polluées ).

Une yourte qui abrite la mère (illettrée sans emploi et alcoolique ; elle sera d’ailleurs contrainte de quitter cette zone en marge pour la campagne) et ses 4 enfants. L’aîné, relayant la figure paternelle, tente de subvenir aux besoins élémentaires de son frère et de sa sœur (le plus jeune ayant suivi sa mère) Chauffage et nourriture !  Or précisément bois et charbon (quand la température peut descendre jusqu’à -35°) sont plus que précieux, et les fumées noires intoxiquent l’atmosphère ; mais que faire  quand on est complètement démuni sinon participer à un abattage clandestin d’arbres ?

Un film qui mêle justice sociale et justice climatique

Certes le déroulé a quelque chose de prévisible, certes de gros plans fixes prolongés (sur le visage d’Ulzii surtout) et des longueurs inutiles loin de servir le propos le privent d’une puissance suggestive ; certes les contrastes entre la misère de cette périphérie et les appartements chauffés de la ville, entre les gratte-ciel (filmés en de superbes contre plongées) et la décrépitude de l’hôpital public, et plus largement entre la « ruralité » et la « modernité » peuvent nous sembler un peu trop appuyés !!!

Le film n’en reste pas moins « sobre » Les paysages (loin de ceux qui ont marqué un imaginaire collectif) sont réduits ici à leur fonction première - même si les roses saumon et les bleu- vert en se détachant sur la lumière blanche font de certains plans   d'authentiques tableaux. Il frappe aussi par la raucité d’une langue qui n’a d’égal que l’âpreté du quotidien auquel est confronté cet adolescent ; et enfin par ces élans de solidarité (cf le rôle du voisin bienveillant)

Film solaire? Peut-être

Film social ? assurément

 

Colette Lallement-Duchoze

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15 janvier 2024 1 15 /01 /janvier /2024 06:32

de Hirokazu Kore-Eda  (Japon 2023)

 

 

avec Sakura Andô (Saori) Soya Kurokawa (Minato) Eita Nagayama (Hori)

 

Queer Palm et Prix du Scénario Festival de Cannes 2023

 

Film dédié au pianiste Ryuichi Sakamoto, ( décédé en mars 2023 

 

Argument: Le comportement du jeune Minato est de plus en plus préoccupant. Sa mère, qui l’élève seule depuis la mort de son époux, décide de confronter l’équipe éducative de l’école de son fils. Tout semble désigner le professeur de Minato comme responsable des problèmes rencontrés par le jeune garçon. Mais au fur et à mesure que l’histoire se déroule à travers les yeux de la mère, du professeur et de l’enfant, la vérité se révèle bien plus complexe et nuancée que ce que chacun avait anticipé au départ...

L'innocence

Moins un film à plusieurs voix qu’un film puzzle, à énigmes. Là où le film de Kurosawa Rashômon (1950) (auquel on compare inévitablement L’innocence à cause de la structure fragmentée en chapitres)  montre les « mêmes événements vus sous des angles différents », celui de Hirokazu Kore-Eda va « dévoiler le hors champ du témoignage précédent » Le spectateur ainsi placé au cœur d’un « drame » social familial, est amené à découvrir ce qui se cache derrière la « monstruosité », (cerveau de porc ? harcèlement ?) et il peut éprouver de l’hostilité envers le corps enseignant éducatif - en adoptant le point de vue de la mère – puis de la « sympathie » (sens étymologie) pour le prof d’abord incriminé avant d’être immergé dans le monde de l’enfance, avec ses vertes lumières qui vont calmer les douleurs stigmatisantes de l’amour naissant....

L’innocence ou la remise en cause de nos certitudes ? Une remise en cause en trois « temps » soit trois chapitres ponctués par le plan récurrent sur l’immeuble en flammes. Un embrasement prélude à…Un embrasement et toutes ses connotations !!!

Chemins de traverse fausses pistes c’est bien la construction progressive d’un puzzle qui s’impose à l’écran. Dans un contexte social et sociétal  précis (lieux de travail, d’habitation, idéologie dispensée) Avec ses huis clos (l’appartement où vivent mère et fils, le collège avec ses escaliers ses salles de cours et de discussion, ses vitres ses w-c comme autant de cloisonnements ); avec ses changements de cadre (quand la mère sera précisément en  dehors aux moments les plus douloureux ou que le professeur « accusé » et contraint de battre sa coulpe… est tenté par le vide) et surtout avec cette envolée à la fois poétique et solennelle vers la lumière…quand un wagon d’un autre âge, customisé et enguirlandé, abrite l’innocence.

Et le tremblement de  terre  n’a-t-il pas son équivalent dans le séisme intérieur qui ébranle chaque personnage et plus particulièrement les deux garçons ?

En fait L’innocence (sens étymologie « ce qui ne nuit pas ») est de l’aveu même du cinéaste plus une quête de justice que de vérité Le fait de vouloir revendiquer à tout prix qu'une chose est juste peut constituer un acte de violence pour d'autres personnes. C'est plutôt ce mécanisme qui m'intéressait Et le titre original Kaibutsu, (qu’on peut traduire par « monstre ») serait plus éloquent 

 

Un film à voir ! c’est une évidence !

 

 

Colette Lallement-Duchoze

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14 janvier 2024 7 14 /01 /janvier /2024 06:40

de Helena Girón et Samuel M. Delgado  (Espagne 2021)

 

avec Xoán Reices, Valentín Estévez  David Pantaleón  Sara Ferro Nuria Lestegás

 

Mostra de Venise 2021 semaine internationale de la critique

Argument:  1492. Parmi l'équipage dirigé par Christophe Colomb voyagent trois hommes condamnés à mort. Ils ont réussi à éviter leur triste sort en participant à ce voyage incertain. Lorsqu'ils atteignent les îles Canaries, ils s'enfuient, emportant avec eux une des voiles du navire. Pendant ce temps, dans le "Vieux Monde", une femme tente de sauver sa sœur mourante en l'amenant chez une guérisseuse

Un corps sous la lave (eles transportan a morte)

C’est à une expérience visuelle plastique et sonore que nous convient les deux réalisateurs ! 

Il faut se laisser habiter, se laisser transporter par ce film contemplatif. Oui essentiellement contemplatif même si les éléments naturels (forces vives de l’océan,  forces éruptives des montagnes volcaniques) déversent leur puissance, leur incandescence , leurs tourbillons incendiaires (accompagné.es par une bande-son prestigieuse).

Et la caméra grâce à certains effets fait s’évanouir en une confondante unité les êtres humains  (en les filmant de dos) et une nature qui les absorbe, comme si les vivants allaient se fondre dans le néant !.

Lenteur du rythme, dialogues minimalistes,  à la parole les deux réalisateurs préfèrent un travail élaboré sur l’image, laquelle va transformer le paysage en un authentique personnage.

Voici apparemment deux "histoires" en montage  parallèle  (cf. le synopsis) (On apprendra à demi-mot  ce qui les relie quand l'aînée  tente de "justifier" le suicide de sa jeune sœur, l'Abandonnée ..)  Certaines scènes se font écho : la lutte sous l’eau avec le drapé de la voile confisquée par les trois « fuyards » et le drapé qui va couvrir tel un linceul le corps de la jeune femme après sa tentative de suicide ; à la marche dans les escarpements et anfractuosités des roches des premiers répond celle de la sœur aînée à travers les hautes herbes, en quête d’une guérisseuse ; aux pauses des trois hommes mâchant quelque biscuit de survie ou s’aspergeant le visage d’une eau lustrale répond la main vigilante, avec en son creux une eau salutaire, - la sœur aînée caresse le visage, les lèvres de la jeune femme qui agonise. L’âne porteur, compagnon tutélaire des femmes, est aussi le lien entre le chthonien et l’apollinien ! 

L’apparente binarité ne saurait exclure une même réflexion sur le temps, la mort, Et sur notre propre finitude ! Le film se pare ainsi d’une portée universelle ; la lutte des trois hommes et des trois femmes pour leur survie c'est aussi la nôtre !  La voix off vers la fin du film en s’adressant directement aux forces chthoniennes, aux laves dissimulatrices,  le dira plus explicitement. (ô combien de mort.es  enseveli.es à jamais sous la lave!!) 

Le choix de 1492 n’est pas anodin et le long métrage acquiert une dimension politique non négligeable -la conquête d’un monde nouveau, mythifiée, exhaussée en légende, avait honteusement bafoué les règles élémentaires de la morale et de la justice… Dont acte ! 

 

Un corps sous la lave!  Une méditation  sur le Temps, Une œuvre poétique (dans toutes les acceptions de ce terme) belle dans son intransigeance même !

A ne pas rater !

 

Colette Lallement-Duchoze

 

Un corps sous la lave (eles transportan a morte)

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13 janvier 2024 6 13 /01 /janvier /2024 06:13

De Joachim Lafosse (2023)

 

avec Daniel Auteuil (François Schaar), Emmanuelle Devos (Astrid Schaar) , Jeanne Cherhal  (la commissaire) Matthieu Galoux  (Romain Schaar, le fils adoptif)

Argument Silencieuse depuis 25 ans, Astrid, la femme d’un célèbre avocat, voit son équilibre familial s’effondrer lorsque ses enfants se mettent en quête de justice.

Un silence

le fait divers ne fait pas un film, c'est l'écriture (Joachim Lafosse)

 

 

Le film s’Inspire de l’histoire de Victor Hissel, cet avocat des familles des fillettes disparues victimes de Marc Dutroux  avant d’être lui- même impliqué dans une affaire de détention d'images à caractère pédopornographique. Si le cinéaste fait allusion à certains faits « vérifiables » :la volonté d’en finir (l’avocat se dit contraint d’abandonner la défense 1998) la perquisition 2008, la tentative d’homicide, les procès,  ce sera le plus souvent en courts instantanés et dans une chronologie éclatée. Car là n'est pas le propos !!

Non seulement Joachim Lafosse refuse le spectaculaire, le voyeurisme, et le naturalisme (lui préférant la théâtralisation) mais il adopte de bout en bout le point de vue de la mère, une mère aimante certes, mais une épouse complice qui a choisi de se taire…des décennies durant ! Le visage d’Astrid/Emmanuelle Devos ? un palimpseste à décrypter ! Silence ? le "personnage"  principal de la tragédie qu'un motif musical  rend encore plus suffocant(e) (implosion annoncée d'une famille?  "lourd secret"  qui taraude  avant d'être ébruité?)  

Le film s’ouvre sur une séquence assez longue où le regard inquiet d’Astrid au volant de sa voiture s’impose au spectateur dans le reflet du rétroviseur (en écho le tout dernier plan du film, plan fixe prolongé sur son visage…presque plus éloquent que le verdict !) Séquence suivante : au commissariat Astrid a choisi de « parler » face à une « commissaire » bienveillante (étonnante Jeanne Cherhal); encore que …la question « pourquoi avez-vous cherché à me joindre ? » restera en suspens

Le film ? à la question (comme dans A perdre la raison) « comment en est-on arrivé là ? une réponse en flash back. Mais une réponse par bribes. Réponse assez déroutante (recours aux périphrases aux allusions censées sinon combler du moins expliciter les non-dits), mais ô combien efficace (la scène au commissariat par exemple reprise mais « contextualisée », la récurrence de gestes apparemment identiques mais filmés sous un autre angle, la circulation des regards souvent de biais, inquisiteurs réprobateurs rarement complices) une réponse qui restera parcellaire …(surtout ne pas spoiler)

L’enfermement des personnages avec leur "conscience" -aux prises avec leurs démons pour l’avocat- Joachim Lafosse le rend palpable par la récurrence de l’habitacle de la voiture, -qui par métaphore devient habitacle de la conscience- par la spatialisation intérieure de la maison bourgeoise, son cloisonnement  -l’antre où "se réfugie"  l’avocat,  son ordinateur où est compilé l’abject et dont la bande-son en une fraction de seconde dit l’innommable, les escaliers qui jouent le même rôle que la grille à l’entrée de la propriété, la télévision que regardent enlacés la mère et le fils quand la parole de l’avocat est médiatisée, et le couple qui se frôle sans vraiment se parler. Palpable aussi par le choix d’ambiances semi obscures et celui du flou (la part d’ombre de l’avocat ? alors que son propre discours s’affichera toujours tel un plaidoyer pro domo dans l’hypocrisie permanente de l’évitement ou, plus condamnable, dans la stigmatisation de l’autre, cet autre (justice médias famille) forcément "coupable"  Sobre Daniel Auteuil l’est assurément (gestes déplacements placidité) mais Emmanuelle Devos est cardinale dans l’incarnation d’une mère, non exemplaire, dépositaire d’une culpabilité honteuse….

Un film à ne pas rater !

(Même avec des bémols …caricature de la presse , épisode nocturne avec Romain)

 

 

Colette Lallement-Duchoze

 

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12 janvier 2024 5 12 /01 /janvier /2024 08:06

de Cédric Khan (2023)

 

avec Denis Podalydès, Jonathan Cohen, Souheila Yacoub, Stefan Crepon, Emmanuelle Bercot

Simon, réalisateur aguerri, débute le tournage d'un film racontant le combat d'ouvriers pour sauver leur usine. Mais entre les magouilles de son producteur, des acteurs incontrôlables et des techniciens à cran, il est vite dépassé par les événements. Abandonné par ses financiers, Simon doit affronter un conflit social avec sa propre équipe. Dans ce tournage infernal, son seul allié est le jeune figurant à qui il a confié la réalisation du making of.

Making of

Bienvenue dans le monde merveilleux du cinéma dit l'affiche

Surtout ne pas prendre à la lettre ce pseudo slogan publicitaire …C'est une antiphrase

 

Plus qu’un film sur le tournage d’un film (c’est le sens littéral de making of) le dernier opus de Cédric Khan est aussi un film mise en abyme (d’ailleurs à un moment Diana se moque du jeune récemment embauché, il faillit à sa tâche en faisant un film « sur le cinéaste » et non « sur le tournage »). Film gigogne Making of ou l’histoire du film d’un film dans le film et à chaque fois trois points de vue, trois formats d'images, trois tonalités. Des « manières de voir » (fonction de l’image) donc mais qui vont de pair avec des situations de « travail » (les ouvriers du film, toute l’équipe de tournage, le jeune dont les rêves se concrétisent dans son making of) et que Cédric Khan met  en étroite relation avec des « situations » -réelles filmées fantasmées- dans un  jeu de « pistes » mais dont le questionnement permanent est bien le rapport entre le « réel » et sa « représentation » lequel se double de problématiques annexes, multiples en leur arborescence,; certaines sont « vitales » eu égard  à la survie du film    .

Avec un mélange de burlesque ( limite pantalonnade parfois) et de sérieux (les affres du réalisateur ses problèmes de santé et de couple) un tempo qui fait alterner séquences trépidantes et scènes plus « intimes », making of se plaît à jouer sur les « effets miroir » : au moment du tournage du film sur une lutte sociale, le cinéaste (admirablement interprété par Denis Podalydès) est confronté aux mêmes problèmes que ceux vécus par les ouvriers du film …dont certains d’ailleurs interprètent leur propre rôle !!!. A la question cruciale « poursuivre ou non la lutte quand on ne touche pas un centime » accepter ou non  la prime -de survie- proposée par le patronat, fait écho « continuer à tourner sans « cachets » sans indemnités, accepter de  "travailler gratuitement"  ?

Cédric Khan met en exergue certains clichés?  (producteur mytho, acteur vedette égocentrique -cf les vitupérations de Diana à son encontre)  Oui mais n’est-ce pas pour mieux les « incorporer » au film en fabrication sur le film ? où domineront en permanence le financement du projet (course contre la montre), le respect ou non du scénario initial (cf les discussions avec les tenants de la rentabilité à tout prix exigeant une fin « optimiste ») et les histoires personnelles. Trois problématiques qui s’entrelacent avec équilibre grâce au travail de montage (Yann Dedet)

Un film que je vous recommande même si Cédric Khan  occulte (délibérément ?) un enjeu bien réel - qui a existé bien avant « l’affaire Depardieu »- à savoir les violences sexistes et sexuelles sur les plateaux de tournage… Il se contente d’un « vague clin d’œil »

 

 

Colette Lallement-Duchoze

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8 janvier 2024 1 08 /01 /janvier /2024 04:26

de Matteo Garrone (Italie 2023)

 

avec Seydou Sarr (Seydou) Moustapha Fall  (Moussa) Issaka Sawadogo  (Martin)  Hichem Yacoubi (Ahmed) Doodou Sagna  (Charlatan)  Ndeye Khady Sy  (Mère de Seydou)

 

 

Récompense Mostra de Venise :Lion d'argent du meilleur réalisateur et Prix Marcello Mastroianni du meilleur espoir pour Seydou Sarr

Argument: Seydou et Moussa, deux jeunes sénégalais de 16 ans, décident de quitter leur terre natale pour rejoindre l’Europe. Mais sur leur chemin les rêves et les espoirs d’une vie meilleure sont très vite anéantis par les dangers de ce périple. Leur seule arme dans cette odyssée restera leur humanité...

Moi Capitaine

Adopter un point de vue différent de celui auquel les Européens sont habitués, suivre les migrants depuis leur pays d’origine et terminer leur douloureuse -pour ne pas dire tragique- odyssée au moment où ils arrivent sur les côtes italiennes, c’est ce que revendique Matteo Garrone.

Or le documentaire de la cinéaste belge Morgane Witz Teghadez Agadez TEGHADEZ AGADEZ - Le blog de cinexpressions la fiction L’ordre des choses de Andrea Segre sur l’hypocrisie des politiques menées en Lybie L'ordre des choses - Le blog de cinexpressions ou encore la fiction Hope De Boris Lojkine, HOPE - Le blog de cinexpressions pour ne citer que quelques films récents, prouveraient si besoin était que Moi capitaine n’est pas le premier film à renverser le point de vue européen en adoptant celui du migrant

 

En mêlant réalisme et onirisme, tendance documentaire et fiction, en esthétisant à tout prix (la longue traversée du désert, les choix de cadrages,  la répartition des couleurs) en opposant la douceur du contexte familial (scène d’ouverture placée sous le signe de la fête et du partage au Sénégal) et la rudesse impitoyable du périple, la foi en des pouvoirs animistes et la violence dans les ghettos des passeurs sur le sol africain, en privilégiant l’humanité foncière du jeune Seydou (formidable Seydou Sarr) confronté à la barbarie (cf tortures et prisons en Lybie) Matteo Garrone, certes excellent « conteur »(cf Tale of tales, Dogman Dogman - Le blog de cinexpressions évoquerait plus un rite de passage, une odyssée quasi mythique -voire épique- hérissée de toutes les horreurs.

 

Atmosphères nocturnes bleutées, plans aériens, chorégraphies savantes où l’être humain individualisé est comme un noir bâtonnet dans l’ocre infini du désert, corps calcinés ou desséchés, gros plans sur des visages tuméfiés, etc. la succession des tragédies ainsi traitée (esthétique esthétisante), dévitalise le propos initial,  et dessert une démarche revendiquée haut et fort !

 

Dommage !

 

 

Colette Lallement-Duchoze

 

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7 janvier 2024 7 07 /01 /janvier /2024 09:48

De Selma Vilhunen (Finlande 2023)

 

avec  Eero MilonoffAlma PöystiOona Airola

 

Juulia découvre que son mari Matias a une liaison avec une autre femme prénommée Enni. Pour sauver leur mariage, elle lui propose d’expérimenter le polyamour et d'inventer les nouvelles règles de leur vie conjugale. Un champ des possibles amoureux s’ouvre alors à eux…

Amours à la finlandaise

Un titre programmatique (et l'ajout sur l'affiche  scènes de la vie extra conjugale  serait un clin d’œil complice à Bergman ?) Une mélodie doucereuse (cf couleurs pastel et mièvrerie de l’affiche) ? Le titre en version originale serait plus prosaïque : Quatre adultes insignifiants  Neljä pientä aikuista

En fait, nous allons assister, et ce, pendant plus d’un an, à la mise en  " pratique" du polyamour (Julia a "potassé"  la méthode, a offert  un exemplaire à son mari et  un autre à la maîtresse Eni)

Comique de situation : la  "pratique"  ne correspond pas toujours à la "théorie"  (les spécialistes n’auraient pas envisagé tous les cas de figure ; bifurcations, aléas, revendications et surtout le piège (insurmontable ?) des différences de classe sociale (cf les aveux de Miska  au restaurant)

 

Amours à la finlandaise ou Une façon d’en finir avec le couple hétérosexuel exclusif monogame ? Peut-être 

 

Mais enrober moult clichés (jérémiades ou lamentations, discussions aux thèmes éculés etc..) dans une surprenante fadeur, voilà qui ne peut que déplaire (du moins à certains spectateurs)

Et pourtant les deux acteurs (Alma Pöysti héroïne sublime des feuilles mortes de Kaurismäki et Eero Milonoff héros non moins sublime de Border d'Ali Abassi) jouent à merveille ce contraste éloquent qui oppose la fougue de l’un à la placidité assumée de l’autre (Matias semble toujours extérieur à ce qu’il vit, hormis peut-être lors de cet ultime  "sermon " (il est pasteur) où pour la première fois il s’exprimera sans …lunettes…. Un cri ! Une déchirure venue du tréfonds ! un dévoilement de ce qu’est l’humain !

 

En voulant contourner les pièges du drame bourgeois (celui du trio vaudevillesque) la réalisatrice proposerait une réflexion sur tous les possibles de l’amour quand on veut éviter le divorce (le spectateur est ainsi ballotté du duo originel, aux deux « nouveaux » duos jusqu’au quatuor et au quintet Julia Matias Eni Miska et son compagnon- l’acmé est la séquence de Noël chez les parents de Matias)

 

Mais attention nulle licence, nul débordement tout est gentillet (soft) -même dans les scènes de séduction sexuelle-.  Chacun joue sa partition en « respectant » scrupuleusement les règles …

Après avoir inhalé les "fameux poppers "(scène d’ouverture où le couple quadragénaire scelle dans l’étreinte amoureuse le serment d’amour éternel) voici un vol d’oiseaux striant de ses hachures le ciel automnal….  premier cliché !

Une femme députée, briguant le poste de « présidente » du « parti de l’équité », va mêler sa « propre » histoire (polyamour vécu au grand jour et non en cachette) aux revendications sociétales de son parti, est-ce vraiment « révolutionnaire » ?

 

Je vous laisse juge

 

 

Colette Lallement-Duchoze

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6 janvier 2024 6 06 /01 /janvier /2024 06:53

documentaire réalisé par Mila Turajlić (Serbie 2010)

 

à voir gratuitement sur Tënk (jusqu'à demain minuit)

 

Cinema Komunisto - Film documentaire - Tënk (on-tenk.com)

Leka Konstantinovic, projectionniste personnel de Josip Broz Tito durant 32 ans, a montré exactement 8801 films au président de la Yougoslavie. Avec des réalisateurs, vedettes et chefs de studio yougoslaves, il nous raconte comment le Maréchal Tito (1892-1980) a donné forme à la Yougoslavie d’après-guerre et a en même temps utilisé l’industrie cinématographique pour créer l’histoire du nouveau pays. Ce film raconte l’histoire du pays d’une manière jamais vue à l’écran. Rassemblant des archives exclusives inédites, il recrée l’histoire d’un pays qui était peut-être lui-même une fiction.

Cinema Komunisto

 

« La citation inaugurale du film, « l'histoire du cinéma est l'histoire du pouvoir de créer l'histoire» synthétise bien le projet de Mila Turajlić, de Cinema Komunisto jusqu’à son récent diptyque, Ciné-guerrillas et Non-alignés, tous deux construits à partir des images tournées par Stevan Labudović, caméraman pour les actualités cinématographiques yougoslaves à travers le monde, et notamment en Algérie. Avec Cinema Komunisto, la cinéaste prend comme point de départ les studios abandonnés de Belgrade, vaste cité du cinéma qui lui sert de métaphore pour l'ex-Yougoslavie dans son entier. En faisant dialoguer des images d’archives, d’actualité ou de fiction, et les témoignages de ceux qui ont participé à l’essor de l’industrie cinématographique à l’époque, Mila Turajlić interroge la manière dont le gouvernement socialiste de l'époque a utilisé le cinéma pour écrire le récit politique du pays, autant dans les histoires que le cinéma raconte que dans les moyens déployés pour en faire une industrie rivalisant avec Hollywood. 
 

L’équipe éditoriale de Tënk

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