7 mars 2024 4 07 /03 /mars /2024 06:32

De Maxime Rappaz (Suisse 2023)

 

Avec Jeanne Balibar (Claudine) Pierre Antoine Dubey (Baptiste) Thomas Sarbacher (Michaël)

 

festival de Cannes 2023 Acid (association du cinéma indépendant pour sa diffusion)

 

Sortie salle 20 mars 2023

Claudine consacre toute sa vie à son fils handicapé. Toutefois, chaque mardi, elle s’offre une plage de liberté et se rend dans un hôtel de montagne pour y fréquenter des hommes de passage. Lorsque l’un d’eux décide de prolonger son séjour pour elle, Claudine en voit son quotidien bouleversé et se surprend à rêver d'une autre vie.

Laissez-moi

Long travelling avant dans un train, un personnage féminin vu de dos, puis la femme de blanc vêtue emprunte un téléphérique avant de rejoindre un immense hôtel de montagne (la compacité de la façade emplit tout le cadre) C’est ainsi que le spectateur entre dans l’univers de Claudine avant de « partager » son intimité avec des hommes de passage.

L’étrangeté naît du décalage entre la tenue vestimentaire de cette élégante quinquagénaire (bottines à talons, trench serré, carré de soie autour du cou) et le décor qui serait plus adapté à des randonneurs aux chaussures adéquates…(Ce que lui fera remarquer Michaël)….

Nous sommes à 2500m d’altitude… C’est un mardi. Au retour dans la vallée c’est une autre Claudine que nous allons découvrir : cheveux lissés en chignon, tenue plus stricte ; l’amante des hauteurs, l’amoureuse d’aventures furtives, la femme qui libre -car libérée d’un carcan- décide de son destin, est la mère aimante de Baptiste, son fils handicapé moteur, une mère courage, couturière à domicile, une femme qui se mure et musèle ses pulsions.

La topographie (les hauteurs, le barrage, le tunnel, les monts enneigés contrastant avec la vallée dans sa quotidienneté, sa spécificité ) rend compte de la double vie menée par le personnage, et surtout de la cohabitation intérieure de deux «univers » Leur lien ? l’escapade hebdomadaire donne aussi la matière soutirée aux amants d’un jour, pour des lettres destinées à Baptiste, censées être écrites par le père ….absent ….et la voix de Claudine (ah le timbre de voix de Jeanne Balibar) suppléera celle des amants quand elle lit les missives décrivant Florence Hambourg, Baptiste exulte même si ce voyage risque d’être entaché par les dires de la voisine  dénonçant une « mascarade »…

Nous sommes en 1997 (on a le droit de fumer, Baptiste est fan de la princesse Diana, dont on annoncera la mort en juillet)

Si le rituel impose la répétition de gestes identiques, (réceptionniste,  chambre d’hôtel déshabillage, étreintes, préparation de patrons (couture) essayage, chambre réveil bain pour Baptiste, piano sonatines voisine, etc) la plupart ne seront pas filmés de la même façon…changement perceptible de lumière, d’angle de vue ou de cadrage. Mais l’essentiel est de montrer que le rituel millimétré va se fissurer, que la muraille intérieure - en harmonie d’ailleurs mutatis mutandis avec l’élément minéral du décor et l’immense sous-terrain de la Grande Dixence englouti dans les entrailles de la montagne -, cette muraille/carapace contrainte et acceptée va se craqueler et la voix suave de Jeanne Balibar elle aussi se met à trembler… C’est la dynamique interne du film - ayant rompu le pacte de ne voir qu’une seule fois l’homme de passage, Claudine accepte de « rencontrer » à nouveau Michaël ; ébranlement des sens, dans l’évidence de leur lascif abandon mais surtout déflagration intérieure (elle envisage de rompre avec le mode de vie qu’elle s’était jusque-là imposé…)  L’instant de bascule éventuel a précisément pour cadre le tunnel souterrain du barrage et pour accompagnement sonore la musique d’Antoine Bodson….

Peu importe après tout, la décision que prendra Claudine

Laissez-moi un film porté de bout en bout par une actrice au meilleur de sa forme

Laissez-moi un film aux ambiances à la Hopper (Excès de formalisme ? Ce reproche éventuel serait de facto frappé d’inanité…)

 

 

Colette Lallement-Duchoze

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6 mars 2024 3 06 /03 /mars /2024 08:00

de Veerle Baetens (Belgique Pays-Bas 2023)

 

avec Rosa Marchant, Charlotte de Bruyne Amber Metdepenningen, Matthijs Meertens, Anthony Vyt, Sebastien Dewael

De nombreuses années après cet été où tout a basculé, Eva retourne pour la première fois dans son village natal avec un énorme bloc de glace dans son coffre, bien déterminée à affronter son passé...

Débâcle

Adapté du bestseller Het Smelt (ça fond ; en français « débâcle ») de Lize Spit, ce premier long métrage de Veerle Baetens est un film sur la non résilience. Deux temporalités -en miroir-, (faire progresser en parallèle deux moments de la vie d’Eva), un « fil rouge » : la devinette (d’abord « ludique » elle participera au « macabre ») deux façons de filmer

 

Mutique esseulée assez « gauche » telle apparait au tout début Eva assistante photographe à Bruxelles. Un gros plan sur un regard énigmatique (fuyant ?) un autre sur un paquet/cadeau qu’elle fait chuter de la table. Quel secret enfoui au profond ? Les infos sont livrées avec parcimonie et les gestes frappent par leur lenteur calculée. En acceptant l’invitation pour une soirée commémorative organisée dans le petit village des Flandres où elle passait ses vacances, Eva sait qu’elle trouvera tous les protagonistes de son enfance – ceux, notamment, d’un événement qui a bouleversé sa vie, l’été de ses 13 ans…. Mais elle ne sera pas animée par la vengeance. La cinéaste affirme d’ailleurs avoir réalisé Débâcle pour « tous ceux qui enfouissent leurs souffrances au plus profond d’eux-mêmes, à un endroit où personne ne pourra les deviner et d’où elles les dévorent peu à peu. ».

 

Veerle Baetens a de toute évidence travaillé les « raccords » entre les deux périodes : l’été des 13 ans (où tout a basculé) et le présent, jusqu’au plan final où les deux visages d’Eva vont se saluer, dans la simultanéité de leur apprivoisement réciproque …par-delà et à travers la vitre.

Faire dialoguer les temporalités en passant par exemple d’un plan d’Eva enfant regardant vers la gauche à un plan d’Eva adulte regardant vers la droite ; importance du regard tourné ou tendu vers…quand l’autre (famille ami) détourne le sien et accepte plus ou moins le climat de misogynie.  Ou au contraire en enfermant Eva adulte dans le cadre, afin de la rendre prisonnière alors que le cadre est le réceptacle de tous les possibles pour la période de l’enfance. Un contraste s’impose aussi dans la façon de filmer les deux temporalités. Ainsi l’été de l’enfance est dominé par le chatoiement de couleurs chaudes alors que le présent frappe par des teintes plus « glacées » -qu’accentuent le mutisme et certaines longueurs. Constat purement formel toutefois car le passé restitué à hauteur d’enfant sait mêler exubérance complexité et sadisme (la jeune Rosa Marchant a reçu le prix d’interprétation à Sundance tant son jeu est formidable); aucun temps mort, aucun détail superflu, aucune complaisance dans la « maltraitance ». Eva souffre de ne pas être reconnue par une mère alcoolique qui lui préfère la cadette ; Eva souffre de n'être que la « copine » de Tim dont elle est amoureuse, elle accepte pour lui plaire d’hameçonner de « belles » jeunes filles pour un quiz & strip.

Bourreau elle sera victime.

 

Et si la caméra est souvent virevoltante pour capter l’effervescence de l’adolescence, alors qu’elle est plus distante pour filmer Eva adulte, les deux Eva n’ont de cesse de « retrouver » -chacune à sa façon certes-, cette place confisquée, qui participe à l’identité…galvanise une personnalité

 

 

Eva ma sœur de quel amour blessé

Eva ton hurlement silencieux !

Un film à ne pas manquer

 

 

Colette Lallement-Duchoze

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4 mars 2024 1 04 /03 /mars /2024 18:09

 

 

18ème édition du   Festival du film d'Europe Centrale et Orientale 

 du   12 au 17 mars 2024

 

 

à l'Omnia rue de la  République Rouen

 

et à l'Auditorium du Musée des Beaux-Arts  rue Jean Lecanuet  Rouen 

 

 

 

 

 

XVIII FESTIVAL DU FILM D'EUROPE CENTRALE ET ORIENTALE
XVIII FESTIVAL DU FILM D'EUROPE CENTRALE ET ORIENTALE
XVIII FESTIVAL DU FILM D'EUROPE CENTRALE ET ORIENTALE
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4 mars 2024 1 04 /03 /mars /2024 07:13

De Lisandro Alonso (Argentine France Mexique 2023)

 

avec Viggo Mortensen (Murphy) Chiara Mastroianni (Maya / Colonel) Alaina Clifford (Alaina) Sadie Lapointe (Sadie) Viilbjørk Malling Agger (Molly) Adanilo (L'indigène disparu) 

 

Festival de Cannes 2023 Hors compétition 

Alaina, accablée par son travail d'officier de police dans la Réserve de Pine  Ridge, décide de ne plus répondre à sa radio. Sans nouvelles, sa nièce  part en Amérique latine pour un voyage qui s'avère mystique

Eureka

Le temps est une fiction inventée par les hommes 

 

Le film s’ouvre sur un western (une parodie ?) en noir et blanc au format 1,33, puis le cadre s’élargit en même temps que s’étrécit la série…. Télévisée… avant les infos météo ; nous sommes (second mouvement) dans la réserve de Pine Ridge (Dakota) où nous allons suivre la « ronde de nuit » d’une policière ; elle disparaît de l’écran et de la fiction et c’est avec sa nièce Sadie que nous allons effectuer un voyage dans le temps et l’espace (années 1970 jungle amazonienne). Conquête de l’Ouest, politique d’oppression de l’Amérique actuelle, et politique capitaliste au Brésil -dernier quart du XX°- telles sont les trois séquences constitutives de ce film

 

Un « motif » imagé formel semble les relier celui de l’oiseau, (le jabiru d’Amérique ?) une plume que caresse et interroge Murphy dans le saloon (western) plumes sur le canapé où s’était assise Sadie (avant le « trip » concocté par le grand-père) et voici que (faussement) majestueux l’oiseau entre dans la chambre où « repose » le transfuge après avoir été soigné par la "guérisseuse" ; l’oiseau qui surplombait de ses ailes éployées la réserve, l’oiseau qui aura permis de passer d’une contrée à une autre, d’une temporalité à une autre. Mais ce lien narratif s’enrichit d’une critique suggérée ou explicite. Le réalisateur ne se contente pas de "montrer" les indiens Natifs déshumanisés réduits à des épaves et ce, avec  réalisme,  il s’insurge contre leur anéantissement programmé et la récurrence de l’effacement -voire de l’enfouissement-, d’une séquence à l’autre le prouverait aisément : les Amérindiens sont « effacés » du western (à la fois par Murphy et la femme shérif) ; la policière et sa nièce sont vouées à « disparaître » (mort symbolique) tant elles sont mésestimées et les autochtones en III sont « dépouillés » de leurs biens par les colons rapaces…

Un film exigeant, audacieux. (quand bien même on serait insensible à  l'animisme mystique qui préside à la troisième partie) Certains plans sont d’une sidérante beauté (quand le blanc envahit tout le cadre, quand la barque motorisée semble confondre l’élément liquide et l’imaginaire du blessé, quand une contre plongée magnifie le rôle du guide ou de l’oiseau, quand la policière impose sa corpulence placide au réel) et la bande son (due au percussionniste Domingo Cura) est parfois envoûtante

Mais en optant pour la complexité (et son inévitable artificialité, transformant le réalisateur en « chamane  de la condition indigène» suppléant les trois guides de sa fiction) en recourant aux très longs plans fixes (comme dans Jauja), aux contrastes appuyés (monde des vivants et  des morts, neige et jungle, réalisme et imaginaire, vie moderne tumultueuse et vie contemplative, mutisme et paranoïa, misère et chercheurs d’or) le cinéaste a pris le risque de décevoir:  la dynamique de la rupture  ne brouille -t-elle pas l’implicite de la « théorie » ? et on est acculé  à s’interroger au lieu de se laisser (trans)porter……

Certains spectateurs risquent de rester à quai…..

 

Colette Lallement-Duchoze

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26 février 2024 1 26 /02 /février /2024 07:02

d'Okivier Py (2023)

 

avec Laurent Lafitte, Stecy Martin, Bertrand de Roffignac , Jean-Damien Barbin, Judith Magre, Jeanna Balibar, Dominique Frot, Eva Rami ....

Paris, 17 février 1673. Comme tous les soirs, Molière monte sur la scène du théâtre du Palais-Royal pour jouer Le Malade imaginaire. Ce sera sa dernière représentation.

Le Molière imaginaire

Malade imaginaire ? Plutôt imaginaire malade

Ce sera le parti pris d’Olivier Py, dramaturge, metteur en scène, ex directeur du festival d’Avignon, actuellement directeur du Châtelet.

Univers mental et espace théâtral se superposent, se confondent dans cette exploration des derniers instants de l’auteur acteur artiste que fut Molière. Huis clos théâtral, huis clos mental. Fantômes fantasmes et vécu, souvenirs et moment présent sont traités dans le continuum du plan séquence (la supposée relation avec l’acteur Michel Baron, des bribes de la 4ème représentation du Malade imaginaire au Palais Royal, les intermèdes chorégraphiés, le refus de signer la « renonciation » pour avoir droit à une sépulture, le dialogue avec l’épouse Madeleine par-delà la mort, les griefs à l’encontre du pouvoir de la religion, etc..)

La caméra glisse de la scène aux coulisses, des loges latérales au sous-sol (authentique underground de toutes les permissivités) et à chaque fois nous sommes invités à être les complices/ témoins /spectateurs, en arpentant ainsi les « strates de ce qui fut toute une existence ». Et si certains spectateurs (dans le film) sont outrageusement poudrés grimés (les trois marquises par exemple) les intervenants/actants  dans l’imaginaire de Molière sont dénudés des oripeaux, des artifices, car la nudité des corps (masculins de préférence) doit illustrer la « mise à nu » d’un dérèglement des sens

 

Et voici que défilent -en accéléré ou ralenti-, travelling latéral ascendant ou descendant tous ceux qui participent à une danse de la mort (mort de l’artiste qui crache le sang, mort de l’aide si précieuse accordée par le roi,  absent, mort des illusions, mort du théâtre ?) dont l’espace clos du théâtre du Palais Royal (FabricA  Avignon) sera le réceptacle !

Un réceptacle baroque. Olivier Py emprunte au courant littéraire pictural et politique du XVII° ses singularités dont la vanité. Vanité des décors dans leur flamboiement ocre rouge (éclairage à la bougie) vanité d’un public (certains visages poudrés rappellent les vieilles de Goya les masques d’Ensor ; le prétendu vivant devenu figure morte malgré les piaillements venimeux). Vanité et exubérance, exubérance et grotesque (sens étymologique et sens élargi) Oui! on a parfois l’impression d’assister à des scènes du Satyricon -dont celle du bain- (avec l’extravagance de Petrone mais sans la transparence énigmatique dont se réclamait Fellini)

 

Des acteurs admirables, étonnants dans leur gestuelle et leur diction ; dont le duo Laurent Lafitte (Molière) Jean-Damien Barbin (Chapelle) 

 

Mais cette "chronique d’une mort annoncée" (pour plagier le titre d’un roman de Gabriel Garcia Marquez) aura ses détracteurs

On ne souscrira pas à leurs propos fielleux voire haineux

(même si le langage s'enhardit, ose  des calembours faciles ou des pseudo paillardises, même si l’on juge de « mauvais goût » l’extinction d’une bougie par des flatulences -pratique qui a longtemps survécu dans les bizutages,)  etc..

 

Vive Molière libéré de son carcan hagiographique !

Un Molière « dé-muséifié et réhumanisé (propos de Laurent Lafitte sur France Culture)

 

 

Colette Lallement-Duchoze

 

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25 février 2024 7 25 /02 /février /2024 09:46

De Kei Ishikawa (Japon 2022)

 

avec Satoshi Tsumabuki, Sakura Ando, Masataka Kubota 

 

Japan Academy Prize 2023,  A man a obtenu les prix du meilleur film, du meilleur réalisateur pour Kei Ishikawa , du meilleur scénario pour Kôsuke Mukai, du meilleur acteur pour Satoshi Tsumabuki, des meilleurs actrices et acteurs secondaires, du meilleur montage et du meilleur son

Trentenaire endeuillée, Rie rencontre Daisuke artiste en herbe. Ils tombent amoureux et fondent une famille mais au décès de Daisuke Rie apprend qu'il avait usurpé l'identité d'un autre homme. Elle engage un avocat pour connaître la véritable identité de celui qu'elle aimait.

A Man

Adapté d’un roman éponyme, le film de Kei Ishikawa, est  " encadré"  (premier et dernier plan) par le tableau de Magritte « la reproduction interdite » (un personnage se regarde dans un miroir, or le miroir ne reflète pas son visage mais son dos !  alors qu’un livre posé sur la cheminée lui est bien reflété dans le miroir): Tableau dans le cadre du premier plan, avant qu’un zoom ne l’isole ; métaphore ou mise en abyme  de ce qui sera le questionnement  sur l’identité, l’un et le multiple (et partant sur la transmission, l’héritage) ???

Voici tout d’abord une romance sentimentale. Celle qui aura uni une jeune femme Rie divorcée (épatante Sakura Andô) et Daisuke un timide dessinateur (Masataka Kubota) -(ses  dessins comme floutés seront de précieux auxiliaires lors de l'enquête)  ; romance traitée avec  une  lenteur , pudique et  calculée,  et cette audacieuse ellipse temporelle . Un plan d’ensemble sur la famille recomposée heureuse avant le tragique accident (mais quelle incongruité sidérante dans son traitement !!….).Or la photo du défunt sur l’autel de famille ne correspond pas du tout au « vrai » Daisuke Taniguchi (comme l’affirme le « vrai » frère) Rie engage un avocat (Satoshi Tsumabuki) sur les traces de … X ; le film va basculer dans cette « chasse à l’homme », la  traque des identités

De rebondissements en rebondissements, d’indices en indices plus ou moins révélateurs, de rencontres en rencontres, d’interrogatoires en interrogatoires le cinéaste brimbale son spectateur et cherche à le perdre dans une démarche qui se veut dédaléenne, en variant rythme et ambiances, en multipliant les « fausses » pistes, pour aboutir à la découverte d’un inconnu qui aura porté plusieurs noms.

Simultanément l’enquête est devenue quête de soi (et ce dès que l'avocat entre dans le cadre ,dans la fiction ne serait-ce que par  la  façon de le filmer  de dos comme les personnages magrittiens) et les « crises » (éructations gifles qui contrastent avec son apparente placidité) vont scander cette prise de conscience ; parallèlement le fils aîné de Rie est déboussolé car il est privé de patronyme : lui qui avait porté le nom de son père géniteur puis celui de sa mère divorcée puis celui du père adoptif, quelle sera sa « nouvelle » identité (état civil) ?

 

Certes ce film interroge sur ce qui fait « un homme » (l’article un  dans son acception usuelle d’indéfini et non de singularité) c’est-à-dire sur les facteurs qui conditionnent l’identité de tel ou tel, de même qu’il insiste sur la pression sociale, sur l’intégration, les faux-semblants et les secrets ; un film qui joue avec le « brouillage » (à l’instar des dessins signés Daisuke ?) ; certes les protagonistes dits « secondaires » bénéficient d'une égalité de  traitement  (du professeur de boxe au détenu pour trafic falsification de documents,  en passant par la petite amie du vrai Daisuke ). Certes le racisme japonais -à l’encontre des Coréens entre autres- est vigoureusement dénoncé (propos xénophobes du détenu, manifs et slogans nationalistes)

Mais que de surenchère complaisante !! Que d’étirements inutiles !! (pour preuve:  la (es) « découverte(s) » d’un nouvel indice, d'une preuve  est (sont) longuement illustrée(s)  – sous forme de flashback -, à  coups d’hémoglobine de gnons  et de prétendus suspenses)

Dommage !!!

 

 

Colette Lallement-Duchoze

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24 février 2024 6 24 /02 /février /2024 06:09

De Wong Kar-wai (Hong-Kong 2004) 50'

 

avec Gong Li, Chen Chang, Feng Tian, Luk Auntie

 

 

Rétrospective Wong Kar-wai 

 

Hong Kong, années 60. Zhang, un timide tailleur, est fasciné par Mlle Hua, voluptueuse et froide courtisane qui le séduit pour s’assurer qu’il se souviendra d’elle lorsqu’il dessinera ses vêtements.

 

The Hand

Il lui parle ; elle restera hors champ Impuissant assiste-t-il à sa lente agonie ? Elle lui dit « vous rappelez-vous la première fois ? » (c'est la scène d'ouverture)  

Le film sera un flashback de 50 minutes. Flash back qui pour Zhang le tailleur fait revivre avec intensité la scène primitive (celle qui scellera le rapport de dépendance) mais aussi avec la mélancolie du never more.

Laissons-nous  (trans)porter dans  (et par) ce conte hypnotique "sur l’obsession, la répression et les divisions de classe, à la luxuriance romantique" . Un conte où "La sensualité et le toucher des tissus rythmeront les rencontres" 

On en sortira envoûté !

La rencontre. Zhang doit livrer une robe à une cliente. Elle, impérieuse avec ce plan en contre plongée sur un visage qui exprime la domination ; elle le somme de se dévêtir. Lenteur des gestes dans l’accomplissement d’une servitude, déshabillage; gros plan sur une cuisse dénudée ; la main de Mlle Hua (sublime Gong Li) se glisse dans l’entrecuisse (il ne doit pas oublier la sensation de vertige, cette déflagration qui se lit sur son  visage torturé déformé par la jouissance (on pense à la phrase de Duras déforme moi jusqu’à la laideur afin que nul autre après toi ne comprenne le pourquoi de tant de plaisir) Elle se gausse de l’avoir tétanisé dépucelé dépossédé  

La main et ses caresses bien sûr si vivement espérées… mais jamais… Main du tailleur qui prend les mesures sur le corps de la prostituée, main qui se glisse à l’intérieur de la robe qu’il est en train de repasser comme pour deviner par et dans le tissu, le grain le velours de la chair absente ; une robe encore vide mais habitée par la voluptueuse présence d’un corps caressé comme s’il la masturbait. Dans l’avant- dernière séquence en écho à la toute première la caméra s’approche du visage de la malade dont la main tente d’empêcher Zhang d'effleurer les lèvres Elle la prostituée ballottée entre deux amants, et délaissée par le premier (son "sugar daddy") ruinée par le second (un gigolo), contrainte de faire des passes dans un hôtel miteux, au moment de la mort tend sa main dans un geste de refus (ne pas contaminer le tailleur)  et d’attraction;  le rythme est  encore plus alangui que dans in the mood for love

Un amour vécu sur le mode de la frustration de l’attente du fantasme ; une façon de filmer qui privilégie la lenteur, les gros plans sur le visage ou une nuque. Puissance suggestive du désir, sensualité érotique du frôlement, douceur d’un drapé, souplesse du tissu, étreintes  fantasmées (cf les attentes dans l’antichambre quand parviennent aux oreilles de Zhang les soupirs de l’orgasme)  avec cette délicatesse qui avait enchanté le public de In the mood for love en 2000

La caméra sait capter aussi des ambiances (celle d’un atelier de confection dans son exiguïté et la promiscuité des ouvriers ; celle de chambres de luxe au velours subtil; cette montée des escaliers comme autant de marches vers l’élue, avant qu’un lent travelling sur les couloirs de l’hôtel ne souligne le vide mélancolique, la définitive absence) 

 

A ne pas rater (séances samedi 16h, dimanche11h, lundi 21h45)

 

Colette Lallement-Duchoze

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23 février 2024 5 23 /02 /février /2024 10:12

de Hong Sang-soo (Corée 2022)

 

avec Hae-hyonKwon, Hye-Young Lee, Song Seon-mi

Argument: Byungsoo, un réalisateur célèbre, accompagne sa fille chez une amie de longue date, propriétaire d'un immeuble à Gangnam. La visite des lieux entraîne pour lui un voyage hors du temps où se dessinent, à chaque étage, ses amours passées et à venir

Walk-up

On connaît la prédilection du cinéaste pour les " intermittences du cœur",  on connaît sa façon de filmer : dispositif resserré, peu d'acteurs, caméra souvent fixe, décors banals, importance accordée aux repas,  à la prise d'alcool et à la  "parole"  (de sujets  anodins on peut glisser subrepticement vers des interrogations plus existentielles)

 

Walk-up radicalise tout cela (au grand dam de certains spectateurs) . Et d’abord en ce qui concerne le montage ; chaque partie, - il y en a 4-- sera un plan-séquence, des ellipses temporelles sans  encart informatif (mais avec des  "repères" : un thème musical au début, puis suivant la déambulation du  locataire/créateur/rêveur "changements apparents"  de mobilier ou encore ce moment de désynchronisation : allongé Byungsoo entend sa voix et celle de sa femme en off, avant que ses lèvres n'esquissent un léger mouvement; rêve ou réel ?)  (au spectateur de « raccorder » ou non) .

Le décor ? Un seul lieu : un immeuble  ou plutôt son intérieur (un seul plan sur la façade et une vue en contre plongée sur la terrasse ; rares plans d’extérieur ; alors que la bande son insuffle la rumeur de la ville) ; un intérieur compartimenté en restaurant et appartements auxquels on accède par cet escalier en colimaçon (dont on devine  toutes les connotations).  Le locataire va passer de l’un à l’autre comme il passe allègrement d’une temporalité à l’autre, de la réalité au rêve, du rêve au fantasme, du vécu à la "création"  et ce "décor" avec ses portes ouvertes entrouvertes ou fermées se prête aux configurations mentales, au "voyage intérieur" avec ses inévitables conflits, regrets  et/ou désirs. Un immeuble ravagé, sous de trompeuses apparences,  par des nuisances matérielles (dont cette fuite d’eau jamais colmatée) Un immeuble qui métaphorise l’être dans son entièreté ? délabrement physique (les problèmes évidents de santé, tabagisme, alcoolisme et sevrage difficile) et mental (mais de quelle « maladie » souffre le personnage ?)

 

A chaque moment de la vie (re)visité(e) inventé(e)  est associée la fréquentation d’une femme (mais la propriétaire des lieux  sera omniprésente, guide intrusive, gardienne de la mémoire ??)

Le choix du noir et blanc (sublime, digne d’une estampe dans after day ) semble ici homogénéiser l’aube et le crépuscule en une seule temporalité (hormis l’instant furtif où se profile l’ombre crépusculaire)

Souveraine et logorrhéique, avec ses banalités, ses boutades, ses afféteries, ses satires, ses exultations, agrémentées ou non de fous rires,  la parole pourra dérouter tant elle contraste avec les ellipses,  tant  elle est souvent avinée ;  l’alcool est -rappelons-le- devenu « motif » dans la filmographie du cinéaste- désinhibant il peut aussi combler les vides existentiels   

 

C'est la fille  qui ouvre le film, la fiction et donc la porte des réminiscences. Or différenciant l'homme et l'artiste, elle dira sans ambages à son interlocuteur(rice)  l'immaturité et les  dépendances néfastes du père! Simultanément,  après avoir  déclaré en finir avec le cinéma,  le père va trouver, au dernier étage, une forme d’apothéose (à la fois créatrice et amoureuse)

Rêve ? fantasme ? souvenir ? 

 

Avec Walk-up, Hong Sang-soo aura transformé,  une fois de plus , une évidente banalité en sublime création!  

Raison suffisante pour ne pas  rater ce film (quand bien même il  ne serait  pas  le plus convaincant)  

 

Colette Lallement-Duchoze

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22 février 2024 4 22 /02 /février /2024 06:51

Documentaire réalisé par Coline Grando (2022 Belgique France )

 

Nomination: 2024 Les Magritte du cinéma,  meilleur documentaire

Sélection 2023 Festival du cinéma social et ouvrier  Carmaux (France, département du Tarn)

Dans les années 70, les femmes de ménage de l’UCLouvain (Université Catholique de Louvain en Belgique) mettent leur patron à la porte et créent une coopérative appelée “Le Balai Libéré”. 50 ans plus tard, les travailleuses d’aujourd’hui rencontrent celles d’hier et tentent de comprendre comment cela a pu être possible et si cela sera envisageable à notre époque.

Le Balai libéré

Coline Grando -petite-fille de nettoyeuse et ancienne étudiante de l’Institut des Arts de diffusion (IAD) à Louvain-la-Neuve – a enquêté sur le mouvement d’autogestion « le balai libéré ».dont elle ignorait l'existence....

 Son documentaire met en rapport  femmes d’hier et d’aujourd’hui soit deux générations de nettoyeuses à l’UCLouvain (Louvain-la-Neuve), entre utopie autogestionnaire et tyrannie des appels d’offres; La lettre « audacieuse » adressée au patron « licencié » en 1975 sera lue deux fois d’abord par les ouvrières elles-mêmes (images d’archives) puis par Raymond Coumont, le syndicaliste de la CSC Brabant wallon qui accompagnait le mouvement il y a quarante-cinq ans et leur avait proposé l’idée d’autogestion (extraits nous découvrons que votre rôle principal a été de nous acheter notre force de travail à un prix négligeable pour la revendre à prix d’or à l’UCL….. Nous sommes au regret de vous signifier votre licenciement sur-le-champ pour motif grave contre vos ouvrières)

 

L’échange entre les travailleuses d’hier et celles d’aujourd’hui est sidérant  tant est amer le constat : les ouvrières d’hier étaient animées par la fougue exaltante mêlée à la fierté d’avoir pris en main leur outil de travail, de s’être organisées pour bénéficier de meilleurs salaires et de meilleures conditions de travail alors que 50 ans après s’imposent les problèmes de cadence, de « rationalisation » et de solitude (avec des conséquences désastreuses innommables et si je suis pris(e) d’un malaise ???)  Dégradation des conditions de travail et invisibilité du personnel -en 2022.....

 

Si le va-et-vient entre la réalité d’hier (l’autogestion a perduré 15 ans) et celle d’aujourd’hui (réticences dubitatives du personnel dépolitisé mais aussi du délégué syndical) assure le tempo, le documentaire fait alterner aussi les mini séquences où la caméra met l’accent sur la solitude (voyez cet homme astiquant salles, et sanitaires, cette femme harnachée de son aspirateur, cette autre préparant son matériel roulant, cette autre si minuscule dans l’immensité d’un amphi, et pendant la pause dans l’exiguïté d’un local avec une tasse pour seule compagne!)  et ces rencontres sous forme de tables rondes où chacun.e s’exprime en toute liberté tout en étant à l’écoute de l’autre.

 

Invisibles et solitaires que la chanson de Stromae va accompagner avant le générique de fin   Et si on célébrait ceux qui ne célèbrent pas Pour une fois, j'aimerais lever mon verre à ceux qui n'en ont pas/À ceux qui n'en ont pas Frotter, frotter Mieux vaut ne pas s'y Frotter, frotter Si tu n'me connais pas Brosser, brosser Tu pourras toujours te Brosser, brosser Si tu ne me respectes pas 

 

 

2022 une question brûlante « comment combattre le chacun pour soi » devenu inévitable, car il est méthodiquement organisé…Une réponse préparer " LA rencontre"

A la scène d’ouverture où chacun déclinant son identité, affirmait méconnaître la coopérative de nettoyage  « le balai libéré » répondra en écho au final cette séquence où filmées de dos ou de trois quarts les employées, dans une solidarité (re)conquise cheminent vers ….une nouvelle autogestion ??? (après tout il y a cinquante ans, les employées ne croyaient pas que virer son patron était possible, alors pourquoi pas nous ?)

 

 

Un documentaire qui exhume un épisode singulier -et méconnu- de l’histoire sociale belge !

Un documentaire « indispensable »

Un documentaire à ne pas rater ! (séances Omnia vendredi 18h15, dimanche 16h30, mardi 11h)

 

 

Colette Lallement-Duchoze

 

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20 février 2024 2 20 /02 /février /2024 06:37

de Milena Aboyan (Allemagne 2023)

 

avec Bayan Layla, Derya Dilber, Derya Durmaz

 

Festival Premiers Plans Angers 2024 

Elaha, une jeune femme d’origine kurde de 22 ans, s'apprête à se marier. Elle cherche par tous les moyens à faire reconstruire son hymen pensant ainsi rétablir son innocence.  Malgré sa détermination, des doutes s'immiscent en elle. Pourquoi doit-elle paraître vierge, et pour qui ?


 

Elaha

Voici une jeune femme tiraillée entre le respect des traditions kurdes, l’amour pour sa famille et la soif d’indépendance, qui passera par la libre appropriation de son corps, ce dont témoigne la séquence inaugurale. Elaha danse. Son corps est comme en lévitation, il chorégraphie l’espace sans entrave, au grand dam de sa mère qui lui enjoint de se modérer   et de s’asseoir….

 

Etre écartelé entre deux forces contradictoires inconciliables : c’est le propre du dilemme.

 

La réalisatrice, dont c’est le premier long métrage,  va le traiter sans manichéisme. Les forces conservatrices (concernant le  contrôle du corps de la femme) sont incarnées au sein de la famille par la mère (le père est souvent mutique) une mère qui épie, soucieuse avant tout de l'honneur des siens . Incarnées plus largement et idéologiquement par la gent masculine si fière de l’apanage que lui réserve son « sexe » (l’avenir que propose Nassim à sa fiancée Elaha est sidérant de traditionalisme) Les forces émancipatrices ? les « copines » ? certes;  mais surtout la professeure qui lors d’un tête à tête explique avec calme que l’essentiel est de « se poser la bonne question », ne pas se barricader derrière des faux semblants.(elle participera d’ailleurs au bon déroulement d’une hyménoplastie gratuite); autre personnage féminin compréhensif et bienveillant,  la chirurgienne

 

A travers le personnage d’Elaha (interprétation souveraine de Baya Layla, allemande d’origine syrienne), la réalisatrice propose une radiographie sociale de la communauté kurde en Allemagne, -ses pratiques culinaires, ses soirées festives, le conflit que mènent certains contre la vie moderne alors que d'autres s'émancipent du "joug" familial . Avec Elaha on sera sensible à toutes les contraintes d'une hyménoplastie (dont le coût exorbitant pour des jeunes impécunieux) à ces escroqueries vendues en pharmacie,, capsules de faux sang et leur kit spécial « nuit de noces », on appréciera cette vidéo sur la reconstruction d’un hymen

 

Si le choix de la réalisatrice est éminemment politique -dénonciation non pas d’une culture mais du patriarcat (anachronisme du concept de   "virginité" entre autres et surtout nécessité de l’émancipation féminine) force est de reconnaître que la mise en scène est  assez classique,  conventionnelle (alternance scènes familiales dans l’intimité d’un appartement et extérieurs, contraintes et libérations, circulation de regards quand la parole est abolie, -immersion dans une complexité suggérée ? ) et l’on pourra même déplorer des effets d’insistance alors que le contexte est suffisamment éloquent jusque dans ses non-dits 

 

A voir ! 

 

Colette Lallement-Duchoze

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