13 juin 2024 4 13 /06 /juin /2024 06:26

De Leos Carax (2023) 42'

 

avec Denis Lavant, Ekaterina Yuspina, Lorera Juodkaite Nastya Golubeva Carax

 

 

présenté  à Cannes Première au Festival de Cannes 2024

C'est pas moi

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10 juin 2024 1 10 /06 /juin /2024 06:11

de Sol-hui Lee (Corée 2022)

 

avec Seo-Hyeong Kim, Jae-sung Yang, So-yo Ahn

Aide-soignante à domicile, Moon-Jung s’occupe avec bienveillance d'un vieil homme aveugle et de sa femme. Mais quand un accident brutal les sépare, tout accuse Moon-Jung. Elle se retrouve à devoir prendre une décision intenable

Greenhouse

",Les membres d'une famille peuvent ne pas se côtoyer, se rejeter, se haïr ou vouloir disparaître  je souhaitais explorer ces réalités troubles , qui existent bel et bien, même si elles vont à l'encontre de l'idée que l'on se fait de la famille"  "

 

 

Film misérabiliste ? Portrait d’une laissée pour-compte ? C’est du moins ce que suggérerait la première partie du film. Le spectateur est invité à suivre le quotidien humiliant de Moon-Jung  : plan fixe sur cette serre recouverte de bâches noires où elle « survit » , silence désapprobateur du fils auquel elle rend visite au centre de détention, gifles d’auto flagellation, apeurement  lors de  séances de thérapie de groupe, abnégation au service d’un couple âgé (lui aveugle et bienveillant, elle atteinte de démence sénile et méchante), visite à la mère hospitalisée insensible aux marques d’affection de sa fille, réification par l’amant aux exigences machistes. Tout cela accentué par la couleur terne des vêtements, la pâleur presque livide du visage, par la lenteur des gestes toujours recommencés, et par une forme de mutisme ou du moins d’une forme de captation de la voix (comme si elle ne lui appartenait pas ou plus)

Mais un « accident » tragique va faire basculer le tout…le film lui-même empruntant les voies du thriller Pour maquiller le réel que d’astuces mensongères ! que de décisions à prendre rapidement !  la femme bienveillante et résignée devenue « hors la loi » ?

Toujours prégnante la peinture sociale (dont les ravages de la maladie de la vieillesse de la cruauté et en filigrane la critique du pouvoir de son incurie dans la prise en charge des personnes âgées), s’inscrit dès lors dans une autre dramaturgie - et la scène finale serait en fait l’acmé irréversible d’une tragédie. Le cauchemar quotidien de « survie » s’est mué en enfer.

On pourra reprocher à la mise en perspective initiale d’être « redondante » ou « laborieuse », -malgré les effets spéculaires censés avertir le spectateur –mais on sera sensible à l’interprétation éblouissante de Kim Seo-hyung à la mise en scène hyper soignée et à cette tension millimétrée -à tel point que ce qui prêterait à sourire (cf les tâtonnements du vieillard aveugle persuadé de perdre la mémoire alors que la sensation tactile disait le vrai-) a le drapé de la tragédie 

 

A voir !

 

Colette Lallement-Duchoze

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9 juin 2024 7 09 /06 /juin /2024 06:21

de Pascal Bonitzer (2023)

 

avec Alex Lutz, Léa Drucker, Nora Hamzaw, Louise Chevillotte , Alain Chamfort, Arcadi Radeff Marisa Borini  Olivier Rabourdin

Inspiré d’une histoire vraie – celle de la redécouverte, dans le logement modeste d’un ouvrier, d’un Egon Schiele spolié par les nazis –, le film Le Tableau volé nous immerge dans l’univers machiavélique des salles de ventes, où les intrigues se nouent et les millions s’envolent.

Le tableau volé

La séquence d’ouverture donne le ton ! Une vieille femme (on aura reconnu Marisa Borini)  raciste haineuse veut se débarrasser d’un Degas pour ne pas le léguer à sa fille… Ah le monde des collectionneurs âpres au gain. Aussi antipathiques que le commissaire-priseur André Masson (Alex Lutz) « requin des enchères (employé par la maison Scottie’s contraction de Sotheby’s et de Christie’s) ; il sourit au racisme éhonté de sa « cliente » (tapiner c’est son quotidien avouera-t-il à sa stagiaire). Bienvenue dans le marché de l’art !!! en quelques plans serrés et une légère contre plongée (pour le patron Hervé Quinn formidablement interprété par Olivier Rabourdin) tout serait dit ou du moins suggéré sur la valeur marchande d’une œuvre d’art  …

La découverte d’un Egon Schiele (art dégénéré dans la terminologie nazie) tout en exacerbant ces prémisses va parallèlement opposer deux univers sociaux (et intellectuels) et procéder -pour la narration- à un enchâssement de sous intrigues (la stagiaire mythomane jusque dans sa relation au père, le fils ouvrier à Mulhouse, détenteur malgré lui d’un « trésor » , l’avocate Maître Egerman ), alors que les protagonistes principaux seraient censés s’humaniser ? (ce qu’illustreraient la tenue légère de Masson et le déshabillé de Bertina,  un moment débarrassé.es des oripeaux rigides des faux-semblants ?)

Une séquence -pivot (et pour la narration et pour la  teneur,  mélange de légèreté et de gravité) -celle du rire nerveux irrépressible qui s'empare de Bertina et de Masson face au tableau,  contrastant avec la « dignité » de Martin, un ouvrier honnête….Rire suivi d’un topo érudit sur la genèse les aléas de ces « tournesols » et sur une plausible estimation,  Hormis cette scène , les « sous intrigues » nuisent à la fluidité du propos -Quand bien même Pascal Bonitzer cherche à "démonter" un mécanisme,  les "rouages"  d'un fonctionnement, faire saillir les ramifications d'un univers, ou à "valoriser"  les personnages dits secondaires . De plus  les contrastes (appuyés) virent trop souvent au schématisme caricatural voire au manichéisme. (Paris vs province, voitures et montres de luxe, sushi à domicile d’une part précarité de l’autre ; aisance et condescendance vs timidité et spontanéité,) dans une mise en scène assez "classique" 

Cela ne saurait remettre en cause le jeu des acteurs, leur interprétation impeccable (mention particulière à Arcadi Radeff dans le rôle du fils Martin) 

 

Au mur voici une cible pour fléchettes ; à côté les « traces »- marques indélébiles-  du tableau manquant ! (ça fait un vide constate le pote de Martin).

Le tableau volé (en son temps) puis manquant (sur le mur) -tableau que personne n’aura regardé pour lui-même dans le film de Pascal Bonitzer,-Un tableau révélateur de différents ethos ? A vous de juger !!!

 

 

Colette Lallement-Duchoze

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7 juin 2024 5 07 /06 /juin /2024 08:36

Long métrage d'animation réalisé par Joël Vaudreuil  (Canada  2023)

 

Festival d’Animation d’Annecy  2023,   catégorie contrechamp

Adam est un adolescent de 15 ans qui a l'étrange particularité d'avoir un corps qui se modifie en fonction des moqueries et des commentaires négatifs qu'il subit de son entourage. L'accumulation de ces changements physiques ne fait qu'ajouter une couche de complexité à celles déjà présentes dans sa vie.

Adam change lentement

J’ai toujours trouvé que t’avais un long tronc  (la grand-mère sur son lit de mort à son petit-fils Adam)

 

Cruauté de tous les harceleurs (ici la grand-mère et les camarades de classe) trauma que l’on traîne avec et malgré soi, dans un corps qui se métamorphose en fonction des moqueries subies au quotidien, tel est bien le mal-être d’Adam. Mais par-delà n’est-ce pas celui de tout adolescent ? (Auquel cas, le film ne serait-il pas une parabole ? ou du moins une fable sur l’anxiété juvénile, la quête d’identité, le besoin de reconnaissance, la solitude)?  

 

Pour réaliser ce portrait sans complaisance, le réalisateur a opté pour  une animation épurée, à l’humour pince sans rire , grinçant ou noir. Et si l’ensemble était à l’image de Bouboule, le chat-tronc ? Aussi flottant -ou décalé- que bizarre !!!! (cf les déjections des chiens lancées dans les arbres) Rappelons que le père a proposé deux jobs pour l’été: Adam tondra la pelouse d’un voisin toujours torse nu et il gardera une immense maison où vit un chat sans pattes qu’il faut nourrir et caresser …

Adam sera de tous les plans - (parfois son visage apeuré envahit l’écran et une larme dit le désarroi la déception) Regardez ce corps énorme aux petits petons, ces bras immenses et frêles en cotons-tiges, un dos voûté, des mains minuscules, des tee-shirts trop courts, tétons et  bedaine trop saillant.es, voyez le mollasson traverser  la chaussée ou arpenter maladroit une pièce, guider en automate la tondeuse du voisin monomaniaque ou affalé dans le canapé contempler ses séries télévisées préférées… 

 

Le  graphisme est anguleux, le trait de crayon sobre et sûr, les couleurs en aplats pastel -vert pâle jaune, gris clair, bleu céruléen, dont la fadeur est censée reproduire celle d’une banlieue québécoise ( ?)…parfois un rouge flamboyant - mannequin qui , hors du magazine, s’anime avec volupté dans les fantasmes d’Adam, rouge bordeaux des lèvres charnues de Jeanne, l’aimée…Un noir de circonstance lors de l’enterrement de la grand-mère. Graphisme épuré des décors (intérieurs minimalistes, rectilignes) et parallèlement enlaidissement des « gueules » caricaturées (hormis la rondeur du visage d’Adam en écho à sa bosse ? rondeur et bienveillance ?).

 

Des qualités techniques indéniables au service d’une narration efficace, sans manichéisme : Adam souffre-douleur lymphatique, se réveille à un moment de sa torpeur…. et de ses bras tentacules met KO ses assaillants ; fantasme et réalité!  fantasme et parodie des films dont il se délecte! 

Il y a certes des répétitions, des temps morts, des étirements inutiles - ce qu’accentue d'ailleurs  la simplicité du  style graphique.

Mais ne serait--ce pas inscrit dans la « lenteur » de la quête ?? je ne sais ...

 

 

 

Colette Lallement-Duchoze

 

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6 juin 2024 4 06 /06 /juin /2024 06:50

de Rithy Panh (France / Cambodge 2023)

 

avec Grégoire Colin, Irène Jacob, Cyril Gueï

 

Inspiré du livre de la journaliste américaine Elizabeth Becker, Les larmes du Cambodge : l'histoire d'un auto-génocide (When the War Was Over: Cambodia and the Khmer Rouge Revolution).

Présenté à Cannes Première au Festival  2024

 

 

 

1978. Depuis trois ans, le Cambodge, devenu Kampuchéa démocratique, est sous le joug de Pol Pot et des Khmers rouges. Le pays est économiquement exsangue, et près de deux millions de Cambodgiens ont péri dans un génocide encore tu. Trois Français ont accepté l’invitation du régime et espèrent obtenir un entretien exclusif avec Pol Pot : une journaliste familière du pays, un reporter photographe et un intellectuel sympathisant de l’idéologie révolutionnaire. Mais la réalité qu’ils perçoivent sous la propagande et le traitement qu’on leur réserve va  peu à peu faire basculer les certitudes de chacun

Rendez-vous avec Pol Pot

Le sujet de mon film, c'est la manipulation, l'idéologie, le langage et quel est le rôle de chacun là-dedans

 

 

Dès la première séquence le spectateur est invité à se familiariser avec  les choix  de Ruthy Panh : enchevêtrement  d’images d’archives (vue aérienne sur le Cambodge des années 1978) et fiction (reconstitution à travers trois journalistes) ; à cela va s’ajouter le recours aux figurines, devenues effigies (cf l’image manquante) celles des trois journalistes -écho qui démultiplie leur démarche- celles de tout un peuple déporté victime des travaux forcés, celles des khmers rouges,  avec un jeu sur les « échelles » des mondes représentés (l’univers miniaturisé se superpose au monde « reconstitué » quand il ne se confond pas avec lui !)

 

On pourra être "gêné" par la  multiplicité des " approches"  (formelles) dans la dénonciation du génocide, par l’aspect "machinal"  (on a parfois la fâcheuse impression que les trois acteurs, censés incarner trois manières de se positionner face à l’innommable, récitent  "machinalement" il en va de même pour les "sbires" alliés de Pol Pot -, mais ...peut-être est-ce délibéré …)

En fait, tout cela n’est-il pas au service d’une mécanique diabolique dont Rithy Panh démonte les rouages : manipulation (discours) et violence (répression) ? 

Le film obéit en outre à une dynamique interne qui va de l’attente anxiogène (au tout début le vide du tarmac  puis la bande son très métallique  lors de " visites programmées" ) aux « révélations » (celles du photographe qui enfreignant les consignes drastiques, va au-devant de l’horreur entendons, il veut  voir derrière les "apparences"), tout cela scandé par la récurrence de l’orage (dont le symbolisme du bruitage et de la forme est évident …)

 

Raviver la mémoire (on se souvient de S21 la machine de mort khmère rouge ) raviver les mémoires (l’image manquante) certes et plus encore dans ce film. En s’inspirant du livre enquête d’Elisabeth Becker Les larmes du Cambodge : l’histoire d’un auto-génocide, et du personnage de Malcolm Caldwell, professeur marxiste et activiste – le réalisateur franco cambodgien met en garde contre l’aveuglement obstiné face aux contradictions entre utopie et réalité…. (dont le grotesque éclate dans l’épisode d’identification d’un éléphant   " factice"…)

Pol Pot ? – l’acteur qui incarne "le camarade n°1"  est vu de dos ou sera flouté, tel le fantôme de l’Extermination – parallèlement, des artistes sculpteurs peintres s’ingénient à en restituer un portrait flatteur..

Et lors de l’entrevue (précédée d'ailleurs par les différents rendez-vous avec l'Histoire ) Alain Carillou (Grégoire Colin) "l'ami" , osera un questionnement !!! …la suite est sans appel (ne pas spoiler !); 

 

 

Je trouve qu'aujourd’hui, la guerre de la communication sur les réseaux sociaux pose exactement les mêmes questions. Qu'est-ce qui est vrai, qu'est-ce qui n’est pas vrai dans tout ce que l'on voit, dans tout ce qu'on nous raconte ?" (Rithy Panh) 

 

A voir assurément !

 

 

Colette Lallement-Duchoze

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4 juin 2024 2 04 /06 /juin /2024 02:31

De Karim  Dridi 2023

 

avec Faddo Jullian,  jU,  Odette Simoneau, Lucas Viudez

Nina et Djoul, deux amies inséparables, sont expulsées de leur squat. Elles reprennent la route à bord de leur vieux camion avec une soif de liberté et une seule obsession : faire la teuf...

Fainéant.es

Nous sommes à l'intérieur d'un « panier à salade » ; voici  face à face deux visages à la beauté déroutante; puis la caméra se pose sur des mains qui bien qu’entravées, se cherchent s’étreignent … C'est le prologue.  Nina et Djoul,  une zonarde, une punk, sont embarquées après leur expulsion d'un squat…

En écho au final, la fête de l’amitié organisée en l’honneur de Gribouille -qui au seuil de la mort regarde enthousiaste la communauté de ses potes (punks, drogués) -, est sauvagement interrompue par l’intervention de la police, intervention musclée mais frappée d’inanité…du moins pour Nina et Djoul qui s'échappent  : à l’enfermement initial -provisoire-,  répondra le triomphe de la liberté  

 

Ne pas se fier au titre… Ces deux femmes qui de la Bretagne à Marseille sillonnent le pays à bord de leur camion plus ou moins déglingué, mais dont l’intérieur est une caverne d’Ali Baba- cherchent du travail à chaque « pause/escale »  et en acceptent la diversité. Il s’agit souvent de pratique solidaire et collective L‘adjectif substantivé  fainéant.es - à la graphie inclusive !!!-   est employé par tous ceux qui fustigent le mode de vie des vagabonds ….

 

A travers l’amitié de ces deux femmes, leur choix du vivre libre,  c’est le monde des « marginaux » (les sans dents, les punks à chiens, les sdf, les « damnés de la terre) que Karim Dridi rend « visible » sous forme de (faux ?) road movie, aux allures  de documentaire parfois.  Un hommage bouleversant d’une profonde humanité qu’accompagnent le leitmotiv musical (matériaux bruts, percussions rappelant la tôle du camion) et des chansons (dont Colette Magny) au son de l’accordéon.

On traverse les saisons comme on traverse les paysages. On fume on se drogue on baise on fréquente les bains douches municipaux on transpire d’humidité on fait les poubelles on se perd dans l’eau de la mer on assume seule une fausse couche  – des moments très violents traités sans « voyeurisme »-  MAIS surtout on sourit à la Vie (S’il vous plaît, pas l’Ehpad, je veux mourir vivante". disait au début, en Bretagne, cette vieille femme que Djoul et Nina avaient prise en charge) . Le film est traversé par le thème récurrent de l’entrave, imposée précisément par des diktats sociaux idéologiques dont les deux amies cherchent à se désaffilier, auxquels elles se soustraient dans leur lutte pour une survie … à la marge…

 

A un moment Nina préfère la compagnie d’un homme. Djoul part seule au volant du camion. Montage alterné et montage parallèle sur le devenir de chacune. Djoul retrouve momentanément les « siens » (le père une sœur) Nina après la rupture (ne jamais s’attacher) …marche avec son barda (on pense à Sans toit ni loi) puis ce sera la rencontre avec un jeune « marginal drogué» (à Marseille).

Épisode(s) parenthèse(s)…

 

Le minimalisme des dialogues (au franc parler impétueux le plus souvent) est compensé par cette sublime circulation des regards et par le jeu impressionnant de ces deux jeunes femmes au corps puissant, un corps que magnifie la chanson de Colette Magny « Les Tuileries»

Nous sommes deux drôles/ Aux larges épaules (ah les vertus du  vocabulaire  épicène !)

 

A ne pas rater !!!

 

Colette Lallement-Duchoze

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3 juin 2024 1 03 /06 /juin /2024 05:12

de M. Szumowska et M. Englert ( Pologne 2023)

 

avec Małgorzata Hajewska-Krzysztofik, Joanna Kulig, Mateusz Więcławek

 

Présenté en compétition officielle à la Mostra de Venise 

Synopsis: C’est l’histoire d’Andrzej, bon mari et jeune père, dans une petite ville de Pologne au milieu des années 80. De plus en plus mal dans son corps, il tente au fil des années de trouver sa véritable identité, dans une société bouleversée par la fin du communisme. C’est l’histoire d’un être à qui on interdit d’être soi...

 

Une autre vie que la mienne

Pour évoquer 45 ans de la vie d’une femme transgenre, la caméra est d’abord virevoltante,; se succèdent des scènes brèves (voire elliptiques) comme autant de tableautins lumineux, où  alternent  l’intime et le collectif alors que défilent (le plus souvent en filigrane) les soubresauts de l’histoire polonaise (Solidarnosc le pape en effigie, les mouvements de grève, la fin du communisme, 1989 etc..) Au cœur de tout cela, un personnage souffrant d’un mal être : celui d’habiter un corps étranger, subir au quotidien les affres de la discordance entre le paraître et l’être profond – Andrezej (Mateusz Więcławek) se soumet dans un premier temps à ce que l’on attend de lui !-. et de fait il se comporte en mari et père aimant ; MAIS Andrezej EST en fait Aniela (Malgorzata Hajewska-Krzysztofik), le revendique puis « elle» va mettre tout en œuvre pour l’assumer pleinement !!! et nous suivons son « parcours » jusqu’en 2022, parcours qu’irrigue une double dynamique interne : problème traité en termes médicaux (dans son évolution, sa prise en charge) ou pathologiques (dans l’entourage), mais clarté de l’évidence pour Aniela. Comment se faire accepter ? Que d’obstacles à franchir ! (couple, famille, travail, milieu médical religieux et juridique et ce, dans un pays de l’UE qui en 2023 (comme le dira explicitement le générique de fin) n’a toujours pas de législation idoine ! reste indifférent aux droits des personnes transgenres ; on connaît l’état polonais et sa LGBTphobie (cf les « zones anti-LGBT »)

 

L’épousée Iza (interprétée par Joanna Kulig, que nous avions vue dans  Cold War) d’abord furieuse  deviendra une complice bienveillante ! Cet itinéraire à mettre en parallèle avec celui d’Aniela constitue une force du film et si les quatre décennies de l’histoire polonaise servent de toile de fond pour raconter une histoire intime, elles sont censées « montrer une évolution » vers plus de liberté pour la communauté LGBT …Hélas !! l’histoire récente aura anéanti les espoirs…

 

Un film dont la spécificité est donc d’illustrer d’analyser une transition tardive. Et pour mener à bien ce projet queer les deux réalisateurs ont banni le pathos tout autant que la violence et la victimisation.

Mais des longueurs, des effets faciles (narration réduite à des anecdotes avec gros plans, ralentis et accélérés dans les allers et retours avec l’enfance la jeunesse) le symbolisme appuyé de certaines scènes, tout cela nuit au propos : interrogations identitaires et droits des personnes trans en Pologne

 

Dommage !!

 

 

Colette Lallement-Duchoze

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27 mai 2024 1 27 /05 /mai /2024 03:58

de Dominic Sangma (Inde 2023)

 

avec Torikhu A. Sangma, Handam R. Marak, J.H. Sangma 

 

Festival des 3 Continents de Nantes

 

 

Dans un village du Meghalaya, au nord-est de l’Inde, plusieurs jeunes hommes disparaissent mystérieusement durant la nuit. Alors que les anciens accusent de kidnapping les étrangers de passage, le prédicateur y voit les prémices d’une apocalypse de 40 jours et 40 nuits qui plongera les habitants du village dans l’obscurité. Vu à travers les yeux de Kasan, un garçon de dix ans souffrant de cécité nocturne, les forêts alentour n’ont jamais paru aussi terrifiantes...

Rapture

Soit c’est la nuit, soit on n'a pas besoin de lumière

 

D’emblée vous allez être plongé au cœur des ténèbres que vont irradier des myriades d’étincelles - clignotements de torches brandies par des humains dont la rumeur telle une mélopée va dominer les frémissements de la forêt et quand la caméra s’approche,  nous comprenons qu’il s’agit de la rituelle cueillette de cigales (avant leur dégustation) …

 

Nous sommes au nord-est de l’Inde dans la tribu Garo, au cœur de la jungle du Meghalaya, Jouant avec la polysémie du titre « rapture » (doctrine eschatologique, enthousiasme, enchantement, enlèvement magique) le cinéaste enchevêtre dans ce second volet d’une trilogie consacrée à son enfance, vision et réflexion. De même qu’il fait alterner ténèbres et lumière, forces nocturnes perturbatrices et forces diurnes, chamanisme et foi chrétienne, l’individuel (filmé à hauteur d’enfant ; Kasan) et le collectif (le village lui-même divisé)

Pour pallier la peur panique qui s’empare des habitants (suite à la disparition d’individus ou à la mort suspecte d’animaux) il faut trouver un bouc émissaire : les étrangers appâtés par la vente d’organes ? Dieu et son ordalie ? Justice immanente ? châtiment divin que l’on peut contourner moyennant finances ? attente fébrile de la statue de la vierge miraculeuse ?  Réalité plus sordide, mesquine et mortifère qui exploite la peur?  Tels seraient les enjeux d’une intrigue multiple dont le « fil directeur » est ce gamin atteint de « cécité nocturne » Kasan est en effet notre guide (c’est par ses yeux que nous assistons à la scène de tabassage, c’est dans ses cauchemars que nous nous immisçons, c’est avec lui que nous allons allumer l’étincelle de la tragédie)

 

Sonder la nuit, se laisser hypnotiser par la somptuosité de la forêt, la jungle et ses sortilèges, dans une perspective animiste parfois (cf cette profondeur de champ quand un individu s’éloignant du premier plan va se confondre avec l’élément végétal ou quand le trio assis sur les racines d’un arbre plus que séculaire semble faire corps avec lui)?  Certes, mais surtout ne pas succomber à la tentation de l’ethnocentrisme ?

 

Oui Rapture allégorie sociale (et/ou parabole sur la peur ) nous invite à combattre les dérives obscurantistes de tout bord (quand bien même elles seraient ici  essentiellement  religieuses ) 

 

A ne pas rater !!!

 

Colette Lallement-Duchoze

 

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24 mai 2024 5 24 /05 /mai /2024 08:13

De Carmen Jaquier  (Suisse 2022)

 

avec Lilith Grasmug , (Elisabeth) Benjamin Python (Émile)  Noah Watzlawick (Pierrot)  Mermoz Melchior (Joseph)

 

 

Présenté en compétition au Festival Chefs Op' en Lumières 2024 de Chalon sur Saône.

Festival Cannes 2023 Women in Motion Prix Talent Émergent 

Prix de la mise en scène festival de Marrakech

 

 

Été 1900, au cœur d'une vallée du sud de la Suisse. Elisabeth, 17 ans, est sur le point de prononcer ses vœux après 5 ans passés au couvent. La mort soudaine de sa sœur l'oblige à retourner dans la ferme familiale pour assumer son nouveau rôle d'aînée. Elisabeth se retrouve vite asphyxiée par cette vie de labeur et obsédée par les mystères qui entourent la disparition de sa sœur. Elle va alors chercher à s'affranchir de son statut et de ses nouveaux engagements...

Foudre

Ma vulve est un paysage nocturne, dévorant. Je veux me faire soulever pour oublier le monde

 

C’est par la lecture du journal intime de la sœur aînée Innocente que la jeune Elisabeth va découvrir les fulgurances de l’amour ; amour charnel qu’elle assimile très vite à une vision mystique panthéiste ; le corps sera comme irradié dans une nature où les brûlures du soleil diaprent en la fendillant la somptueuse majesté des montagnes ou  telles des morsures s’attaquent aux corps des quatre adolescents dont la chair palpite de frénésie d’ivresse celles du désir (la chair meurtrie par l’ortie… cloques blanchâtres sur la peau rougissante, mais une chair brûlante comme foudroyée !!!)

Un texte grimoire -on pense à Cœur cousu de Caroline Martinez- Le très gros plan sur les lèvres d’Elisabeth en train de lire des passages met d’emblée en exergue sororité, sensorialité et sensualité ; texte-confession -fragments du discours amoureux> ?-d’abord murmures des tremblés d’une vie, les mots  vont s’incarner dans  une fougue, ennemie des préceptes (voire des objurgations) catholiques lesquels sont personnifiés tant par la famille que par les officiants ou représentants de la religion.

Au plan du début , quand après avoir refusé de quitter le couvent, Elisabeth s’accroche aux meubles avant d’être portée sur un brancard, prisonnière, fera écho celui où son corps sera attaché par des cordes…

Dans le couvent, moribonde sur une civière (une mort symbolique …) , elle accrochait malgré elle son regard à la voûte de l’église ; elle sera désormais celle par qui le scandale arrive perpétuant le passé de sa sœur « innocente » (étymologiquement « qui ne nuit pas ») Et de fait, dès son arrivée elle fait fuir ses sœurs cadettes tant  elle incarne à la fois la vierge (habit blanc de religieuse) et le diable….Dualité au cœur de l’intrigue précisément, dualité dichotomie de deux forces antagonistes (qu’Elisabeth cherche à transcender en les faisant fusionner dans une confondante unité !!!)

 

Certes on ne peut qu’être sensible à la beauté formelle (d’ailleurs dès le prologue se succédaient  des photographies et des reproductions de tableaux fin XIX°, comme l’authentique écrin (ou prémisses ?) de ce qui allait advenir -surgissant dans le cadre et dans l’intrigue. Voyez ces couchers de soleil flamboyants -en harmonie avec l’incandescence des personnages, contemplez la majesté de ces montagnes du Binntal et alpages suisses qu’un vent léger caresse du même frémissement que la chair qui palpite (nudité des corps restitués en leurs fragments : vision furtive du sexe, mais gros plans sur les mains qui se cherchent, sur le sein, sur le grain d’une peau offerte en oblation)

 

Le  combat pour la survie,  cette urgence à (re)trouver une humanité profonde -dont l’éducation rigide a privé les quatre protagonistes -, aurait dû être poignant déchirant  Mais… le bouleversement de tous les sens que renforce d’ailleurs la musique sur dimensionnée de Nicolas Rabaeus, n’aura pas (hélas !) la force convaincante capable d’emporter le spectateur. En cause moins  le jeu de l’actrice Lilith Grasmug (son interprétation tout en nuances est magistrale) que cette esthétisation proche de l’afféterie, (les clairs obscurs des intérieurs, les paysages inondés de lumière, la fragmentation de la chair en lambeaux dévoreurs et dévorants et leurs plans redondants, les contre-plongées et le symbolisme de la tension terre vs ciel) une préciosité formelle qui accentue(rait) la contemplation au détriment du propos .   Et la comparaison avec Pasolini -personnages et esthétique -, ne saurait plaider en faveur de la réalisatrice Carmen Jaquier ….

 

 

Colette Lallement-Duchoze

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23 mai 2024 4 23 /05 /mai /2024 07:15

Documentaire réalisé par Claus Drexel ( 2023)

 

 

Ils sont de toutes origines et ont vécu près d’un siècle. Ils ont traversé les bouleversements de l’histoire. Ils sont drôles, émouvants, rebelles. Ils nous surprennent et nous émerveillent. Pourtant, on entend rarement leur voix. Ce film est une invitation au voyage à travers la France, à leur rencontre : les Vieux... 

Les vieux

Filmer en cinémascope, avec plans fixes, entrecouper la parole des intervenant.es par des plans nature : c’est de cette manière que Claus Drexel invite le spectateur à « prendre le temps » de voir, d’écouter, de repérer le moindre détail

Ainsi pour chacune des 30 personnes (ou plus) interviewées -dont des immigrés d’Europe de l’est ou d’Afrique du nord-, c’est d’abord par son environnement que l’on va capter une spécificité, celle qui sert à authentifier le passé – celui d’ouvriers (terrils usines désaffectées corons) de marin-pêcheur (baie de Douarnenez) ou spécificité qui enserre intimement présent et passé : un château vu de loin puis en plan rapproché, une campagne tel un tableau de peinture (cadre, couleurs éclatantes automnales) des ciels carte postale, des montagnes et leur palette de bleu, ou de vert, une vue panoramique sur un arrondissement urbain (Colmar, Marseille) etc.

Puis nous pénétrons dans l’intimité de ces "vieux" -seul.e ou en couple-  là où s’éploie leur quotidien : maison, appartement, chambre EHPAD avec de légers travellings sur l'environnement immédiat, mais le plus souvent gros plans  fixes sur des objets (objets inanimés avez-vous donc une âme ?) Un dispositif simple : le réalisateur reste hors champ (rarement on entend sa voix) la personne - ou le couple- - est assise (fauteuil, canapé, fauteuil roulant) face à la caméra en frontal, elle se confie (avec plus ou moins d’aisance, de réticence) dit son modus vivendi, se souvient. !  Bien évidemment c’est au montage que la dynamique interne émerge du puzzle initial et que les séquences musicales composées par Valentin Hadjadj apportent leur dimension hypnotique ou vont tout simplement « sédimenter les propos »

Vieillesse d’octogénaires (quelques centenaires) aux visages -plus ou moins- marqués par les ans, aux gestes - plus ou moins- alentis, à la conscience aigüe de l’éphémère, aux souvenirs  douloureux (cette femme juive qui a dû survivre seule, ces soldats de la Seconde guerre mondiale, de la guerre d’Indochine ou de la guerre d’Algérie, témoins d’atrocités). Tous semblables ? comme le suggérerait l’emploi de l’article générique « les » (vieux) ? et pourtant si dissemblables !

Vieillesse et douleur de l’isolement (une femme fait le distinguo entre solitude et isolement) vieillesse et acceptation (ou non) de sa finitude, vieillesse et volonté d’en finir (Je n'ai plus aucune utilité. On ne devrait pas vivre aussi vieux) vieillesse et volonté de Vivre (un cri primal avant passage écran noir !)

On retiendra deux beaux exemples, emblématiques du  "vivre ensemble"  Suite au cambriolage effectué par ceux-là mêmes que le couple accueillait, décision fut prise de mettre en place  "une maison associative"  afin d’empêcher la délinquance due à l’oisiveté (qu’on est loin des mesures répressives à tout-va !)

Vous voyez ce parterre de fleurs ? dit une nonagénaire  bloquée dans son fauteuil de handicapée, c’est de leur diversité que naît la beauté ; il en est de même pour la société…» (qu’on est loin des jugements discriminatoires qui refusent l’altérité !) l’uniformité ne fait pas l’unité 

Un documentaire où s’équilibrent moments de respiration, d’émotions, de tension et d’humour ! Où des « histoires individuelles » ont épousé (épousent) l’Histoire, où se profile une "géographie humaine" qui se  confond dans sa singularité même avec une natura naturans et une natura naturata

 

A ne pas manquer !

 

 

Colette Lallement-Duchoze

 

 

Nb attention « séance indépendante » une seule séance par jour (jeudi 13h45 vendredi 20h samedi 13h45  dimanche 18h20 lundi 13h45, mardi 20h)

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