30 juin 2024 7 30 /06 /juin /2024 06:55

Court métrage de Jean-Luc Godard (2023)

 

Présenté au festival de Cannes 2023 (Sélection Cannes Classics) 

Jean-Luc Godard transformait souvent ses synopsis en programmes esthétiques. Drôles de guerres procède de cette tradition, et restera comme l’ultime geste de cinéma, qu’il accompagne du texte suivant : "Ne plus faire confiance aux milliards de diktats de l’alphabet pour redonner leur liberté aux incessantes métamorphoses et métaphores d’un vrai langage en re-tournant sur les lieux de tournages passés, tout en tenant compte des temps actuels."

Film annonce du film qui n'existera jamais "Drôles de guerres"

Il  est difficile de trouver un chat noir dans une chambre obscure, surtout quand il n’est pas là 

 

 

Ce court métrage (film annonce) se présente comme un collage de photos notes croquis dessins + extraits de « notre musique » (film de 2004) ;  une succession de longs  plans fixes, dont , certains,  masse spectrale, carrés blancs seraient comme l’illustration de ce « qui n’est pas « . Au silence sidéral  et sidérant- du début succède un accompagnement musical surdimensionné et fracassant qui pénètre le corps et l’esprit du spectateur. Ce dernier ne doit pas se contenter de « regarder » (spectare) il est prié de « faire le film » à partir de ces éléments - les « trailers » et « lettres filmiques « (réalisés par Godard)-,  comme autant d’indices « c’est votre affaire et non la mienne de régner sur l’absence » Cela est d’autant plus troublant que l’absence du réalisateur est définitive.... Une double absence donc celle d’un film (cf le titre) celle de son auteur (décédé en 2022). Godard -dont la voix off dans sa raucité caverneuse mais aussi chevrotante éraillée est déjà outre tombe-,  dit avoir voulu adapter les « faux passeports de Charles Plisnier  (1896-1952 ). Ce roman goncourisé (1937) est « une réflexion crépusculaire sur les idéaux communistes déchus » J'ai été intéressé par ces portraits imaginaires ou réels de quelques militants de l’époque qu’il avait connus vers 1920 «C'était plus comme un peintre en littérature, il faisait des portraits de visages ou d’allures » et Godard souhaitait s'intéresser à deux des cinq "portraits"  en privilégiant le personnage de Carlotta 

Cette  ébauche d’un long métrage jamais tourné « drôles de guerres »  est un  « poème visuel et sonore » : il se regarde, il s’écoute dans le silence ou dans la superposition de musiques éruptives fracassantes et de mots désaccordés entrechoqués.  Le réalisateur a  tourné le dos à la grammaire cinématographique traditionnelle (images et couleurs ont remplacé les « raccords » ; raccords qui seront des écarts des failles temporelles et non plus des liaisons)

 

 

Une expérience flatteuse pour le spectateur (et peu importe qu’il soit familier ou non du cinéma de Godard, qu’il l’ait admiré ou conspué) car il pénètre dans la dimension scripturale du cinéma–(plan et page, image et texte manuscrit)

 

Écoutons le message (ultime ?) à propos de Scénarios, présenté en deux versions (18 ou 34 minutes) dans la section Cannes Classics.2023   « Le film est court mais il a du temps, c’est le cinéma du présent. Et dans ce présent, dans les silences, la pensée est vivante, vibrante, ici et maintenant. »

 

Colette Lallement-Duchoze

 

Séances lundi 15h40 mardi 15h50 (ce court métrage est suivi du film « notre musique » 1h20 2004)

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27 juin 2024 4 27 /06 /juin /2024 06:31

de Hong Sang-soo (Corée 2023)

 

avec Shin Seokho Seung Yun Kim Ha Seong Guk

 

Biennale de Berlin 2023

Sur l'île de Jeju, un jeune acteur réalise un film. Alors que l'inspiration lui manque, il aperçoit une silhouette au pied d'une falaise. Grâce à cette rencontre et à une chanson d'amour écrite des années plus tôt, il a enfin une histoire à raconter.

In water

D’emblée le spectateur est prévenu ce film est volontairement FLOU

Et de fait ce procédé récurrent dans la quasi-totalité du film (avec des variations et d’une manière plus ou moins prononcée selon que c’est filmé en intérieur,  en extérieur ou  en  bord de mer) pourrait apparenter ce « film » à une succession d’aquarelles de style impressionniste -avec cette fragmentation (couleur/Pixel) ou cette confusion entre mer et ciel (la dernière image -celle choisie pour l’affiche- où la confusion induit l’effacement…est la plus probante), et avec la présence d’êtres humains aux contours mal définis. Un flou formel -imprécision- en accord avec le "flou"  du propos – les atermoiements ou l’indécision initiale compensé. es par le(s) discours? Comme si on assistait au making of d’un projet en devenir (celui de filmer à partir d’impressions)

Reprenons. Voici trois personnages un acteur Seoung-mo (Shin Seokho) qui ambitionne de faire un court métrage mais qui est en panne d'inspiration , une actrice Nam-Hee (Seung Yun Kim), et un caméraman Sang-guk (Ha Seong Guk). Voici de longues scènes filmées comme autant de plans séquences, voici quelques échanges (au moment des repas ou lors de repérages); peu de mouvements de caméra. Soit un minimalisme auquel le cinéaste coréen a habitué son public. Minimalisme au service de questionnements sur le processus de création et sur les « possibles » du numérique.

Et voici que le cinéaste invite (ou contraint ?) son public à modifier sa relation à l’image ou du moins à sa netteté (celle du numérique précisément),  à « rêver » le film plus qu’à le « voir» Ciels brouillés, soleils mouillés si chers à Baudelaire? (les exemples abondent : une fleur suscite l’admiration, le spectateur l’appréhende comme l’absente de tout bouquet ? ou l’imagine en la rêvant ? Un reflet dans l'élément liquide  et c’est son frémissement doré qui invite à…dépasser ces apparences floutées) Tourments intérieurs et « mouvements ondulatoires de l’eau » ? Peut-être  ! à condition d’aller au-delà de la simple perception -dont l’aplatissement de la profondeur de champ servait de prolégomène- Et en cela le cinéaste revendique sa parenté avec Cézanne qui écrivait tout ce que nous voyons, n’est-ce pas, se disperse, s’en va. La nature est toujours la même, mais rien ne demeure d’elle, de ce qui nous apparaît. […] Qu’est-ce qu’il y a sous elle ? Rien peut-être ». Mais, ajoute-t-il « Peut-être tout. Tout, comprenez-vous ? 

Quand enfin telle une épiphanie, le geste de cette  "cueilleuse de déchets"  illumine la longue attente et se concrétise dans un discours  à résonance écologique et dans la "réalisation" du court métrage, le cinéaste va abolir toutes les frontières : (con)fusion ciel mer, réalité et fantasme onirique et ….disparaître

Film expérimental ? Un cheminement vers plus de radicalité ? Peut-être

Son précédent film « walk-up » Walk-up - Le blog de cinexpressions avait déjà enchanté …..une partie…. du public …

 

Colette Lallement-Duchoze

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26 juin 2024 3 26 /06 /juin /2024 04:50

de Jeff Nichols  (USA 2023)

 

avec Austin Butler (Benny) Jodie Comer (Kathy)  Tom Hardy (Johnny)  Mike Faist (Danny Lyon)  Michael Shannon, (Zipco)   Damon Herriman (Brucie) 

 

Présenté au festival du film de Telluride (50ème édition août septembre 2023)

synopsis: Dans un bar de la ville, Kathy, jeune femme au tempérament bien trempé, croise Benny, qui vient d'intégrer la bande de motards des Vandals, et tombe aussitôt sous son charme. À l'image du pays tout entier, le gang, dirigé par l'énigmatique Johnny, évolue peu à peu. Alors que les motards accueillaient tous ceux qui avaient du mal à trouver leur place dans la société, les Vandals deviennent une bande de voyous sans vergogne. Benny devra choisir entre Kathy et sa loyauté envers le gang.

The Bikeriders

Au départ un livre de photographies, The Bikeriders, (1968) qui raconte la vie d’un gang de motards The Chicago Outlaws Motorcycle Club, à travers des clichés (nous en verrons quelques-uns au générique de fin) et des entretiens : l’auteur de cet album Danny Lyon est interprété par Mike Faist ; l’intervieweur de …Kathy. C’est elle qui dans le film de Jeff Nichols « raconte » : sa rencontre avec Benny, sa vie avec lui et le destin de la bande de motards dans les années 1960, le club du Midwest The Vandals dont le chef Johnny (Tom Hardy), incarne les « deux faces » d’une réalité (la brute sympathique). Or l’artificialité du procédé est criante, pire la « caution » d’un point de vue féminin sur le « virilisme » inhérent au gang de motards rouleurs de mécaniques, « rois du bitume » reste purement formelle ….

Dommage

Car l’interprétation de Tom Hardy/Johnny, Jodie Comer/Kathy et Austin Butler/Benny est saisissante de justesse De plus, la reconstitution de l’époque est habile et assez convaincante, (cf les ambiances, les vastes étendues sillonnées par les deux roues, les rassemblements festifs) et le cinéaste crée un tempo en faisant alterner scènes de bagarres beuveries (filmées au plus près avec parfois un zoom sur un objet) chevauchées pétaradantes (filmées parfois au ras du sol) et séquences plus intimes (face à face Kathy/Benny, Benny/Johnny,) tout cela scandé par un choix impressionnant de musiques. L’auteur a opté pour une sorte de no man’s land non loin de Chicago -lambeaux d’urbanité et routes de campagne- soit un univers à circonscrire ou auquel s’adapter pour une forme de « survie » (et non pas « échappée libre »,  en temoignent aisément la panne de Benny et ses velléités)

 

Enfin, l’évolution du club après l’échec de la vie communautaire préconisée par Johnny et les siens - vers un destin plus violent (suite aux ravages de la guerre du Vietnam ?) -soit de la bande au gang, de la confrérie à une forme de mafia-, marque(rait) une forme d’engagement de la part du cinéaste (l’effondrement du rêve américain ? la dénonciation de la violence gratuite ?) et il en irait de même pour le final, plus conventionnel mais magnifié par un champ contrechamp (ne pas spoiler)

Impression mitigée 

 

 

Colette Lallement-Duchoze

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24 juin 2024 1 24 /06 /juin /2024 07:20

Documentaire réalisé par Cécile Patingre (2021)

 

Projeté à l'Omnia en présence de la réalisatrice et de Jacques Sylvain Klein dimanche 23 juin 2024

Synopsis Été 1976 un vestige archéologique est découvert lors de travaux dans la cour du Palais de Justice de Rouen. Au cours de la fouille une mystérieuse inscription en hébreu est retrouvée gravée sur un mur « que cette maison soit sublime pour l’éternité » Quarante ans  plus tard l’énigme persiste toujours. Quelle est donc cette maison et quelle mémoire renferme-t-elle ? Une plongée dans l’histoire juive de la France et de la Normandie

la Maison Sublime

En noir et blanc voici un escalier, voici des pierres gravées, et surtout un effacement progressif de la lumière avant sa reconquête dans un mouvement dialectique :clarté ténèbres ; c’est le prologue,  ! Les mêmes images s’en viendront ponctuer le film documentaire mais drapées de couleur ocre après quasiment chaque interview d’un "spécialiste"

 

La documentariste fait alterner plans fixes, plans rapprochés ou d’ensemble et présence humaine : le rabbin de Rouen Chmouel Lubecki, l’historienne des religions et médiéviste Sonia Fellous, entre autres, quand ils se penchent sur la pierre gravée dans ce « sous-sol » en livrant leur interprétation.

De même les vues en extérieur les infographies les gros plans sur des plaques de rue ou des plans de la ville, les vues aériennes sur le palais de justice actuel vont alterner avec les « témoignages » de spécialistes in situ, dans leur bureau d’études.

Travail de bénédictin et pour la réalisatrice et pour ces historien.nes architectes voire paléographes chefs de chantier (rappelons qu’en 1976 lors de travaux de terrassement fut « découvert » -par hasard ?- ce lieu -le plus ancien monument juif de France et d’Europe. Jacques-Sylvain Klein, délégué de l’association Maison Sublime de Rouen)

 

L’accompagnement musical et le jeu de l'alternance, - qui d’ailleurs correspond aussi aux différences d’interprétation- , rendent moins rébarbatif un didactisme inhérent aux interventions des uns et des autres

 

Académie talmudique, synagogue, maison civile ?

 

Par-delà la "diversité" des points de vue et des "interprétations" (et Cécile Patingre les fait coexister, se répondre, se superposer s'opposer, laissant le spectateur libre dans ses choix, déceler ce qui relève de l'analyse exhaustive, non entachée de parti pris.... ) il est un aspect sur lequel la plupart s’entendent : la « maison sublime » est un lieu ouvert, où les Juifs vivaient côte à côte avec les Chrétiens. En ces XIe et XIIe siècles, Rouen est alors une très grande ville de 40.000 habitants, dont 20% de Juifs, selon certaines estimations. Ils bénéficient de droits de résidence, de commerce, de léguer des biens à leurs héritiers, de recouvrer les créances auprès de la Cour royale.

 

On retiendra que Rouen est à cette époque un haut lieu de la vie intellectuelle juive. Les lettrés juifs échangent et débattent notamment avec les lettrés chrétiens au sujet de l’interprétation des textes. La Maison Sublime est ainsi le témoin d’un temps exceptionnel de tolérance dans l’histoire européenne

 

On saura gré à la réalisatrice, d’avoir livré par une compilation orchestrée telle une symphonie quelques secrets (à valeur épiphanique ?), d’une mémoire gravée à jamais dans la pierre, de nous avoir familiarisé avec l’univers d’un vestige extrêmement rare du passé juif médiéval en Europe, (Judith Schlanger)

 

Oui la Maison sublime est un lieu de mystère merveilleux. On a trouvé beaucoup de choses avec ce documentaire mais je pense qu’il reste encore pas mal de secrets. (Cécile Patingre)

 

Colette Lallement-Duchoze

 

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23 juin 2024 7 23 /06 /juin /2024 08:36

d'Olivier Assayas  (2023)

 

avec Vincent Macaigne, Micha Lescot, Nora Hamzawi, Nine d'Urso

Synopsis: Paul, réalisateur, et son frère Etienne, journaliste musical, sont confinés à la campagne dans la maison où ils ont grandi. Avec eux, Morgane et Carole, leurs nouvelles compagnes. Chaque pièce, chaque objet, les arbres du jardin, les sentiers parcourant les sous-bois leur rappellent les souvenirs de leur enfance, et leurs fantômes

Hors du temps

Le film débute telle une visite guidée… Guidée par la voix off du cinéaste. Visite inventaire ? Un préambule aussi lent que poussif. La caméra nous promène dans l’immense propriété familiale, (un cadre, tel l’exact opposé du confinement) ; elle nous immerge dans des pièces au mobilier et à l’atmosphère suranné.es ; elle est censée nous apprivoiser avec les « voisins » -ceux d’hier dont les voix se sont tues, ou ceux d’aujourd’hui-  tout cela dans une atmosphère à la fois bucolique éthérée et iridescente, où la flore va épouser l’âme des objets inanimés -??; le film sera ponctué par d’autres passages à la teneur rétrospective  similaire, sur ce paradis perdu ( ?) C’est que le confinement aura ressuscité tout un pan du passé. Le ton est sinon nostalgique du moins mélancolique et la voix éraillée du cinéaste/mémorialiste a parfois des accents d’outre-tombe, hors du temps.

2020 Voici les deux frères en train de se chamailler (l’un partisan d’un suivi méticuleux -voire outrancier- des directives imposées par le pouvoir contre la propagation du covid, l’autre se contentant du « service minimum » le port du masque ; l’un victime d’achats compulsifs via Amazon et sévèrement tancé par l’autre ; les « motifs » de ces chamailleries pullulent mais ...ils sont si dérisoires   L’espace imparti -hormis ces repas en plein air- paraît  suffisamment immense pour que chacun s’adonne à ses activités ; activité comme déconnectée du réel pour Paul (double d'Olivier Assayas) ; ses discussions les plus banales sont toujours hyper référencées (Hockney, le maître vénéré) son rendez-vous hebdomadaire avec sa psy par écran interposé au pied du même arbre, et surtout l’interprétation de Vincent Macaigne (il excelle en dégingandé, au phrasé saturé d’afféteries) accentuent le ridicule du personnage (saluons le regard nullement attendri mais lucide du réalisateur dans cette autofiction) Quant aux deux femmes, elles servent trop souvent de « faire-valoir » ….(on devine le malaise dans le jeu de Nine d’Urso, alors que l’humour est omniprésent dans celui de Nora Hamzavi ….)

Ces moments vécus au grand air à la campagne (vallée de Chevreuse) lors du confinement, les considérations sur les bienfaits de la vie qui ralentit, la fraternité (re)assumée, font de cette pseudo fiction un opus peu convaincant …

Au grand dam du spectateur (qui, comme moi, s’est laissé piéger par la bande-annonce !!)

 

Colette Lallement-Duchoze

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22 juin 2024 6 22 /06 /juin /2024 17:29

de Pier-Philippe Chevigny  (Canada 2023)

 

avec Ariane Castellanos Ariane,  Marc-André Grondin Stéphane,  Nelson Coronado Manuel Morales,  Marc Beaupré L'agent d'indemnisation , Micheline Bernard Nicole , Marvin Coroy Hector

 

 

Festival international du film Saint Jean de Luz (octobre 2023) : Prix du public + grand prix + prix d’interprétation féminine

Festival du film canadien Dieppe :  Prix du public

Synopsis Dans la Vallée du Richelieu, région agricole du Québec, Ariane est embauchée dans une usine en tant que traductrice. Elle se rend rapidement compte des conditions de travail déplorables imposées aux ouvriers guatémaltèques. Tiraillée, elle entreprend à ses risques et périls une résistance quotidienne pour lutter contre l’exploitation dont ils sont victimes

Dissidente

Pour dénoncer l’outrageuse (et pourtant légale…) exploitation des ouvriers étrangers temporaires, ici guatémaltèques, pour mettre à nu les conditions de travail inhumaines cauchemardesques, pour démonter les « rouages » d’un système (le supérieur d’Ariane la « traductrice » sait lui rappeler, aux moments les plus opportuns, que lui-même obéit aux diktats d’un patron et que la moindre petite faille aura des répercussions sur l’ensemble) le réalisateur Pier-Philippe Chevigny a choisi le format 1,4 (censé enfermer encore plus les personnages) le recours aux plans séquences ; il use (et abuse parfois) des gros plans prolongés, il privilégie les face à face (deux visages dans le même cadre, ou champ contre champ témoins d’une incompréhension réciproque, il privilégie en outre une forme de « sensationnalisme » (cf la séquence à l’hôpital son ambiance chirurgicale verdâtre le vomi rouge etc. ) . Certains choix loin de servir le propos ont tendance à l’alourdir… C’est vrai !

Mais cela est largement compensé par l’interprétation d’Ariane Castellanos -le personnage est d'ailleurs au centre de l'intrigue, de la narration, de la dramatisation-, compensé aussi par la dynamique interne qui va de l’acceptation plus ou moins complice à la prise de conscience « dissidente » :Oui Ariane en est désormais persuadée chacun malgré tous les malgré peut influer sur ce qu’il jugeait inéluctable (sans arrière-pensée démagogique)  Embauchée comme traductrice elle va jouer le rôle de   déléguée syndicale

Certaines scènes révèlent des accointances avec le cinéma des frères Dardenne ne serait-ce que la justesse du traitement, la « peinture » du quotidien d’ouvriers corvéables englués dans les mécanismes d’un capitalisme sauvage,  mais aussi leurs espoirs (sur le petit écran de smartphone voici que s’animent les attentes d’une famille) leur solidarité, alors que la dramatisation pamphlétaire aurait des accents loachiens ( ?)

Dans le bus qui les mène à l’exploitation agricole la caméra se pose sur le visage de Manuel Morales  où perle une larme ; en écho au final, un bus, les ouvriers, le visage de Manuel, une larme mais ce n’est plus le regret qu’épreint ce pleur lacrymal … 

Réaliste social politique oui Dissidente est tout cela à la fois

Un film à ne pas manquer !

 

Colette Lallement-Duchoze

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20 juin 2024 4 20 /06 /juin /2024 08:12

Documentaire d'Alexe Liebert ( France  Irak 2023)

 

Photo Michel Slomka

Voix : Golshifteh Farahani

Musique Benjamin Chaval, Dakhil Osman

 

 

Le 3 août 2014, le groupe État Islamique s'est lancé à la conquête de la région du mont Sinjar, en Irak. Cinq ans plus tard, plus de trois mille Yézidis sont toujours entre leurs mains ou portés disparus. Le demi-million de Yézidis qui vivaient dans les villes et villages de la région ont fui. Ne leur reste plus aujourd'hui que la souffrance vive laissée par ceux qui sont absents : les hommes et les vieillards qui remplissent les charniers laissés par Daech.

entre 2016 et 2017 la réalisatrice est partie à la rencontre des rescapés 

Sinjar, naissance des fantômes

Je suis la mémoire et la douleur est mon nom.

Nous, Yézidis, nous sommes tous morts.

 

Ecran noir, silence sépulcral.

Puis en off la voix de Golshifteh Farahani

 

Le mont Sinjar tel un leitmotiv, -contemplez-le noyé dans la brume, inondé de soleil, ses flancs hébergeant des coquelicots- ou immergez vous dans la béance de la plaine et sa Douleur-, avant que le documentaire ne donne la parole à ces femmes à jamais dévastées (des témoignages plus que bouleversants sur la violence, les viols, les meurtres savamment perpétrés par Daech, femmes esclaves « Esclave sexuelle à vendre. Belle, grande, élancée, obéissante. 12 000 $) Elles sont là comme figées dans le deuil portant un enfant essuyant ces larmes qui tracent sur leur visage le dessin de leur destin

 

La réalisatrice a construit son conte documentaire sur l’interdépendance -une osmose- entre les habitants les Yézidis (leur culture, leur religion mélange de zoroastrisme et d’autres cultes perses de l’Antiquité) et leur environnement le macrocosme (travail remarquable du photographe Michel Slomka,) avec ralentis zooms et vues d’ensemble ou en plongée, et une palette de couleurs qui s'harmonisent avec la (les) lumière(s)

Elle l’a scandé en plusieurs « mouvements » comme autant d’étapes- : les témoignages de femmes (rescapées de l’enfer) d’hommes orphelins de leurs familles, de combattants locaux face à l’absence d’une aide internationale, mais aussi par des scènes de liesse collective ou de rites, Une bande-son suggère parfois le massacre (d'autant plus intolérable...) ou de gros plans sur des ossements ou un zoom sur un crâne couturé  illustrent la barbarie  (l'impossible cicatrisation?) 

Mais les voix, jamais,  ne se sont tues, chants musiques et poèmes survivent en résilience- hantée  par les fantômes des disparus.

 

O temps suspendu du traumatisme et de l’exil,

ô crête du mont Sinjar, 

ô l’attente de voir revenir les tiens

 

 

je suis la voix

mémoire du passé mémoire du présent

je suis

 

Projet singulier qui mêle journalisme, engagement humanitaire, photographie et poésie.

 

Un  conte documentaire  subtil à ne pas manquer

 

 

Colette Lallement-Duchoze

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18 juin 2024 2 18 /06 /juin /2024 05:39

de Marjane Satrapi (2023)

 

avec Monica Belluci, Rossy de Palma, Roschdy Zem, Alex Lutz, Marina Garcia, Ben Aldridge, André Dussolier, Gwendal Marimoutou, Eduardo Noriega, Charlotte Dauphin,

Sypnosis Ex-star de l’opéra, Giovanna fulmine : alors qu’elle a été déclarée morte par erreur, les hommages de la presse tardent à venir. Mike, cascadeur anglais, peut-il décemment trembler devant la mort alors qu’il la défie tous les jours ? Fumer tue, mais Dolorès s’en fout : le jour des 15 ans de sa petite-fille, elle passe unilatéralement un pacte avec Dieu. Alors qu’elle essaie de se suicider, Marie-Cerise, ado harcelée, humiliée et déprimée, est kidnappée et va tout naturellement faire de son ravisseur son psy. Edouard, bien qu’il présente depuis des années une célèbre émission criminelle à la télé, accuse le coup quand sa mortalité se rappelle à lui.

Dans les rues vivantes et cosmopolites de Paris, ces destins s’entremêlent et se répondent, connectés les uns aux autres par des figures universelles du quotidien : une femme de ménage, un flic, un cafetier. Et si, face à la mort, le mieux était encore de vivre ?

Paradis Paris

Je vous ai tant parlé de la mort que je voudrais vous parler de la vie », Edouard (André Dussolier) pour sa toute dernière émission

 

 

Proposer un film choral où tous les personnages -dont les destins se croisent sans toutefois converger, sont reliés entre eux par un seul  "fil" la mort. -  s'y  confronter  relevant  de la tragédie de l'accident ou de la farce-. Pourquoi pas ?

Mais hormis quelques scènes (celle avec Rossy de Palma, fumeuse invétérée pactisant avec la « faucheuse » ou celle avec le kidnappeur cagoulé qui danse dans l’espace clos de sa folie) l’ensemble de ce film à sketches est assez poussif laborieux. Dans la forme et dans le fond.

Le montage alterné par trop élémentaire manque de fluidité (compilation bien fade pour ne pas dire inconsistante) et l’humour (cf la diva morte ressuscitée du tout début) tombe à plat tant est prononcé l’écart entre la gravité bien « réelle » d’une existence et la mièvrerie des conclusions apportées (le plus éloquent serait la déposition de l’ado au commissariat).

Paris capitale composite multiculturelle et radieuse, si l’on se fie au titre.?  Or le casting choisi (impressionnant) n’est international qu’en apparence…Et quand bien même la cinéaste filme avec amour la ville (travellings ascendants sur les façades, captations d’ambiances et de lumières celles des ponts, rue piétonne, terrasse d'un bar-brasserie,- silhouette de la Bergère ô Tour Eiffel, un commissariat de quartier, une friche industrielle) la  cartographie  propose une vision anachronique de Paris… Osons espérer que ce choix est délibéré…

 

L'alternance de ces pseudo-courts métrages se contente -pour le fond- d’enfiler des clichés sur la mort, la vie. A la limite peu importe que la mort soit  le lot quotidien,(thanatopracteur ou cascadeur) que l’on soit suicidaire (l’ado harcelée sur les réseaux puis kidnappée) l’essentiel n’est-il pas de croire en la vie ? … Vous avez un seul devoir celui d’être heureux Tel serait le message dispensé avec un aplomb (assez désarmant dans sa banalité même )

Vous avez dit Philosophie de comptoir ?

 

On peut éviter ce film ou accepter de patiner de concert !

 

 

Colette Lallement-Duchoze

 

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17 juin 2024 1 17 /06 /juin /2024 12:13

De Jean-Christophe Meurisse  (2024)

 

avec Delphine Baril, Charlotte Laemmel, Laurent Stocker, Gaëtan Peau, Vincent Dedienne Aymeric Lompret, Jonathan Cohen, François Rollin, Romane Bohringer, Philippe Rebbot, Nora Hamzawi

 

 

présenté en clôture de  la Quinzaine des cinéastes Cannes 2024

 

 

sortie en salles  le 26 juin 

Synopsis: Léa et Christine sont obsédées par l'affaire Paul Bernardin, un homme soupçonné d’avoir tué toute sa famille et disparu mystérieusement. Alors qu'elles partent enquêter dans la maison où a eu lieu la tuerie, les médias annoncent que Paul Bernardin vient d'être arrêté dans le Nord de l’Europe

 

Dupont de Ligonnes version comédie (cf l'affiche) ??

Les pistolets en plastique

Dans ce troisième long métrage (après Apnée et Oranges sanguines) le cinéaste (qui est aussi rappelons -le à la tête de la troupe de théâtre, « Les Chiens de Navarre »), continue à « bousculer » la comédie française ; en prenant plaisir à mêler l’absurde la tragédie la comédie, l’humour et la gravité, dans un film plus qu’hybride (parodie du policier, comédie sociale et même film d’horreur). Refusant de se cantonner dans un genre unique, il opte une fois de plus  pour une succession de tableaux multipliant les points de vue

Vous allez assister à une farce loufoque baroque déjantée, irrévérencieuse et caustique, dont l’intrigue policière - inspirée de l’affaire Dupont de  Ligonnès- sert de prétexte

Le ton est donné dès le générique (prologue qui encode le film) : toutes les informations sont entrecoupées par le dialogue entre deux médecins légistes en train de disséquer un cadavre, dans un décor verdâtre, maculé de sang avec une panoplie d’instruments d’équarrissage…: Oui et c’est à déplorer disent-ils -surtout Jonathan le mytho- à grand renfort de clichés, les gens aiment le sang, le mal, les séries gore, les tueurs en série ; il colporte aussi la rumeur  concernant un célèbre indicateur de l’orientation sexuelle....

C’est bien la France contemporaine que l’on va disséquer….et en particulier son goût trop prononcé pour les faits divers glauques 

Les deux enquêtrices du web, Léa (Delphine Baril) et Christine (Charlotte Laemmel), le vrai (Faux ?) Paul Bernardin  (Laurent Stocker) le tueur réfugié en Argentine, et le danseur country Michel Uzès (Gaëtan Peau) sont les quatre personnages principaux dont les trajectoires servent de trames narratives. A leurs côtés et sur le modèle de la comptine "trois petits chats" dorica castra (que nous entendrons à la fin du générique de fin) des personnages « secondaires » (dont certains que nous ne reverrons plus…)  des « sous intrigues », des péripéties qui toutes à des degrés divers dénoncent des incompétences notoires (enquêteurs de la police française dans une séquence où par écran interposé les deux Français sont incapables de communiquer avec leurs homologues danois) séquences /sketches aussi (cf la concierge qui débite, triviale,  propos racistes, homophobes, et clichés sur l’insécurité). Ces péripéties  sont l’occasion de one man show (cf l’entrée dans le cadre et dans l’aéroport de ce Zavatta (Anthony Pialotti) journaliste aussi célèbre qu’incompétent et son machouillage de cure-dent) Et ce faux coupable (comme le fut Guy Joao) objet de tous les délires, victime d’une  erreur politico-médiatico judiciaire et pire encore.... (ne pas spoiler…)

Oui la société est mal barrée ; oui la justice est incompétente, oui la police est incapable, oui l’opinion est versatile et toutologue, oui le méchant ne peut que triompher en absurdie !! Mais quand le film « reconstitue » la scène du crime,  on ne rit plus…

 

Parfois les décors d’un blanc laiteux ou chirurgical théâtralisent le propos (esthétisation ? formalisme décadent ? opposition un peu trop facile avec le rouge et ses connotations ?). Parfois ils versent dans la caricature (cf les intérieurs bourgeois de la bâtisse en France et de son double en Argentine), De même que la musique composite (où Julien Clerc, Dalida Taj Mahal côtoient Bach et Mahler) accentue les dysfonctionnements dénoncés de bout en bout

Certes il y a des passages qui, paradoxalement s’étirent inutilement (les « fausses découvertes » des enquêtrices leur diabolique justice immanente, les engueulades au téléphone, la cérémonie en Argentine) ou incongrus saugrenus (la pseudo performance de la commissaire française, Anne-Lise Heimburger, les confidences d’un ancien alcoolique décidé à boire le jour du mariage car précisément il a cessé de boire …celles de la femme enceinte, voisine de Michel Uzès dans l’avion Paris Copenhague)

 

Certes on pourra toujours reprocher les excès (outrances, profusions formelles, complaisances dans le « gore ») mais n’épousent-ils pas l’impertinence cynique qui sied à la dénonciation du sensationnalisme ?

 

Et d’ailleurs le cinéma de Jean Claude Meurisse ne serait-il pas cathartique? l

"plutôt que de pleurer sur le sort de notre société il vaut mieux rire de notre monstruosité" (Pierre Larvol)

 

Colette Lallement-Duchoze

 

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16 juin 2024 7 16 /06 /juin /2024 13:40

d'Una Gunjak (Bosnie/Serbie 2023)

 

avec Asja Zara LagumdžijaNađa SpahoMaja IzetbegovicMediha MusliovićIzudin Bajrović

 

 

Festival Premiers Plans Angers janvier 2024

5e édition de Cinemed, festival du cinéma méditerranéen de Montpellier du 20 au 28 octobre 2023 : 

Mention spéciale Cinéastes du présent festival de Locarno 

Prix d’interprétation féminine pour Asja Zara Lagumdzija au Festival du Film de Marrakech,

Synopsis: À Sarajevo, Iman une adolescente en quête de reconnaissance affirme lors d'une partie d'action ou vérité entre collégiens -,-qu'elle a eu son premier rapport sexuel. Piégée dans son propre mensonge, elle invente une grossesse et devient le centre d'une controverse qui échappe à tout contrôle

Excursion

Action ou vérité ?

Deux trames narratives principales créent la dynamique interne du premier long métrage d’Una Gunjak. Un "mensonge" dont on suit la "dramatisation" : de l’étonnement à l’auto persuasion, de l’acceptation au rejet par les proches et les autorités laïques ou religieuses, de l'ostracisme à l’exclusion. Parallèlement, on suit les préparatifs d’un voyage de classe  sur fond de rumeurs (17 jeunes filles enceintes  suite à  un voyage organisé …) ces réunions avec les parents  filmées en montage parallèle seraient-elles censées illustrer une confrontation générationnelle ? . Et voici comme toile de fond, la ville de Sarajevo (de rares plans d’ensemble ou en plongée, mais des ambiances urbaines) encore marquée par les dissensions entre Serbes et Bosniens, et Bosniaques, autochtones et étrangers et un contexte socio-politique imprégné du patriarcat d’un autre âge…. Et ce sont bien les différentes étapes de la première qui, contaminant les autres, illustrent le jeu (pervers ?) "action ou vérité ?

L’actrice (aux allures androgynes, aux cheveux teints) interprète royalement l’adolescente Iman Elle est de tous les plans (seule, en groupe, en classe, en duo avec son "amie"  Mediha, en famille -grand-père aveugle, mère compréhensive, frère taquin) et son regard d’azur dira le désarroi quand le « mensonge » initial (avoir eu un rapport sexuel avec Damir, au-delà des prélis) prend d’imprévisibles proportions (surtout quand elle ne dément pas l’éventualité d’une grossesse… )

Oui il y a de l’audace à mettre en exergue les absurdités d’une société hétéropatriarcale (et les effets collatéraux dont les déboires imposés à la mère sont bouleversants) Oui oser avouer en public un désir en le maquillant derrière un mensonge, s’apparente à un cri de révolte- celui d’une jeunesse bâillonnée ici (Sarajevo) ou là (d’où la portée universelle du propos) Le désir sexuel serait donc tabou ? (on ne peut s’empêcher d’opposer le How to have a sex de Molly Manning Walker (prix un certain regard 2023) film beaucoup plus convaincant en son exact contraire……

Le film s’apparente parfois à un « teen movie » mais il manque de ‘tonus » et souffre d’étirements inutiles (surtout dans la première partie où la succession de « tableaux » censés contextualiser un parcours, s’encombre de longueurs ou piétine)

Dommage car le film se donne à lire comme la radiographie d’une certaine jeunesse contrainte à se « réinventer » face à un monde adulte, marqué par des décennies de troubles (c’est un euphémisme) et par les tentatives de l’économie néolibérale ; les sanction infligées, communiquées par téléphone interposé en disent long sur l’état de « santé mentale » de la société bosnienne 

 

Colette Lallement-Duchoze

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