Documentaire réalisé par Alessandra Celesia (Irlande/G B 2024)
avec Joe McNally, Jolene Burns, Rita Overend, Sean Parker, Angie B. Campbell, Gerard Magee (iels jouent leur propre rôle)
Dans sa tour HLM de New Lodge, Joe met en scène des souvenirs de son enfance vécue durant les « Troubles » conflit armé qui déchira l’Irlande du Nord des années 60 à 1998, et fit particulièrement des ravages dans ce quartier catholique de Belfast. Jolene, Sean, Angie et d’autres voisins se joignent à lui pour revisiter leur mémoire collective, qui a façonné leur vie et leur quartier.
Un homme nettoie un espace dédié à la Vierge en vue d’une rencontre le soir avec une quinzaine de résidents âgés catholiques ; Joe accompagné de Freedom décline l’invitation. C’est la séquence d’ouverture (un quartier un rituel un personnage)
Joe et l’enfant Sean ont « capturé » des grenouilles mais après une caresse, celles-ci vont rejoindre l’élément liquide alors que leur coassement sert de champ sonore au générique de fin.
Entre ces deux scènes la réalisatrice aura pris le spectateur à témoin du trauma qui perdure plus de 50 ans après les événements (les troubles) de la guerre civile en Irlande du Nord, et qui hante la mémoire individuelle et collective
Voici des immeubles à l’architecture brutaliste, les tours du quartier de New Lodge Cet espace urbain « délimite » les itinéraires des personnages, et la récurrence de plongées et contre-plongées souligne l'effarante compacité verticale saturant un espace sans toutefois l'obstruer -( Angie de son balcon suit en plongée la prière et les chants liturgiques ; dans la nuit qui crépite de feux d’artifice (ô le bien nommé) Joe et l’enfant Sean regardent du dernier étage de la tour, les feux de joie allumés par ces unionistes protestants chaque 11 juillet … ; de sa voix de stentor, il interpelle de jeunes dealers qui œuvrent en contre bas )
Récurrence de ces plans, Récurrence des face à face Joe McNally,/Rita la psy, entrecoupés par les images mentales du « patient », par des images d’archives bleutées et par des sketches « reconstituant » les épisodes les plus traumatisants de son passé de gamin (l’épisode du cercueil qui dans un autre contexte relèverait du comique burlesque "prépare" la "reconstitution" de la veillée funèbre : Joe avait 9 ans quand il a vu son oncle bien aimé mort à 17 ans assassiné par l’armée anglaise, il en avait 14 quand Bobby Sands a succombé aux 66 jours de sa grève de la faim en prison (cf le film très éprouvant de Steve McQueen avec Fassbender Hunger 2008); sketches où les voisins d’aujourd’hui interprètent les protagonistes d'hier (Sean sera le fantôme de Joe enfant, Jolene la mère et Angie la grand-mère)
C’est que le présent contaminé par le passé garde béantes des cicatrices, indélébiles les empreintes et pleure dans la parole libérée.
Or la "démarche" proche de la maïeutique de la psychanalyse et de la catharsis, interpelle le spectateur entraîné dans un voyage mémoriel, il s’interroge ; Discours politique toujours tenu à distance ? Images d’archives qui alourdissent le propos ou qui sont frappées d’inanité ? allers et retours et captation d'un emprisonnement à la fois mental et social ?? mais les questions restent …. en suspens
On retiendra cependant la puissance de la solidarité, qui unit ces éclopés de la vie, ces êtres à jamais abîmés, ainsi que le sourire qui illumine le visage de Sean (serait-ce l'accomplissement -du moins les prémices- de la prophétie de Bobby Sands Notre revanche sera le rire de nos enfants ??
Colette Lallement-Duchoze