de Déa Kulumbegashvili (Géorgie 2024)
avec Ia Sukhitashvili,(Nina) Kakha Kintsurashvili,((David) Merab Ninidze (médecin-chef)
Musique Matthew Herbert
Mostra de Venise 2024 Prix spécial du Jury
Nina, une obstétricienne de la Géorgie rurale aide les patientes souhaitant avorter malgré l'interdiction légale. Elle doit défendre ses valeurs et ses actions lorsqu'elle est accusée de négligence et est soumise à une enquête1
"Explorer une société où la désobéissance féminine est jugée comme le pire des péchés, une société où la femme est forcément liée à son statut de mère ou d’épouse, où rester célibataire est suspect" tel est le pari de la réalisatrice; lutter contre les « préjugés » c’est le quotidien de Nina. Mais ce sera avec une "singularité déconcertante"
Oui April est un film étrange déroutant voire dérangeant. Un film choc (on sort de la séance comme sonné après un uppercut). La mise en scène est radicale, le réalisme cru, le format (1,3) et la lenteur de certains plans fixes enserrent dans une forme d’étouffement, que vient amplifier une bande son qui fait la part belle à un souffle une respiration, celle d'un double -vivant ou mort-vivant (à l’instar de l’alter ego de Nina humanoïde à la combinaison couleur chair et ocreuse, boueuse).
On ne peut rester insensible à l'esthétique de ce film (au service d’ailleurs d’un plaidoyer en faveur de l’avortement) Certains spectateurs vont déplorer un excès de rigueur formelle ; j’en conviens il y a un étirement qui va (parfois) au-delà du « nécessaire » Cela étant ….
Les trois premières séquences resteront gravées dans les mémoires D’un point de vue purement narratif elles encodent le film -que l’interprétation soit naturaliste ou symbolique- , d’un point de vue esthétique (plastique) elles « dérangent » par leur anti conformisme (silhouettée une femme nue semble s’enfoncer dans les marécages, et sa chair se drape d’une viscosité flasque ; un accouchement filmé en un long plan fixe comme en surplomb léger avec l’accroche de cette lampe froide, l’œil du spectateur rivé sur le sexe de la parturiente ; le frémissement de l’eau qui se métamorphose en crépitement mugissement insolite et qui envahit l’écran au son tonitruant du tonnerre foudroyant)
L’alternance entre scènes à l’hôpital et en extérieur (on imagine Nina au volant de sa voiture qui zigzague de nuit s’octroyant des « pauses » susceptibles de satisfaire une libido contrariée,) qui est aussi une alternance entre cadres fixes et mouvements, exprime cette volonté de « capturer » l’instabilité constante d’un monde. A la froideur des architectures de ces longs couloirs désertés par l’humain (et souvent les personnages sont vus de dos ou restent hors champ) s’opposent si contrastés un champ de coquelicots inondé de lumière, des fleurs en gros plan vibrant sur des branchages gorgés de soleil, un ciel qui « se noie dans son sang qui se fige » Avril et le renouveau
Le plan final (opacité gluante dans l’effacement par engloutissement … ) n’est-il pas empreint de cet onirisme aux multiples interprétations ?
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Colette Lallement-Duchoze