de Mike Leigh (G-B 2024)
avec Marianne Jean-Baptiste (Pansy) , David Webber (son mari Curtley) Tuwaine Barrett (leur fils Moses ) Michele Austin (Chantelle la soeur) , Ani Nelson (Kayla ) et Sophia Brown (Alaisha).( les deux filles de Chantelle)
Musique Gary Yershon
- British Independent Film Awards 2024 : meilleure interprétation pour Marianne Jean-Baptiste
Pansy est rongée par la douleur physique et mentale et son rapport au monde ne passe que par la colère et la confrontation. Son mari Curtley ne sait plus comment la gérer, tandis que son fils Moses vit dans son propre monde. Seule sa sœur, Chantal, la comprend et peut l’aider.
Invectives vociférations imprécations et ce, quelle que soit la situation, -en famille chez le dentiste chez le médecin dans un salon de coiffure, à la caisse d’une supérette… quels que soient les personnages rencontrés - c’est ainsi que se présente Pansy au quotidien -du moins dans un premier temps A l’opposé de sa sœur Chantelle (Michelle Austin) -qui élève seule ses deux filles- et qui n’est que sourire et bienveillance…Quel contraste aussi entre son appartement très coloré « convivial » et le pavillon propret de Pansy aux couleurs froides
Deux sœurs c’est le titre français mais ô combien plus signifiant le titre original « hard truths » cruelles vérités . Celles qui se cachent derrière les façades de ces maisons (lents travellings latéraux sur l’environnement urbain) derrière la propreté surannée de cet intérieur glaçant, celles enfouies à jamais au profond ?....
Au début nous rions, tant peut surprendre la saveur caustique et truculente des audaces verbales - proférées avec force gestes et grimaces (ce qu’accentuent les gros plans sur le visage, les lèvres, les yeux). On retiendra ce sarcasme destiné à un chauffeur « t’as les couilles tellement bouchées que t’as du sperme dans le cerveau » On sera plus dubitatif quand Pansy vitupère le savoir-faire de la dentiste ou de la doctoresse ( tendance fâcheuse à l’hypocondrie ??) Le rire (ou le sourire) cède la place à un agacement voire un malaise -d’autant que le directeur de la photo Dick Pope « enferme les personnages dans des décors qui retranscrivent l’enfermement mental de l’héroïne , avant que la volcanique Pansy (excellente Marianne Jean-Baptiste) ne se métamorphose.
Aux injures du début répondent les silences, à la voix tonitruante le mutisme ou les larmes , à la posture agressive un corps blotti d’humanité apeurée L’aveu si chaleureux de la sœur Je te comprends pas, mais je t’aime " le spectateur est tenté de le faire sien Une « accalmie » qui coïnciderait avec la fête des mères et la visite au cimetière ?
Mais ne pas verser dans la psychologie (en s’interrogeant par exemple sur les causes d’un mal-être qui menace d’embraser voire de consumer Pansy.) Or des indices suffisamment éloquents évitent de verser dans le misérabilisme à force de déambuler tu seras arrêté pour vagabondage cette remarque/constat destinée au fils Moses induirait un semblant de critique sur la ségrégation sociale dont Pansy elle-même aurait été victime ? -(à noter que le fils tout à l’écoute d’un « autre » univers trimbale, flegmatique, sa surcharge pondérale son mutisme -même quand il est humilié par des jeunes provocateurs....). Le métier de plombier que continue à exercer le mari et qui le brise, n’évoque-t-il pas l’âpre dureté du contexte social ?
Rappelons que l'unique préoccupation de Mike Leigh est de "créer des personnages" Ecoutons-le Je commence le travail individuellement avec chaque comédien, en lui demandant de faire une liste de personnes réelles qu'il connaît et je pioche parmi ces propositions. C'est ce qui constitue la base des personnages ;puis ils vont travailler ensemble pendant plusieurs semaines avant la phase d’écriture du scénario. . "Je cherche à obtenir d’eux qu'ils soient complètement vrais et vivent leurs personnages, en trois dimensions et en temps réel
Et dans cette captation d’un absolu présent voici le regard du taiseux mari, la déclinaison d’une partition de musique par son acolyte, les mensonges d’Alaisha et voici des visages (celui de Pansy surtout) filmés comme des paysages que traversent des tempêtes ….alors qu’un bouquet de fleurs accompagne la mémoire de la mère disparue et qu’un autre jeté à même le gazon, en pâture … n’aura pas vécu l’espace d’un matin…
Un film à ne pas manquer
Colette Lallement-Duchoze