De Juho Kuosmanen (2024 Finlande)
Avec Seppo Mattila, Outi Airola, Jaana Paananen
A Kokkola, charmante petite ville finlandaise non loin du cercle arctique, ce ne sont pas les déjantés qui manquent ! Comme Romu-Mattila, un marginal qui décide de partir s'installer en Suède avec son chien, des trafiquants d'alcool accompagnés d'un cochon ou encore une gardienne de phare qui rêve de se lancer dans une grande aventure spatiale
Exercice de style ? hommage au cinéma des premiers temps ? mélancolie empreinte d’humour ?
Ces trois contes réalisés en 2012 (Romu-Mattila et une belle femme) 2017 (les buveurs de lune) et 2023 (une planète lointaine) par le cinéaste de Compartiment n°6 (grand prix festival Cannes 2021) semblent (première impression) être un laboratoire d’expérimentation: restituer l’esthétique du cinéma muet. Regardez le format utilisé (4,3) la couleur des images aux angles arrondis (noir et blanc qui contraste avec l'affiche très colorée...), le grain de la pellicule, les intertitres (pour les dialogues et le déroulé de l’histoire) et jusqu’à l’incrustation de "défauts" pour donner l'illusion de l’authenticité. Trois contes muets ? pas entièrement car la musique (vers la fin du conte n°1 par exemple ) s’invite dans la dramaturgie et dans les trois l’accompagnement sonore rappellera l’ambiance des premières projections des films "muets"
Une tonalité qui emprunte au burlesque de Keaton ou de Charlie Chaplin (effets comiques et gags dans les trois) mais aussi au "tragique" de la condition humaine (car c’est bien la précarité des exclus qui est mise en exergue); un voyage dans le temps et l’espace, -non seulement dans cette région du nord de la Finlande, à Kokkola -ville natale de Juho Kuosmanen -, mais aussi dans la vastitude interplanétaire (référence évidente à Méliès)
Les personnages (interprétés par des acteurs non professionnels à la criante surcharge pondérale pour certains- ) et que l’on retrouve d’un conte à l’autre, sont soit victimes (Matta expulsé de sa demeure, condamné à l’errance avec son chien bien aimé, contraint à l’exil en Suède, victime de l’ostracisme avant que… ) soit apparemment maîtres de leur destinée (une femme gardienne de phare , au génie inventif, retrouvera, grâce à son engin spatial le mari comme ressuscité sur une autre planète)
Et le conte devient ainsi une méditation sur le déracinement ou sur la puissance de l’amour (qui survit à la précarité ou à la mort) quand il ne célèbre pas (en mêlant anachronismes et clins d'œil contemporains) l’inventivité humaine, celle des contrebandiers, ( le.couple frere et soeur) bouilleurs de cru
Un univers souvent ludique qui entremêle poésie (certes compassée) et complainte d'un autre âge. Un théâtre de la vie humaine. Un regard bienveillant (qui rappelle celui de Kaurismäki) sur les "exclus". Un travail notoire sur la bande-son.
Oui la trilogie finlandaise est tout cela à la fois et mérite ainsi le détour
Colette Lallement-Duchoze
PS Ecoutons le réalisateur « Je voulais réaliser une performance cinématographique dans laquelle tous les sons seraient créés en direct pendant que le film serait projeté sur l'écran et que la lumière et l'ombre joueraient ensemble. J'aimais beaucoup les bruits de fond et les créer me rappelait la magie. Il était fascinant de voir comment différents objets produisaient des sons mécaniques qui, associés à l'image, formaient des significations complètement nouvelles. J'ai pensé que ce type de performance cinématographique serait proche de la magie et du caractère ludique des premières projections de films. »