26 août 2022 5 26 /08 /août /2022 07:06

de Kristina Buozyte et Bruno Samper ·(Lituanie, France, Belgique 2022)

 

avec Raffiella ChapmanEddie MarsanRosy McEwenRichard BrakeMelanie GaydosEdmund Dehn

 

Niff festival du film fantastique de Neufchâtel

 

Dans le futur, les écosystèmes se sont effondrés. Parmi les survivants, quelques privilégiés se sont retranchés dans des citadelles coupées du monde, tandis que les autres tentent de subsister dans une nature devenue hostile à l’homme. Vivant dans les bois avec son père, la jeune Vesper rêve de s’offrir un autre avenir, grâce à ses talents de bio-hackeuse, hautement précieux dans ce monde où plus rien ne pousse. Le jour où un vaisseau en provenance des citadelles s’écrase avec à son bord une mystérieuse passagère, elle se dit que le destin frappe enfin à sa porte

 

Vesper chronicles

Même si le film renoue avec certains clichés des dystopies -post nucléaires ou post-apocalyptiques : clivages générationnels et sociaux (une oligarchie protégée dans la Citadelle et des miséreux survivant dans les cloaques) conséquences fâcheuses de l’ingénierie technologique (stérilité d’une nature meurtrie), même s’il exploite des thématiques typiques de la science-fiction (littéraire ou cinématographique) dont les dialectiques humain/inhumain, charnel/artificiel, même s’il lorgne parfois du côté de Cronenberg (la viscosité organique), il ne verse pas pour autant dans le spectaculaire.

Adoptant le point de vue de Vesper (Raffiella Chapman) une jeune adolescente bio-hackeuse,  il nous entraîne dans les forêts lituaniennes, avec peu d’effets spéciaux visuels ou sonores,  une bande son parfois élégante parfois plus illustrative -mais qui évite la saturation l’amplification facile, soigne les ambiances d’intérieurs (clairs obscurs couleurs ocres et brunâtres à la Rembrandt),  tout en opposant un père alité et moribond (Richard Blake) et son frère (Eddie Marsan), despote esclavagiste œuvrant avec des sbires pour la Citadelle

 

Le thriller SF se mue bien vite en récit  "initiatique"  et la rencontre entre Vesper et Camélia (aristo échouée à la suite du crash de son vaisseau) servira de ligne narrative.

Vesper dès le début est secondée par un drone humanisé -à la voix caverneuse d’outre-tombe…celle de son père- qui doit lui permettre de s’émanciper du monde environnant, et grâce à ses expériences en laboratoire, de créer des semences,  gages de survie. L’aide apportée par Camélia s’inscrira dans le mouvement qui va de l’intime à l’universel, du particulier au général. (Mouvement qu’avait illustré la toute première séquence : Vesper gratte la terre, palpe de curieux tubercules puis les rejette ….au loin... le plan s’élargit : le sol devient "rizière"  alors que se profile en arrière-plan une immense structure)

Quelle est la véritable identité de Camélia? Les révélations successives, non seulement vont "pimenter"  le récit, mais "guideront"  Vesper dans sa double émancipation, son affranchissement de l'environnement hostile et celui de la tutelle paternelle! 

 

Cela étant, malgré d'évidentes "qualités", on peut  déplorer une certaine complaisance, une fin presque "convenue"  et des longueurs inutiles

Gageons que les  "jeunes",  voire très jeunes spectateurs seront sensibles à cette "fable écologique" et à la double libération de l’adolescente Vesper !!!

 

Colette Lallement Duchoze

 

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23 août 2022 2 23 /08 /août /2022 12:25

de Zoé Brichau    (Belgique 2020)

documentaire 29'

 

présenté aux Etats généraux du film documentaire 2021

à voir sur Tënk 

Qu'ils ne me volent pas mes rêves - Film documentaire - Tënk (on-tenk.com)

"Ce dimanche (21/08)  à Lussas, Ardèche, s'ouvrent les États généraux du film documentaire. La semaine prochaine, nous vous ferons découvrir quelques uns des films qui vont être montrés sur les écrans cette année. Mais aujourd'hui, retour sur l'édition 2021, avec un petit crochet par 2019 !"

 

Fin 2019, la révolution éclate au Chili. Un groupe d’amis milite et participe activement aux manifestations. Tandis qu’ils photographient, filment, placardent des affiches, ils subissent quotidiennement les inégalités contre lesquelles ils se battent.

Qu'ils ne me volent pas mes rêves!

 

 

Des images de manifestations. Sur les pancartes "Piñeda casse-toi" ou encore "droit à l'avortement". La réalisatrice filme ses ami·es : ils et elles sont dans la rue, photographient et participent à l'insurrection du peuple chilien fin 2019.

 

Le film les suit également dans l'intimité. Dans leur appartement, Claudia, Jorge et Nico parlent de la société qu'ils et elles veulent et de cet enfant qui ne naîtra pas. On suit pas à pas l'avortement clandestin de Claudia. Il y a du sang, de la douleur mais surtout beaucoup de douceur et de solidarité.

 

La caméra de Zoé Brichau nous fait une place aux côtés de cette jeunesse en colère et rend hommage à celles et ceux qui osent dire à leurs parents : "Cette situation te plait ? Moi, je n'arrive pas à l'accepter." 

La nouvelle constitution mise au référendum le 4 septembre 2022 prévoit notamment l'inscription du droit à l'avortement dans la loi fondamentale. Son adoption mettrait fin au texte en vigueur depuis la dictature Pinochet.

 

Éva Tourrent Responsable artistique de Tënk

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16 août 2022 2 16 /08 /août /2022 04:44

d’Ali Abbasi (Suède-France-Allemagne-Danemark, 2021).

Avec Zahra Amir Ebrahimi, Mehdi Bajestani, Arash Ashtiani, Sina Parvaneh

 

Sélection officielle Cannes 2022

prix d'interprétation féminine  ( Zahra Amir Ebrahimi,)

 

 

Iran 2001, une journaliste de Téhéran plonge dans les faubourgs les plus mal famés de la ville sainte de Mashhad pour enquêter sur une série de féminicides. Elle va s’apercevoir rapidement que les autorités locales ne sont pas pressées de voir l’affaire résolue. Ces crimes seraient l’œuvre d’un seul homme, qui prétend purifier la ville de ses péchés, en s’attaquant la nuit aux prostituées

Les nuits de Mashhad

 

Cinéaste danois d’origine iranienne Ali Abbasi, a tourné Les nuits de Mashhad en Jordanie Je tenais particulièrement à ce qu’on reconstitue la face la plus sombre de Mashhad de manière crédible, et la Jordanie réunissait tous nos critères. On a déniché un endroit relativement quelconque et qui peut camper n’importe quelle région du Moyen-Orient, en fonction du point de vue qu’on adopte." Son film s’inspire de faits réels : en 2001 un maçon, père de famille, un homme apparemment sans histoire, avait tué 16 prostituées pour « débarrasser la ville sainte de Mashhad de la débauche » et il fut condamné à la peine capitale après un procès très médiatisé !!!

Comme dans l’excellent Border (Border - Le blog de cinexpressionsAli Abbasi explore une figure de la monstruosité. Ici celle d’un tueur qui, au nom de la religion, se fait justicier en "nettoyant" la communauté de ses impuretés -les femmes prostituées et droguées. Et comme le personnage de Border, Saeed ressent « les appels du pied d’un autre monde » SAUF qu’ici il s’agit de fantasme hybridé d’obligations religieuses, d’excitation de la foule et de délire narcissique. La caméra entraîne le spectateur dans ce « fantasme » (gros plans sur un visage habité par une folie vengeresse), dans ce gouffre dévastateur, (exécutant débridé et maniaque de la mort) le transforme en « voyeur » (scènes de sauvage strangulation, répétées avec peut-être trop de complaisance).

Le film se déploie tel un thriller dans un « double » récit : celui d’une journaliste courageuse, une femme émancipée, qui malgré les complicités phallocrates qui tissent le tissu social et politique est décidée à aller jusqu’au bout (découvrir l’identité du tueur « psychopathe » exiger sa condamnation) ;  celui d’un « fou de dieu » dont on pénètre la psyché, suit la croisade puis le procès. Mais cet homme va laisser en héritage à son fils Ali la mission dont il s’était senti investi : en témoigne la « leçon de choses » glaçante qui joue le rôle d’épilogue…La perspective d’un devenir « autre » serait-elle frappée d’inanité ???

Double récit, double exploration ou comment le film entrelace polar et analyse d’une société Je n’ai pas voulu tourner un film sur un tueur en série, mais un film sur une société tueuse. Enquête et radiographie ; comment la société a engendré un Saeed (cet ex soldat de la guerre  Iran /Irak, cet homme qui vénère le « grand imam Ali Reza ») comment une société est encore inféodée à des diktats patriarcaux, à des atavismes et à la corruption.

Tout cela est mis à nu dans ce film où le sens du « suspense » (attentes gradations rebondissements) et la maîtrise formelle (ambiances nocturnes, lumières bruitages etc. ) sont évident.e.s

Ce qui n’exclut pas excès outrance et complaisance (dommage !!)

 

Colette Lallement-Duchoze

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14 août 2022 7 14 /08 /août /2022 09:34

 

De Stephen Karam  (2021 USA)

 

Avec Richard Jenkins , Jayne Houdyshell , Steven Yeun , Beanie Feldstein , Amy Schumer , June Squibb

 

TIFF Toronto international film festival 

 

 

Au sein d'un duplex d'avant-guerre au cœur de Manhattan, The Humans suit le cours d'une soirée durant laquelle la famille Blake se réunit pour célébrer Thanksgiving. Alors que l'obscurité tombe à l'extérieur du bâtiment en ruine, des choses mystérieuses commencent à se heurter dans la nuit et les tensions familiales montent crescendo...

 A voir sur Mubi

The Humans (2021) | MUBI

 

The Humans

 

En adaptant sa pièce de théâtre (2015) Stephen Karam a su éviter les pièges du « théâtre filmé ».

Certes la profusion de dialogues, le décor unique et les longs plans fixes renvoient immanquablement au théâtre.

Mais en jouant constamment avec les premiers et arrière-plans (voire les profondeurs de champ) en décloisonnant l’espace, en le transfigurant (cf  la fragmentation du visage dans et par le miroir brisé, la bouteille de bière comme prisme déformant du réel) ou en accentuant les failles (lents travellings et/ou gros plans sur la tuyauterie délabrée, sur des plaques de moisissure) le réalisateur entraîne le spectateur dans un « autre univers » : plus pictural (les couleurs en aplats ou le noir, les jeux de clair-obscur, les cadrages) plus cinématographique et "cauchemardesque" en harmonie d’ailleurs avec les  "failles internes" des personnages. ( Saluons le travail sur la couleur du chef opérateur Lol Crawley)  

On peut comparer cette démarche raconter autrement une œuvre à celle de Florian Zeller adaptant pour l’écran sa pièce de théâtre « the father »

 

Reprenons : la famille Blake est réunie pour fêter   thanksgiving » (ou Action de grâce) dans le nouvel appartement de la fille cadette Brigid (Beanie Feldstein) et de son conjoint Richard (Steven Yeun). Le père Erik (Richard Jenkins) est d’emblée effaré par le choix d'un tel lieu d'habitation,  tant le duplex est minable, (bruits insolites répétés venant du dessus, moisissures comme décorations murales, silhouette étrange aperçue par la fenêtre) ; impression partagée par sa femme Deirdre (Jayne Houdyshell), sa fille aînée Aimee (Amy Schumer)  et sa mère Momo (June Squibb), - et la déambulation en fauteuil roulant dans l’étroit vestibule frise la catastrophe !!!!

Dans ce huis clos, les mouvements  d’un niveau à l'autre du duplex (et son escalier en colimaçon), d’une pièce à l’autre, d’un personnage à l’autre vont scander la narration alors qu’au moment des agapes (le benedicite,  l’inévitable dinde) les personnages assis, filmés de dos, de trois quarts ou de profil vont « révéler » leur être profond -et souvent au détour de remarques insignifiantes, de propos anodins, de prétendues réflexions existentielles ou de "confessions" (il en est de même dans le duo père/gendre ; mais la question formulée sur le ton de la plaisanterie  "ne pensez-vous pas qu’être en vie devrait coûter moins cher" ? est loin d’être anodine, tant elle recèle un  douloureux vécu)

Et voici qu’apparait en filigrane le contexte politique et social d’une Amérique encore « traumatisée » par le 11 septembre (cauchemars du père) d’une middle-class encore jugulée par la crise financière de 2008, en proie à des vicissitudes insurmontables (?) alors que se profile le spectre de la maladie et de la mort...

The Humans ou la défaite du "rêve américain" ?

Mutatis mutandis ne serait-on pas en droit de mettre en parallèle le huis clos, si propice à l’enfermement, avec la politique américaine du repli sur soi, outrageusement sécuritaire ?

 

Colette Lallement-Duchoze


 

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29 juillet 2022 5 29 /07 /juillet /2022 19:44

Une riche famille anglaise passe de luxueuses vacances à Acapulco quand l’annonce d’un décès les force à rentrer d’urgence à Londres. Au moment d’embarquer, Neil affirme qu’il a oublié son passeport dans sa chambre d’hôtel. En rentrant de l’aéroport, il demande à son taxi de le déposer dans une modeste « pension » d’Acapulco...

Sundown

Voici en gros plan des poissons sur un étal, entre vie et trépas, un spectacle que « contemple » Neil. C’est la scène d’ouverture

Métaphore de sa propre vie ? peut-être.

Art de « noyer » le poisson argueront les spectateurs hostiles à toute rétention d’informations et au parti pris de concision extrême

 

Succession de tableautins muets, (ou dialogues minimalistes), ellipses et non-dits, un personnage principal apathique ou donnant l’impression d’être étranger à tout (famille, argent, injonctions morales), le film de Michel Franco est pour le moins étrange dans sa concision, ses rebondissements inattendus créant des ruptures de rythme et de tonalité, et ses mystères (que signifie ce plan récurrent qui envahit l’écran en le troublant de son bleu? la réponse « supposée » sera explicitée comme a posteriori à la toute fin du film… encore que…)

 

Non pas un film sur le vide ou le néant « existentiel » ; mais plutôt sur les « choix de vie » face à un lointain inaccessible ou définitivement révolu.

Film crépusculaire (cf le titre) dans un contexte de violence brutale.

Violences sociales (la narration oppose le mode de vie de richissimes touristes nantis -dont la famille de Neil- et l’existence précaire de la population locale)

Crimes « gratuits » crapuleux (ou dictés par la loi du talion) et impunis « On vit avec la violence au quotidien au Mexique, – alors soit on va vivre ailleurs, soit on cherche à comprendre. En tant qu’auteur, je me dois d’étudier cette réalité » affirme le réalisateur

 

Un film qui cultive l’épure et dans lequel Tim Roth incarne à merveille une fausse indolence

 

A voir

 

Colette Lallement-Duchoze

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26 juillet 2022 2 26 /07 /juillet /2022 05:01

court métrage de Louis Tardivier (2019 ) 18'

 

à voir sur KUB

 

 

L'oeil et la terre - KuB (kubweb.media)

 

Sur une île aride en proie au déchaînement d’un volcan, les deux derniers représentants d’une civilisation perdue cherchent tant bien que mal leur salut.

L'oeil et la terre

 

Magie, vie, chaos Commentaire du réalisateur Louis Tardivier 

 

L'histoire se passe sur une île, en vase clos. On ne dit pas s'il existe un ailleurs. La mer s'étend à perte de vue. Les personnages sont seuls au monde. Derniers vestiges d’une civilisation disparue sous une éruption volcanique. Si c'est cette éruption qui a parachevé la disparition de la civilisation, on comprend qu’elle courait à sa perte, qu'elle avait exploité jusqu'à la moelle ses ressources.

Enfermés à l’écart de la société, nos deux survivants ont ironiquement échappé à une mort certaine et globale. Ce point de départ s’inspire de l’histoire du prisonnier martiniquais Louis-Aguste Cyparis, miraculeusement rescapé de l’éruption de la montagne Pelée en 1902 car protégé par son cachot. Cette métaphore de l’enfermement se renforce quand ils découvrent que leur liberté ne fut que de courte durée puisqu’ils se trouvent à présent prisonniers de cette île-tombeau qui n’a plus rien à leur offrir. Ils ne peuvent que constater l'ampleur du désastre et discourir à ce propos tout en cherchant à fuir.

Conditionnés par ce comportement, ils continuent pourtant dans la même veine que leurs pairs ; face aux derniers vestiges d’arbres, ils ne s’émeuvent pas plus et reproduisent le même geste destructeur. Pour autant, ils développent une pensée et questionnent cette situation 

Un discours se construit entre l'homme et la femme autour de sujets philosophiques et prosaïques. Ce ping pong existentiel nourrit nos personnages et le sens du film. Chacun empruntant deux chemins différents. Pour se sauver, la femme va tenir la corde du rationalisme tandis que l’homme va décider partiellement d'orchestrer un retour vers le religieux et le mystique. Le film interroge ainsi notre rapport au choix, à la destinée et au hasard, à l’irrémédiable gratuité du réel dont l’absurde plaide en faveur de l’inexistence d’un Dieu. L’apparence des personnages, un visage/masque épuré aux formes géométriques et un corps humanoïde réaliste, exprime la dualité entre corps et esprit. Cette dialectique âme/corps s'ajoute au discours qui s’établit entre l’homme et la femme. À l’inverse de films apocalyptiques qui mettent en scène une humanité aux réactions pragmatiques ou héroïques face à un sort cruel, les personnages sont déjà passés dans le camp de l’analyse, sans nostalgie ni colère. Il y a de la tendresse, de la complicité dans le discours mais peu d'émotion. Tout est phagocyté par le mécanisme de la pensée. Dans son aspect à la fois grinçant et bucolique, le film nous amène dans un univers où rien n’est permis pour l’homme.

Le prisme de la marionnette nous permet d’élargir le champ des possibles, d’atteindre un récit dialectique, universel, un conte beckettien où le foireux côtoie sans relâche la gymnastique de la pensée et de la joute verbale existentielle. Le film rend compte de la puissance des éléments, de l’incompatibilité de l’appétit de l’homme face à la nature et de la vacuité de bon nombre de ses réflexions démiurgiques.

J’aime l’idée que l’homme puisse changer en un claquement de doigt, que ce soit par une révélation extérieure, ou par une prise en main de son propre destin. Les personnages, persuadés de leur salut, avancent inéluctablement vers un avenir incertain. Survivre plus intelligemment ou mourir avec lucidité.

 

 

L'oeil et la terre

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24 juillet 2022 7 24 /07 /juillet /2022 09:59

de Rodrigo Sorogoyen. (Espagne)

 Avec Marina Foïs, Denis Ménochet, Luis Zahera. 

 

Festival de  Cannes  2022 section Cannes première 

 

Antoine et Olga, un couple de Français, sont installés depuis longtemps dans un petit village de Galice. Ils pratiquent une agriculture écoresponsable et restaurent des maisons abandonnées pour faciliter le repeuplement. Tout devrait être idyllique sans leur opposition à un projet d’éoliennes qui crée un grave conflit avec leurs voisins. La tension va monter jusqu’à l’irréparable.

As bestas

 

Voici des chevaux sauvages. Des aloitadores (lutteurs) agrippent à mains nues l’un d’eux afin de lui raser sa crinière –tradition pluriséculaire de la Galice. Une chorégraphie filmée au ralenti où les hommes comme silhouettés et l’animal ne font plus qu’un, dans une « étreinte » violente de lutte pour la survie. Un gros plan sur le naseau encore écumant ! C’est la scène d’ouverture.

Un « prologue » à valeur métaphorique. Une scène filmée de façon quasi identique s’en viendra clore la première partie de ce film où -et ce serait le sens littéral du titre- l’animalité triomphe de l’humain…

Frapper, se tordre, se débattre, tenter de se redresser,  geindre n’est-ce pas le sort que réservent les frères Anta, Xan (étonnant  Luis Zahera) et Loren, avec la complicité muette de leur mère, à Antoine (Denis Ménochet) , ce Français venu s’installer avec sa femme Olga (Marina Foïs) sur les terres de Galice, pour y pratiquer une culture écoresponsable et retaper des masures ?. Et la première partie se déroule telle une tragédie à l’antique (avec des clins d’œil au western dont le café serait le saloon montagnard) avec une gradation dans les hostilités (paroles, exactions)  jusqu’à l’irrémédiable! Les frères représentent une classe sociale condamnée à la précarité et reprochent au Français son arrogance, son altérité (ah cette xénophobie éhontée!!) mais surtout de s’être opposé à un projet d’éoliennes, qui leur aurait assuré une manne financière. Deux mondes irréconciliables ! Seul le chien d’Antoine et Olga chemine régulièrement de l’un à l’autre, étranger aux agressivités des humains!! Dans la seconde partie (après une ellipse d’autant plus savante qu’elle est inattendue) l’accent se porte plus sur l’intime (relation mère et fille) et l’incroyable obstination d’Olga !

Un film où s’affrontent des forces telluriques (la stature cyclopéenne de Denis Ménochet y participe tout comme l'âpreté du  rustique  et du minéral),  où la structure frappe par son intelligence et entraîne le spectateur dans une forme de paranoïa, où les dialogues ont la force redoutable des armes, un film d’une violence sourde et rampante avec çà et là des trouées de lumière (ne serait-ce que dans le rôle dévolu à la femme, immortalisé sur l’écran de l’ordinateur)

 

Un film à ne pas rater 

 

Colette Lallement-Duchoze

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22 juillet 2022 5 22 /07 /juillet /2022 08:27

De Dominik Moll  (France Belgique) 

coscénariste Gilles Marchand

avec Bastien Bouillon, Bouli Lanners, Anouk Grinberg, Pauline Serieys, Julien Frison, Camille Rutherford, David Murgia

 

Cannes 2022,  section Cannes Première

 

 

À la PJ chaque enquêteur tombe un jour ou l’autre sur un crime qu’il n’arrive pas à résoudre et qui le hante. Pour Yohan c’est le meurtre de Clara. Les interrogatoires se succèdent, les suspects ne manquent pas, et les doutes de Yohan ne cessent de grandir. Une seule chose est certaine, le crime a eu lieu la nuit du 12.

 

 

 

La nuit du 12

 

Une nuit, un lieu, un crime (féminicide) une enquête

Apparente simplicité et pourtant…

 

D’emblée le spectateur est prévenu : la nuit du 12 -qui s’inspire du livre 18.3 une année à la PJ de Pauline Guéna- fait partie de ces enquêtes qui ne seront jamais résolues…Est-ce dû à leur complexité ? au manque de  "moyens"  dévolus à la police ? peut-être, sûrement !, et le film est émaillé de détails qui le corroboreraient…

Or le manque de moyens auquel s’ajoute la surreprésentation masculine ont souvent abouti à cette conclusion hâtive : si les femmes sont tuées, c’est peut-être, finalement, un peu de leur faute…. Après tout Clara -la victime brûlée vive- (Lula Cotton Frapier) avait une vie sexuelle assez dissolue…

Le film va démonter ce mécanisme en l’abordant frontalement ou par des moyens détournés.

 

La scène récurrente sur le vélodrome (où Yohan, l’inspecteur chargé de l’enquête à la PJ, nouvellement nommé, s’entraîne seul chaque soir) prouve que  le parcours intéresse plus que la destination,  de même qu’elle illustre une obsession (à l’instar du cycliste qui tourne en rond, le policier est hanté par la recherche du coupable puis par les motivations d’une telle barbarie) ; obsession qu’il résumera face à la juge (Anouk Grinberg), Il se raconte que chaque enquêteur a un crime qui le hante. Un jour ou l’autre, il tombe sur une affaire qui lui fait plus mal que les autres, sans qu’il sache toujours pourquoi. Elle se met à lui tourner dans la tête, jusqu’à l’obsession.

Cette double connotation imposera ainsi deux dynamiques qui vont rythmer le film !

 

Un  "parcours"  fait d’auditions, perquisitions, saisies, interceptions téléphoniques, réquisitions, qui met à mal certains a priori, voire certaines convictions, ancré.e.s dans le milieu de la PJ. Nanie (Pauline Serieys)  la meilleure amie de la victime, plusieurs fois auditionnée, ne comprend pas que les enjeux  "sexuels"  obnubilent à ce point les enquêteurs alors que "les femmes sont les premières victimes de la barbarie des hommes dont personne ne s’inquiète des rencontres badines qu’ils vivent" ; une nouvelle collègue, Nadia (Mouna Soualem), énonce, avec un calme réprobateur, cette vérité d’évidence "la plupart des crimes barbares sont commis par des hommes or ce sont des hommes qui mènent les enquêtes"  (il est des truismes qu’il est salutaire de rappeler !)

Une obsession : ces visages d’hommes ni tout à fait eux-mêmes ni tout à fait autres, défilant sur l’écran mental de Yohan ; et si chaque homme était suspect ?? Au cours de l’enquête et lors de sa réouverture trois ans après, Yohan (admirablement interprété par Bastien Bouillon) aura dû changer de  "prisme" (tout comme il change de braquet…)

 

Alors oui ! Le film de Dominik Moll est plus qu’un  polar  

Une mise en scène souvent glaciale -traversée çà et là de boutades virilisantes ou de clichés avilissants-, des facies comme découpés au scalpel par des jeux de lumière (qu’il s’agisse des enquêteurs ou des personnes interrogées), une interprétation qui force l’admiration, tout cela (et bien d’autres choses) fait que la nuit du 12 -telle une  fable funèbre  enserre le spectateur dans un entrelacs de pièges progressivement déjoués, et telle une  comédie humaine  lui enjoint de dessiller ses yeux (à la pointe de cristal…)

 

A ne pas rater !!

 

 

Colette Lallement-Duchoze

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10 juillet 2022 7 10 /07 /juillet /2022 09:54

documentaire (France 1973 17')

réalisé par Carole Roussopolous (1945-2009) 

 

 

à voir sur Tënk

 

 

Une femme prend la décision de ne pas garder son enfant.

Le film alterne la séquence d’un avortement mené selon la méthode Karman – alors que cette pratique est encore illégale en France – et des images de la première manifestation de femmes en faveur de l’avortement et de la contraception qui a lieu à Paris le 20 novembre 1971.

Y'a qu'à pas baiser!

 

 

 

Ce film est un tract, le cri de celles qui, en pleines Trente Glorieuses, ne veulent plus être cantonnées aux rôles de ménagères ou de femmes-objets représentées par la télévision. Face à ces hommes qui critiquent la création d'un "marché commun de l'avortement", Carole Roussopoulos filme des femmes qui parlent librement de leur plaisir et qui disent ce qu'elles veulent : disposer librement de leur corps. Jusqu'à l'aspiration de l'embryon, elle filme ce qui alors ne se montre pas, ne se dit pas.
 

Film fondateur, Y'a qu'à pas baiser révèle le combat de celles qui veulent libéraliser l'avortement et la contraception. Il montre des femmes qui s'entraident, échangent leurs savoirs, fabriquent les images qui sont faites d'elles. Qu'il s'agisse du spéculum ou de la caméra, elles s'emparent des outils aussi bien pour avorter que pour filmer.50 ans plus tard, l'arrêt Roe vs Wade garantissant depuis 1973 le droit à l'avortement aux États-Unis vient d'être abrogé par la Cour suprême. La lutte, elle, continue.

Éva Tourrent Responsable artistique de Tënk

 

 

 

Y'a qu'à pas baiser!

                                                   © Images de la culture (CNC)

 

 

Notes d’intention Tënk : "À la question de savoir si le gouvernement français projette ou non de constitutionnaliser le droit à l’ivg, voici comment son porte-parole Olivier Véran sabote la notion même de réponse, par une science affirmée de la réduction de vocabulaire** : "Il faut nous donner les moyens de faire en sorte que certains droits ne puissent jamais, jamais être remis en cause. (…) il faut identifier les voies et moyens les plus utiles et les plus adaptés pour faire en sorte que jamais un chef d’état ou un gouvernement dans 5, dans 10, dans 15, dans 20 ans ne puisse arriver et considérer que le droit des femmes puisse être bafoué. (…) En tant que porte-parole du gouvernement je ne peux pas vous affirmer qu’il y aurait un projet de loi constitutionnel qui serait présenté et défendu, je peux vous dire que notre position elle est extrêmement claire et que je pense (…) qu’il nous faut identifier une voie, fût-elle constitutionnelle, c’est à discuter, pour faire en sorte qu’on ne puisse pas remettre ce droit en cause."

Sans vrais mots pour répondre aux questions, comment espérer de véritables actions ? Suite aux décisions de la cour suprême américaine abrogeant le droit fédéral à l’avortement, l’affirmation d’une véritable volonté politique serait pourtant une nécessité absolue, et l’exposition d’une clarté d’opinion le minimum requis. La nouvelle, venue d’outre-Atlantique, impose une urgence : nous ne sommes à l’abri de rien, d’aucun recul des droits que nous pensons acquis. Pour marquer ce drame politique, nous avons décidé de mettre en accès libre pendant deux semaines un film au titre pour le moins ironique : Y’a qu’à pas baiser. Un court métrage de Carole Roussopoulos, classique de la vidéo féministe,   

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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8 juillet 2022 5 08 /07 /juillet /2022 06:21

de Fernando León de Aranoa (Espagne 2021) 

 

avec Javier BardemManolo SoloÓscar deSonia Almarcha

 

 

Festival Cinéma Européen 2022Festival San Sebastian 2021Festival de cinéma ibérique et latino américain Grenoble 2022

 

6 récompenses à la cérémonie des Goyas (36ème édition)  dont celles de meilleurs film, réalisateur, scénario et acteur

 

Représentant espagnol aux Oscars 2022,

Un ex-employé viré qui proteste bruyamment et campe devant l’usine… Un contremaître qui met en danger la production parce que sa femme le trompe… Une stagiaire irrésistible… A la veille de recevoir un prix censé honorer son entreprise, Juan Blanco, héritier de l’ancestrale fabrique familiale de balances, doit d’urgence sauver la boîte. Il s’y attelle, à sa manière, paternaliste et autoritaire : en bon patron ?

El buen patrón

 

Effort, équilibre, fidélité 

L’entrée de l’usine, le portique, la calligraphie, et l’immense balance -dont un gardien doit veiller à l’équilibre de ses deux plateaux- renvoient non sans malice à l’entrée des camps arbeit macht frei,  sauf qu’ici tout est piégé par l’apparente bonhomie (ah ce charisme !!!) d’un patron quinquagénaire (magistralement interprété par Javier Bardem grimé pour la circonstance) qui de sa stature et de sa matoiserie enveloppe TOUT : l’écran, les employés (individualisés ou en groupes) la stagiaire, la femme -épouse, les notables locaux.

 

Sauf …un employé licencié qui a campé sur ses positions et sur un terrain public, juste en face de l’usine et qui bombarde ses slogans réprobateurs…malgré de mielleuses tractations

 

Or le temps est minuté- et le chapitrage sur 7 jours, le rythme soutenu, l’affairement incessant du patron Blanco (encore un nom ironique) le prouveraient aisément. C’est qu’on attend la visite imminente d’une Commission qui décidera de l’obtention d’un prix d’excellence !! et voici  "le bon patron" sur tous les fronts ; usant et abusant de son pouvoir de  "pater familias"  (l’usine est une famille vous êtes tous mes enfants.), surpris que des flics soient  "socialistes",  que des journalistes ne "dévoilent pas leurs sources" 

 

Roublard et compatissant, respectable et dédaigneux, Blanco donne le change, s’impose dans cette succession de scènes (certaines rocambolesques, d’autres plus tragiques) à la recherche d’un "juste équilibre" - en confondant allégrement compromis et compromissions, obnubilé par l’image de marque de son usine

(ô comble de l’indécence éhontée : alors qu’il est en partie responsable de la mort du fils d’un employé…, il verse des larmes de circonstance, se contente d’une brève oraison lénifiante et d’une accolade visqueuse)

 

El buen patron est une comédie qui avec ironie, humour et excès, épingle le patronat fondé sur le paternalisme patelin. Mais par-delà, c’est bien de la violence en entreprise qu’il s’agit. La violence des plans sociaux, de l’intrusion dans la vie intime des employés, du droit de cuissage. Même si  "en même temps"  le réalisateur suggère que la faculté de résistance et la noble solidarité des  "employés"  s’effritent, quand elles ne sont pas cisaillées…

Gageons que l’épilogue (qu’accompagne la chanson « feeling good » version Michael Bublé) -volontairement ambigu- soit le comble du cynisme !

 

Légers  bémols : l’aphorisme « une société qui fabrique plus de balances est une société plus juste » et les métaphores liées au patronyme « Basculas Blancos » (mécanisme, grain de sable, travail contre la montre,  équilibre) sont souvent trop appuyé.e.s, ; certaines séquences s’étirent (cf la soirée avec Miralles le directeur de production qui a pété les plombs ; quand bien même la séquence doit  illustrer une des  "nombreuses"  facettes du  "bon patron" :  le chantage à l’amitié et les propos comminatoires)

 

 

Colette Lallement-Duchoze

 

 

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