De Lofti Achour (Tunisie France 2024)
Avec Ali Helali, Wided Dadebi, Yassine Samouni , Younes Naouar, Latifa Gafsi, Jemii Lamar
Première mondiale au Festival de Locarno 2024
Sélectionné dans plus de cinquante festivals, il a remporté à ce jour plus de quinze prix dont le Tanit d'Or de Carthage et le Yusr d'Or au Red-See film en Arabie saoudite.
Des hommes attaquent deux jeunes bergers et obligent Achraf, 13 ans, à apporter la tête de son cousin Nizar à la famille comme un message macabre. Tentant de ne pas devenir fou, Achraf s’aperçoit que le fantôme de son cousin est bien décidé à l’accompagner. Face à ses aînés désemparés, Achraf est déchiré entre son désir de s’accrocher à Nizar et son devoir de les guider pour récupérer le corps.
Le cinéaste s’est inspiré de faits réels : en novembre 2015, un jeune berger est décapité par un groupe de jihadistes qui obligent le cousin à rapporter la tête à la famille… (18 mois plus tard un sort identique sera réservé à un des frères du disparu, ce que rappellera le générique de fin). Une tragédie qui a tétanisé la Tunisie ; une tragédie qui restera à jamais dans les mémoires des Tunisiens
Lofti Achour ne montre pas les assassins : l’horreur est suggérée dès le prologue, par ce contraste si saisissant entre la joie de vivre et l'épouvante ; un décor somptueux dans son aridité même (saluons la prouesse du chef op Wojciech Staroń) ; un soleil ocre qui dévale sur des collines et des monts , des lacets qu’arpentent les deux jeunes bergers; même si dans la lumière pointe la menace des mines antipersonnel ou/et la présence insidieuse de l’ennemi ; une pause, un bain, avant que soit broyée cette complicité ; une frayeur tétanisante dans un silence qui hurle … le jeune Achraf (Ali Helali) découvre l’innommable !
Le film va adopter son point de vue, mettre en évidence l’impact psychologique dû au trauma. Nulle afféterie dès lors dans le recours au fantastique ou à l’onirisme. Car le film est avant tout un film sur l’enfance affirme le cinéaste Ce garçon est dans un moment de choc. Il y a une forme de confusion dans sa tête, il n’a pas encore assimilé la mort, il ne sait pas ce que c’est. C’est en fait un apprentissage de tout ça, mais qui se fait dans une forme de douceur aussi et non pas dans la dureté et on peut aisément lire, voir entendre ce film comme un hymne à la jeunesse tunisienne qu’incarnent Nazar Achraf et Rama. Toutes les séquences de caméra subjective qui mêlent souvenirs "heureux" , visions du disparu, concourront à brosser le portrait d’une jeunesse sacrifiée et meurtrie (à la question as-tu souffert le cousin vu en rêve, répondra moins que toi ) mais qui résiste et s’affirme (cf au final le sourire d’Achraf, la course de Rama et ce galet porte bonheur)
On pourra toujours reprocher au réalisateur une tendance à la théâtralisation (nous assistons à une tragédie à l’antique avec ses théories, ses gestes ritualisés, ses chœurs et cet orage qui gronde telle une ordalie). une tendance à l’esthétisation (le frémissement d’un paysage, le tremblé de rideaux, ou de mains qui se cherchent…) ou encore la symbolique appuyée du rouge (qui parfois envahit l’écran)
Mais ces choix ne sauraient altérer le propos "être « rouge, c’est être vaillant, résilient, capable de faire face à l’adversité … Et c’est en cela précisément que réside la force poignante émotionnelle du film
Colette Lallement-Duchoze