De Julien Colonna 2023)
avec Saveriu Santucci, Ghjuvanna Benedetti
Musique Audrey Ismaël
Festival de Cannes 2024 Un Certain Regard
Corse, 1995. Lesia vit son premier été d'adolescente. Un jour, un homme fait irruption et la conduit à moto dans une villa isolée où elle retrouve son père, en planque, entouré de ses hommes. Une guerre éclate dans le milieu et l'étau se resserre autour du clan. La mort frappe. Commence alors une cavale au cours de laquelle père et fille vont apprendre à se regarder, à se comprendre et à s'aimer.
Une bande son fait la part belle aux stridulations de plus en plus métalliques des cigales ; puis écran noir. Vus de dos des hommes -telles des ombres maléfiques( ?) -portent leur gibier, des cadavres de sangliers. L’un d’eux sera éviscéré, avec une précision chirurgicale, par Lesia, adolescente de 15 ans; suivront les agapes.
Cette scène inaugurale (sorte de prologue) si elle se prête à une lecture plurielle a surtout une valeur initiatique. S’y côtoient les éléments de la mythologie corse (le maquis, la chasse aux sangliers, les cigales) les enseignements que lèguent les adultes à leurs enfants -or la relation père/fille sera au centre de ce royaume-, alors que tout ou presque respire l’odeur de la mort.
Et pour rendre compte de la dialectique vie/mort, de leur concomitance le cinéaste a fait appel à la compositrice Audrey Ismaël (tonalités cristallines du piano et « gravité plus texturée du violoncelle », à un point tel que la musique devient personnage ; et les airs de bossa nova accompagneront les confidences du père évoquant les années lumière vécues au Venezuela).
Et nous allons assister au déchirement progressif de ce voile protecteur de l’enfance. Tout est appréhendé par le regard de l’adolescente. Elle ne comprend pas, on lui a caché et on continue à lui cacher tant de choses et la tante qui en rabrouant oppose une fin de non recevoir !!! Son regard furète interroge, (cf les gros plans sur le visage); elle-même traquée par ses questionnements qu’elle confronte aux images télévisées, elle s’en vient à décrypter les silences, à glaner sous des mots à peine chuchotés un réel étouffé . Mais elle sait qu’elle suivra ce père (chef de clan contraint à se réfugier en permanence (le tempo est précisément scandé par cette alternance entre courses poursuites et haltes précaires, avec cet acmé (un face à face intime, le père confie à sa fille ses « secrets » depuis qu’il a vu son propre père abattu sous ses yeux d’enfant…sa soif de vengeance son amour indéfectible pour la mère de son unique, enfant. Lui père et chef de clan, lui le « pénitent de sa propre vie qui paie le prix fort et le fait payer à sa famille »
Il faut saluer la prestation des deux interprètes, des acteurs non professionnels, le père est incarné par Saveriu Santucci à la présence charismatique -il est guide sur le GR20 - et Lesia la fille par Ghjuvanna Benedetti à l’incroyable magnétisme (sapeure volontaire de son état)
Certes la Corse avec le maquis les cours d’eau les bords de plage est omniprésente mais Julien Colonna la filme loin des clichés pour touristes et s’il choisit un contexte estival, n’est-ce pas pour mieux opposer la frénésie des « touristes, des vacanciers » à la belle gravité insulaire (la Corse et ses sombres recoins )
Julien Colonna lui-même fils de Jean-Jé Colonna figure du banditisme insulaire s’est probablement inspiré de son propre vécu; mais un vécu qu’il transcende(ra) bien vite...
Dans mon film le royaume est partage de souvenirs d’odeurs de moments forts. Le royaume Lésia s’en souviendra plus tard comme d’un paradis perdu…
Colette Lallement-Duchoze