27 décembre 2022 2 27 /12 /décembre /2022 20:50

de Felix Van Groeningen et Charlotte Vandermeersch · (Italie Belgique France 2022) 

avec Luca Marinelli Alessandro BorghiFilippo TimiElena LiettiElisabetta MazzulloLupo BarbieroCristiano SassellaFrancesco Palombelli

 

Festival Cannes 2022 Prix du jury (ex aequo avec EO de Jerzy Skolimowski )

Pietro est un garçon de la ville, Bruno est le dernier enfant à vivre dans un village oublié du Val d’Aoste. Ils se lient d’amitié dans ce coin caché des Alpes qui leur tient lieu de royaume. La vie les éloigne sans pouvoir les séparer complètement. Alors que Bruno reste fidèle à sa montagne, Pietro parcourt le monde. Cette traversée leur fera connaître l’amour et la perte, leurs origines et leurs destinées, mais surtout une amitié à la vie à la mort.

 

 

 

Les huit montagnes

 

Récit rétrospectif et introspectif, Les huit montagnes, est l’histoire d’une amitié née en 1984 (Bruno et Pietro sont alors des préadolescents) qui, malgré tempêtes bouleversements, ruptures -ou à cause d’eux (elles), ne peut que perdurer (on pense immanquablement aux aveux de Montaigne à propos de La Boétie « parce que c’était lui parce que c’était moi), Quête de soi à travers l’autre. Cet autre si différent (mode de vie, éducation), et qui devient l’alter ego. Deux vies qui s’entrecroisent -et la maison  commune  érigée sur une ruine, en recèle les puissants symboles-. Le format choisi 1,37 qui enserre les corps, à l’instar de ces montagnes prédatrices, les cadres dans le cadre (on croirait un tableau dira émerveillée une convive), les « trajectoires » qui éloignent ou rapprochent, tout le film semble construit comme la "maison" , une maison "mise en abyme" ,  tabernacle des pensées et souvenirs, des projets, "lignes"  de crête (Pietro refera le chemin sur les traces de… découvrant à chaque étape un lambeau de ce qui fut le père…) lignes de fuite, effets de "miroir",  narration éclatée avec force ellipses  (en harmonie avec les brisures et ruptures de rythme qui auront marqué les deux itinéraires)

Cette histoire d’amitié ( le film est l'adaptation du roman de Paolo Cognetti) se pare de la légèreté et/ou de la rudesse de l’environnement, celui des pentes alpestres de la région d’Aoste, principalement. Montagne dont la majestuosité peut être dévastatrice dans sa puissance vorace d’engloutissement (sens propre et figuré) ; montagne que sublime le chef opérateur Ruben Impens (jusqu’à l’excès, parfois…) alors que le thème musical (piano) invite le spectateur à la contemplation, et que les deux protagonistes incarnent une problématique existentielle  Tout quitter pour se (re)trouver ou s’ancrer pour se construire 

 

Si la première partie a le charme de la  "découverte", obéit au rythme du vivant, du devenir (Bruno et Pietro ne cessent de courir dans les pâturages, accaparent le lac pour leur baignade ensoleillée, etc…un été le père de Pietro sera le "guide" d'une randonnée à valeur épiphanique ) la deuxième souffre de quelques longueurs -ou de complaisance-, alors que dans la troisième s’opposent les forces -apparemment -antagonistes de construction et déconstruction, mais qui scellent l’indéfectibilité du lien, avant que ne se profile un déchirant épilogue !

Luca Marinelli (que nous avions vu dans Ricordi ? Martin Eden,  la grande belleza, une affaire personnelle) donne au personnage de Pietro (adulte)  la "consistance" attendue  de tout récit introspectif  grâce à son charisme,  son regard de transparence romantique et son jeu qui jamais ne force le trait,  bannissant toute effusion inutile!

Et tout en restant hors champ le fantôme du père continue(ra) à hanter les lieux (hymne à l'amitié, ode à la nature, le film  est aussi un vibrant hommage à des figures tutélaires !)

 

Le titre?

À l’intérieur d’un cercle se trouvent huit montagnes et huit mers, et au centre une grande montagne : l’axe du monde dans la mythologie hindoue. "Qui en a vu le plus ? Celui qui a fait le tour des huit montagnes et des huit mers ou celui qui est au centre ?" Telle est la question que pose, graphique à l’appui, Pietro de retour du Népal à son ami (« retrouvé ») Bruno ; ce dernier bien que fortement imbibé répond qu’il est « au centre »  et que forcément Pietro…Or ce même Pietro (voix off, celle qui nous aura accompagné) en vient au final - qui est aussi le terme d’un récit initiatique-  à contester ses choix !! La mythologie hindoue aura-t-elle eu raison de cette farouche  détermination à  "sortir de soi vers un ailleurs". Toujours toujours recommencer ?

 

Un film que je vous recommande 

 

 

Colette Lallement-Duchoze

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25 décembre 2022 7 25 /12 /décembre /2022 09:07

de Kamila Andini (Indonésie 2022)

avec Happy Salma (Nana) Laura Basuki (Ino)  Rieke Diah Pitaloka 

 

Berlinale 2022 Ours d'argent pour la meilleure performance de second rôle pour Laura  Basuki

INDONÉSIE, les années quarante, Nana a fui la guerre et l’occupation japonaise après avoir été séparée de son mari. On la retrouve quinze ans plus tard, elle a refait sa vie auprès d’un homme riche qui la gâte autant qu’il la trompe. C’est pourtant sa rivale qui deviendra pour elle une alliée à laquelle elle confie ses secrets, passés et présents, au point d'envisager un nouvel avenir…

Une femme indonésienne

 

Une mise en scène, en images et en musique qui obéit à la lenteur des perceptions et des émotions, lenteur et hébétude dans un contexte politique mouvementé -que l’on devine en filigrane- au service d’une émancipation célébrant la sororité ? Alors oui si vous aimez la lenteur chaloupée à la Wong Kar-waï (in the mood for love) les troublantes énigmes à la Apichatpong Weerasethakul (tropical malady, memoria),  les confusions temporelles, spatiales, les passages fugaces entre rêve  et réalité, n’hésitez pas ce film vous séduira. Dans le cas contraire il vous  "ennuiera"

Voici le portrait d’une femme qui par-delà une vie matérielle très  "confortable",  une façon « d’être là » en tant qu’épouse soumise et mère aimante,  "dissimule"  ses tourments, ses angoisses et ses frustrations dans la sagesse d’un chignon !!! (cf l’affiche); d'ailleurs les scènes de lissage d’habillage des cheveux (Nana et son mari, Nana seule vue de dos cheveux éployés, Nana et sa fille Dais à qui elle confie le secret..) reviennent à intervalles réguliers : non seulement elles participent à la langueur, au rythme lancinant mais elles scandent les étapes vers la libération par un double affranchissement (l’asservissement d’épouse soumise ayant la même force corrosive que les cauchemars traumatisants)

Le film s’ouvre sur une séquence en forêt ou plutôt dans la jungle ; voix off et dialogues entre les deux sœurs se conjuguent, de même que Nana dans sa fuite avec son bébé,  "voit"  (imagine) le sort réservé à son mari. Couleurs pastel plutôt que vert sombre, comme un décor en trompe-l’œil ? et pourtant les arcanes d’une telle nature sauvage, la fuite et la perte, vont, par mimétisme,  présider à celles plus intériorisées du personnage principal !!

Sans transition nous voici en 1960 -soit 15 ans après la scène inaugurale- dans une propriété cossue où dominent là aussi les couleurs pastel. Nana a désormais 4 enfants dont Dais (que nous retrouverons 10 ans plus tard dans l’épilogue). Cette partie centrale oscille entre douceur  "apparente"  et tacites compromis (quand le visage de Nana envahit l’écran on devine sous le masque de la « bienséance » et le sourire de « circonstance », les affres de l’épouse trompée, de la femme aimante fidèle à son premier amour). C’est dans les bras d’Ino devenue sa « confidente », dans un renversement des rôles salvateur, qu’elle éclatera en sanglots…Ino la maîtresse du mari, Ino la sœur de Nana dans le combat pour l’émancipation.

En filmant une femme à plusieurs moments de sa vie, en suggérant plus qu’en « démontrant », en recourant au hors champ pour évoquer les problématiques politiques liées à l’Indonésie (depuis l’occupation japonaise jusqu’au coup d’état de 1965 en passant par l’Indépendance, la création du PKI) la jeune réalisatrice aura rendu palpable la condition « d’une femme indonésienne » Et la lenteur l’accompagnement musical presque obsédant, une « doucereuse » torpeur, auront eu pour effet -ô singulier paradoxe- de mettre en exergue la violence du « pouvoir » patriarcal qui cadenasse toute velléité de liberté, quels que soient les propos lénifiants du mari

Tout cela n’exclut pas, j’en conviens, une forme d’académisme suranné (et peut-être de complaisance ?)

Un film à voir ! assurément

 

 

Colette Lallement-Duchoze

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22 décembre 2022 4 22 /12 /décembre /2022 06:55

de Hlynur Pálmason (Danemark Islande 2021) 

 

avec : Elliott Crosset Hove (Lucas)  Ingvar Eggert Sigurôsson (Ragnar)  Victoria Carmen Sonne

 

 Cannes 2022 Un certain Regard

 

À la fin du XIXème siècle, un jeune prêtre danois arrive en Islande avec pour mission de construire une église et photographier la population. Mais plus il s’enfonce dans le paysage impitoyable, plus il est livré aux affres de la tentation et du péché́.

Godland

Dans la lignée de Dreyer voici un film qui frappe par ses qualités plastiques et sa réflexion sur les croyances religieuses.

Mais foin de toute thaumaturgie !

Godland semble placé sous le signe de la dualité et/ou du double. A l’instar du réalisateur -mais harnaché d’un matériel lourd-- Lucas cherche à immortaliser la lumière, ses diffractions dans une nature aussi somptueuse que dangereuse, ainsi que les habitants dans des portraits au format proche de celui utilisé par Hlynur Pálmason, le 4,3 aux coins arrondis.

Aux rapports hiérarchiques entre Danois (cf scène d’ouverture, une caméra fixe, pour un face à face entre un supérieur et le disciple Lucas, dans une blancheur bleutée, où l’un dispense les ordres tout en mangeant goulûment et l’autre acquiesce, servile) font écho les rapports colons/colonisés, (langue imposée et langue maternelle, arrogance et condescendance de Lucas le Danois face aux autochtones)

Le combat entre la chair et l’esprit, la quête impossible du « pardon » (le guide local, le rustre Ragnar -double de Lucas(?), répète vers la fin du film sous forme de litanie et sur le ton de la complainte "prie pour moi", qui ai péché  …et quels péchés !!!) ; les sacrifices et meurtres comme autant de signes d’une ordalie

 

Mais ce film est avant tout une admirable épopée qui ne pourra qu’envoûter le spectateur tant la beauté y est sublime et magnifiée voire terrassante ! Une épopée aux allures de chemin de croix (les premières chutes de Lucas épuisé après avoir traversé une mer agitée, la Croix destinée à l’église rejoint les abysses d’une rivière, la mort du fidèle traducteur celle de chevaux, le personnage principal en butte à la fois aux éléments et aux hommes, ses affres tant physiques que spirituelles). Histoire d’une forme de "désintégration morale"  (histoire de quelqu’un qui avait des idéaux et qui est progressivement anéanti et se retrouve mis à nu »)

Et cette « aventure mystique » a pour cadre une nature que le réalisateur filme comme un personnage à part entière. Admirez la palette: bleu-marin, vert mauve des plaines,  rouge incandescent des laves, brun chaud de la terre des robes des chevaux, blanc cassé poudreux! Contemplez ces panoramiques et ces plans larges où l’homme paraît si minuscule perdu dans une immensité indomptée. Celle d’une nature que l’on ne peut apprivoiser dans sa rugosité sa minéralité et ses ciels tourmentés. Tempêtes vents pluie neige en harmonie d’ailleurs avec la tempête intérieure qui meurtrit Lucas. Alors que les meurtrissures de la chair seront filmées à différents stades de la putréfaction au fil des saisons (dans la confusion des règne animal et humain) 

 

"tu seras désormais un  tapis de fleurs" ( "prophétise" Ida, agenouillée éplorée, en rendant un ultime hommage)

Comme  un  devenir de l'impermanence ?

 

Un film à ne pas rater !!

 

Colette Lallement-Duchoze

 

Pour info

 

Elliott Crosset Hove  est Emil dans "winter brothers"  (Winter Brothers - Le blog de cinexpressions)

 Ingvar Eggert Sigurôsson  est Ingimundur dans "un jour si blanc"  (Un jour si blanc - Le blog de cinexpressions)

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20 décembre 2022 2 20 /12 /décembre /2022 07:06

de Rachid Bouchareb (France 2021)

 

avec Reda Kateb, Lyna Khoudri, Samir Guesmi, Raphaêl Personnaz

 

Festival de Cannes 2022 (sélection Cannes première)  

La nuit du 5 au 6 décembre 1986, Malik Oussekine est mort à la suite d’une intervention de la police, alors que Paris était secoué par des manifestations estudiantines contre une nouvelle réforme de l’éducation. Le ministère de l’Intérieur est d’autant plus enclin à étouffer cette affaire, qu’un autre  Français d’origine algérienne a été tué la même nuit par un officier de police

Nos frangins

Et puis ces déchirures à jamais dans ta peau. Comme autant de blessures et de coups de couteau. Cicatrices profondes pour Malik et Abdel. Pour nos frangins qui tombent... Renaud  (Petite) 1988

 

 

Lever le voile sur un pan oublié de notre mémoire collective, en réhabilitant celle d’Abdel Benyahia tué le même jour que Malik Oussekine mais dont la mort ne fut pas médiatisée, telle est l’ambition de Bouchareb dans « nos frangins » (et la chanson de Renaud « petite » que l’on entend à la fin du film le rappelle avec justesse). Ne serait-ce pas aussi poursuivre la construction d’un mausolée (commencée avec Indigènes puis Hors la loi) à la mémoire de tous ces frangins qui, à cause de leur facies, sont hélas victimes de ce que l’on appelle avec une prudence affectée et révoltante   "racisme ordinaire" 

 

En mêlant images d’archives et fiction le réalisateur réussit un pari assez audacieux (ne pas laisser apparaître  les "coutures"  entre les premières et les scènes jouées par des acteurs connus). Le rythme est souvent haletant et le montage efficace (alternant les scènes de manifestations, de contestations, les attentes angoissées des deux familles respectives, la reconstitution de la soirée de Malik,  les enquêtes du frère de Malik); une narration  à la  chronologie éclatée, malgré les repères datés et l'étalement de la durée sur 4 jours,  une interprétation étonnante de justesse  (Rada Kateb en frère révolté et Samir Guesmi en père complètement déboussolé puis pétrifié de chagrin); le parti pris de ne jamais montrer frontalement la violence mais de  la suggérer (les motos leurs grondements les matraques brandies n’en seront que plus saisissant.es)

 

Certain.es critiques déplorent la présence de deux personnages créés de toutes pièces par le réalisateur, au prétexte qu’elle nuit au scénario. L’inspecteur de l’IGS Daniel Mattei (Raphaël Personnaz) et l’employé de l’institut médico légal Ousmane (Wabinlé Nabié). Or ces deux personnages, l’un la face cachée -mauvaise conscience?-  du pouvoir -politique surtout- , l’autre l’Anubis des temps modernes, ne créent-ils pas un autre récit qui assure le lien entre les "deux affaires", et qui se situe précisément entre les montages parallèles consacrés aux victimes et aux familles "dévastées" ? Va- et- vient constant du premier entre les représentants de la police, du pouvoir et les familles -, l’obéissance aux "ordres supérieurs" de sa hiérarchie qui enjoignent d’étouffer le meurtre d’Abdel Benyahia, sans prendre en considération la douleur torturante de l’attente chez les proches, en dit long sur les  "manipulations"  les  "mensonges"  et l’inhumanité des pouvoirs …Le second, inversement, en s’adressant successivement aux deux corps recouverts de leur linceul, les   "baptise"  pour l’éternité en chantant en bambara un hymne tout empreint de douceur

 

N’est-ce pas la part de fiction qui permettrait d’enrichir la réalité ?

 

Voici quelques exemples

Au tout début, un carton avec la date 6 décembre 1986, une ambulance, l’institut médicolégal, on voit un corps, on est persuadé que c’est celui de Malik… Mais...Façon de  "relier"  deux   "affaires"  en créant  la   "confusion"  chez le spectateur ?

Puis -toujours à l'Institut médicolégal - alors que le père d’Abdel obéissant aux ordres de Mattei accepte de ne pas voir le corps de son fils "blessé",  le frère de Malik passera outre les directives de l’inspecteur. Scènes de fiction certes mais qui traitent les deux   "affaires"  dans une perspective générationnelle ; le père d’Abdel sait qu’il doit rester  "discret"  obéir et son  "effacement"  ne correspond-il pas à un autre effacement, celui du crime? (décidé en haut lieu, et dont Mattei  est le porte-parole)

Tôt le matin, Mattei se rend rue Monsieur le Prince où Malik a été roué de coups mortels ; nous suivons son regard sur le sol de l’entrée, encore maculé … la concierge va le nettoyer à la serpillière…Un effacement apparemment banal mais ô combien suggestif et terrible !!! (le matraquage, passage à tabac,  étant resté délibérément hors champ dans la   "reconstitution"  du parcours de Malik  depuis sa sortie du club de  jazz, sa poursuite par les voltigeurs motocyclistes,   jusqu’à cet immeuble…)

 

Plus jamais ça lit-on sur l'affiche et pourtant!!!!

 

 

Un film à voir (de toute urgence)

 

Colette Lallement-Duchoze

 

 

Dans le Figaro Magazine,  Louis Pauwels écrivait que les jeunes mobilisés et manipulés, souffrent de « sida mental » : “Ce retour au réel leur est scandale. Ils ont peur de manquer de mœurs avachies. Voilà tout leur sentiment révolutionnaire. C’est une jeunesse atteinte d’un sida mental. Elle a perdu ses immunités naturelles ; tous les virus décomposant l’atteignent. Nous nous demandons ce qui se passe dans leurs têtes. Rien, mais ce rien les dévore.” 

François Mitterrand invité par Europe 1 se déclarait   "sur la même longueur d’onde qu’eux" [les étudiants grévistes]  et il ajoutait  être agréablement étonné par leur  "maturité"

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19 décembre 2022 1 19 /12 /décembre /2022 08:56

de Darezhan Omirbayev · (Kazakhstan 2021 )

avec  Yerdos KanayevGulmira KhasanovaKlara Kabylgazina

 

 

Prix de la Mise en scène au Festival International du Film de Tokyo 2021

Prix de la mise en scène festival de Lisbonne & Sintra 2022

Prix du meilleur film section forum festival international du film de Berlin.2022

Didar est un poète enchaîné à son travail quotidien dans un petit journal. Mais à l’ère de la consommation de masse, rares sont ceux qui s’intéressent encore à la poésie. En lisant l’histoire d'un célèbre poète kazakh du 19e siècle exécuté par les autorités, il est profondément ébranlé...

Poet

 

Un film contemplatif, un film poème (qui joue avec les temporalités, mêle rêve et réalité, impose des récurrences formelles et musicales) un film qui se prête à une lecture plurielle sur la fonction, le pouvoir et l’avenir de la poésie. Mais aussi sur le devenir d’une langue et partant d’une culture voire d’un pays. (Un journaliste au début, dans la salle de rédaction où travaille Didar -qui reste muet-, prédit la  "mort" de la langue kazakhe, chiffres à l’appui, en vilipendant l’uniformisation qui se profile !!!)

Comme certaines approches risquent de tomber à faux tant ce film est imprégné d’une culture très éloignée de la nôtre, (hormis le phénomène ravageur de la mondialisation et de la surconsommation) , contentons-nous de quelques remarques sur le parallèle entre Didar et Makhambet Utemissov (1803-1846)

 

Si le même acteur interprète les deux personnages, c’est que l’image précisément permet ce continuum – le parallèle entre la destinée des poètes, qu’ils soient du XIX° ou du XXI° siècle, est mis en évidence par un montage alterné. Une vie difficile : Didar vit chichement dans un appartement, Utemissov dans sa yourte isolée cultive la terre ; le premier va décliner une offre qui, financièrement serait alléchante, ( écrire la biographie forcément hagiographique d’un magnat), mais qui  "faillirait"  à son idéal de "pureté"; un idéal revendiqué par Makhambet Utemissov en plein régime tsariste, plus de 150 ans auparavant. La destinée post mortem ? D’abord oublié - enterré sans sépulture, -arbre mort dans l’immense steppe- dont l’image récurrente est l’équivalent d’un leitmotiv- le cadavre d’Utemissov sera exhumé puis enterré dans un mausolée (soit près de 100 ans après la décapitation). Fluctuations, récupérations au gré des "régimes",  de leur idéologie et de la "fabrique" de l'opinion (les différentes dates inscrites à chaque fois au bas du cadre le prouveraient aisément!!)

Si le  "hic et nunc"  d’un poète est   "misérable", l'auteur  ne sera-t-il pas récompensé dans un avenir plus ou moins proche ??? Le   "sacrifice"  serait-il la condition sine qua non de cette reconnaissance ? c’est ce dont prend conscience Didar… La séquence  "dramatique"  où, invité pour une rencontre/lecture  avec le public, il est confronté au vide d’une salle immense, résonne telle une prophétie. Alors que somnolant dans la couchette du train,  il  s’imaginait écrivain "à succès " (cf le tableautin ironique du  tripot où une femme nue lit des poèmes, allongée sur une table)

 

Le bruit du roulement du train sur les rails, son martèlement répété, alors que Didar voyage de nuit, - il est attendu pour cette "fameuse"  rencontre  avec le public-,   non seulement scandent la narration et créent un tempo, mais entraînent le spectateur dans un voyage dans le temps et surtout dans une conscience (le compartiment comme habitacle de la pensée, l’oreiller comme support à une rêverie), une musique répétitive  qui, loin d’être simple bercement, aura permis d’appréhender la question cruciale du « in principio erat verbum »

 

Une mise en scène impressionnante voire "époustouflante" (couleurs et lumière, jeux des plans, répartition dans l'espace, cadrages, etc.)  récompensée d'ailleurs lors de  plusieurs festivals  !!

 

Un film à ne pas rater ! 

 

Colette Lallement-Duchoze

 

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18 décembre 2022 7 18 /12 /décembre /2022 07:51

de Maha Haj (coproduction entre la Palestine, l'Allemagne, la France, Chypre et le Qatar  2022)

 

avec Amer Hlehel, Ashraf Farah, Anat Hadid, Samir Elias et Cynthia Saleem.

 

 

Cannes 2022 prix du scénario section Un Certain Regard

 

Walid, 40 ans, Palestinien vivant à Haifa, avec sa femme et ses deux enfants, cultive sa dépression et ses velléités littéraires. Il fait la connaissance de son nouveau voisin, Jalal, un escroc à la petite semaine. Les deux hommes deviennent bientôt inséparables : Jalal est persuadé d’aider l’écrivain en lui montrant ses combines ; Walid, quant à lui, y voit l’opportunité de réaliser un projet secret...

Fièvre méditerranéenne

 

L’humour est la politesse du désespoir   Chris Marker

Une femme gisant, morte. Walid discute avec le fils nullement éploré ; il bat sa coulpe "c'est moi qui l'ai tuée  Non lui rétorque le fils "elle a chuté et même si tu l'as poussée elle aurait pu tomber ou ne pas tomber et en tombant mourir ou ne pas mourir; cela ne fait pas  pour autant  de toi un assassin"   Cette scène d’ouverture -un cauchemar !! en fait-  expose ce qui servira de fil conducteur plus ou moins caché : le protagoniste (qui est aussi narrateur et auteur de fiction) est-il maître de ses actes ? la vérité se laisse-t-elle appréhender avec aisance  ?

Walid flegmatique, victime d’une sournoise dépression, va-t-il connaître à nouveau le goût de vivre avec l’arrivée d’un voisin dans cet immeuble d’un quartier arabe de la ville israélienne Haïfa ?

Voici deux voisins en tous points dissemblables. La question palestinienne qui traumatise Walid?  "tu peux te (me) la mettre au cul" répond Jalal (et pourtant paradoxe ? pichenette ? il a baptisé ses deux molosses du nom de poètes arabes). Au taedium vitae de l’un s’opposent le dynamisme et le machisme de l’autre. Un écrivain dépressif, ex employé de banque, et un truand  à la petite semaine. Ce "choc" des contraires sera le support d’une comédie douce-amère : deux hommes, qui n’auraient jamais dû se rencontrer et qui vont devenir inséparables !!!!

Or l’escroc à la petite semaine,  fidèle en amitié, est sincèrement persuadé qu’il va redonner goût à la vie à son voisin lequel se nourrira de ses combines comme matière romanesque. Mais ce prétendu cheminement vers la Vie, le temps retrouvé est pour Walid une voie exceptionnelle vers la mort ! Ici attention ne pas dévoiler les rebondissements, changements d’atmosphère (la réalisatrice a d’ailleurs reçu au festival de Cannes 2022 le prix du scénario section Un Certain regard) mais simplement signaler : un basculement -la deuxième partie renverse les perspectives de la première-, la « métamorphose »  (inattendue??) de Walid et le twist final auréolé de la citation de Tchékhov  

 

Le titre ? Il renvoie à une maladie héréditaire spécifique de la région dont le fils de Walid serait victime; par extension métaphorique il peut désigner le  fardeau politique social psychologique d’être palestinien à Haïfa

La parabole ? elle affleure sans contrarier le déroulé du buddy movie (lui-même traité avec ironie). La « dépression » de Walid, celle des Arabes palestiniens incapables de trouver leur place en Israël ? déjà dans personal affairs la réalisatrice (dans le prolongement de Eila Suleiman) avait trouvé le ton « juste »,  celui de la parabole douce-amère ou de la métaphore tapie dans la déclinaison apparemment réaliste du quotidien

 

Toutefois la « mise en scène » souffre trop souvent de « platitudes » et ce, malgré l’alternance entre séquences d’intérieur (où les hommes oisifs gèrent les tâches domestiques alors que leurs femmes travaillent à l’extérieur) et scènes d’extérieur (opposant les bleus et les orangés du bord de mer au vert émeraude de la forêt frémissant d’arcanes insoupçonnés)

 

 " fièvre méditerranéenne" n’en reste pas moins un film que je vous recommande

 

 

Colette Lallement-Duchoze

 

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15 décembre 2022 4 15 /12 /décembre /2022 06:35

Documentaire réalisé par Jean-Gabriel Périot (2021) 

voix:  Adèle Haenel 

 

Cannes 2021 Quinzaine des Réalisateurs

 

Adaptant le remarquable récit de Didier Eribon, Jean-Gabriel Périot raconte l'histoire douloureuse et politique des ouvriers de France, grâce à un foisonnant montage d'archives reliant l'intime au collectif et la voix d'Adèle Haenel.

 

Retour à Reims (fragments)

 

Je suis frappé par ce que signifie concrètement, physiquement, l’inégalité sociale. Et même ce mot  "inégalité"  m’apparait comme un euphémisme qui déréalise ce dont il s’agit  : la violence nue de l’exploitation. Didier Eribon, Retour à Reims (2009)

En  "adaptant" le texte assez kaléidoscope de Didier Eribon, Jean Gabriel Périot choisit l’esthétique du fragment (cf la parenthèse) Son adaptation -« fragmentée » donc- laissera délibérément de côté l’aspect intime du « je » du narrateur  (le transfuge de classe, à l'homosexualité affichée et victime de l'homophobie du père) mais il en gardera la force idéologique,  à laquelle Adèle Haenel prête sa voix . Découpé en deux parties suivies d’un épilogue (qui est comme un "prolongement"  du texte de 2009) son film s’intéresse surtout au mouvement ouvrier des années 1950 à nos jours, à travers le portrait des parents de Didier Eribon et surtout celui de sa mère. Et la domination des femmes par les hommes comme entrave notoire à l’affranchissement,  à la « libération », se conjugue avec celle qui a contraint la classe ouvrière à plier obéir (une phrase, quel que soit le media choisi, revient en leitmotiv « mais que voulez-vous, c’est comme ça »)

Une voix off (féminine). Une sélection d’archives (films, images d’actualités, reportages, plateaux télévisés, documentaires) C’est le dispositif. Et quel dispositif ! Car la fluidité des passages d’une image à l’autre, d’une séquence à l’autre (effets du montage) donne au spectateur, guidé par la voix d'Adèle Haenel, l’illusion que les "personnages" qui évoluent sur l'écran sont  les membres de la famille Eribon, C'est le passage subtil de l’histoire familiale à une histoire "universelle" (et dès l'ouverture, en guise de prologue,  des plans sur des lambeaux d'architecture et de "paysages" cartographiaient un espace "humain / inhumain" )

Dans la première partie, la rencontre des parents dans un bal populaire du samedi soir, le harcèlement sexuel subi au travail, l’acharnement de la femme à subvenir aux besoins de la famille quand le père « claque » son argent dans les bars, la joie d’avoir enfin un appartement moins exigu même si les  "nouveaux" immeubles ressemblent à des clapiers, illustrent entre autres les réflexions du philosophe sociologue  Les lois de l'endogamie sociale sont aussi fortes que celles de la reproduction scolaire, et étroitement liées à celle-ci. ( La mère aurait souhaité être institutrice ; contrainte par l’institution elle sera employée de maison, épousera un ouvrier)

Dans la seconde partie,  quand l’auteur s’interroge sur le basculement du vote ouvrier (jusque-là majoritairement communiste) vers le Front national, voici des séquences (la victoire socialiste de 1981, les attentes les promesses, la période d’austérité, le discours de G Marchais sur l’immigration, ceux de Jean-Marie le Pen) suffisamment éloquentes pour  "illustrer"  ses propos : Aussi paradoxal que cela puisse paraître, le vote pour le Front National doit s’interpréter, au moins en partie, comme le dernier recours des milieux populaires pour défendre leur identité collective et leur dignité qu’ils sentaient comme toujours piétinés […] 

Quant à l’épilogue, il mêle en un véritable feu d’artifice et sans voix off , le mouvement des gilets jaunes, nuit debout, me too transformant Retour à Reims   en un fragment de  Retour vers le futur ( ?)

Si la première partie est  plus "convaincante" (comment s’est structurée une classe ouvrière, c’est la thématique essentielle illustrée par un choix judicieux de certaines archives), il faut saluer l’admirable intelligence du cinéaste dans son traitement des archives. Ecoutons-le  "Toutes les images d’archives me parlent d’aujourd’hui, qu’importe leur datation. Je ne travaille pas sur la factualité des évènements mais davantage sur ce qui peut réunir des évènements en termes d’énergie contestataire, de révolte de violence ou d’enthousiasme"

Et c’est précisément à la croisée entre les  "mots" et les "images"  que surgissent dans Retour à Reims (fragments) l’Histoire déjà habitée par l’inconscient collectif et une Histoire ........en marche !

Un film à ne pas rater !

( attention nombre limité de séances !!)

 

Colette Lallement-Duchoze

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13 décembre 2022 2 13 /12 /décembre /2022 11:54

de Erige Sehiri  (Tunisie 2021)

avec Leila Ohebi, Fide Fghili, Ameni Fdhili,  Feten Fdhili , Abdelhak Mrabti Samar Sifi

 

 

Cannes 2022  Quinzaine des réalisateurs,

 

 Au nord-ouest de la Tunisie, des jeunes femmes travaillent à la récolte des figues. Sous le regard des ouvrières plus âgées et des hommes, elles flirtent, se taquinent, se disputent. Au fil de la journée, le verger devient un théâtre d'émotions, où se jouent les rêves et les espoirs de chacun.

Sous les figues

 

J'attire votre attention sur un très beau film qui ne fit pas de bruit mais que nous avons beaucoup aimé : le film de la  réalisatrice tunisienne Erige Sehiri   "Sous les figues".

 

Un peu de soleil en hiver ne fait pas de mal.

 

Le film est très riche en contenu et joli sur la forme, avec une caméra mobile très fluide, (aurait mérité la caméra d'or à Cannes), des dialogues intéressants, une approche féministe des jeunes et moins jeunes femmes de la campagne tunisienne aujourd'hui, rapport de classe bien marqué, et surtout beaucoup de joie de vivre, de la jeunesse et ses désirs cachés ou transgressifs.

 

On est étonné de  nos idées reçues par moments battues en brèche.

 

On est sous les feuilles des figuiers et ça sent bon l'été.

 

A voir pour passer un très bon moment qui déchire la grisaille normande.

 

Serge Diaz

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12 décembre 2022 1 12 /12 /décembre /2022 05:07

documentaire réalisé par Yannick Kergoat 2021

coscénariste Denis Robert

 

 

Entre Paris et Genève, Washington et Luxembourg, de la Société Générale à HSBC, en passant par Mac Donald, Ikea et Google… nous allons traquer les circuits de l’évasion fiscale et décrypter les mécanismes de la fraude XXL."

Le capitalisme est-il devenu incontrôlable ? De révélations en scandales successifs, l’évasion fiscale est devenue un marronnier médiatique et l’objet d’un concours de déclarations vertueuses pour les politiques. Alors que les multinationales et les plus riches ont de moins en moins de scrupules et de plus en plus de moyens à leur disposition pour échapper à l’impôt, pour nous, simples citoyens, les politiques d’austérité s’intensifient et les inégalités explosent. On voudrait nous faire croire que les mécanismes de l’évasion fiscale sont incompréhensibles et qu’elle est impossible à endiguer…. Il ne nous reste alors que nos bulletins de vote, notre déclinant pouvoir d’achat et nos yeux pour pleurer. À moins que l’on puisse en rire malgré tout.
(Yannick Kergoat et Denis Robert)

 

 

La (très) grande évasion

Comme « les nouveaux chiens de garde » 2011 ce documentaire est structuré en plusieurs « parties » ou « mouvements » à chaque fois annoncés par des encarts ; il est illustré par des graphiques et des séquences explicatives animées, (c’est à n’en pas douter son aspect pédagogique), il foisonne d’interviews (politiques spécialistes économistes et ce à l’échelle planétaire) (on mesurera l’écart entre la parole et les faits…) alors qu’une voix off guide le spectateur dans le « labyrinthe » de la perversité « légalisée » (légalisation opérée à grands renforts de formules euphémisantes dont la « fameuse » optimisation des impôts (façon à peine détournée de justifier l’évasion fiscale).

Evasion fiscale ? c’est un « sport » pratiqué par les « riches » (bien évidemment) particuliers, par les grandes sociétés les multinationales. Tout un contexte favorise les démarches : le prétexte de l’imposition (en France c’est le discours devenu marronnier de ceux qui thésaurisent et rentabilisent qui au Luxembourg qui dans les paradis fiscaux des îles bien  nommées (et ce quoi qu’en dise Thierry Breton super commissaire de l’Union européenne « non non le Luxembourg c’est fini » face à Jean Jacques Bourdin) Il faut entendre le sénateur Gérard Longuet défendre sans l’once d’un complexe l’usage de la fraude !!! Cette « démarche » est plus ou moins soutenue par les « gouvernants » qui malgré leurs récriminations de façade (les fameux propos vertueux) oeuvrent pour le maintien de cette « fraude » (et ce très explicitement en France depuis Sarkozy et la crise de 2008 ) Si l’on ajoute le rôle de cabinets d’audit, d’experts en consultations conseils (pour passer « entre les mailles du filet »), celui des établissements bancaires qui ont tout intérêt à participer à ce mouvement, on comprend que tous les rouages sont bien huilés (fin du secret bancaire en Suisse depuis 2008 ?  bienvenue au club : celui des sociétés offshores, les « noms » des propriétaires réels seront désormais masqués par tout un réseau de prête-noms et de sociétés fantômes ! )

Le montant de cette évasion ? démentiel 100 milliards d’euros (un graphique le compare à différents postes réputés budgétivores et c’est tout simplement « renversant de honte »).

Un documentaire qui démontre l’iniquité d’un système en démontant son mécanisme : comment l’évasion fiscale n’est pas un défaut du système néolibéral dont on pourrait s’accommoder, mais bien l’un de ses rouages essentiels qui accélèrent la croissance des inégalités…  ; on va faire payer aux « simples » citoyens les impôts que les groupes industriels et financiers ne paient pas !!!: et le drame n’est pas tant que cette classe sociale d’égoïstes joue avec l’argent pour en avoir toujours plus, c’est que cette richesse est détournée, accaparée et volée à la société, à la collectivité. C’est toute cette richesse absorbée par l’exploitation et encore plus par la triche qui manque pour la population, pour les services publics, pour la santé, pour le logement, pour l’éducation, etc

« il n’y a pas d’argent magique » déclarait -sans vergogne- E Macron à une représentante des services hospitaliers en grève !! cette phrase qui encadre précisément le documentaire, a désormais d’effrayantes résonances: d’un côté la détresse du secteur médical, de l’autre ces sommes insensées qui disparaissent (comme par magie ?) des caisses de l’Etat !!

Un documentaire de salubrité publique à voir de toute urgence (même s’il pèche par excès de compilations faute de trouver un dispositif original inventif)

 

 

Colette Lallement-Duchoze

 

PS Quand en ce moment le Parlement est « censé » voter le budget (les recours quasi systématiques au 49.3 entérinent de fait les « choix » du gouvernement sans discussion) et qu’on « pinaille » pour l'octroi de x  milliards destinés  au "bien public"   on est en droit de demander à notre Première Ministre, à nos parlementaires  d’aller voir de toute urgence ce documentaire… édifiant!!

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11 décembre 2022 7 11 /12 /décembre /2022 07:35

 

de Lise Akoka et Romane Gueret,

avec Mallory Wanecque, Timéo Mahaut, Johan Heldenbergh

 

 

Festival de Cannes 2022 : Prix Un certain regard

Festival du film francophone d'Angoulême 2022 : Valois de diamant

 

Un tournage va avoir lieu cité Picasso, à Boulogne-Sur-Mer, dans le nord de la France. Lors du casting, quatre ados, Lily, Ryan, Maylis et Jessy sont choisis pour jouer dans le film. Dans le quartier, tout le monde s’étonne : pourquoi n’avoir pris que « les pires » ?

 

 

 

 

Les pires

Lise Akoka et Romane Gueret sont des professionnelles du « casting enfants », mais pour leur premier long métrage, elles ont,  affirment-elles, procédé de manière inhabituelle  "aller d’abord à la rencontre de nos personnages avant même qu’ils ne soient écrits" ; à partir de cette « rencontre », des témoignages recueillis, elles créent une histoire, des « personnages » ; puis procèdent à un nouveau casting (collèges écoles foyers) à la recherche d’interprètes…Les 4 précisément du film « les pires » Et voici autour de Johan Heldenberg (Gabriel) le réalisateur, quatre jeunes Timéo Mahaut (Ryan), Mallory Wanecque (Lily), Loïc Pech (Jessy) et Mélina Wanderplancke (Maylis) qui vont tourner dans leur propre environnement une "fiction"  proche de leur "vécu";  quatre jeunes dont le "naturel" le  "talent fou",  la gouaille, le parler ch’ti, la rage ou la placidité vous emporteront. Mention spéciale au duo Ryan Lily

Mais attention ! rien n’est laissé au hasard. Tout a été écrit avec une extrême précision ("tromper" sciemment en donnant l’illusion d’un réel proche du documentaire ?)

Non seulement les deux réalisatrices  exploitent les procédés de la mise en abyme (film dans le film) mais jouent sur les "codes du documentaire"  en filmant de  "vrais gens"  aux côtés d’acteurs, en fusionnant réel et fiction, vie et cinéma. Elles mettent en images et interrogations la fonction prédatrice du metteur en scène (Gabriel ose certaines confidences, Gabriel fait croire à une répétition alors qu’il filme, Gabriel éprouve un plaisir "sadique" ( ?) à obliger le jeune Ryan à simuler une crise (alors que précisément il en est victime) Vampirisation ? voyeurisme ?

A cela s'ajoutent réflexions et questionnements sur la fiction comme voie royale pour accéder au réel?  sur l'accaparement de la misère à des fins prétendues esthétiques (la scène où Gabriel s'extasie devant le délabrement d'une façade en témoigne aisément), ce que dénoncent des associations qui mettent tout en œuvre pour que la population des quartiers "sensibles"  ne soit pas (plus) stigmatisée. La séquence finale empreinte d'onirisme (un lâcher de pigeons géant, la main vigilante de la grand-mère de Ryan (Dominique Frot) leur donnerait-elle raison? A noter que le titre du film -dont le tournage se termine avec cette envolée- "A pisser contre le vent"  est emprunté à une formule ch'ti A picher contre l’vint d’biss ou à discuter contre tes chefs, t’auras toudis tort »  qui  serait le "substitut nordiste" de "tu auras toujours tort"

En portant à l’écran un casting (ce sont les plans d’ouverture, plans fixes  sur les quatre visages, sur le regard qui se dérobe ou affronte l’œil de la caméra et/ou celui du metteur en scène hors champ ) puis la préparation et le tournage d’un film, au cœur même d’une cité, les deux réalisatrices ont réussi à ne pas « stigmatiser » ni « glamouriser ». (Même si le titre "les pires" peut se parer  rétrospectivement des " qualités" de son antonyme)

Un film méta ? (Comme on dit métafiction en littérature) Assurément

Bref, un récit en abyme mais si éloigné de ceux auxquels le cinéma nous a habitué (la nuit américaine, la référence par excellence) qu’il est devenu miroir (d’infinies contradictions) et non plus enchâssement serti d’esthétisme

A voir absolument !

 

 

Colette Lallement-Duchoze

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Ce blog est destiné à collecter nos ressentis de spectateurs, à partager nos impressions sur les films (surtout ceux classés Art et Essai).

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