de Kelly Reichardt (USA 2022)
avec : Michelle Williams (Lizzie), Hong Chau (Jo), André Benjamin (Eric), Heather Lawless (Marlene), Judd Hirsch (Bill), John Magaro (Sean)...
À quelques semaines du vernissage de son exposition, le quotidien d’une artiste et son rapport aux autres. Le chaos de sa vie va devenir sa source d’inspiration...
La « papesse » du cinéma indépendant a -et c’est tant mieux- plus de laudateurs que de détracteurs ! Voici une réalisatrice qui a toujours privilégié le lien qui unit individus et environnement –(un barrage (Night moves) cf Night moves - Le blog de cinexpressions) la forêt , l'espace naturel (first cow cf First cow - Le blog de cinexpressions); soit la manière dont est dicté un comportement dans tel contexte. Dans ce dernier opus présenté en compétition officielle à Cannes en 2022 c'est Portland plus précisément une communauté d’artistes qui vit en marge du centre-ville, une communauté jouissant apparemment d’une totale liberté loin des tracas de la société moderne et la caméra nous promènera du campus à l’atelier
Voici Lizzie une sculptrice stressée avant le « grand jour » de son expo. Quoi de plus « normal » ? (à noter ici que l’actrice Michelle Williams, une fidèle de Kelly Reichardt, qui interprétait la mère, artiste fantasque, dans le film de Spielberg est ici surprenante attifée en vieille fille bougonne). Or son quotidien est perturbé par des problèmes « matériels » (une chaudière en panne et l’impossibilité de prendre une douche ; Jo sa voisine et propriétaire prépare elle aussi une exposition et ne peut accéder à sa requête !) quotidien entravé par des problèmes familiaux (des parents "bizarres", un frère "malade " -on aura reconnu l’acteur John Magaro qui interprétait Cookie dans First cow) et comble de l’absurde ( ?) par la prise en charge d’un pigeon que son chat a grièvement blessé.
Au récit, Kelly Reichardt privilégie l'ambiance et c’est du décalage entre le "sérieux" austère de Lizzie et le prosaïsme des éléments perturbateurs que naît l’humour. De plus n’est-ce pas dans le contraste entre les positions acrobatiques des figurines aériennes (certes figées dans le temps et l’espace) et l’apparence terne renfrognée sévère de la sculptrice que s’opère une « transfiguration » ?
Au plan d’ouverture -long travelling latéral sur des dessins, croquis préparatoires-, répondra en écho un long travelling sur les statuettes exposées lors du vernissage ; sculptures en céramique sur lesquelles se penchent certains visages alors que se déclinent les « discours » de sachants, truffés de clichés ! Et l’essentiel du film se situe entre ces deux plans avec cette « marque de fabrique » qu’est le décalage entre les échelles. Une sculpture sur le point d’être achevée est filmée telle une personne vivante, alors que sur son socle et adossée à d’autres elle semble rapetissée ; le plan final qui voit s’éloigner Lizzie ne se réduit pas à un travelling arrière mais le personnage progressivement s’amenuise jusqu’à disparaître alors qu’au premier plan une feuille d’arbre semble se dilater !! avant que -pour le générique de fin- l’écran ne soit envahi par ces nœuds que des mains expertes font défont, tissent emberlificotent ; un autre "médium " que la glaise comme métonymie de la création?
Un essentiel donc fait de petites mésaventures et tout l’art de la réalisatrice est de rendre « signifiant », vivant l’insignifiant. Voici un chien affalé sur le pas de porte, si vous désirez entrer ou sortir vous devez impérativement passer par -dessus. Une erreur de cuisson pour la céramique ? mais la sculpture ne gagne-t-elle pas en authenticité ? A peine entrés dans la galerie les " invités" ne tarissent pas d’éloges (alors qu’ils n’ont RIEN vu et qu’ils sont plus préoccupés par le buffet… ) L’épisode du pigeon mériterait à lui seul tout un commentaire ! il illustre les liens étroits qui se tissent entre le quotidien de Lizzie et sa création, ses créatures. Nous la surprenons en train de rompre le bras d’une statuette avant de le recoller, comme si elle « rejouait » la brisure, puis la réparation, de l’aile du volatile. Dans son rôle de « soignante » elle est plus efficace qu’avec son frère et ce n’est pas pur hasard si le frère avec délicatesse rendra au pigeon sa liberté ; un « envol » ô combien symbolique
Un film à ne pas manquer ! quoi qu’en disent les détracteurs vilipendant un minimalisme ennuyeux
Colette Lallement-Duchoze