De Kelly Reichardt
Avec Jesse Eisenberg (Josh) Dakota Fanning (Dena) Peter Sarsgaard (Harmon)
Musique de Jeff Grace
Grand prix festival du cinéma américain de Deauville
Interrogation sur une forme de militantisme écologique, "l'éco-terrorisme"? Sur son efficacité, sa légitimité (en clair peut-on prétendre défendre l'environnement, en faisant sauter un barrage hydroélectrique parce qu'il nuit à l'écosystème?). La réalisatrice ne répond pas, ne juge pas (même si tout en fustigeant le radicalisme, sa sympathie irait plutôt vers les trois activistes après tout moins condamnables que la firme BP quasiment impunie pour avoir pollué l'Océan, cf interview accordée à Médiapart). Elle se contente de "montrer" tout en "suggérant". Et d'abord ces paysages de l'Oregon, paysages somptueux avec leurs forêts et leurs lacs, que l'on souhaiterait inviolés. En s'immergeant dans le quotidien d'une ferme bio, par exemple, elle suggère l'authenticité d'une démarche (celle de Josh...). Dans la première partie, se met en place par touches successives un "rituel": de la préparation jusqu'à l'explosion (laquelle restera hors champ); de son regard "clinique" Kelly Reichardt observe au plus près les visages, décompose avec minutie les gestes; tout est "ciselé" disséqué dans une apparente "froideur"; peu de paroles mais des regards complices; appréhension, attente, et velléité de renoncement face à un contretemps. Les trois militants Josh, Dena, Harmon sont unis par l'exigence d'une mission à accomplir. Alors que dans la seconde partie, ils vont être renvoyés à leur "conscience individuelle" (suite à la mort d'un campeur). Dena culpabilise, et non seulement elle "somatise" (cf son urticaire) mais veut "se confier" (fatale décision!). Josh mutique accomplit parfois hagard les ordres de Harmon (dont on n'entendra plus que la voix au téléphone; sur l'affiche du film celui-ci n'apparaît même pas...). Traqués tels des animaux, ne seraient-ils pas pris à leur propre "piège" ?
Le film frappe par son mélange d'étrangeté et de réalisme: voici le corps d'une biche écrasée qui palpite encore de la promesse d'une vie; voici des corps de femmes nues qui émergent d'un bain de vapeur; gros plans sur des légumes ainsi magnifiés; et ces baguettes de sourcier pour sonder Josh? Dans la nuit sombre (comme le souligne le titre) voici que se diffractent des halos lumineux sur les visages enténébrés par la peur!
CLD
Extrait d'interview (Mediapart)
Sur la côte Est, les gens se demandent pour quelle raison on pourrait vouloir faire sauter un barrage. Sur la côte Ouest au contraire, les journaux parlent tous les jours des barrages. Des gens les ont occupés, ont dessiné d’incroyables graffitis qui tracent des pointillés tout le long, avec le dessin d’une paire de ciseaux. Pendant le mouvement Occupy, des gens se sont enchaînés aux barrages. La réorientation de l’eau, les saumons, l’énergie en Californie et dans l’Oregon sont un problème important… Vous allez vers l’ouest du pays, et d’un coup les arbres sont là, face à vous. C’est la différence avec New York. La nature est autour de vous, impossible à ignorer.
J'aurais voulu être aussi enthousiaste sur ce film que beaucoup de commentateurs. Son sujet est important :écologie, responsabilité individuelle...Mais je ferai deux reproches : le manque de crédibilité des personnages et puis l'ensemble m'a paru un peu laborieux dans le tempo du film et la mise en scène.
Marcel Elkaim le 30/04