de Lilja Ingolfsdottir (Norvège 2024)
avec Helga Guren (Maria), Oddgeir Thune (Sigmund) Heidi Gjermundsen (la thérapeute) Marte Magnusdotter Solem (l’amie) Elisabeth Sand (la mère) , Maja Tothammer-Hruza (Alma la fille aînée) )
58e Festival de Karlovy Vary : Prix spécial du jury , prix de la meilleure actrice pour le travail de Helga Guren, Label Europa Cinemas, Prix FIPRESCI Award et Prix du jury oecuménique.
Maria et Sigmund se croisent de fête en fête avant de se rendre à l’évidence : ils sont faits l’un pour l’autre ! Une passion fusionnelle et quelques années plus tard, Maria jongle désormais entre une vie domestique avec quatre enfants et une carrière exigeante. Sigmund, lui, voyage de plus en plus pour son travail mais un soir, il annonce qu’il veut divorcer…
Construction/déconstruction, déconstruction/reconstruction.
Il semble que cette dynamique (voire dialectique) préside à ce film sur le délitement d’un couple, vu à travers le personnage féminin Maria (excellente Helga Guren, ) On va découvrir un film en même temps qu’il se « refait », en même temps que Maria s’interroge sur sa part de « responsabilité » (scènes identiques re-vécues sous des angles différents, apport de la thérapie ) Oui ce film nous invite à "participer" à une sorte d’anatomie où la narration a la force de la dissection (récit fragmenté à la première personne, montage/puzzle très élaboré grâce aux jeux de flashbacks et de miroirs huis clos d’une conscience, milieu urbain déshumanisant etc.) ; la trajectoire individuelle -amoureuse et existentielle tout à la fois-, y gagne en force persuasive
Visage filmé en gros plan face à la caméra (mais aussi face à elle-même et face au public) Maria va répondre à la question que pose sa voix intérieure comment ça a commencé Ce plan d’ouverture -qui reviendra d’ailleurs à un moment crucial du parcours de la femme blessée- impulse la dialectique, le choix de temporalités éclatées, le montage en puzzle. Ainsi après les prolégomènes où Maria joue le rôle de vamp dans la conquête de l’autre, les premières années du "couple" amoureux sont traitées tels des flashes, instantanés souvent pétris de clichés, qui se succèdent à un rythme assez rapide. On comprend que Maria doit TOUT gérer, que Sigmund et sa guitare en bandoulière est en balade permanente…Et à chaque retour, les mêmes retrouvailles…. Mais dès lors que s’affiche sur l’écran « 7 ans plus tard » que l’idylle percute le bloc de l’immanence (une absence injustifiée de 6 semaines, une colère) que Maria doit se rendre à l’évidence : - l’injonction de Sigmund la distance est une bonne chose la fait quitter l’appartement- et ce nouveau vécu dans l’angoisse de la solitude, face à un vide amoureux certes mais surtout existentiel, voici que se "reconstruisent " des pans du passé amoureux et que simultanément Maria femme abandonnée humiliée cherche une autre forme de reconquête (de soi et de l’autre), la caméra va épouser tous les soubresauts de son personnage, ses contradictions, ses paradoxes, ses dénis, avec la précision quasi clinique d’une psychanalyse (cf l’affrontement avec la mère) Maria coupable ? Et si les « vraies » raisons de la rupture étaient présentes dès le départ ?
Aux plans fixes sur la compacité verticale des immeubles -dont la récurrence est signifiante-, s’opposent tous ceux sur le personnage tapi dans l’exiguïté d’une chambre, en proie au tourment taraudant, alors que le face à face qui oppose Maria à sa mère a son écho dans celui qui l’oppose à sa fille Alma (propos avilissants vs tentatives de caresses), mais ce jeu d’oppositions s’inscrit dans la dialectique humiliation culpabilité/reconquête de Soi et l’apparente résolution justifierait l’apaisement final ; les duos fondés sur la « complicité » humaine (l’amie) ou professionnelle (la psy) auront contribué en partie à cette "résolution"
Loveable, (adorable) un titre ironique ? … Maria (et ses colères à répétition) peut agacer certes. Mais c’est une combative et Loveable peut se donner à lire comme un film sur la colère des femmes
, « la colère vient du fait de ne pas avoir de pouvoir, de se sentir impuissante. Je pense que nous avons manqué de ce pouvoir pendant de longues années. Nous sommes en colère parce que nous sommes manipulées. En tant que femmes, nous devons faire preuve de beaucoup d’ingéniosité pour obtenir ce que nous voulons ». (propos de la réalisatrice)
Un film étonnant (et détonnant ) de justesse et d'originalité à ne pas manquer
Colette Lallement-Duchoze