De Wong Kar-wai (Hong-Kong 2004) 50'
avec Gong Li, Chen Chang, Feng Tian, Luk Auntie
Rétrospective Wong Kar-wai
Hong Kong, années 60. Zhang, un timide tailleur, est fasciné par Mlle Hua, voluptueuse et froide courtisane qui le séduit pour s’assurer qu’il se souviendra d’elle lorsqu’il dessinera ses vêtements.
Il lui parle ; elle restera hors champ Impuissant assiste-t-il à sa lente agonie ? Elle lui dit « vous rappelez-vous la première fois ? » (c'est la scène d'ouverture)
Le film sera un flashback de 50 minutes. Flash back qui pour Zhang le tailleur fait revivre avec intensité la scène primitive (celle qui scellera le rapport de dépendance) mais aussi avec la mélancolie du never more.
Laissons-nous (trans)porter dans (et par) ce conte hypnotique "sur l’obsession, la répression et les divisions de classe, à la luxuriance romantique" . Un conte où "La sensualité et le toucher des tissus rythmeront les rencontres"
On en sortira envoûté !
La rencontre. Zhang doit livrer une robe à une cliente. Elle, impérieuse avec ce plan en contre plongée sur un visage qui exprime la domination ; elle le somme de se dévêtir. Lenteur des gestes dans l’accomplissement d’une servitude, déshabillage; gros plan sur une cuisse dénudée ; la main de Mlle Hua (sublime Gong Li) se glisse dans l’entrecuisse (il ne doit pas oublier la sensation de vertige, cette déflagration qui se lit sur son visage torturé déformé par la jouissance (on pense à la phrase de Duras déforme moi jusqu’à la laideur afin que nul autre après toi ne comprenne le pourquoi de tant de plaisir) Elle se gausse de l’avoir tétanisé dépucelé dépossédé
La main et ses caresses bien sûr si vivement espérées… mais jamais… Main du tailleur qui prend les mesures sur le corps de la prostituée, main qui se glisse à l’intérieur de la robe qu’il est en train de repasser comme pour deviner par et dans le tissu, le grain le velours de la chair absente ; une robe encore vide mais habitée par la voluptueuse présence d’un corps caressé comme s’il la masturbait. Dans l’avant- dernière séquence en écho à la toute première la caméra s’approche du visage de la malade dont la main tente d’empêcher Zhang d'effleurer les lèvres Elle la prostituée ballottée entre deux amants, et délaissée par le premier (son "sugar daddy") ruinée par le second (un gigolo), contrainte de faire des passes dans un hôtel miteux, au moment de la mort tend sa main dans un geste de refus (ne pas contaminer le tailleur) et d’attraction; le rythme est encore plus alangui que dans in the mood for love
Un amour vécu sur le mode de la frustration de l’attente du fantasme ; une façon de filmer qui privilégie la lenteur, les gros plans sur le visage ou une nuque. Puissance suggestive du désir, sensualité érotique du frôlement, douceur d’un drapé, souplesse du tissu, étreintes fantasmées (cf les attentes dans l’antichambre quand parviennent aux oreilles de Zhang les soupirs de l’orgasme) avec cette délicatesse qui avait enchanté le public de In the mood for love en 2000
La caméra sait capter aussi des ambiances (celle d’un atelier de confection dans son exiguïté et la promiscuité des ouvriers ; celle de chambres de luxe au velours subtil; cette montée des escaliers comme autant de marches vers l’élue, avant qu’un lent travelling sur les couloirs de l’hôtel ne souligne le vide mélancolique, la définitive absence)
A ne pas rater (séances samedi 16h, dimanche11h, lundi 21h45)
Colette Lallement-Duchoze