de Hong Sangsoo (Corée)
avec Kim Minhee (Areum) Jung Jinyoung, Ki joobong, Sea Younghwa Ahn jaehong, Gong Minjeung
Au bout d'une allée, un café que personne ne s'attendrait à trouver. Les gens s’assoient et parlent de leur vie. Au fil du temps, les clients se côtoient et apprennent à se connaître. Une femme les observe et semble mettre par écrit leurs pensées. La nuit commence à tomber mis tous restent dans le café
On sait la prédilection du cinéaste pour "les intermittences du coeur" ; on connaît sa façon de filmer: un dispositif resserré, peu d'acteurs, caméra souvent fixe, décors banals, importance accordée aux repas et à la prise d'alcool.. Dans Grass la succession des face-à-face dans un bar s’opère comme une suite de tableautins ; les protagonistes sont filmés chacun d’un côté de la table ou l’un de dos ou l’un après l’autre (les variations épousant le contenu de leurs discussions et le ton employé). Il est question d’amours perdues, de la mort d’un être cher, de suicide, d’une panne d’inspiration, d'alcool aussi ; la musique (Schubert, Wagner entre autres) va jouer le rôle de contrepoint ou d’illustration pathétique; elle est diffusée par le patron du bar : celui-ci, toujours hors champ, ne joue-t-il pas le rôle de DJ ?
Aux enchevêtrements de temporalités (Le jour d’après) se substitue dans Grass tout un jeu de miroirs : une personne seule (Areum, interprétée par Kim Min-hee la muse du réalisateur) est en train d’écrire face à l’écran de son ordinateur, tout comme elle est face à la caméra, elle semble s’inspirer des conversations de ses voisins -ce que suggère la traduction en italique: est-ce sa voix intérieure?..Ou bien s’agit-il de personnages déjà créés dans sa fiction et qui prennent corps alors qu’advient la parole ? Et de ce fait, on pourrait lire en filigrane un questionnement sur la création artistique en général : le réel comme source d’inspiration ?? réel vécu et réel fantasmé? la part de l'imaginé dans le prétendu réel? Problématique similaire quand, quittant le bar, elle accompagne son frère rejoindre sa petite amie ; pourquoi le ton monte-t-il à propos d’un éventuel mariage sinon parce que dans son esprit se combinent en se mêlant et les propos entendus auparavant et des souvenirs personnels et sa propre fiction ?? Effets spéculaires aussi avec ces vitres, quand des personnages sortent du bar pour fumer une cigarette, le reflet du dedans sur le dehors (et/ou l’inverse) s’inscrit de manière illustrative dans les problématiques soulevées par toutes les conversations (badinage et interrogations plus existentielles). Jeu d’échos aussi : attention spectateur pressé ! Le film n’est pas terminé avec l’épilogue où le bar est filmé vide de ses occupants- mais après le générique de fin quand sur l'écran apparaît le même plan que celui du tout début -ces touffes d’herbe dans leur jardinière- un plan qui explicite(rait) le sens du titre "grass" ...
Grass ou une authentique "leçon" de cinéma: filmé en noir et blanc (mais un blanc qui se grise en fonction du moment de la journée) en plans séquences avec un soin très minutieux apporté aux cadrages et des variations dans les angles de vue, et où chaque plan se prêterait à une analyse filmique...
Un film à ne pas rater !
Colette Lallement-Duchoze