Documentaire de Patricio Guzman (Chili 2021)
Festival de Cannes 2022, sélection officielle, Séance spéciale
Festival de Valenciennes 2022, Grand prix du film documentaire
Octobre 2019, une révolution inattendue, une explosion sociale. Un million et demi de personnes ont manifesté dans les rues de Santiago pour plus de démocratie, une vie plus digne, une meilleure éducation, un meilleur système de santé et une nouvelle Constitution. Le Chili avait retrouvé sa mémoire. L’événement que j’attendais depuis mes luttes étudiantes de 1973 se concrétisait enfin.
Le film/documentaire s’ouvre et se clôt sur des images d'archives de 1970 1973 (révolution socialiste à laquelle le jeune Patricio Guzman avait participé et dont il rendit compte, après son exil forcé en France en 1973, dans la trilogie La bataille du Chili)
Une mémoire continuum? sa raison d’être, sa raison de vivre ?
Voici des plans sur des roches éparses : éclats de mémoire de la Cordillère La Cordillère des songes - Le blog de cinexpressions) – dans ce superbe documentaire, le passage du poétique à la réalité de 2019 (manifestants brandissant leurs slogans nous sommes le cauchemar de ceux qui volent nos rêves Ce n’est pas 1973 c’est 2019) contenait-il en filigrane le documentaire à venir ?
Le présent, écho du passé ? un passé inspiré et inspirant ? D’emblée le réalisateur met en parallèle ces roches, avec ces pavés arrachés aux trottoirs, armes des manifestants de 2019…
Mon pays imaginaire est un documentaire sur l’explosion sociale qui a embrasé le pays en 2019, sur la (re)découverte et le triomphe de la dignité, (malgré la sanglante répression policière du gouvernement de Sébastian Piñera) sur la révolution en cours jusqu’à l'élection de Gabriel Boric (décembre 2021, entrée en fonction mars 2022) la formation de l'Assemblée constituante attelée à la rédaction d’une nouvelle constitution . Il fait la part belle aux mouvements féministes chiliens.
Mais grâce à un montage fluide - photos, images d'actualités, moments filmés par Guzman, interviews d'intervenantes -et à la voix off celle qui précisément relie présent et passé, Mon pays imaginaire n’est pas simple reportage, c’est une œuvre cinématographique à part entière et c’est un film engagé
L’alternance quasi systématique - images des manifestations et entretiens de femmes, d’âge et de profil différents- peut paraître « convenue » mais elle se double du commentaire qui oriente le réel vers une « cartographie » sociale et politique. Ici triomphe le bien-fondé d’un combat et la diversité des femmes interrogées (étudiante, poétesse, urgentiste, politologue, sociologue, photographe, déléguée de quartier, joueuse d'échec, etc.) en illustre l’ampleur
Voici des images de drones sur la foule, son élan sa fougue, des images aériennes des artères de Santiago et la place Baquedano, voici un embrasement qui envahit l’écran (ce rouge et ses multiples connotations) ; voici un très gros plan sur un visage éborgné (une image réalisée à la demande de la victime) voici des plans plus serrés sur des manifestants molestés par la police et voici toujours filmées en frontal (mais dans des décors et cadrages très « travaillés ») ces femmes qui commentent cette révolution et revendiquent la légitimité de leur combat. Casque, masque à gaz, cagoule noire brodée d'une grosse fleur rouge, symbole de paix et d'amour, explique cette jeune maman qui accepte de « risquer sa vie pour son petit garçon et pour les générations futures »
Femmes militantes aux premières lignes
Femmes en colère (contre la répression contre les violences dont elles sont les victimes, contre les injustices)
Femmes triomphantes : la première présidente de l'Assemblée constituante Elisa Loncon est Mapuche…
Son mantra ? Marichiweu : « nous vaincrons toujours »
Un documentaire à ne pas rater !
Colette Lallement-Duchoze