de Laurent Cantet (scénario) et Robin Campillo (réalisateur) France 2024
avec Eloy Pohu (Enzo) , Maksym Slivinskyi, (Vlad, maçon dans la vraie vie) , Elodie Bouchez (la mère) et Pierfrancesco Favino (le père)
Festival Cannes 2025 Quinzaine des Cinéastes
Enzo, 16 ans, est apprenti maçon à La Ciotat. Pressé par son père qui le voyait faire des études supérieures, le jeune homme cherche à échapper au cadre confortable mais étouffant de la villa familiale. C’est sur les chantiers, au contact de Vlad, un collègue ukrainien, qu’Enzo va entrevoir un nouvel horizon.
Alors que défile le générique on entend la stridulation des cigales et le crissement (plus délicat) de truellées ; puis le film s’ouvre sur un chantier auquel participe Enzo comme apprenti. Aux parpaings que l’on aligne et cimente pour ériger un mur, aux pierres choisies pour le pourtour d’une piscine, répondrait en écho la « mosaïque » de sentiments (naissance d’un désir homosexuel surtout) qui s’emparent de l’ado, bien décidé à rompre avec son milieu familial. Un milieu familial dont la villa d’architecte -avec ses grandes baies vitrées, sa piscine, sa vue sur la mer est la métaphore.
Un gosse de riche qui se rêve maçon ? (donc en creux il s'agit bien de la thématique de la reproduction sociale des classes avec l’exclusion "éventuelle ou programmée" menaçant celui qui veut mettre à bas cet ordre).
Or un travelling ascendant très lent- de la paroi ocre brun vers le ciel bleu azuréen- (auquel fera écho un autre travelling ascendant de l’élément végétal jusqu’au bleu céruléen), un gros plan sur ses mains meurtries disent de façon explicite que l’ado de 16 ans n’est pas à l’aise dans ce "boulot" ; de même que le choix (contraint ?) du champ contre champ dans le face à face avec le père oppose moins deux êtres (père bienveillant aimant, fils ingrat) qu’une incompréhension fondamentale à laquelle Laurent Cantet avait habitué son public depuis Ressources humaines (rappelez-vous cet antagonisme filmé de l’intérieur et non de façon « spectaculaire »)
Laurent Cantet qui hélas n’a pu "réaliser" ce film dont il avait écrit le scénario (il meurt à 63 ans en avril 2024) c’est son ami Robin Campillo qui en sera le réalisateur
Un film ovationné… Osons quelques bémols dans le concert (trop) dithyrambique de la critique
Moins la lenteur (encore que..), moins la prédilection pour l’organique (minéral ou humain) option en elle-même justifiée et flatteuse à condition que..., moins le jeu de l’acteur dans le rôle-titre, que cette co-existence trop souvent maltraitée -quand bien même son traitement formel pourrait séduire- qui fait se télescoper naissance du désir (Enzo attiré par Vlad) , rejet du milieu d’origine (« transfuge de classe »), pulsion de mort, contexte de la guerre en Ukraine (Vlad est Ukrainien certes… mais la scène finale rattachée au hors champ des bombes - Enzo les entend au téléphone- cf affiche frise le grotesque, alors qu’il visite en Italie les ruines/vestiges d’un passé en allé, tout comme il avait justifié son choix de maçon : poésie des murs qui resteront quand le reste aura disparu…), la bienveillance des parents, avec ce rôle caricatural dévolu à la mère …plus compréhensive…, parents silhouettés derrière les baies de la villa qui s’embrase du rougeoiement du soleil couchant (un plan au chromatisme de carte postale). Une ambivalence trop artificielle (rêve vs mal être, matière vs pensée, mystère de l’existence vs mystère de l’adolescence), un parallèle trop appuyé entre les bâtiments et le corps d'un ado en "construction", pour entraîner l’adhésion
Un film sur le désenchantement ? Si Enzo au final donne raison au père (formidable Pierfrancesco Favino) c’est au prix de la perte (définitive ?) de la folie apanage de l'enfance et de l'adolescence, (ce qu’avait d’ailleurs prédit la mère, remarquablement interprétée par Elodie Bouchez …) et dont semble s’accommoder le fils….
Un film à l’image de ce mur de guingois –? qui d'emblée avait provoqué l’ire du contremaître….
Colette Lallement-Duchoze