Film documentaire réalisé par Sandra Gugliotta (2023 Argentine France)
Présenté en avant-première dans le cadre du festival A l'Est à l'Omnia le 16 mars 2025
A l'été 2019, le procès contre France Télécom et trois de ses dirigeants pour harcèlement moral s'ouvre à Paris. Le film suit le déroulement, jour après jour, du point de vue des victimes offrant un portrait émotionnel de la nature dévastatrice du capitalisme et une réflexion sur les limites et les possibilités du système juridique comme outil de lutte
Une politique managériale lancée en 2006, visant à faire partir 20 % des effectifs en trois ans « Par la fenêtre ou par la porte » Tel s’incarnait ce capitalisme éhonté qui accula au suicide des salarié·es (par immolation défenestration entre autres). Certains ont survécu à leur tentative (la mort n’a pas voulu de moi dit et répète Béatrice Pannier ; c’est grâce à ma femme si je suis ici témoigne Yves Minguy tous deux invités pour l’avant-première du film dans le cadre du festival à l’Est, en présence de la réalisatrice Sandra Gugliotta ) Rappelons que le plan NExT avait pour objectif de dégrader les conditions de travail, afin de pousser psychologiquement une partie des employés au départ volontaire, réduisant ainsi les indemnités à payer
Voici une succession de plans fixes aux cadrages maîtrisés avec incrustation (lieux et identité) une succession telle une contextualisation géographique (Guyancourt Caen Mérignac entre autres) -l’habitat lieu de vie, perçu de l’extérieur dans sa diversité, et même si la caméra est « objective » son œil éclairant « dit » ». C’est le prologue. Le spectateur est ainsi familiarisé avec ce qui est un « quotidien » hors les murs de l’entreprise. Une entreprise mortifère . Puis il sera comme immergé dans une "intimité" : il franchit les « murs », la caméra l’invitant par exemple à s’asseoir aux côtés de ce couple sur un canapé.
Les témoignages sont vibrants d’émotion (paroles de ceux qui ont « survécu » , paroles des membres de la famille de ceux qui ont "disparu") Jamais filmées en frontal (comme dans les documentaires « traditionnels ») les personnes interviewées disent avec leurs mots simplement sincèrement leur désarroi, leur volonté d’en finir, leur combat, le harcèlement institutionnel….
Et dans l’immense palais de verre (nouveau Palais de Justice au cœur des Batignolles (17e). aussi labyrinthique que le palais dédaléen où Thésée devait affronter le Minotaure les voici comme perdus… rapetissés. C’est que Sandra Gugliotta varie les angles de vue -plongée ou contre plongée- ainsi que les échelles – Vastitude de lumière; mais la « supposée transparence » abrite en fait une angoissante opacité - derrière des formules plus ou moins triomphalistes ou dédaigneuses (celles des avocats des prévenus François Esclatine Jean Veil ou encore Maisonneuve, à l’opposé de Maîtres Jean-Paul Teissonnière ou Sylvie Topaloff). Des nuées de micros brandis -cliquetis en furie -(pour telle ou telle station radio ou chaîne de TV), alors que la caméra de la cinéaste plus bienveillante est plus discrète.
Et quand nous sommes transportés sur l’Ile de la Cité, là encore Sandra Gugliotta en quelques plans fixes (panneau signalétique « Sainte Chapelle », extérieur en enfilade de pierre, salle vide aux anciennes boiseries) semble dessiner en creux l’impossible passerelle entre des univers si opposés.
Une autre passerelle invisible relierait-elle deux systèmes de justice si éloignés dans la durée ??? ou le vide quasi sidéral de cette salle dit-elle en filigrane l’inefficience de la justice comme « outil de lutte» ??? Le couperet est tombé... . Sentence dérisoire!
Oui ce long métrage (aux allures de documentaire) a les qualités de ces œuvres cinématographiques qui emportent l’adhésion du public par leur pouvoir évocateur ou suggestif (ici la fixité des plans contraste avec l'épouvantable destruction de l'humain- intégrité physique et mentale meurtrie broyée)
A ne pas rater !!
Colette Lallement-Duchoze