De David Oelhoffen (France Liban 2024)
Avec Laurent Lafitte (Georges) Simon Abkarian (Marwan) Manal Issa (Imane) Bernard Bloch (Sam Akounis) Tarek Yaacoub :(Nakad) Nasri Sayegh ( Joseph Boutros)
Sélection au Festival du film Francophone d'Angoulême 2024 (Les Flamboyants)
Prix RTBF au Festival international du film francophone de Namur 2024
Prix du Public au Festival de Montélimar (De l'écrit à l'écran)
Prix du Public et Prix de la meilleure adaptation au festival du Croisic (De la page à l'écran)
Prix du Public au Festival du film de société de Royan
Meilleur Film au Festival du Film Francophone de Málaga
Liban, 1982. Afin de respecter la promesse faite à un vieil ami, Georges se rend à Beyrouth pour un projet aussi utopique que risqué : mettre en scène Antigone afin de voler un moment de paix au cœur d’un conflit fratricide. Les personnages seront interprétés par des acteurs venant des différents camps politiques et religieux. Perdu dans une ville et un conflit qu’il ne connaît pas, Georges est guidé par Marwan. Mais la reprise des combats remet bientôt tout en question, et Georges, qui tombe amoureux d’Imane, va devoir faire face à la réalité de la guerre.
Un substrat aux allures de mille-feuille Voici une pièce écrite pendant l’Occupation par Anouilh (Antigone parabole de la résistance plus que tragédie du destin comme chez son devancier Sophocle), un roman de Sorj Chalandon prix Goncourt des lycéens. 2013 « le quatrième mur » qui s’inspire de ses années de reporter de guerre et la découverte des atrocités à Sabra et Chatila (1982), roman dont s’inspire David Oelhoffen qui tourne à Beyrouth en 2022, capitale dévastée défigurée par l’explosion de 2020 et plus récemment …par les bombardements israéliens…auxquels le spectateur va forcément songer…
D’emblée se profile l’existence de ce « fameux » quatrième mur. « Démarcation invisible censée maintenir l’illusion théâtrale » dans le langage théâtral, il sera dans la trajectoire de Georges (ce dont témoigne l’affiche) ce mur qu’il franchit du réel à l’illusion puis de l’illusion au réel. Des personnes refusent d’interpréter un rôle contraire à leur foi ou leurs convictions profondes ? Georges (Laurent Lafitte) a beau faire le distinguo entre théâtre (fiction) et réel, quitte à « changer »(donc trahir) le texte d’origine, ses propos/promesses sont frappés d’inanité…. Quatrième mur et légitimité sont ainsi étroitement imbriqué.es dans ce film à la circularité à la fois formelle (quand scène d’ouverture et séquence finale se répondent en écho) et politique ou philosophique (comme si l’univers dont le microcosme est le Liban, répétait une (sa) tragédie de l’horreur ; l’art -ici le théâtre-, saisi dans son incapacité à la neutraliser même pour une courte durée…)
Certes le spectateur sera sensible à la « rigueur » des cadres (qui vaut autant pour les extérieurs que pour les intérieurs) à cette « inscription » des corps dans l’espace (restreint quand on est convié à une répétition, plus élargi quand les personnages sont recouverts d’un linceul poussiéreux d’ocre et de suie après avoir fui les bombardements) ainsi qu’au « dynamisme » du montage (encore que… parfois)
Mais tout cela n’est-il pas fortement entaché par le choix du « spectaculaire » (parfois synonyme de « surenchère ») dont la toute première séquence (qui est aussi partiellement l’ultime) donne le ton (long plan fixe sur le visage de Georges, effets sonores accentués, char syrien qui va détruire la beauté quasi apollinienne des environs du bord de mer ) Volonté démonstrative trop appuyée, impact émotionnel trop facile, tel est ce parti pris : insister sur les atrocités (gros voire très gros plans sur les visages tuméfiés, les yeux et paupières ravagé.es par les bombes au phosphore, le corps d’Imane (Antigone) violé et tué dans le camp de Chatila), la scène de justice immanente où nous assistons au tabassage mortel du « traître » et au fur et à mesure que le corps change de couleur (jusqu’à la noirceur du sang qui coagule…) en parallèle la métamorphose (définitive ?) de Georges… lui qui affirmait au tout début « je n’y comprends rien à cette guerre » « moi je suis pour la paix »
La seconde séquence (ou pourquoi Georges accepte de venir à Beyrouth ..) est trop longue (et la métaphore du rasage trop appuyée) Le projet initial -L’art peut-il créer la paix et rapprocher des individus issus de communautés a priori irréconciliables ? est aussi entaché par la façon de traiter la relation amoureuse entre le metteur en scène et une actrice…. (visage de la Palestinienne Imane (Manal Issa) en gros plans annonciateurs de l’idylle, sa confrontation avec les rushs de répétition, douleur et vengeance). Si l’on ajoute le choix de la « mise à distance » (jeu de l’acteur/metteur en scène imposé par la direction d’acteurs David Oelhoffen avec effet de mise en abyme) on versera inévitablement dans le pur exercice de style
Bref des partis pris de mise en scène « surérogatoires »
Dommage !
Colette Lallement-Duchoze