De Walter Salles (Brésil 2024)
avec Fernanda Torres Fernanda Montenegro Selton Mello
Prix du meilleur scénario Mostra de Venise (septembre 2024)
Golden Globe Awards de la meilleure actrice dans un film dramatique (janvier 2025)
Rio, 1971, sous la dictature militaire. La grande maison des Paiva, près de la plage, est un havre de vie, de paroles partagées, de jeux, de rencontres. Jusqu'au jour où des hommes du régime viennent arrêter Rubens, le père de famille, qui disparaît sans laisser de traces. Sa femme Eunice et ses cinq enfants mèneront alors un combat acharné pour la recherche de la vérité.
Tu adorerais être ici avec nous aujourd'hui (disait en 2009 Dilma Rousseff lors d’un meeting s’adressant à Carlos Alberto Soares de Freitas, alias Beto « tombé dans la fleur de l’âge » )
je suis toujours là semble répondre Rubens Paiva ….dans le film que lui dédie Walter Salles
Dès le premier plan -alors que le visage d’Eunice émerge de l’eau, le ciel s’est légèrement zébré – une alerte ? une menace ? ce que confirmerait la scène où une des filles, toujours caméra au poing, est arrêtée (manu militari) avec ses amis pour un « contrôle » (les visages du chauffeur et des passagers sont confrontés avec ceux figurant sur une liste de « suspects »…) Dans la première partie (1971 Rio Plage(Copacabana ? Ipanema ?) qui se veut solaire lumineuse (entente familiale, insouciance des plus jeunes enfants, musique, réceptions) la dictature militaire -mise en place par les USA dès le coup d’état de 1964 qui sévira jusqu’en 1985 - est prégnante (l’extrême droite fût-elle habillée en Prada comme dans certaines démocraties occidentales actuelles et d’autres en passe de le devenir… n’en reste pas moins extrême dans sa chasse aux « suspects » (de « gauche » et en 1971 en Amérique latine ce sont les communistes …rappelons que dès 1968 un code de procédure pénale militaire autorise l'armée et la police à arrêter, puis à emprisonner, hors de tout contrôle judiciaire, tout « suspect )
Walter Salles qui s’inspire de faits réels et qui a connu la famille Palva, adopte le point de vue de l’épouse et mère Eunice (magistralement interprétée par Fernanda Torres relayée pour la dernière partie par sa propre mère Fernanda Montenegro l’actrice principale de Central do Brasil 1998 du même cinéaste )
Sa mise en scène classique, dont la linéarité est ponctuée par les repères Rio de Janeiro 1971, Sao Paulo 1996, 2014), et qui fait fi du « spectaculaire » (nous sommes dans la tragédie et non dans le mélodrame) est scandée par des « indices » comme autant de signaux -certains récurrents- qui mettent en exergue une hantise celle de la transmission, celle de la mémoire, une mémoire qui ne doit pas « refaire » l’histoire ( le récit historique n’est-il pas celui des "vainqueurs" ?) afin de "regarder le passé en face" (et non comme l’aurait souhaité le « bolsonarisme »)
Le titre lui-même est l'aveu d'une permanence (le "je" de l'énonciation renvoie tout aussi bien à la mère qu'à l'ex député enlevé de façon arbitraire et dont le corps ne fut jamais retrouvé, qu'à la "démocratie" !) . Voici en outre des films de famille, des photos, (enjeux identitaires fortement ritualisés et pour le présent et pour le futur) des coupures de presse (à commenter critiquer) voici les meubles et cartons, empreintes/témoins que l’on emporte avec soi vers un « ailleurs », voici le livre du fils Marcelo (qui a d’ailleurs servi de « déclic ») Voici cette dent que le père avait faussement enterrée dans le sable (mais comment être sûr de la retrouver ? s’interrogeait la gamine ; Il suffit de compter le nombre de pas depuis la maison ….)
Oui le sable aussi mouvant soit-il ne doit pas être synonyme d’effacement. Sodade sodade murmure Cesaria Evora…
Un film récompensé à Venise, accueilli très favorablement au Brésil? Certes l’interprétation qui a valu un prix à Fernanda Torres est formidable, certes les changements d’ambiance de lumière de grain, d’une partie à l’autre , sont déterminants dans leurs contrastes (cf lumière explosive en I - l’effervescence comme force de résistance ? ombres ténébreuses après l’arrestation de Rubens et les « dépositions » lors d’interrogatoires, le sourire exemplaire censé illuminer la "survie" après la perte) Et pourtant….ce film "devoir de mémoire" (de remise en cause de la politique d’amnistie « synonyme d’amnésie ») n’a pas la force convaincante des films chiliens ou argentins sur les dictatures (Guzman P Larrain entre autres)
Est-ce parce que ce docu-fiction (cf l’album de famille au générique de fin) se donne à voir essentiellement comme une "chronique familiale" ? ou comme le portrait d’une mère courage qui imprime sa pulsation de bout en bout et impose une version "trop hiératique de la souffrance et du sacrifice de soi" ???
Colette Lallement-Duchoze