De Myriam Joobeur (Tunisie 2024)
avec Salha Nasraoui (Aicha) Mohamed Graïaa (Brahim) Malek Mechergui (Mehdi) Adam Bessa (Bilal) Dea Liane (Reem) Rayene Mechergui (Adam)
Berlinale 2024, Allemagne (Première Mondiale, Mention Spéciale – Génération).
Festival de Taipei 2024, Taïwan (Grand Prix – New Talent). HKIFF 2024, Hong Kong (Meilleure Réalisatrice).
Dans un village reculé de Tunisie, Aicha et Brahim sont dévastés par le départ inexpliqué de leurs fils, partis pour une guerre indicible. Quand l’un d’eux revient avec une mystérieuse fiancée voilée et muette, les parents décident de taire ce retour. Mais Bilal, un policier et ami de longue date, enquête sur des événements inquiétants. Ses suspicions ne tardent pas à le mettre sur la piste de la famille.
Je me suis inspirée des récits de femmes enrôlées en Syrie, mais aussi de témoignages des génocides cambodgiens et rwandais. Ce n’est pas un film sur Daech, mais avant tout sur l’horreur, la noirceur. Et ces extrémismes qui transforment les hommes en sadiques
Comment rendre palpable la douleur de ceux qui « restent », ces parents hébétés quand deux de leurs fils sont partis "pour combattre en Syrie"? La cinéaste a choisi pour la narration - qui sera immersion dans les consciences- les ellipses, la coexistence réel fantastique (on passe d’une réalité supposée à un cauchemar ou à un rêve provoqué par cette « réalité » soit le passage de l’image du « réel » à l’image "mentale" ) l’éclatement de la chronologie (voici un tableau qui s’inscrit dans le moment présent et juste après, sans raccord évident, voici un flashback ou le souvenir d’un épisode marquant). Si l’on ajoute une prédilection pour les très gros plans qui enserrent le visage par exemple, un rythme lent (propre à la contemplation ou à la méditation) une forme d’esthétisme où dans un même cadre l’arrière-plan est flou (ou flouté) le mutisme des personnages (l’essentiel est à capter dans une circulation de regards) on est en droit de s’interroger sur le bienfondé d’une telle stylisation - ne risque-t-elle pas de tenir à distance le spectateur ?
Un choix esthétique qui rappelle aussi le "conte". Le film est divisé en trois chapitres or les titres sont si intemporels ("les conséquences", "une ombre émerge", "le réveil") qu’ils en deviennent atemporels. L’élément végétal -cet arbre qui encadre le film mais dont la stature n’efface pas la fonction de " gibet" (?) - et ce cheval caparaçonné sans cavalier, sont traités comme des personnages à part entière. La blessure qui s’ouvre béante et peine à se cicatriser balafrant la paume de cette main travailleuse et vigilante, celle de la mère, avant de se fermer, comme pour enserrer un secret, serait le symbole de toute plaie vive (pour les parents celle liée au départ définitif de leurs fils) et pour les "revenants" (tel Mehdi) symbole d’un trauma mortifère…à cause de la cruauté de leurs actes (cf la scène de tabassage mortel avec Mehdi comme bourreau )
Une famille de bergers jusque-là "sans histoire" mais les "apparences trompeuses" vont voler en éclats à cause de ce "drame" (Mehdi accuse le père; le père accuse le laxisme de l'épouse; la mère est aux abois...propices à tous les mensonges et autres formes de dénégations) .
La source ? Un voyage dans le subconscient féminin et
une parabole sur la perte de repères et les cas de conscience ....
Colette Lallement-Duchoze