de Veerle Baetens (Belgique Pays-Bas 2023)
avec Rosa Marchant, Charlotte de Bruyne Amber Metdepenningen, Matthijs Meertens, Anthony Vyt, Sebastien Dewael
De nombreuses années après cet été où tout a basculé, Eva retourne pour la première fois dans son village natal avec un énorme bloc de glace dans son coffre, bien déterminée à affronter son passé...
Adapté du bestseller Het Smelt (ça fond ; en français « débâcle ») de Lize Spit, ce premier long métrage de Veerle Baetens est un film sur la non résilience. Deux temporalités -en miroir-, (faire progresser en parallèle deux moments de la vie d’Eva), un « fil rouge » : la devinette (d’abord « ludique » elle participera au « macabre ») deux façons de filmer
Mutique esseulée assez « gauche » telle apparait au tout début Eva assistante photographe à Bruxelles. Un gros plan sur un regard énigmatique (fuyant ?) un autre sur un paquet/cadeau qu’elle fait chuter de la table. Quel secret enfoui au profond ? Les infos sont livrées avec parcimonie et les gestes frappent par leur lenteur calculée. En acceptant l’invitation pour une soirée commémorative organisée dans le petit village des Flandres où elle passait ses vacances, Eva sait qu’elle trouvera tous les protagonistes de son enfance – ceux, notamment, d’un événement qui a bouleversé sa vie, l’été de ses 13 ans…. Mais elle ne sera pas animée par la vengeance. La cinéaste affirme d’ailleurs avoir réalisé Débâcle pour « tous ceux qui enfouissent leurs souffrances au plus profond d’eux-mêmes, à un endroit où personne ne pourra les deviner et d’où elles les dévorent peu à peu. ».
Veerle Baetens a de toute évidence travaillé les « raccords » entre les deux périodes : l’été des 13 ans (où tout a basculé) et le présent, jusqu’au plan final où les deux visages d’Eva vont se saluer, dans la simultanéité de leur apprivoisement réciproque …par-delà et à travers la vitre.
Faire dialoguer les temporalités en passant par exemple d’un plan d’Eva enfant regardant vers la gauche à un plan d’Eva adulte regardant vers la droite ; importance du regard tourné ou tendu vers…quand l’autre (famille ami) détourne le sien et accepte plus ou moins le climat de misogynie. Ou au contraire en enfermant Eva adulte dans le cadre, afin de la rendre prisonnière alors que le cadre est le réceptacle de tous les possibles pour la période de l’enfance. Un contraste s’impose aussi dans la façon de filmer les deux temporalités. Ainsi l’été de l’enfance est dominé par le chatoiement de couleurs chaudes alors que le présent frappe par des teintes plus « glacées » -qu’accentuent le mutisme et certaines longueurs. Constat purement formel toutefois car le passé restitué à hauteur d’enfant sait mêler exubérance complexité et sadisme (la jeune Rosa Marchant a reçu le prix d’interprétation à Sundance tant son jeu est formidable); aucun temps mort, aucun détail superflu, aucune complaisance dans la « maltraitance ». Eva souffre de ne pas être reconnue par une mère alcoolique qui lui préfère la cadette ; Eva souffre de n'être que la « copine » de Tim dont elle est amoureuse, elle accepte pour lui plaire d’hameçonner de « belles » jeunes filles pour un quiz & strip.
Bourreau elle sera victime.
Et si la caméra est souvent virevoltante pour capter l’effervescence de l’adolescence, alors qu’elle est plus distante pour filmer Eva adulte, les deux Eva n’ont de cesse de « retrouver » -chacune à sa façon certes-, cette place confisquée, qui participe à l’identité…galvanise une personnalité
Eva ma sœur de quel amour blessé…
Eva ton hurlement silencieux !
Un film à ne pas manquer
Colette Lallement-Duchoze