28 décembre 2023 4 28 /12 /décembre /2023 08:23

De João Miller Guerra - Filipa Reis (Portugal 2023)

avec  Carla Maciel Fátima SoaresVitória Nogueira da SilvaPaulo Calatré Sara Machado

 

Présenté au festival de Cannes 2023 Quinzaine des cinéastes 

Synopsis: Dans un vieux manoir situé au nord du Portugal, Ana aide Emília, la vieille gouvernante qui continue de prendre soin d’une demeure où les propriétaires ne se rendent plus. Au fil des saisons, Mónica, la fille d’Ana, remet en question les choix de sa mère, et ces trois générations de femmes tentent de comprendre leur place dans un monde en déclin, où le cycle de la vie ne se renouvelle qu’après d’inévitables fins.

Légua

"Les lumières sont allumées, mais il n'y a personne à la maison"

Une chouette effraie sur une branche, tache blanche dans l’obscurité verte, c'est le premier plan; en écho au final le même rapace mais filmé sous un autre angle. On sait que ce rapace aime les vieilles bâtisses et les endroits tranquilles. La première séquence, consacrée à Ana, est marquée par la sensualité et la sexualité (longue scène d’amour avec son mari). Le film semble s'ouvrir sur des perspectives …que la suite va corroborer ou déjouer ?

Ana, fidèle servante, aide la vieille gouvernante Emilia à entretenir une vaste maison vide (les propriétaires sont absents) et -comme ce sera souvent le cas dans ce film- certains gestes sont filmés en temps réel non par souci de  "lenteur" mais pour les magnifier les sacraliser (ainsi de l’art de faire un lit qui  appartient à un temps révolu). La bâtisse -dont les contours extérieurs ne seront "montrés" qu’à la fin- mais dont l’intérieur respire l’ancien (mobilier tapisseries photos/souvenirs, couleurs) et que certains plans avec ou non des profondeurs de champ, restituent dans le silence quasi sidéral propre aux maisons hantées, est le réceptacle d’une problématique : inanité des efforts déployés ? (c’est le point de vue de Monica la fille d’Ana), respect quasi religieux du passé dans la continuité des rites du pays ancestral? (Emilia) coexistence passé présent à sauvegarder sans entacher un "possible" futur ? (Ana). Victor, le mari maçon, plus pragmatique, veut profiter d’un salaire plus décent à l’étranger et il enjoint sa femme de le suivre en France …  Alors que nous voyons s’activer les deux femmes, préparant la venue des propriétaires ou d’éventuels locataires  -imaginaires ??-  dépoussiérer, lustrer, préparer les repas-,  que nous entendons les diktats de l’aînée et sommes témoins des tentatives avortées d’Ana pour « égayer » les lieux par la musique. En extérieur Ana s’adonne aux travaux champêtres au jardinage etc.. Comme la digne incarnation des « travaux et des jours » ?

Le film opère un tournant avec la découverte de la  "maladie"  incurable d’Emilia (devenue Milinha) et nous assisterons simultanément à la lente « agonie » de cette femme (à l'instar d'un monde qui se meurt?) et à la souveraine conquête d’Ana sur elle-même, sur les lieux et sur le temps, dans l’exercice même d'une soignante zélée et affectueuse (cf le pouvoir incontesté de ses mains qui massent, qui caressent la douleur) Dans cette partie il est des plans sublimes où le corps souffrant, dans sa nudité vieillissante, est comme métamorphosé grâce à cette "liturgie" des gestes  (auparavant nous avions découvert le corps d’Emilia allongé, les yeux clos écoutant ave et pater, préfiguration de la mort ?). 

Ana la servante  "maîtresse des lieux"  devenue ??

Outre la relation filmée avec délicatesse (deuxième partie) entre Ana et Milinha, le film témoigne  -sans ostentation- du conflit de générations et des perceptions du monde opposées (la fougue de Monica contrastant avec le visage renfrogné d’Emilia, l’ambiance festive lors de l'anniversaire  d’Ana -pour ses 49 ans-  opposée au silence de la gouvernante gardienne d’un vide qu’elle habite de sa fidélité) ; la musique illustre ces dissimilitudes (contrebasse harpe piano d’une part et morceau de techno pour la scène de rave party par exemple)

Et pourtant via Skype Monica sollicite l’aide de sa mère pour la cuisson d’un steak !!! (Traditions culinaires à perpétuer !!!)

La campagne environnante, celle du hameau Légua, dont la lumière et les couleurs varient avec le passage des saisons, témoigne dans sa diversité même -montagnes plaines plan d’eau rivière Tâmega- d’une force tellurique aussi puissante que cette race bovine portugaise (cf le plan où une vache envahit de sa superbe tout l’écran)

Un film à ne pas rater !   

 

Colette Lallement-Duchoze

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