de Catherine Breillat (2023)
avec Léa Drucker, Samuel Kircher, Olivier Rabourdin
librement adapté du film danois Queen of Hearts (Dronningen, 2019), de May el-Toukhy
présenté en Compétition Officielle au festival de Cannes 2023
Synopsis: Anne est une brillante avocate, spécialisée dans la défense des mineurs victimes d'abus et des adolescents en difficulté. Elle habite dans une grande villa sur les hauteurs de Paris avec son mari, Pierre, et leurs deux filles. Cependant, l'harmonie dans sa famille est perturbée par l'arrivée de Théo, fils de Pierre né d'un précédent mariage, qui emménage chez eux. Anne entame en effet une liaison avec cet adolescent de dix-sept ans rebelle et contestataire, et cela risque de tout détruire.
Après avoir mis en "place" le contexte social et générationnel- par de lentes étapes progressives (trop lentes pour certains spectateurs qui ont quitté la salle au bout de 10’ !!)- la cinéaste s’intéresse d’abord à l’embrasement des corps (un ado de 17 ans, une femme quadra, bien corsetée dans ses robes fourreau et ses principes, qui … "lâche prise") puis au déni monstrueux !!! Un déni nécessaire à la survie du " couple bourgeois" donc du corps social qu’il incarne (c’est l’aspect "politique" du film) et que la toute dernière scène illustre magistralement (invitation au silence, étincelle qui jaillit de l’anneau dans la profonde nuit)
Mais ce qui joue le rôle de "prélude" a ceci de singulier : préparer le spectateur à la rhétorique de l’aveu en faisant émerger des frustrations latentes -qui voleront en éclats-, tout en le "manipulant" (comme Anne manipule son mari, son beau-fils et l’avocat quand elle est "l'accusée") en le focalisant sur la romance d’un désir fou que l’on peut confondre avec l’amour fou (cf la chanson de Léo Ferré au final). Eros et Thanatos ? plutôt alliance dans la simultanéité de la glace et du feu que Léa Drucker incarne de façon cardinale ! Voyez son visage figé ses yeux bleu acier, écoutez SA parole sur le visage de sa jeune cliente qui frémit de peur, tant le "discours" sur le "consentement" est impitoyable : c’est la séquence d’ouverture. (Très souvent d’ailleurs l’impact de la parole se lira sur les gestes les regards du destinataire alors que le locuteur est hors champ). Même aplomb glacial dans cette scène époustouflante où l’actrice monte à reculons les marches de l’escalier tout en invectivant son mari, tout en condamnant sa pleutrerie, tout en l’accusant d’avoir cédé au "chantage" de son fils, (c’est ignoble ! ton fils est un monstre ! )
Quant au désir, toute l’astuce de Catherine Breillat est de placer sa caméra là où il affleure, là où il risque d'exploser en un embrasement incontrôlé…et c’est le visage, car il "dit" mieux que le corps lui-même, le foudroiement, - l’écho de la spasticité sera dans la bande-son ; avec le mari, c’est une logorrhée verbale qui accompagne la "pénétration" ; avec Théo, Anne s’abandonne, alanguie, les yeux clos, le visage en arrière comme la Madeleine en extase du Caravage (dont Catherine Breillat dit s’être inspirée)
Fluidité, importance de la lumière (même dans l’obscur), refus délibéré du sensationnalisme et du moralisme, prestation exemplaire de Léa Drucker (jusque dans le timbre de sa voix et ses intonations) Oui tout cela est indéniable et pourtant !!!!
L’été dernier n’est pas un film « sulfureux », tout au plus transgressif - moins par la relation sexuelle évoquée, que par les choix d’Anna qui aura préféré broyer le jeune homme plutôt que sacrifier son confort bourgeois, et « l’absence de morale » perturbe certains spectateurs.!!! Plus patente serait l’inconsistance du « jeu » (si jeu…d’acteur il y a) de Samuel Kircher étonnamment salué par la critique, inconsistance qui nuit à l’ampleur dramatique attendue
En revanche les propos entendus (sorte de making of sur la genèse du film, et la façon de filmer) à l’issue de la projection (mardi 12/09) étaient d’un immense intérêt. Voir sur grand écran Catherine Breillat évoquer avec un mélange de volupté et de malice sa façon de « diriger » les acteurs, le rôle de sa chef’'op Jeanne Lapoirie, les choix de l'emplacement de la caméra, d'une musique non intrusive de Kim Gordon, ou des trois couleurs de robe que porte Léa Drucker, le rôle éminemment suggestif de la lumière, etc…, était un pur régal et prouvait (une fois de plus ! ) que si l’histoire racontée est importante, elle ne serait quasiment rien sans la force d’un style choisi (l'écriture cinématographique) Il en va de même en littérature « la façon dont une histoire est mise en mots » importe plus que « l’histoire racontée » !!!, idem avec toute œuvre d’art !
Colette Lallement-Duchoze