Documentaire réalisé par Frederick Wiseman (1975 USA)
1973. Les problèmes de logement, de santé, de chômage, de maltraitance frappent les Américains les plus pauvres. Dans un bureau d'aide sociale new-yorkais, employés et usagers se retrouvent démunis face à un système qui régit leur travail et leur vie...
5 juillet 2023 ouverture du festival d’Avignon avec la représentation de Welfare Cour d'honneur du Palais des Papes (mise en scène de Julie Deliquet que Frederick Wiseman avait d’ailleurs contactée pour une éventuelle adaptation théâtrale)
Le même jour, sortie en salles du documentaire réalisé en 1975 (soit presque 50 ans après sa réalisation) restauré récemment en copie numérique 4K,
Coïncidence ??
A l’instar de Julie Deliquet (sortie « sonnée » après avoir vu le film en 2020) le spectateur aujourd'hui reçoit tel un uppercut, ce témoignage « coup de poing ».
Voici un lieu : le centre d’aide sociale new-yorkais, le Welfare Center de Greenwich Village, situé dans le bas Manhattan ; voici une communauté :-demandeurs et travailleurs sociaux. Hormis l’omniprésence de la cigarette, l’absence d’ordinateurs, et la mode vestimentaire, on se croirait presque au XXI° tant les démarches tatillonnes, les parcours kafkaïens, et surtout l’immense précarité semblent très actuel.le.s (et la question de la prise en charge de la misère par la puissance publique qui n’est toujours pas résolue !!!!- que ce soit aux USA ou en France d'ailleurs !!!)
Lors de face-à -face, Frederick Wiseman filme d’abord -et avec empathie- le visage de la personne qui demande (elle est en quête de nourriture, de logement, de soins, désire actualiser son dossier ; son récit ? un plaidoyer pro domo et des liasses de papiers comme gages de sa "bonne foi" ) ; il nous invite à l’écouter, la regarder (des yeux hagards, des lèvres qui tremblent ou qui éructent un verbe haut) puis il "montre" la personne qui répond (certaines sont très patientes "pédagogiques", d’autres sceptiques ou butées appliquant à la lettre le règlement). Quelques mouvements de caméra (zoom avant par exemple) pour ponctuer une scène qui peut être filmée en temps réel (soit plusieurs minutes).
Alors que le dispositif dans un tel " huis clos" inciterait à la répétition, le cinéaste varie les angles de vue ; et quand il délaisse provisoirement le face-à-face, voici par exemple une profondeur de champ - inattendue- qui décuple la complexité et voici que s’éploie (salle, couloirs, personnes assises ou debout) tel un immense corps « malade », le théâtre de la vie cabossée malmenée, lucide ou fanatique, mutique ou loquace, où l’on respire des relents de racisme, où s’affrontent , se confrontent, demandeurs et travailleurs sociaux mais aussi confrontations de cas particuliers avec un système ! Et à ce stade les patients – aux pathologies variées- et les travailleurs sociaux sont comme embarqués dans les mêmes sinuosités dédaléennes « démunis face à un système qui régit leur travail et leur vie »( cf synopsis)
En isolant ou plutôt en mettant sur le devant de la scène quelques cas bien particuliers le documentariste cherche moins à les rendre exemplaires que "mouvants" -quand précisément tout est mis en œuvre pour les "empêcher " de "bouger" hors du cadre (dans tous les sens du terme) Ces visages "ouvrent" le film, les mêmes vont jouer le rôle de coda! Au spectateur d'imaginer leur vie (survie) hors cadre!
Comble d’ironie -ou de facétie!- le patient hyper-raciste prêt à dégommer tous les Noirs en leur faisant exploser les couilles, après avoir été expulsé manu militari, ne cesse de tambouriner ….pour « réintégrer » cet enfer qu’il maudissait, où les « gardiens » sont précisément des Noirs ?
On retiendra le propos de M. Hirsch – assis, étranger à tout ce qui l’entoure, le visage filmé en gros plan et nous prenant à partie, il soliloque « j’attends depuis 124 jours, depuis que je suis sorti de l’hôpital j’attends quelque chose…Godot. Mais vous savez ce qui s’est passé dans l’histoire de Godot. Il n’est jamais venu. Voilà ce que j’attends. Quelque chose qui ne viendra jamais »
Un documentaire A NE PAS RATER
Colette Lallement-Duchoze