de Fernando León de Aranoa (Espagne 2021)
avec Javier Bardem, Manolo Solo, Óscar de, Sonia Almarcha
Festival Cinéma Européen 2022, Festival San Sebastian 2021, Festival de cinéma ibérique et latino américain Grenoble 2022
6 récompenses à la cérémonie des Goyas (36ème édition) dont celles de meilleurs film, réalisateur, scénario et acteur
Représentant espagnol aux Oscars 2022,
Un ex-employé viré qui proteste bruyamment et campe devant l’usine… Un contremaître qui met en danger la production parce que sa femme le trompe… Une stagiaire irrésistible… A la veille de recevoir un prix censé honorer son entreprise, Juan Blanco, héritier de l’ancestrale fabrique familiale de balances, doit d’urgence sauver la boîte. Il s’y attelle, à sa manière, paternaliste et autoritaire : en bon patron ?
Effort, équilibre, fidélité
L’entrée de l’usine, le portique, la calligraphie, et l’immense balance -dont un gardien doit veiller à l’équilibre de ses deux plateaux- renvoient non sans malice à l’entrée des camps arbeit macht frei, sauf qu’ici tout est piégé par l’apparente bonhomie (ah ce charisme !!!) d’un patron quinquagénaire (magistralement interprété par Javier Bardem grimé pour la circonstance) qui de sa stature et de sa matoiserie enveloppe TOUT : l’écran, les employés (individualisés ou en groupes) la stagiaire, la femme -épouse, les notables locaux.
Sauf …un employé licencié qui a campé sur ses positions et sur un terrain public, juste en face de l’usine et qui bombarde ses slogans réprobateurs…malgré de mielleuses tractations
Or le temps est minuté- et le chapitrage sur 7 jours, le rythme soutenu, l’affairement incessant du patron Blanco (encore un nom ironique) le prouveraient aisément. C’est qu’on attend la visite imminente d’une Commission qui décidera de l’obtention d’un prix d’excellence !! et voici "le bon patron" sur tous les fronts ; usant et abusant de son pouvoir de "pater familias" (l’usine est une famille vous êtes tous mes enfants.), surpris que des flics soient "socialistes", que des journalistes ne "dévoilent pas leurs sources"
Roublard et compatissant, respectable et dédaigneux, Blanco donne le change, s’impose dans cette succession de scènes (certaines rocambolesques, d’autres plus tragiques) à la recherche d’un "juste équilibre" - en confondant allégrement compromis et compromissions, obnubilé par l’image de marque de son usine
(ô comble de l’indécence éhontée : alors qu’il est en partie responsable de la mort du fils d’un employé…, il verse des larmes de circonstance, se contente d’une brève oraison lénifiante et d’une accolade visqueuse)
El buen patron est une comédie qui avec ironie, humour et excès, épingle le patronat fondé sur le paternalisme patelin. Mais par-delà, c’est bien de la violence en entreprise qu’il s’agit. La violence des plans sociaux, de l’intrusion dans la vie intime des employés, du droit de cuissage. Même si "en même temps" le réalisateur suggère que la faculté de résistance et la noble solidarité des "employés" s’effritent, quand elles ne sont pas cisaillées…
Gageons que l’épilogue (qu’accompagne la chanson « feeling good » version Michael Bublé) -volontairement ambigu- soit le comble du cynisme !
Légers bémols : l’aphorisme « une société qui fabrique plus de balances est une société plus juste » et les métaphores liées au patronyme « Basculas Blancos » (mécanisme, grain de sable, travail contre la montre, équilibre) sont souvent trop appuyé.e.s, ; certaines séquences s’étirent (cf la soirée avec Miralles le directeur de production qui a pété les plombs ; quand bien même la séquence doit illustrer une des "nombreuses" facettes du "bon patron" : le chantage à l’amitié et les propos comminatoires)
Colette Lallement-Duchoze