de Hélier Cisterne (France 2020)
avec Vincent Lacoste, Vicky Krieps, Jules Langlade, Marc Brunet
libre adaptation du roman de Joseph Andras
Alger, 1956. Fernand Iveton, 30 ans, ouvrier indépendantiste et idéaliste, est arrêté pour avoir déposé une bombe dans un local désaffecté de son usine. Il n’a tué ni blessé personne, mais risque pourtant la peine capitale. La vie d’Hélène, devenue la femme d’un « traître », bascule. Elle refuse d’abandonner Fernand à son sort
Il est des films rares qui savent allier maîtrise parfaite du savoir faire cinématographique avec œuvre de mémoire historico-politique. C'est le cas de l'adaptation réussie par le jeune cinéaste Hélier Cisterne, du beau roman de Joseph Andras.
La réalisation est sobre avec des acteurs qui ne surjouent jamais, à la fois touchants de simplicité et pleins de charme (notamment l'actrice Vicky Krieps au délicieux accent polonais). Ils nous emportent dans une histoire vraie qui s'achève en 1957, grâce à un montage souple, habile, où le flash-back se mêle en permanence au présent.
D'emblée le film commence par l'exécution capitale de Fernand Iveton, en 1957 à Alger, condamné par un tribunal militaire à la guillotine, pour avoir commis un attentat (sans aucune victime) dans un local désaffecté pour protester contre la guerre coloniale que menait la France du président René Coty à ce moment-là. Rappel historique au générique de fin : 142 opposants à l'oppression ont été guillotinés, 54 exécutions signées par le ministre garde des Sceaux de l'époque : François Mitterrand, malgré les demandes en grâce de nombreuses personnalités intellectuelles et pacifistes .
Il est bon qu'un film qui est avant tout une très belle histoire d'amour tragique résonne aussi dans notre présent. Ces gens qui applaudissent au tribunal à l'annonce de la peine, devant la compagne effondrée, ne sont-ils pas les mêmes qui aujourd'hui applaudissent dans les meetings d'extrême droite, les cracheurs de haine et d'anti-progrès ?
Saluons dans ce film la reconstitution d'Alger des années 50, les ruelles, la mixité, la cohabitation entre les Français pieds noirs et les Arabes travaillant dans la même usine, le mélange de calme et de répression, la peur, la torture (mais jamais montrée), l'amitié et l'amour. Loin de tout style militant il nous fait vivre de l'intérieur l'héroïque engagement d'un ouvrier Français, qui comme Albert Camus, se sentait aussi Algérien, et défendait la dignité, l'envie d'un bonheur simple dans un monde juste.
On sort de la séance estomaqué et plein de questionnements sur cette époque si proche où la France se conduisait comme la Russie d'aujourd'hui.
Serge Diaz