écrit et réalisé par Eugène Green (France Pays basque) 2020
coproduit par les frères Dardenne
avec Saia Hiriart, Lukas Hiriart, Ainara Leemans, Thierry Biscary..
La déesse Mari confie au Diable ses deux fils, nés d’un père mortel, pour leur éducation. Lorsqu’ils atteignent leur majorité, l’un, Mikelats, décide de rester auprès du maître, tandis que l’autre, Atarrabi, s’enfuit. Mais le Diable réussit à retenir son ombre.
Le film s’ouvre (comme la Sapienza, et le fils de Joseph) sur des « images » de contemporanéité qui l’apparenteraient à un documentaire (ici des panneaux de signalisation et des vues de Saint Jean de Luz) ; ….Mais très vite le cinéaste invite le spectateur à pénétrer dans une terre de fiction (une grotte entre autres qui rappelle une cave de DJ) après l’avoir guidé avec cet exergue emprunté à Pessoa « le mythe est le rien qui est tout »
C'est à la "renaissance" d’un mythe basque que nous allons assister, un mythe que l’art -consommé- d’Eugène Green revisite avec sa science des cadrages et de l’architecture, sa répartition des couleurs contrastées (le rouge et le blanc à la Zurbaran) et par la toute-puissance de la parole -importance de la diction pour restituer une "langue qui structure la pensée à l’envers" ainsi, on commence par l’aboutissement et l’on remonte vers la cause (cf le dépliant dans le hall de l’Omnia)
Voici deux frères, deux parcours, deux destins (jusqu’à l’ordalie) deux conceptions de la « grâce », du Bien, du Mal (leur mère, la déesse Mari était à la fois lumière et ténèbres. Le diable éducateur ravit l'ombre d'Atarrabi au moment de sa "fuite"; or celui qui n’a pas d’ombre ne peut recevoir la lumière et ce sera sa malédiction !! ). Dichotomie et opposition qu’illustrent les chorégraphies chantées contrastées, les « théories », le champ contre-champ, le montage alterné et qu’irradie la dialectique ombre/lumière
La critique sociale affleure çà et là, elle peut se lire dans la scène cocasse des « baigneuses » (bizarrement transformées en nains …elles paraboliseraient la théorie du « genre » ? ), dans la représentation subliminale du diable (il écoute du rap, fait le DJ, les dits « modernes » sont de son côté ; alors que les plus « classiques » seraient incarnés par Atarrabi et son âne – Je ne sais pas si je suis moderne. Je voudrais servir répond-il aux nains)
« tu fais partie du monde vivant », dit Atarrabi au rocher. L’homme seul possède la parole, mais toi tu nous entends » lui dit le hibou. Oui C’est bien un modèle de relation et de partage sensible, propre au monde vivant, qu’offre le réalisateur face à l’opposition des frères – et nous retrouvons dans ce film habité, les thèmes qui lui sont chers : le don de soi et une certaine forme de mystique
Dans ce film complexe, à la beauté formelle exigeante, Eugène Green rend hommage à la langue basque, une langue qui -après le nationalisme castillan franquiste en Espagne et le centralisme uniformisateur en France- avait pu enfin "renaître"
Mais il est vrai que la diction neutre et le "statisme" des acteurs/ récitants -filmés souvent de face-, auront leurs détracteurs !!!
Colette Lallement-Duchoze