Documentaire de Sébastien Lifshitz 2020
avec Sasha, Karine et toute la famille
Présenté à la Berlinale en février 2020
A obtenu le grand prix au festival de Gand (24 octobre 2020)
Sasha, né garçon, se vit comme une petite fille depuis l’âge de 3 ans. Le film suit sa vie au quotidien, pendant un an, le questionnement de ses parents, de ses frères et sœur, tout comme le combat incessant que sa famille doit mener pour faire comprendre sa différence. Courageuse et intraitable, Karine, la mère de Sasha, mène une lutte sans relâche portée par un amour inconditionnel pour son enfant.
Une gamine essaye une robe à paillettes puis teste chapeaux et serre-tête ; dubitative elle murmure "peut-être" ; la même -écharpe rose bonnet cloche parka- joue avec ses parents ses frères et sœur à la « bataille de boules de neige » Ces deux mini séquences d’ouverture -alors que défile le générique-, encodent le film ?
Film qui débute avec la consultation chez le médecin. Karine la mère, la voix brisée, implore de l’aide, elle se sent fautive. Sasha est une petite fille dans un corps de garçon. Le passé - marqué par la culpabilité de la mère, par la détresse de l’enfant- et surgissant dans son évidence, Sébastien Lifshitz le fait sien en l’incorporant dans un présent (Sasha a 8 ans ) qui deviendra prémices du futur (Karine le sait, elle imagine son enfant se débattre plus tard autant avec son corps en pleine croissance qu’avec les regards et comportements réprobateurs d’un entourage malveillant)
Le réalisateur qui aime capter les métamorphoses, les saisir dans l’instantanéité de la Douleur va non seulement mettre en scène un double combat (celui de la mère, celui de sa fille) contre les carcans imposés par les préjugés et les « codes », mais avec subtilité et délicatesse -sans que sa caméra soit intrusive- il filme à hauteur d’enfant une éclosion dont le « motif » du papillon serait la métaphore
Plus que le regard de l’autre, il privilégie les émotions éprouvées par Sasha en toute circonstance, émotions que l’on peut lire sur son visage (un regard comme hébété, des larmes trop longtemps retenues, des lèvres muettes qui disent pourtant l’indicible) émotions qui s’expriment aussi par et dans le langage de son corps (arabesques intermittentes et maladroites au cours de danse, bulles multicolores que le souffle de la bouche disperse dans l’espace, corps enroulé dans la caresse maternelle, pas et tournoiements dans le vert du jardin, jusqu’à l’envol du ...« papillon »)
Sébastien Lifshitz donne la parole aux membres de la famille, à la mère surtout (plan fixe face à la caméra) à des spécialistes (dont Anne Bargiacchi consultée à l’hôpital Robert Debré), tous bienveillants. En revanche les représentants de l’institution scolaire -lieu de socialisation mais pour Sasha domaine de l’opprobre ou du moins de l’incompréhension hypocrite - resteront hors champ ; il en va de même avec la nouvelle professeure de danse -la scène d’exclusion rapportée par la mère, aura, par sa violence, figé Sasha dans le mutisme du trauma
Comme dans Les Invisibles l’écran peut être envahi par des ciels tourmentés ou non, par des flots qui ondoient, par des panoramiques (cf la séquence au bord de mer quand Sasha étrenne son maillot deux-pièces)
Un témoignage " bouleversant" sur la "dysphorie de genre" ( fera-t-il "évoluer les mentalités" comme le souhaite Karine?)
Un film sur le mal-être,
Une histoire de tolérance toute en sensibilité, en émotion contenue
Un film que je vous recommande
disponible en replay sur le site d'Arte.tv jusqu’au 30 janvier 2021
Colette Lallement-Duchoze