De Sophie Deraspe (Canada Québec) 2019
avec Nahéma Ricci, Rachida Oussada, Nour Belkhirla
Film couronné de 5 prix aux Oscars canadiens dont ceux du meilleur film et de la meilleure actrice
Antigone est une adolescente brillante au parcours sans accroc. En aidant son frère à s'évader de prison, elle agit au nom de sa propre justice, celle de l'amour et la solidarité.Désormais en marge de la loi des hommes, Antigone devient l'héroïne de toute une génération et pour les autorités, le symbole d'une rébellion à canaliser...
mon coeur m’a dit de sauver mon frère
En s’emparant du « mythe » d’Antigone (Sophocle) -revisité d’ailleurs par Anouilh et Brecht (comme le signale le générique de fin) la réalisatrice québécoise en fait une œuvre très contemporaine en l'ancrant dans la réalité du XXI° siècle - excusez ce truisme-- mais tout en perpétuant une tradition théâtrale, elle fait retentir un hymne dédié à la jeunesse, celle qui, toutes origines et classes sociales confondues (avenir du Canada), prône la supériorité de « la loi du coeur sur la loi des hommes » (portée universelle)
Une bavure policière (Etéocle lâchement abattu et Polynice emprisonné) sera l’élément déclencheur ; les réseaux sociaux vont jouer le rôle des choeurs de la tragédie antique, une psychiatre aveugle celui du devin Tirésias, l’autorité de Créon transformée en pouvoir répressif multiforme (police, justice, établissements correctionnels, prison); la campagne initiée par Hémon en faveur d’Antigone -où domine le rouge -évoque astucieusement l’Affiche rouge, et certains plans sur le visage de Nahéma Ricci rappellent de toute évidence la Falconetti de Dreyer, en Jeanne d'Arc!
Alors que le film aborde de nombreux problèmes dont certains brûlants d’actualité -intégrisme au Maghreb, décennie noire en Algérie, guerres des gangs à Québec, politique migratoire canadienne, violence policière, sort des immigrés en attente de citoyenneté...- Sophie Deraspe évite la surenchère ; ni volonté démonstrative trop appuyée ni impact émotionnel trop facile. C’est que dans le montage tout semble aller de soi : on passe d’instants dits tragiques à des écrans de portable d’où jaillit la parole des réseaux sociaux, des couleurs vives et chaudes (appartement de la famille, rassemblements des jeunes) aux couleurs froides (poste de police prison palais de justice) -ici l’opposition des couleurs, des ambiances évoque avec sobriété un contexte socio-politique- et d’un point de vue cinématographique assure le triomphe de la fonction sur la parole ; de même que la mise en scène suggère très souvent le cloisonnement de l’espace comme obstacle à un trop plein d’énergie et que les flash back sont moins l’illustration d’un pan du passé, qu’une nouvelle prise de conscience de ce passé, dans un autre contexte (Nahéma enfant, dépouilles des parents jetées sans sépulture, frère footballeur et dealer par exemple)
Mais surtout l’interprétation de Nahéma Ricci en Antigone contemporaine habitée, tragique et solaire, sensuelle et pudique, force l’admiration tant elle est convaincante
Un film qui allie avec élégance classicisme et actualité, à ne pas rater (Omnia aux Toiles)
Colette Lallement-Duchoze
ps en canadien on dit "déportation" (et non "expulsion")
à méditer !!!!