De Anthony Chen (Singapour)
Avec Yann Yann Yeo, Christopher Ming-Shun Lee, Koh Jia Ler
Des trombes d’eau s’abattent sur Singapour. C’est la mousson. Les nuages s’amoncellent aussi dans le cœur de Ling, professeur de chinois dans un lycée de garçons. Sa vie professionnelle est peu épanouissante et son mari, avec qui elle tente depuis plusieurs années d’avoir un enfant, de plus en plus fuyant. Une amitié inattendue avec l’un de ses élèves va briser sa solitude et l’aider à prendre sa vie en main.
C’est un film tout en nuances subtiles où pudeur et délicatesse évitent le mélo, le pathos.
C’est que la caméra est toujours à la "bonne" distance : elle sait être proche sans être inquisitrice ou plus en retrait mais avec élégance
C'est que les "mini scènes" qui se succèdent - où se reproduisent des gestes identiques - sont moins des "saynettes" que des "fragments" -avec rarement des débuts et des fins- et vus sous des angles différents
La répétition n'est pas pure mécanique. Car plus le personnage ou un épisode se rejouent (Ling chez elle prenant soin de son beau-père hémiplégique, Ling professeur au lycée face à une classe entière ou en tête-à-tête avec son élève pour un cours de rattrapage, Ling au volant de sa voiture, Ling s'administrant des injections) plus -et cela mérite d'être souligné- s'impose une singularité. Celle d'une femme en mal d'enfant, délaissée par son mari, et comme "étrangère" dans la ville. Professeur elle enseigne le chinois à des jeunes qui préfèrent l'anglais -la langue des affaires- ; femme au foyer elle illustre en l’incarnant -du moins le temps de cette « wet season » - une tradition qui règle la stricte répartition des tâches, et le dogme de la sacro-sainte lignée.
Car le film est aussi l’histoire d’une émancipation
Filmés de face, seuls, assis, dans la salle de classe, Ling et son élève Wei Lun dégustent un durian ; ce fruit interdit dans les transports publics à cause de son odeur, ne devient-il pas la métaphore de la transgression ?
Étreinte prolongée sous la pluie (ce sera ma première rupture), les larmes du professeur et de son élève se mêlent aux sanglots de la pluie; le cadre d’abord resserré -comme sont enserrés "amoureusement" les deux corps- s’élargit pour faire entrer la présence bleutée des gratte-ciel de la mégapole….(cf l’affiche)
Choix chromatiques en harmonie avec cette saison des pluies, condensation (dans ses sens propre et figuré); absence de musique ce qui évite un surlignage émotionnel (seul le ruissellement de la pluie qui martèle ou s'abat avec fracas va scander le parcours de Ling); absence de très gros plans (significative d’une distance maintenue vis-à-vis du personnage comme du spectateur), dialogues minimalistes, tout concourt à faire de « west season » un film où l’intime -même le plus cru- évite la trivialité, où les non-dits et les ellipses servent de ponctuations, où sur la toile de fond s'inscrit une critique sociale…(la société singapourienne et sa loi du profit coûte que coûte)
Un film que je vous recommande
Colette Lallement-Duchoze