de Kirill Serebrennikov
avec Irina Starshenbaum, Tee Yoo, Roman Bilyk, Aleksandre Kouznetsov
présenté à Cannes (Compétition officielle)
prix Cannes Soundtrack de la meilleure musique
grand prix du jury (festival international du film d’Amiens)
prix du cinéma européen du meilleur chef décorateur pour Andreï Penkratov
Leningrad. Un été début des années 80. En amont de la Perestroïka les disques de Lou Reed et de David Bowie s’échangent en contrebande et une scène rock émerge. Mike et sa femme rencontrent le jeune Viktor Tsoï. Entourés d’une nouvelle génération de musiciens ils vont changer le cours du rock’n’roll en Union Soviétique
La tentation est grande de mettre en parallèle l’affiche marquée d’un cœur brandie par des groupies de Mike Naoumenko (un Bob Dylan soviétique) - dans la scène d’ouverture de Leto- et celle arborée à Cannes par l’équipe du film (le réalisateur assigné à résidence était absent du festival…). Dans les années 80 à Leningrad il faut ruser pour déjouer la police et une fois installé, il faut trépigner en sourdine voire en silence (l’oxymore en dit long!!) pour manifester sa joie ; le rock est sous contrôle policier et la scène du train sera assez cocasse : le communiste qui éructe d’injures est complètement ivre !! En 2018 la liberté de création et d’émancipation est muselée réprimée -officiellement on accuse Serebrennikov d’avoir détourné des fonds publics pour la mise en œuvre d’un projet théâtral... - Serebennikov 49 ans directeur du Gogol Center à Moscou, fut « révélé » au public français pour son spectacle Les âmes mortes présenté au festival d’Avignon en 2015
Leto n’est pas un biopic sur Viktor Tsoï, même s’il dit s’inspirer (cf le générique) de l’autobiographie de Natalia Naoumenko qui évoque sa relation avec lui
Leto signifie " l’été" : à la fois indication de temps et titre d’une chanson qu’on entendra in extenso
Leto c'est un hymne à l’esprit libertaire- qui d’ailleurs précéda la Perestroïka. Souffle à la fois organique et orphique qui rappelle les années 60 aux USA et l’après 68 en France. En Russie on se passionne -dans les années 80- pour les Beatles, les Doors, T. Rex, David Bowie , Lou Reed (et ce sera une bonne partie de la musique du film)
Leto c'est une façon de filmer inventive et audacieuse: un noir et blanc au service d’images en scope ; des éclats de lumière ou de couleurs ; et surtout l’insertion de saynètes -qui reprennent les chansons phare ; « visualisées » dans le contexte russe elles seront chantées à la fois par les rockers les voyageurs du bus ou du métro, ou sur des escaliers!. Et parfois s’immisce un narrateur qui s’adressant directement au public après avoir imaginé des versions plus endiablées (cf The passenger d’Iggy Pop ainsi revisité dans un train) brandit sa petite pancarte « ça n’a pas existé » (ce qui a été possible dans le monde anglo-saxon ne saurait l’être dans la Russie de Brejnev!) Ou encore ces plans en couleurs qui illustrent le carnet où Mike traduit en russe les chansons de Marc Bolan (T. Rex) David Bowie, Lou Reed (écran en split screen) On peut avoir l’impression de gribouillis d’enfant en regardant ces hachures et tags grattés à même la pellicule, mais n’est-ce pas précisément ce que recherche le cinéaste en donnant à « voir » une forme de clip jubilatoire.
Leto c'est un rythme souvent effréné en harmonie avec la fièvre créatrice; mais aussi un tempo qui fait alterner les « boeufs » les séances de studio les répétitions les fêtes et les virées en ville ou au bord de l’eau, la création de la salle de concert Leningrad Rock Club et des séquences plus intimes -car Leto c'est aussi une histoire d’amour entre Viktor Tsoï (groupe Kino en gestation), son mentor Mike Naoumenko (groupe Zoopark) et Natalia la femme de Mike
Leto, un film incontournable !
Colette Lallement-Duchoze