de Alexandr Sokourov
avec Louis-Do de Lencquesaing, Benjamin , Vincent Nemeth , Johanna Korthals Altes
musique: Murat Kabardokov
Tout se mêle la tempête, les naufrages, l'Europe, Paris, le Musée dit à un moment en voix off le réalisateur alors qu'apparaît sur l'écran de son ordinateur, le visage éploré de Dick à bord de son cargo; -il transporte des "tableaux", entendons la mémoire d'une civilisation-, sur les eaux tumultueuses et périlleuses de la Baltique!
Oui tout se mêle en s'assemblant, dans ce film composite: passé et présent, film et film en train de se faire (avec des claps; clin d'œil aux limites d'un genre? Ou critique des productions lénifiantes?), images d'archives et reconstitutions aux couleurs sépias, comparaisons entre le comportement des armées allemandes à Paris "occupée" et à Stalingrad (sauvagement détruite, ses milliers de morts sans sépulture à cause du froid), des métaphores visuelles, des récurrences "ironiques" (une Marianne en chair et en os se faufilant dans les galeries du Louvre, en déclamant l'article I de la Constitution; Napoléon Bonaparte petit bedonnant prétentieux répétant "c'est moi" "c'est moi" devant entre autres la toile de David célébrant son "sacre"). Le réalisateur utilise toutes les techniques et trucages: split screen, fondus enchaînés, surimpressions, incrustations, inscription à l'écran de la piste sonore, cadre qui s'élargit ou se rétrécit, alors que sa voix commente interpelle et nous invite à déambuler dans une sorte d'espace-temps aux frontières abolies
La trame? (cf le sous-titre) c'est l'incroyable "collaboration" dans la capitale occupée, entre le directeur du Louvre Jacques Jaujard et le comte Franz Wolff Metternich, directeur de la commission pour "la protection des œuvres d'art en France" dans leur "sauvetage" des chefs-d'œuvre du Louvre. (imaginons les Rembrandt et les Véronèse dans un abri des caves d’un château ...). Le Louvre comme emblème d'une nation (la France ne se conçoit pas sans le Louvre tout comme la Russie sans l'Ermitage" affirme A Sokourov) La déambulation "mémorielle" se double ainsi d'une réflexion ou du moins d'un questionnement: quel est le sens politique d'un "rapport à l'art" ?? la culture comme fondement d'une nation?
On sort un peu "sonné" ballotté par ces flux et reflux, et l'on se dit in petto: voilà un réalisateur russe si épris de notre culture patrimoniale qu'il s'en est fait le chantre audacieux ! (voir les raccords entre les tableaux, ou les très gros plans sur les craquelures par exemple)
"Si à l’instant de ma mort je ne devais retenir que deux choses de la vie, ce seraient la lumière du matin en été et la grande culture européenne".
Colette Lallement-Duchoze