De Saïd Hamich Benlarbi (France 2024 )
avec Ayoub Gretaa (Nour) Grégoire Colin (Serge) Anna Mouglalis (Noémie)
Festival Cannes 2024 Semaine de la Critique
Prix du public festival Mannheim-Heidelberg
Nour, 27 ans, a émigré clandestinement à Marseille. Avec ses amis, il vit de petits trafics et mène une vie marginale et festive. Mais sa rencontre avec Serge, un flic charismatique et imprévisible, et sa femme Noémie, va bouleverser son existence. De 1990 à 2000, Nour aime, vieillit et se raccroche à ses rêves
Les journées sont infinies, et les années filent
L’exil cristallise le moment où s'éteignent les fantasmes qu'on peut avoir sur le départ et le retour. Parce qu'on ne se sent jamais chez soi et que quand on revient dans son pays, on n'est plus chez soi non plus, et on a l’impression d’avoir été comme trahi. Tout ce qu’il reste à faire, c’est construire une nouvelle vie (Saïd Hamich Benlarbi)
Composé de 4 parties (Nour, Serge, Noémie, le retour) suivies d’un épilogue ce film sur l’exil (le double) dont la mer au loin est l’allégorie, a pour cadre Marseille et se déploie sur 10 ans -1990/2000. D’une partie à l’autre (une ellipse de deux ans entre chacune) la tonalité et le contexte diffèrent (délire festif en I gravité en II mélancolie en IV) alors que s’impose une façon de vivre « originale » incarnée par le couple Serge (un flic bisexuel) et Noémie (loin d’être laxiste elle vit intensément un amour qui est au-delà de tous les préjugés présupposés et clichés) Et ce couple pour la narration joue le rôle de « matrice » « Dans l’exil, les personnes que vous côtoyez deviennent une projection de ce que vous cherchez à atteindre. Ils incarnent votre terre d’accueil » et comme Nour vient de la marge « il doit pouvoir accepter d’autres marges. Je trouve beau que Nour accepte ce couple qui n’a rien de traditionnel (Saïd Hamich Benlarbi)
Simultanéité entre un parcours individuel (celui de Nour) et l’histoire collective (les relations entre la France et le Maghreb en cette fin du XX° sont suggérées à l’instar d’autres « marqueurs historiques» signalés tels des clins d’œil -assassinat du chanteur Cheb Hasni, victoire sportive de l’OM en 93-, alors que les problèmes sociétaux (mariages blancs, mariages de complaisance, sida, abus policiers) sont traités avec justesse -sans complaisance ni insistance …
La Cité phocéenne, bordélique , devient personnage à part entière ; enfermée entre mer et montagnes, (il suffit de quelques plans révélateurs pour établir une connexion entre deux « formes » d’enfermement), cette ville cosmopolite, voit cohabiter des " diasporas" tout en souffrant d’un racisme rampant larvé qui peut faire surface (le bouc émissaire à tous les maux quand viennent des lendemains qui ne chantent pas ou plus ?? ce sera le Nord-Africain !!) un racisme qui deviendra ordinaire, décorseté, débarrassé de son étiquette, quand il s’appuie sur une philosophie essentialiste banalisée (quelques propos s’insinuent, venimeux, dans les discours officiels ou les conversations anodines "oh les Arabes...le problème avec vous les Arabes est que…" )
Mer et ciel, bleu azur et lumière, un bateau fend les flots, c’est le plan d’ouverture ; clichés ? chromatisme de carte postale ? La caméra se pose sur le visage de Nour - un regard qui semble contempler un lointain (désormais inaccessible ?)
Mais très vite s’imposera la dialectique de l’ouvert et du fermé, du plein et du vide et dominera le contraste « ombre et lumière ».
Et si la musique raï est quasi omniprésente -c’est qu’elle a explosé à la fin des années 80 à Marseille ; elle illustrait la mélancolie …
Un enchâssement de deux dynamiques -voyage initiatique de l’exilé qui s’inscrit dans la durée (la référence à Flaubert, phrase conclusive de L’Education sentimentale n’est pas anodine) et chronique plus sociale que politique- tout cela porté par le jeu des trois interprètes talentueux (mention spéciale à Anna Mouglalis), oui La mer au loin est un film à voir!!
Colette Lallement-Duchoze