De Joao Salaviza et Renée Nader Messora. (Brésil 2022)
Couronné par le prix d’Ensemble au festival de Cannes 2023 Section Un certain regard
A travers les yeux de sa fille, Patpro un membre de la tribu des Karahô, va parcourir trois époques de l’histoire de son peuple indigène, au cœur de la forêt brésilienne. Inlassablement persécutés, mais guidés par leurs rites ancestraux, leur amour de la nature et leur combat pour préserver leur liberté, les Krahô n’ont de cesse d’inventer de nouvelles formes de résistance...
Long poème souvent chanté et dansé, ce film très militant entrelace le document ethnographique, la revendication politique écologique, la reconstitution fictionnelle, avec un mélange de réalisme de naturalisme et d’onirisme.
Le montage a ceci de mystérieux et de convaincant -pour certains- de spécieux- pour d’autres- qu’il met sur le même plan des temporalités et des points de vue différent.es. Trois périodes trois points de vue trois approches. (dont celles du jeune Ilda Patpro Kraho, de Hyjno Kraho et de sa femme Luzia Cruwakwyj Kraho) Et la récurrence du procédé de surimpression (deux plans du même personnage dans le même cadre, l’un immobile l’autre en mouvement) en créant une sorte de dédoublement participe de ce choix
L’ouverture est consacrée à ce chant venu du fond des âges échos feutrés d’antiques cosmogonies et de mythes fondateurs ; une prose poétique à la gloire de Crowrà, la fleur de Buriti (nom que portait la grand-mère d’un chef de village qui enfant avait vu toute sa famille se faire massacrer par les gens des villes et les agriculteurs) Le film dans son ensemble n’est -il pas une ode psalmodiée avec une perspective animiste (cf l’interpénétration des règnes et des espèces avec des zooms ou des plans rapprochés sur la cohabitation; mode de vie qui perdure par-delà les époques, mode de pensée qui glorifie forces chtoniennes et cosmos originel) ?
Et quand les mêmes personnages (ceux du présent que filme avec empathie le couple de cinéastes) vont « interpréter » des rôles « historiques » (avec insertion d’images d’archives en noir et blanc) on comprend l’intention des réalisateurs: non pas faire œuvre d’historiens mais chanter la persistance d’un mode de vie singulier qui a dû affronter la cruauté barbare des « prédateurs », ceux qui ont cherché- et cherchent encore- à s’approprier les terres en massacrant leurs habitants….
Et ce n’est pas pur hasard si à la scène liminaire (douleurs de la parturiente) répond en écho au final la scène de l’accouchement (on entend les voix bienveillantes des femmes avant que l’être nouveau ne s’approprie le sein tutélaire et nourricier) Naissance et survie. Et comme entre temps il y aura eu cette marche à Brasilia, par un effet spéculaire l’accouchement acquiert une dimension plus universelle
Un environnement d’une luxuriance sidérante celui du nord-est de la forêt amazonienne état du Tocantins où vit la tribu Krahô -un groupe d’environ 2000 personnes- contrastant avec les échappées urbaines où les représentants de la communauté vont plaider leur devenir à Brasilia. Car ce film/documentaire met en exergue deux « projets différents pour le monde » soit deux « visions différentes du futur du monde » Si les Krahô ont accepté une forme de « modernisation » (utilisation de portables pour communiquer par exemple) ils militent pour préserver l’environnement, refusant de le laisser saccager en énièmes exploitations agricoles, ils plaident pour l’acceptation de « l’autre » (cf les banderoles et les slogans qui fustigent la politique de l’agronégoce du président Bolsonaro) (à noter ici que depuis le tournage le président Lula a été réélu et qu’une militante dont on a entendu la prise de position à Brasilia a été nommée ministre…)
Voici un feu avec ses braises mais aussi ses volutes de fumée. Horizontalité et verticalité, puissance tellurique et voûte céleste vont se conjuguer dans le rouge et l’évanescent, le rêve et le cauchemar (l’enfant et sa prescience du malheur que la berceuse d’une mère aimante tente de consoler)
Le feu tel un foyer protecteur, le feu et ses dévastations infligées par les tenants du "profit à tout prix"
Le feu - ouverture et clôture du film – dont les crépitements et l’incandescence font entendre la voix des Anciens …
Lenteur du rythme, beauté sculpturale des êtres humains et des vivants piliers que sont les arbres, somptuosité des couleurs (vert émeraude, ocre brun, rouge vif bleu céruléen) lumières diffractées chants mélopées tout dans ce film semble renouer avec une des fonctions majeures du cinéma "révéler d'autres mondes"
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Colette Lallement-Duchoze