De Bertrand Bonello (2023) France Canada
Musique Bertrand Bonello, Anna Bonello
Acteurs Léa Seydoux (Gabrielle) George MacKay (Louis) Marta Hoskins, Guslagie Malanda (Poupée Kelly)
libre adaptation de la nouvelle d'Henry James "La bête dans la jungle"
Film dédié à Gaspard Ulliel
Dans un futur proche guidé par l’intelligence artificielle, les émotions sont devenues une menace. Pour s’en débarrasser, Gabrielle doit purifier son ADN et pour cela, replonger dans ses vies intérieures…Elle y retrouve Louis, son grand amour. Mais une peur l'envahit, le pressentiment qu'une catastrophe se prépare.
Comme la plupart des films de Bonello (Tiresia, L'Apollonide Nocturama) La bête est d’une beauté rare (vision frontale ou parcellaire ; vision globale ou fragmentée et fragmentaire; déformations; vues en contre-plongée et surtout tout dans le film est travaillé comme au cordeau -cadres plans mouvements jeux de travellings choix des couleurs scènes cauchemardesques, etc. ) Mais Bonello rappelons-le a ses détracteurs (lesquels l’accusent de formalisme outrancier, confondant choix esthétiques et parti pris esthétisants)
Séquence d’ouverture : fond vert, Léa Seydoux guidée par la voix du réalisateur doit faire un pas de côté s’approcher d’une table prendre le couteau et attaquer la…Bête (? ) UN CRI primal sort de sa bouche distordue. Le fond comme écran sur lequel projeter les images de la peur ? pour Gabrielle ce sera l’amour contrarié avec Louis ; une histoire d’amour revisitée, à différentes époques et l’on passera de l’une à l’autre (1910 2044 2014 ) avec ces images qui se déforment en anamorphoses mais aussi avec changements de costumes et de décors alors que Gabrielle (ni tout à fait la même ni tout à fait une autre, artiste ou mannequin, aspirante actrice ou femme seule aspirant à l’amour) aura accepté la purification (bain noir, énorme aiguille -celle du temps ? celle d’une inoculation -thérapie prophylaxie catharsis ? En acceptant (en 2044) de se débarrasser de ses affects, purgeant son ADN, elle « revivra » ses amours ses peines ; simultanément ce sera la garantie de ne plus jamais souffrir ? Même quand t'es amoureuse et que ça se passe bien, t'es toujours dans l'angoisse de la perte à venir. Alors autant ne plus vivre ça.» lui souffle l’amie…
1910 Pianiste mariée à un fabricant de poupées, Gabrielle lors d’une soirée ultra-mondaine (on donne à voir des peintures tourmentées à la Egon Schiele) « rencontre » Louis de passage à Paris. Une démarche languide dans les pièces de la vaste demeure bourgeoise Une peur une certitude celle d’une catastrophe imminente. Louis le sait. Elle le lui avait dit, (rappelez-vous) avec ce phrasé, cette lenteur calculée très durassienne. Oui la catastrophe surviendra...
« je voulais mettre ensemble la peur et l’amour » affirme le cinéaste qui pour ce « voyage dans le temps » convoque « 3 formes filmiques de la peur » : dont le pseudo film d’horreur (2014) avec un Louis en tueur psychopathe, avec des clins d’œil plus ou moins appuyés à Lynch et la dystopie de 2044, son « idéal » aseptisé, son IA (voix de Dolan)
Mais se priver de ses émotions n’est-ce pas perdre son humanité ? dès lors s’obstiner à sauvegarder cette parcelle d’humanité serait-ce entrer en résistance ? la réponse est dans ce film à nul autre pareil
On retiendra la beauté sidérante de l’atelier de poupées, (prolongement ou préfiguration de cette figure artificielle qui accompagne Gabrielle?) l’embrasement où le feu s’allie à l’eau, (et où Gabrielle est devenue l'Ophélie ) et toutes ces ambiances musicales (des anachronismes recherchés : dans un club du futur danser sur de la musique soul de 1970)
Un film à ne pas rater
Colette Lallement-Duchoze